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Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Troisième lecture

16 juin 2021


L’honorable Yvonne Boyer [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’exprimer mon appui au projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je souhaite d’abord reconnaître que je vous parle depuis le territoire traditionnel non cédé des Anishinaabes, des Mississaugas et des Algonquins. Les membres de ces nations étaient les premiers intendants de la terre où j’habite et il est important de faire preuve de respect envers cette intendance en la reconnaissant.

Avant de me pencher directement sur cet important projet de loi, j’aimerais d’abord revenir sur le fait que les restes de 392 enfants ont été découverts dans des tombes non identifiées sur le terrain d’anciens pensionnats autochtones d’un bout à l’autre du Canada. Ces découvertes terribles mais prévisibles ont ramené la question de la réconciliation à l’avant-plan du débat public au sein de la nation. Maintenant, alors que nous débattons de cette importante mesure législative et qu’on pleure encore la perte de ces enfants, j’ose espérer que les décisions que nous prendrons dans cette enceinte contribueront à ce que les familles touchées soient mieux servies par la justice canadienne.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, au Canada, juin est le Mois national de l’histoire autochtone, ce qui me semble l’occasion tout à fait appropriée pour débattre de cette mesure législative d’importance historique.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un document de droit international adopté par les Nations unies en 2007 et ratifié par plus de 140 pays. Cette déclaration vise à faire respecter les droits qui constituent les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde. Au Canada, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones vise à protéger les droits inhérents des Métis, des Inuits et des Premières Nations, notamment le droit à des services de santé équitables, sans discrimination.

La portée de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dépasse largement les questions de santé, mais j’ai décidé de concentrer mon intervention d’aujourd’hui sur ce secteur compte tenu de l’importance du droit à la santé dans tous les aspects de la vie des peuples autochtones du Canada.

J’appuie le projet de loi C-15 parce qu’il accroît l’harmonisation entre les lois du Canada et les droits propres à l’ensemble des Autochtones du pays. Il améliorera aussi les lois canadiennes en les harmonisant avec le droit ancestral des peuples autochtones à la santé prévu à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce qui devrait entre autres améliorer les résultats des Autochtones et de leurs communautés en matière de santé.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît que la santé des Autochtones est une question de droits de la personne et qu’elle est au cœur de la dignité humaine. À ce titre, le projet de loi appuie la gouvernance des Autochtones en matière de santé en offrant aux gouvernements un cadre stratégique uniforme applicable à l’échelle internationale. De nombreux articles de la déclaration visent directement la santé des Autochtones et peuvent avoir des effets positifs sur les résultats des politiques.

Par exemple, l’article 21 stipule que les peuples autochtones ont droit à l’amélioration de leur situation sociale, notamment dans le domaine de la santé, et ce, sans discrimination d’aucune sorte. Cela reflète directement le besoin d’un plus grand nombre de médecins, d’infirmiers et d’autres professionnels de la santé issus des communautés autochtones au sein du réseau de soins de santé du Canada. Cela reflète aussi le besoin inhérent des peuples autochtones à l’autodétermination, dont il est également question à l’article 23. Cet article stipule que les peuples autochtones ont le droit d’être activement associés à l’élaboration et à la définition des programmes de santé. Cela signifie que les initiatives autochtones en matière de santé doivent être menées par des Autochtones et appuyées par les gouvernements, et non l’inverse, comme c’est si souvent le cas.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît aussi le droit inhérent des Autochtones à protéger leurs croyances culturelles et leurs pratiques médicales traditionnelles. En plus d’affirmer le droit des Autochtones d’avoir accès à des soins de santé sans aucune discrimination, l’article 24 indique qu’ils ont le droit inhérent de continuer à utiliser leur pharmacopée traditionnelle et de conserver leurs pratiques médicales traditionnelles. Ce droit inhérent s’étend à la conservation de l’environnement et à la protection de la pharmacopée traditionnelle, notamment les plantes, les animaux et les minéraux. La déclaration reconnaît que le bien-être environnemental est indissociable de la santé des Autochtones.

À long terme, la déclaration permettra d’améliorer de plusieurs façons l’état de santé des Autochtones ainsi que les services de santé qu’on leur offre au Canada, mais le gouvernement fédéral peut prendre immédiatement des mesures concrètes afin d’harmoniser les lois du Canada avec la déclaration.

D’abord, nous devons nous efforcer de résoudre une fois pour toutes les conflits de compétence entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et ce, de façon concrète. À cause de ces conflits, il arrive souvent que les Autochtones ne reçoivent pas les soins et les services de santé dont ils ont besoin. Par exemple, le gouvernement a lui-même reconnu l’injustice et la discrimination qui découlent de ces conflits de compétence, comme le démontre l’adoption à l’unanimité du principe de Jordan à l’autre endroit.

Chers collègues, nous avons constaté à maintes reprises que la discrimination et le racisme dans le système de santé peuvent être mortels. Le cas de Brian Sinclair l’a prouvé, à l’instar de la mort de Joyce Echaquan, plus récemment. Nous savons qu’il y a bien d’autres cas comme ceux-là qui ne sont pas signalés.

Ces cas horribles sont choquants pour beaucoup de gens, mais ils ne sont que trop familiers pour ceux d’entre nous qui sont conscients du racisme et de la discrimination dans le système de santé canadien et qui en ont été victimes. À lui seul, le projet de loi C-15 ne réglera pas tous ces problèmes, mais je pense qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction qui permettra d’améliorer la santé des Autochtones au Canada.

La mise en œuvre d’un plan d’action visant à atteindre les objectifs de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones signifie que le gouvernement améliorera l’accès des peuples autochtones à des soins de santé sûrs et adaptés à leur culture. Pour cela, il faut commencer par favoriser de meilleures relations entre les gouvernements fédéral, territoriaux et provinciaux et les corps dirigeants autochtones. Nous devons améliorer l’éducation des médecins concernant les questions autochtones et les soins adaptés à la culture et accroître l’accès aux pratiques de guérison et médicaments traditionnels qui non seulement profitent aux communautés autochtones, mais peuvent aussi améliorer l’approche globale du Canada en matière de soins de santé.

Mon propre travail dans le domaine de la stérilisation contrainte ou forcée m’a amenée à conclure que l’amélioration de l’autonomie des patientes et de l’accès aux sages-femmes et aux centres d’accouchement autochtones représente un pas dans la bonne direction et est extrêmement importante pour la santé des femmes autochtones et de leurs enfants.

Les soins de santé que reçoivent actuellement les Autochtones sont inadéquats, mais le projet de loi C-15 et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones peuvent constituer un modèle de changement. Déjà, la déclaration a entraîné des changements positifs pour les Autochtones de la Colombie-Britannique. En novembre 2019, l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a adopté à l’unanimité et commencé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones comme cadre de réconciliation. Les lois de la Colombie-Britannique ont été harmonisées avec les droits inhérents décrits dans cette déclaration, et des processus décisionnels ont été mis en place, ce qui donne à la province une plus grande souplesse dans ses accords avec les communautés autochtones.

Cela a apporté de la transparence et la prévisibilité dans le travail entre les peuples autochtones et le gouvernement provincial. Lorsque le projet de loi C-15 sera adopté, j’espère qu’il améliorera les relations entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones d’une manière similaire et significative.

Le Sénat et l’autre endroit ont longuement débattu d’une version précédente du projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones présentée par le député Romeo Saganash en 2016. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a entendu de nombreux témoins affirmer que la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones contribuera à reconnaître et à affirmer les droits autochtones déjà existants et inhérents. Les témoignages rejoignent les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Tout comme le projet de loi C-15, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un engagement à travailler ensemble dans un esprit de réconciliation. Comme l’a si bien dit Ellen Gabriel dans son mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones :

Mon soutien au projet de loi C-15 vient d’une conviction à l’égard de la Déclaration et de toutes les années où les peuples autochtones ont travaillé pour lui donner vie. La Déclaration est une expression claire, pour le 21e siècle, de ce pour quoi les peuples autochtones se sont toujours battus : notre droit de vivre en paix et dans la dignité, de surmonter les effets de la colonisation en exerçant nos droits à l’autodétermination, et de voir nos propres lois et traditions autochtones respectées au lieu d’être vilipendées.

Le projet de loi C-15 donnera aux communautés autochtones l’espoir que de réels changements sont possibles et que la situation s’améliorera. Alors que nous sommes en train de débattre, au Sénat, de cette mesure législative cruciale, nous devons garder à l’esprit que le projet de loi C-15 risque — comme beaucoup de lois, de rapports et d’études — de dormir sur une tablette. La loi de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones doit être beaucoup plus qu’une mesure symbolique aux objectifs idéalistes; elle doit devenir un document dynamique, porteur d’un engagement envers les peuples autochtones vivant au Canada. La déclaration ouvre la voie à la possibilité de présenter de réelles solutions.

Sénateurs, ce n’est qu’un début. Après avoir adopté le projet de loi C-15, nous devrons nous retrousser les manches et faire du Canada un pays qui respecte le droit international et les droits fondamentaux internationaux des populations autochtones.

Les Canadiens ont confiance que nous ferons notre travail, et il ne faudrait pas trahir cette confiance. Meegwetch. Marsee. Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens pour appuyer le projet de loi C-15, qui concerne la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2007.

Comme je l’ai dit hier, l’objet du projet de loi C-15, présenté à l’article 4, est double. Premièrement, il vise à ajouter aux règles d’interprétation du droit canadien les principes énoncés dans la déclaration des Nations unies. Deuxièmement, il vise à encadrer la mise en œuvre de la déclaration par le gouvernement du Canada.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’est pas un traité international auquel un État s’engage à se conformer en le signant. Il représente plutôt l’expression par la communauté internationale de normes d’accomplissement pour tous les peuples et toutes les nations, qui a un caractère déclaratoire et interprétatif et l’effet coutumier en droit international.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones constitue une déclaration universelle des droits de la personne adaptée au contexte des peuples autochtones, lesquels ont — et je cite le préambule du projet de loi —, « [...] historiquement subi des injustices en raison [...] de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et ressources [...] »

Comme le sénateur Francis nous l’a rappelé dans son allocution :

La Déclaration des Nations unies est le résultat des efforts déployés par des dirigeants autochtones pendant des décennies. Elle ne crée pas de nouveaux droits. Elle établit plutôt des normes internationales en matière de droits de la personne adaptées aux réalités des peuples autochtones. C’est aussi un outil précieux pour amener les États participants à respecter leurs obligations.

Comme d’autres déclarations des Nations unies, la déclaration est un appel à l’action lancé à tous les pays. Il revient donc aux gouvernements et aux Parlements de partout dans le monde d’y répondre en faisant respecter ses principes sur leur propre territoire.

Comme vous le savez, dans le droit interne, c’est-à-dire les lois du Canada en ce qui nous concerne, les déclarations des Nations unies ne sont pas exécutoires. Ce sont des affirmations de principes importants, mais qui peuvent être prises en considération par les tribunaux nationaux. La Cour suprême du Canada l’a expliqué comme suit dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) :

Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois […]

D’autres pays de common law ont aussi mis en relief le rôle important du droit international des droits de la personne dans l’interprétation du droit interne […] Il a également une incidence cruciale sur l’interprétation de l’étendue des droits garantis par la Charte […]

Comme le sénateur Gold nous l’a rappelé hier, et le ministre Lametti précédemment, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a été évoquée par les tribunaux du Canada pour rendre des décisions éclairées concernant l’interprétation des lois et des devoirs des divers ordres de gouvernement de notre pays. Avec l’alinéa 4a) du projet de loi C-15, la déclaration sera pleinement reconnue comme un outil de plus à la disposition des tribunaux du Canada pour interpréter les lois.

C’est très important. Comme le sénateur Brian Francis l’a mentionné hier, de nombreux témoins ont déclaré au Comité des Peuples autochtones à quel point cette affirmation est importante, étant donné que la majorité des avocats, des juges et des Canadiens ne connaissent pas son application ni son interprétation ou qu’ils y sont réticents.

Avant de conclure mes observations sur l’objet relatif à l’interprétation du projet de loi C-15, j’aimerais ajouter que, dans tous les cas où une disposition de la déclaration est contraire à un droit issu d’un traité, c’est ce dernier qui l’emporte, car ces droits sont inscrits dans la Constitution et protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et ils l’emportent sur les règles d’interprétation établies dans toute autre loi. D’ailleurs, ce principe est clairement réaffirmé dans l’article 2 du projet de loi.

Je vais maintenant passer au deuxième objet du projet de loi, qui consiste à encadrer la mise en œuvre par le gouvernement fédéral des appels à l’action contenus dans la déclaration. Selon l’article 5 du projet de loi, le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la déclaration, au lieu d’attendre la résolution des différends et les décisions des tribunaux. Autrement dit, le gouvernement doit être proactif. Pour ce faire, on se servira du plan d’action prévu à l’article 6 du projet de loi.

À l’instar du projet de loi C-262 de l’ancien député Romeo Saganash, qui a été parrainé au Sénat par notre ancien collègue le sénateur Sinclair, le projet de loi C-15, est non seulement une réponse du gouvernement fédéral à la déclaration, mais aussi une réponse aux appels à l’action nos 43 et 44 de la Commission de vérité et réconciliation, que le sénateur Sinclair a présidée, ainsi qu’à l’appel à la justice 1.2v) du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Bien sûr, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est aussi un appel à l’action destiné aux gouvernements provinciaux. J’espère qu’ils répondront, comme l’a fait la Colombie-Britannique, à cet appel à l’action de l’ONU réitéré par la Commission de vérité et réconciliation.

Pour l’instant, c’est à nous de répondre. En tant que sénateurs, je pense que nous devons nous assurer que le Sénat est du bon côté de l’histoire. C’est d’autant plus vrai que le projet de loi à l’étude représente un engagement électoral et la volonté démocratique des Canadiens d’accepter la vérité de notre histoire et de promouvoir la réconciliation d’une manière transformatrice. Nous devons regarder la réalité en face. Le Sénat est l’un des endroits où le génocide culturel a été perpétré. En adoptant le projet de loi C-15, nous pouvons amorcer un processus qui pourrait contribuer à rebâtir notre relation avec les peuples autochtones du Canada.

En tant que sénateur du Québec, je tiens à exprimer ma solidarité envers les peuples autochtones dans leur longue et difficile quête d’autodétermination au sein de la fédération canadienne. Nous réalisons maintenant les affreuses erreurs de notre passé colonialiste et nous promettons, notamment au moyen du plan d’action, de revoir nos lois, nos règlements et nos façons de faire afin de respecter les droits constitutionnels des peuples autochtones en vertu de l’article 35, et de ne plus attendre d’être forcés par les tribunaux d’assumer cette responsabilité.

Pour finir, j’ai quelques observations à propos de la signification de l’expression « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause», surtout en ce qui a trait à l’exploitation des ressources.

Le ministre de la Justice et des juristes ont expliqué ce concept dans le cadre des travaux de la Chambre des communes et du Sénat. Comme le ministre Lametti l’a affirmé au Comité des peuples autochtones le 7 mai :

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause passe par l’élaboration d’un consensus par l’intermédiaire d’un travail concerté, du dialogue et d’autres mécanismes, et il vise à permettre aux peuples autochtones d’avoir une influence significative sur les processus décisionnels; il ne s’agit pas d’un droit de veto sur les décisions gouvernementales. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ne supprime ni ne remplace le pouvoir de décision du gouvernement, mais il met en place un processus qui garantit une participation significative des parties concernées.

Romeo Saganash, avocat et ancien député du Québec, a quant à lui affirmé au comité de la Chambre des communes le 11 mars :

Le droit de veto et le consentement libre, préalable et éclairé sont deux concepts juridiques différents. L’un est absolu, il s’agit du veto, tandis que l’autre est relatif. Comme tous les droits de la personne, le droit à un consentement libre, préalable et éclairé est relatif. Il faut tenir compte de toutes sortes d’autres facteurs, des faits, des éléments de droit et des circonstances.

Pour appuyer cette interprétation, la déclaration contient une disposition visant l’équilibre à l’article 46. À l’égard des limites des droits autochtones, une partie de l’article 46 se lit comme suit :

Toute restriction de cette nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire à seule fin d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et de satisfaire aux justes exigences qui s’imposent dans une société démocratique.

Le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations unies souscrit à cette position. Voici ce qu’on peut lire dans son étude de 2018 :

Toute décision de restreindre les droits d’un peuple autochtone en vertu des circonstances exceptionnelles prévues par l’article 46 doit s’accompagner non seulement des garanties nécessaires (rétablissement de l’équilibre des pouvoirs, études d’impact, mesures d’atténuation, indemnisation et partage des avantages), mais aussi de mesures correctives qui tiennent compte de toutes les violations de droits.

Par conséquent, pour qu’il y ait un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, il faudrait envisager de procéder à une analyse contextuelle pour régler tous les différends, comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Marshall sur les droits de pêche.

Toutefois, le projet de loi C-15 vise essentiellement à remplacer les relations antagonistes, y compris les litiges, par une relation constructive de collaboration et de partenariat. Pour les projets d’exploitation des ressources, il faut obtenir l’appui de la population, par exemple au moyen d’initiatives d’actionnariat, afin de rassurer les investisseurs, ce qui est très important, comme le sénateur Tannas l’a souligné hier. En effet, le projet de loi C-69, qui porte sur les évaluations environnementales et a été adopté en 2019, faisait déjà référence à la déclaration. L’objectif est d’éviter les batailles juridiques et l’agitation sociale provoquée par l’empiètement sur des terres, ce qui, en l’absence de traités — comme c’est le cas dans bien des régions de la Colombie-Britannique —, est jugé comme un acte illégitime par de nombreuses Premières Nations.

J’observe aussi que le projet de loi C-15 n’impose aucune obligation aux nations. La participation au plan d’action est volontaire et rien n’est enlevé. Le projet de loi C-15 propose un processus simple pour que les lois fédérales soient rédigées et adoptées en conformité avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones avant qu’elles n’atteignent les tribunaux, si on devait en arriver là.

Enfin, j’ai été content de voir que le comité de la Chambre des communes a ajouté un paragraphe au préambule du projet de loi C-15 pour désavouer les doctrines racistes de la découverte et de terra nullius. Si le Sénat suit l’exemple de la Chambre des communes dans sa volonté de réconciliation, nous pourrons placer ces doctrines là où elles doivent être, dans la poubelle de l’histoire, avec toutes les autres idées de suprématie blanche.

Avec le projet de loi C-15, faisons un grand pas en avant ensemble, en tant que nation de nations. Merci. Meegwetch.

L’honorable Renée Dupuis [ + ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

J’aimerais commencer mon allocution en citant les propos de Joséphine Bacon, une aînée, Innue, poète, réalisatrice et membre de la Première Nation de Pessamit, qui disait ce qui suit dans le récent film intitulé Je m’appelle humain, réalisé par Kim O’Bomsawin :

Je n’ai pas la démarche féline, j’ai le dos des femmes ancêtres, les jambes arquées de celles qui ont portagé, de celles qui accouchent en marchant.

Joséphine Bacon poursuit ainsi :

Je me suis faite belle pour qu’on remarque la moelle de mes os, survivante d’un récit qu’on ne raconte pas.

La Première Nation de Pessamit occupe une réserve située sur le bord du fleuve Saint-Laurent, sur la Côte-Nord, dans une partie de la région qui est devenue plus tard la division sénatoriale Les Laurentides, que je représente au Sénat.

Je remercie les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui ont analysé le projet de loi et recueilli de nombreux témoignages qui traduisent diverses perspectives sur ce projet de loi.

Le projet de loi C-15, adopté par l’autre endroit le 25 mai dernier, avait été précédé par le projet de loi C-262, déposé par le député Romeo Saganash, que j’avais appuyé à l’étape de la deuxième lecture et qui est mort au Feuilleton en 2019.

Durant la campagne électorale qui a suivi, le gouvernement s’est engagé à présenter de nouveau le projet de loi, ce qu’il a fait dans une version modifiée en déposant le projet de loi C-15, que nous étudions actuellement.

Je veux souligner que ce projet de loi n’est pas issu de la génération spontanée. Il est le résultat de décennies de travail acharné de la part de plusieurs peuples autochtones du Canada et d’autres pays en faveur de la reconnaissance de leurs droits fondamentaux.

J’aimerais un exemple d’un événement auquel j’ai participé directement, alors que j’étais enceinte de ma fille aînée. Le 1er mars 1977, des chefs innus et atikamekw ont comparu, accompagnés de leurs témoins — des chasseurs innus et atikamekw dont les témoignages dans leur langue étaient traduits par leurs interprètes —, devant le Comité permanent des affaires indiennes et du développement du Nord canadien de la Chambre des communes. Ils s’opposaient au projet de loi C-9 qui les expropriait de leurs terres traditionnelles, et ce, sans indemnisation, ce qui est contraire aux principes de droit en matière d’expropriation et contrevient également aux obligations constitutionnelles du Canada et du Québec. En effet, les deux ordres de gouvernement se devaient de reconnaître les droits des peuples autochtones et de les indemniser avant de mener des travaux dans ces régions, conformément à la Loi de l’extension des frontières du Québec de 1912.

Ce travail incessant, les Premières Nations innues et les Premières Nations atikamekw l’ont également porté à l’extérieur de nos frontières, sur le plan international, d’abord devant le Tribunal Russell, qui a examiné les violations des droits territoriaux des Indiens des Amériques, à Rotterdam, en 1980, puis en 1985, auprès des autorités du groupe de travail créé en 1982 par la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, qui était chargée d’examiner la situation des peuples indigènes.

Leur détermination et celle des autres peuples autochtones ont fini par rejoindre l’ONU, où des travaux sur les droits des populations autochtones vivant à l’intérieur des frontières des États se sont amorcés dans les années 1980. Ces travaux sont à l’origine de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Le projet de loi C-15 a deux objectifs, comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné. Je veux surtout insister sur le fait que tant le préambule du projet de loi que l’article 4 font entrer cette déclaration dans le droit canadien dans le domaine des droits de la personne, ce qui établit une distinction avec des domaines plus larges des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux qui sont déclinés dans des pactes internationaux.

Par ailleurs, j’aimerais rappeler que l’encadrement de la mise en œuvre de la déclaration par le gouvernement du Canada, qui est prévu à l’article 4, est directement lié à la compétence exclusive accordée au Parlement fédéral, en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, d’adopter des lois sur les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.

On sait que les tribunaux ont précisé au fil des ans que la compétence fédérale exclusive sur les Indiens comprend, outre les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Les articles 5, 6, et 7 du projet de loi se distinguent de l’article 4, parce qu’ils créent deux types d’obligations : en effet, une obligation est imposée au gouvernement fédéral qui doit, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la déclaration. C’est une opération d’envergure de révision juridique des lois fédérales qui s’annonce. La deuxième série d’obligations est imposée au ministre responsable qui sera désigné par le Cabinet pour mettre le projet de loi en œuvre. Ce ministre devra d’abord élaborer et mettre en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, un plan d’action pour atteindre les objectifs de la déclaration.

Trois types de mesures énoncées dans l’article 6 devront être incorporées dans ce plan d’action.

Premièrement, il faudra prévoir des mesures centrées sur les droits de la personne, visant notamment à « éliminer toute forme de violence, de racisme et de discrimination, notamment le racisme et la discrimination systémiques », ainsi que des mesures de formation.

Deuxièmement, des mesures de contrôle, de surveillance et de reddition de comptes sur la mise en œuvre de la déclaration devront également faire partie du plan d’action. Il est important de prendre note que toute autre mesure que celles que j’ai mentionnées ici pourrait aussi figurer dans ce plan d’action, puisque la liste énoncée n’est pas exhaustive.

Troisièmement, le plan devra comprendre des mesures sur le suivi de sa mise en œuvre, ainsi que sur la révision et la modification du plan d’action. Le tout devra se faire au plus tard deux ans après la mise en vigueur de la loi.

Je voudrais insister plus particulièrement sur un autre type d’obligations qui sont imposées au ministre, c’est-à-dire les obligations qui sont liées à la reddition de comptes. Une fois le plan d’action rédigé, le ministre devra le déposer devant chaque Chambre du Parlement et le rendre public.

De plus, le ministre doit préparer un rapport annuel dans les 90 jours suivant la fin de chaque exercice financier sur les mesures qui ont été prises et sur l’élaboration et la mise en œuvre du plan d’action. Ce rapport doit être déposé devant chaque Chambre du Parlement.

Honorables sénatrices et sénateurs, nous avons la responsabilité d’exiger que le gouvernement rende des comptes sur la façon dont il s’acquittera de cette obligation. Nous aurons l’occasion et la responsabilité — j’insiste sur cet aspect de notre rôle — d’analyser en détail le plan d’action et les rapports annuels qui devront être déposés par le ministre en vertu du projet de loi.

Non seulement nous devrons examiner chaque rapport annuel, mais nous devrons également nous pencher sur l’évolution de l’analyse de conformité au fil des ans, sachant que l’opération de révision juridique prendra plusieurs années. La responsabilisation réelle d’un gouvernement tient à la façon dont le Parlement, et dans notre cas, le Sénat, s’acquitte de la responsabilité qui lui incombe de demander des comptes sur une base continue, surtout dans des cas comme celui-ci où l’on sait à l’avance que les travaux s’échelonneront sur plusieurs années et qu’ils doivent viser des objectifs spécifiques.

Chers collègues, l’interprétation des droits des peuples autochtones ne doit plus être laissée aux tribunaux sans que des balises soient précisées. En ce sens, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones énoncera des principes directeurs sur lesquels les tribunaux devront fonder leurs décisions. Les 39 dernières années ont été marquées par une stratégie gouvernementale ou par l’incapacité des gouvernements successifs à arriver à un consensus sur la portée des droits constitutionnels qui ont été reconnus et confirmés aux peuples autochtones en 1982. Le résultat net est que le champ politique a laissé la tâche aux tribunaux de se prononcer sur ces questions, à la pièce, à mesure que des litiges leur sont soumis, ce qui est contre-productif au chapitre social et économique, selon moi.

Les peuples autochtones sont ceux qui en paient le prix directement au premier chef. Toutefois, on peut aussi considérer que l’ensemble de la population en paie le prix sous la forme de projets reportés, ou de blocages, quand il ne s’agit pas d’incidents violents dont autant les Autochtones que les non-Autochtones font les frais. D’ailleurs, le blocage politique a persisté jusqu’à maintenant et les décisions judiciaires sur les droits constitutionnels des peuples autochtones n’ont pas mené à des modifications législatives, ce qui laisse toujours l’exercice de ces droits en suspens, comme nous l’avons vu encore récemment.

Honorables sénatrices et sénateurs, si un réel chantier de la vérité et de la réconciliation doit être ouvert en réponse aux appels répétés, notamment de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, il nous revient, à titre de législateurs, de voir à ce que le cadre prévu par le projet de loi C-15 soit adopté, ne serait-ce que pour nous rappeler la mesure réelle du travail qui reste à être entrepris. Le Canada doit s’engager à la hauteur du mécanisme de justice transitionnelle que constitue un engagement de vérité et de réconciliation. Le travail de documentation de la vérité doit être complété et la vérité, ainsi mise au jour, doit être reconnue. C’est à ces deux conditions que nous serons sérieux quand nous dirons vouloir la réconciliation. Sinon, on demande aux peuples autochtones de se réconcilier entre eux, ce qui est absurde, ou encore, on leur demande de se réconcilier avec nous, alors que nous ne voulons pas reconnaître la vérité mise au jour.

Nous savons que le projet de loi C-15 ne fait pas l’unanimité parmi les peuples autochtones. J’espère, chers collègues, que nous n’en sommes pas surpris. La grande diversité des cultures autochtones, mais également la grande variété des situations juridiques des différentes communautés, même au sein d’une même nation, font en sorte que certaines d’entre elles peuvent, pour des raisons politiques et juridiques, ne pas vouloir modifier la situation juridique de leur relation avec l’État, qu’elles ont acquise après des années de négociations locales ardues. D’autres peuvent également considérer que la mise en œuvre de la déclaration, telle qu’elle est prévue dans le cadre du projet de loi C-15, ne va pas assez loin pour les protéger.

L’article 32 de la déclaration a attiré beaucoup de commentaires qui ont presque occulté les autres dispositions. Cet article, qui porte sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, vise la mise en valeur et l’utilisation des terres ou des territoires et autres ressources des peuples autochtones.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait que, dans notre régime actuel, l’État a l’obligation de consulter les peuples autochtones et de coopérer avec eux, ce qui est déjà consacré dans le droit canadien par les différents jugements de la Cour suprême depuis 1990.

La Cour suprême a même jugé que, dans certains cas, plus rares, selon elle, les peuples autochtones auront un droit de veto sur le développement de territoires ou la réalisation de projets. J’aimerais ici vous parler de l’affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique de 1997, dans laquelle la cour a décidé qu’une gradation s’impose dans l’engagement pris avec les peuples autochtones quant à la prise de décisions portant sur les terres, lorsque leur titre aborigène a été établi. La cour a constaté le fait qu’il y a au moins une obligation de consultation des peuples autochtones dans tous les cas. Je cite un passage du jugement :

Dans la plupart des cas, l’obligation exigera beaucoup plus qu’une simple consultation...

— au minimum, il y a une consultation obligatoire dans tous les cas —

... Certaines situations pourraient même exiger l’obtention du consentement d’une nation autochtone, particulièrement lorsque des provinces prennent des règlements de chasse et de pêche visant des territoires autochtones.

Le spectre qui va de la consultation minimale jusqu’à l’obtention du consentement des peuples autochtones est donc clairement inscrit dans notre régime depuis 24 ans, c’est-à-dire 10 ans avant l’adoption de la déclaration des Nations unies.

Par ailleurs, la Cour suprême a poussé plus loin le raisonnement de la cause Delgamuukw dans le jugement Nation haïda c. Colombie-Britannique de 2004, qui portait sur des « revendications non établies ». Dans ce cas-là, on a adopté le concept de continuum. Selon la cour, à une extrémité du continuum, dans les cas où « la revendication d’un titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible », on doit au moins informer les intéressés, leur communiquer des renseignements et discuter avec eux. Quant à l’autre extrémité de ce continuum, le jugement de la cour précise ce qui suit, et je cite :

[...] la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé.

La consultation peut requérir la participation à la prise de décisions ou un compte rendu qui montre que les arguments des peuples autochtones ont été pris en compte et la façon dont ils ont été considérés dans la décision. Entre ces deux extrémités du continuum, l’étendue de la consultation sera déterminée selon les circonstances particulières de chaque cas. Une obligation d’accommodement pourra être nécessaire quand la revendication repose sur une preuve solide et qu’une décision risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits qui sont revendiqués.

La cour veille à préciser ici qu’il ne s’agit pas d’un droit de veto en attendant, dans les cas où la revendication n’est pas établie de façon définitive. Selon la cour, l’accommodement implique « la recherche d’un compromis dans le but d’harmoniser des intérêts opposés et de continuer dans la voie de la réconciliation », de comprendre les préoccupations de l’autre et d’y répondre de bonne foi, mais n’est pas assorti de l’obligation de se mettre d’accord.

Pour terminer, chers collègues, le projet de loi C-15 n’est pas une solution miracle à plus de 150 ans de discrimination systémique inscrite dans les lois fédérales, dans les programmes gouvernementaux et dans les pratiques administratives fondées sur des préjugés à l’endroit des peuples autochtones. Nous savons que, dans tous les cas de discrimination, des mesures de réparation doivent être mises en place. Le projet de loi C-15 n’a pas non plus pour objet de nous faire croire que l’avenir sera facile.

Le projet de loi entend créer une obligation pour les gouvernements d’élaborer un plan d’action. Dans ce sens-là, le projet de loi C-15 nous met à l’abri des aléas de la volonté des gouvernements de ne pas respecter des principes connus, qui sont énumérés dans la déclaration.

L’adoption du projet de loi C-15 est, à mon avis, une étape d’un long périple qui a commencé il y a longtemps, une étape qui nous permettra de mieux mesurer notre engagement à faire avancer la réconciliation et à rétablir la confiance des peuples autochtones dans la transformation de leurs relations avec l’État canadien. Merci.

L’honorable Pat Duncan [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui depuis ce que je pense être le territoire traditionnel de la Première Nation algonquine.

J’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je vais commencer par dire que j’utilise le mot « indien » lorsque c’est le mot employé dans la citation, comme on le trouvait dans les lois il n’y a pas si longtemps, en 2003 notamment.

Au Yukon, 20 % de la population est autochtone. Dans les communautés rurales ou plus petites, la population autochtone peut constituer jusqu’à 80 % de la communauté. Les sénateurs savent peut-être que 11 des 14 nations du Yukon sont autonomes ou ont signé un traité moderne avec le Canada et le Yukon. Trois Premières Nations n’ont pas d’entente d’autonomie gouvernementale. Ces Premières Nations ont une relation unique avec le Canada; elles ne vivent pas dans des réserves.

En 2014, l’Assemblée législative du Yukon a adopté une motion en faveur de l’appui du Canada à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En avril 2021, l’Assemblée législative du Yukon est composée de 19 députés de différents partis. Quatre députés sont des membres des Premières Nations et huit sont des femmes.

Honorables sénateurs, pour bien comprendre le portrait actuel du Yukon, il importe de regarder le chemin parcouru.

Des membres des Premières Nations, des ancêtres des peuples autochtones comme les Gwitchin Vuntut, vivent au Yukon depuis des millénaires. Des non-Autochtones y sont venus dans l’espoir de faire fortune à l’époque de la ruée vers l’or, en 1898. Comme l’a dit le « chantre du Yukon » Robert Service : « Je voulais de l’or et je le cherchais [...] » En 1942, des Américains sont venus construire une autoroute pour protéger l’Alaska et le pipeline à Norman Wells, dans les Territoires du Nord-Ouest. Je retourne aux mots de Robert Service : « Je voulais de l’or et j’en ai obtenu [...] L’automne dernier, j’ai fait fortune [...] » Au fil des ans, ce trésor a été constitué d’or, de cuivre, de plomb, de zinc, d’amiante et de gaz naturel. Le Yukon regorge de ressources.

L’important, c’est de savoir qui a fait fortune. Où étaient les premiers habitants et dans quel état a-t-on laissé leurs terres? Les terres n’ont jamais été cédées à la Couronne. Vous vous souviendrez de ce que j’ai dit au sujet des réserves au Yukon. Les dirigeants des Premières Nations ont formé le Conseil des Indiens du Yukon pour que tous les Indiens puissent participer à la négociation d’un règlement de revendication territoriale, sans égard à leur statut aux termes de la Loi sur les Indiens. Elijah Smith a été le premier président du Yukon Native Brotherhood et le premier président du Conseil des Indiens du Yukon. Il a travaillé de concert avec les premiers dirigeants, dont Sam Johnston, qui plus tard est devenu Président de l’Assemblée législative du Yukon, ainsi que Judy Gingell, qui a été commissaire ou lieutenante-gouverneure du Yukon. En 1973, Elijah Smith et ces personnes, ainsi que d’autres, se sont rendus à Ottawa pour présenter, sur les marches de la Colline du Parlement, un document intitulé Together Today for our Children Tomorrow. La préface de la version réimprimée du document dit :

C’était la première fois qu’un groupe de Canadiens d’origine autochtone avait préparé et présenté un tel document. Fondée sur les principes selon lesquels tous les Indiens du Yukon avaient le droit de développer pleinement leur vie dans une société où leurs désirs et leurs besoins économiques, culturels et sociaux pouvaient être comblés, la déclaration énonce les droits ancestraux, définit ce que signifie être Indien et revendique les terres ancestrales.

C’était en février 1973, le jour de la Saint-Valentin pour être exacte, et le premier ministre Pierre Trudeau a accepté le document et affirmé que le gouvernement le prendrait au sérieux. Les choses ont changé.

Il y a 48 ans, le premier ministre Trudeau père reconnaissait les principes énoncés dans le document Together Today for our Children Tomorrow. Maintenant, le gouvernement de l’actuel premier ministre Trudeau reconnaît les besoins sociaux, culturels, territoriaux et économiques des peuples autochtones. En outre, nous avons maintenant un autre document pour nous orienter, le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et les recommandations qu’il contient.

Honorables sénateurs, je m’en voudrais de ne pas souligner la tragédie que vit le Canada à la suite de la découverte des sépultures d’enfants sur les sites des pensionnats autochtones — une tragédie qui a rempli tous les Canadiens de tristesse et de honte. Je suis reconnaissante du leadership de la chef Doris Bill de la nation des Kwanlin Dün de Whitehorse, qui a amené les habitants de Whitehorse, y compris l’évêque de l’Église catholique, à exprimer collectivement leur douleur et leur honte autour d’un feu sacré. Je suis également reconnaissante envers le premier ministre, Sandy Silver, qui a affirmé que le Yukon n’attendrait pas qu’Ottawa agisse pour fouiller les sites des anciens pensionnats au Yukon.

Hier soir, le sénateur Tannas a parlé du rapport du comité sénatorial intitulé Comment en sommes-nous arrivés là?. J’ai lu ce document à mon arrivée ici en 2019. Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Tannas : il s’agit d’un document brillant. Or, le document ne présente malheureusement pas l’expérience du Yukon. La sénatrice Dyck m’a assuré que nous n’avions pas encore terminé et qu’il restait des histoires à raconter. J’espère qu’un jour, nous pourrons terminer cette histoire.

Le document devrait être une lecture obligatoire pour tous les Canadiens. Je pense à d’autres lectures hautement recommandées, comme Together Today for our Children Tomorrow ou n’importe laquelle des ententes définitives sur les revendications territoriales conclues avec les Premières Nations du Yukon. Je tiens également à recommander un document rédigé par Gabrielle A. Slowey et publié par l’Institut de recherche en politiques publiques intitulé Indigenous Self-Government in Yukon: Looking for Ways to Pass the Torch.

Permettez-moi de citer un extrait du document :

Ces ententes sont extrêmement importantes [...] [Elles] redéfinissent toute la relation entre les Premières Nations et les non-Autochtones [...] [Elles] ont fondamentalement modifié les fondements de la société yukonnaise [...]

Les ententes du Yukon ont de vastes répercussions, non seulement pour tous les habitants du territoire, mais aussi pour l’ensemble du Canada.

Honorables sénateurs, voilà pourquoi j’ai estimé qu’il était très important de vous faire part de ce chapitre de l’histoire du Yukon. Ces ententes ont été déterminantes non seulement pour le Yukon, mais également pour le Canada. Dans le préambule du projet de loi C-15, il est question de relations caractérisées par l’harmonie et la collaboration et fondées sur le respect de la dignité et le bien-être. Mon approche, qui diffère de celle d’un universitaire ou d’un avocat, m’amène à me demander si le droit, comme Elijah Smith le dit « [...] de s’épanouir pleinement dans une société capable de répondre aux aspirations et besoins sur les plans financier, culturel et social... » signifie la même chose dans la loi que dans le préambule du projet de loi C-15. Je pense que oui.

Le règlement de revendications territoriales dans un contexte moderne se reflète dans l’objectif fondamental du projet de loi C-15, et c’est pour cette raison que je l’appuie. Comme dans le cas du projet de loi C-15, il n’a pas été facile de parvenir à ce que les Yukonnais acceptent et comprennent les accords territoriaux définitifs. Le processus de négociation des accords a été long et ardu. Maintenant, l’application et la concrétisation du libellé des accords s’inscrivent dans un processus continu. Il a parfois fallu que les tribunaux se prononcent pour déterminer si les gouvernements avaient vraiment respecté l’esprit des accords. Je songe notamment à la décision que la Cour suprême a rendue relativement au bassin hydrographique de la rivière Peel.

Plusieurs intervenants avant moi ont remis en question des éléments du projet de loi C-15, son libellé et la manière dont les lois du Canada respecteront les droits des Premières Nations. On a posé des questions au sujet des permis, des projets et de l’exploitation des ressources. L’Accord-cadre définitif du Yukon a été conclu en 1993 entre le Conseil des Indiens du Yukon, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Yukon. Cet accord-cadre est le document qui guide toutes les négociations en matière de revendications territoriales des Premières Nations du Yukon. Le chapitre 12 de l’accord-cadre prévoit d’ailleurs un processus d’évaluation des activités de développement.

Ce processus prévoyait à l’époque l’élaboration d’une mesure législative qui allait prévoir que tous les projets proposés au Yukon seraient évalués en tenant compte du mode de vie, des relations, du savoir et de l’expérience des Indiens du Yukon, relativement à la terre. Cette mesure législative devait être élaborée au plus tard en 1997. Les bonnes choses prennent du temps, à ce qu’il paraît.

Honorables sénateurs, c’est en 2003 que le Parlement du Canada a adopté la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon. Tous les projets — comme les projets miniers d’envergure ou la reconfiguration de routes — qui sont proposés au Yukon sont soumis au processus prévu dans cette loi. Le projet de loi C-69, dont nous avons été saisis en 2019, y fait d’ailleurs référence.

Le processus de la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon a fonctionné au Yukon. Il est important pour les discussions d’aujourd’hui. Il est respectueux des Premières Nations et fait appel à leur pleine participation. La Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon n’est pas parfaite et elle n’est pas exempte de controverse. Ce que font les législateurs ou les humains en général n’est jamais parfait. Ce que je veux dire, c’est que la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon est un exemple à suivre pour que les lois du Canada et du Yukon reflètent la reconnaissance de la relation des Premières Nations du Yukon avec le territoire et notre relation avec les Premières Nations du Yukon.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-15 parle de conformité avec « [...] les lois fédérales [...] » L’interprétation des tribunaux est particulièrement importante pour le Yukon sur ce point. Les arguments présentés relativement aux provinces ne s’appliquent pas au Yukon puisque c’est une partie des Territoires du Nord-Ouest qui est devenue un territoire distinct en vertu de l’Acte du Territoire du Yukon de 1898. Le Yukon est une « création » du Parlement du Canada.

Je me permets de faire une petite parenthèse. En 11e année, j’ai donné un discours à Québec dans le cadre de l’Échange sur les études canadiennes. Je doute qu’il existe un enregistrement de ce discours. Je n’en ai certainement pas. Je me souviens de m’être retrouvée devant un auditoire de jeunes Québécois et de leur avoir dit que, tandis qu’ils se démenaient pour se soustraire à la Constitution du Canada, nous faisions des pieds et des mains pour y être intégrés.

Passons à l’époque où j’étais première ministre du Yukon, soit de 2000 à 2002. J’ai signé la revendication territoriale des Ta’an Kwäch’än en tant que « chef du gouvernement » parce que des fonctionnaires m’ont dit que la bataille qu’il faudrait mener contre Ottawa pour remplacer ce titre par celui de « première ministre » dans le bloc-signature n’en valait pas la peine.

Honorables sénateurs, pendant mon mandat, je passais tous les vendredis après-midi avec l’équipe de négociation du personnel chargé des revendications territoriales afin de conclure des négociations. Parmi les nombreuses expériences politiques que j’ai appréciées, ce sont ces moments que je chéris le plus. Nous avons conclu plusieurs négociations, notamment celles de l’Entente définitive de la Première nation de Kluane. Toutefois, vu les aléas de la politique, je n’ai pas eu l’honneur de signer les accords conclus.

J’ai pu apposer ma signature sur l’entente sur le transfert de responsabilités, qui est par la suite devenue le projet de loi C-39. Cette entente a marqué un jalon important dans l’évolution législative du Yukon, cependant l’existence de notre territoire reste tributaire d’une loi du Parlement. Ce qui m’inquiète dans le projet de loi C-15, ce sont ses répercussions éventuelles sur la Loi sur le Yukon en raison de sa disposition qui prévoit son application à toutes les lois du Parlement. En effet, le Yukon n’est pas protégé par la Constitution, contrairement aux provinces.

J’aimerais exprimer mes sincères remerciements à mes collègues les sénateurs Dalphond et Cotter, mes voisins de banquette physiquement éloignés, pour leurs précieux conseils en matière de droit constitutionnel lors de nos discussions. En reconnaissant, d’une part, les éléments de la Loi sur le Yukon et de l’entente sur le transfert de responsabilités qui sont semblables à ce qui est applicable aux provinces et, d’autre part, le caractère constitutionnel des accords de revendications territoriales du Yukon en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, je crois que les tribunaux concluront à l’avenir que le projet de loi C-15 ne confère pas plus d’autorité à l’État fédéral à l’égard du Yukon qu’à l’égard des provinces.

Cela dit, honorables collègues, je sais aussi qu’en ce qui concerne l’appui au projet de loi C-15, des efforts considérables sont déployés. Malgré tout, il reste beaucoup à faire.

Je tiens à remercier la Première Nation Na-Cho Nyäk Dun pour le mémoire qu’elle a déposé devant le comité de l’autre endroit ainsi que les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik, qui ont témoigné devant le Comité sénatorial des peuples autochtones.

Les honorables sénateurs se rappelleront que, en décembre 2020, le Yukon a été le premier parmi les provinces et les territoires à concevoir une stratégie pour donner suite à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. J’ai récemment fourni à tous les sénateurs des copies du rapport Changer la donne pour défendre la dignité et la justice : la Stratégie du Yukon sur les femmes, les filles et les personnes bispirituelles+ autochtones disparues et assassinées. Je signale à ceux qui participent à nos débats en ligne que le document se trouve dans leur bureau d’Ottawa. En outre, je précise que ce document contient aussi un engagement relatif à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Par ailleurs, en avril 2021, le gouvernement, les Premières Nations et l’industrie minière du Yukon ont collaboré à la mise en œuvre de la Stratégie de développement de l’industrie minière du Yukon.

Honorables sénateurs, j’espère avoir bien expliqué, en m’appuyant sur notre expérience et les leçons que nous avons retenues, que le Yukon s’est engagé et continue de s’engager sur la voie tracée par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et nous poursuivons nos efforts.

Pour les raisons que j’ai mentionnées concernant la situation du Yukon et le maintien des lois existantes, je crois que nous devrions adopter le projet de loi C-15. Merci, honorables sénateurs. Mahsi’cho, gùnáłchîsh.

L’honorable Brent Cotter [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi C-15, que j’appuie. Je veux parler de trois aspects du projet de loi ou, plus particulièrement, de sa mise en œuvre. À cet égard, le plan d’action envisagé est selon moi essentiel pour garantir le respect des peuples autochtones, de leurs gouvernements, du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens, afin que cet élément central des vastes travaux portant sur la réconciliation avec les peuples autochtones puisse se réaliser.

Voici les trois aspects dont je veux parler : le besoin d’implication des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux; l’importance pour le processus que le point de vue des peuples autochtones soit exprimé clairement par leurs dirigeants; la clarté du concept de « consentement préalable donné librement et en toute connaissance de cause ».

Premièrement, de nombreux moyens par lesquels nous arriverons à la réconciliation et rendrons possible l’autodétermination pour les peuples autochtones et leurs gouvernements tombent dans les champs de compétence des provinces. Comme d’autres l’ont souligné à juste titre, l’État fédéral partage les pouvoirs et les responsabilités avec les provinces dans certains domaines qui concernent les peuples autochtones et leurs intérêts. La santé en constitue un exemple, comme l’a indiqué la sénatrice Boyer, de même que l’éducation et les services sociaux.

Le cas de la Colombie-Britannique nous permet de voir l’importance de tenir compte de ce partage des pouvoirs et des responsabilités pour les gouvernements et les communautés autochtones. Comme Murray Rankin, le ministre des Relations autochtones et de la Réconciliation de cette province, l’a dit au Comité des peuples autochtones, parmi les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la protection de l’enfance constitue une priorité pour les gouvernements et les peuples autochtones de la Colombie-Britannique. Il s’agit là d’un domaine qui relève, dans une large mesure, de la province. Il devrait donc être assez évident que l’exclusion des provinces de ce grand projet de réconciliation nuirait grandement à l’atteinte des objectifs du projet de loi C-15, qui suscite des attentes considérables.

Le gouvernement fédéral doit absolument consulter les provinces et les territoires en vue de s’entendre avec eux sur la façon de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Certains ministres fédéraux ont affirmé qu’il fallait prêcher par l’exemple. Ils ont raison, mais ce n’est pas suffisant. Ottawa a un rôle déterminant à jouer dans l’établissement d’un consensus national pour que des coalitions de gouvernements puissent réaliser ces aspirations de manière constructive et concrète, plutôt que d’aller à l’encontre de celles-ci. Agir autrement serait injuste pour les Autochtones et leurs gouvernements, ainsi que pour les millions de Canadiens bien intentionnés qui veulent que ce grand projet soit couronné de succès. À mon avis, les hautes instances du gouvernement fédéral doivent mettre la main à la pâte pour harmoniser les lois et politiques qui concrétiseront ces aspirations.

Deuxièmement, il sera important que les gouvernements autochtones indiquent clairement comment, au moyen de leurs propres processus, ils détermineront qui aura l’autorité de s’exprimer au nom de leur peuple. Cette notion est incluse dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La question est importante pour les peuples autochtones eux-mêmes, mais aussi pour les gouvernements et d’autres intervenants, comme les promoteurs de projets d’exploitation, qui doivent savoir avec qui collaborer pour établir des partenariats visant à restructurer de façon fondamentale la société canadienne.

Troisièmement, je voudrais aborder la question du sens à donner au concept de « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». C’est un pilier fondamental de l’important engagement vers la réconciliation. Ce concept est utilisé quatre ou cinq fois dans la déclaration des Nations unies. C’est chaque fois important, mais je vais me concentrer sur deux aspects de ce type de consentement. L’article 19 porte sur les limites imposées aux lois et aux politiques fédérales qui touchent les peuples autochtones sans obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. L’article 32.2 porte sur le rôle du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans le contexte de l’exploitation des ressources ayant des incidences sur les terres ou les territoires traditionnels des détenteurs de droits et de titres autochtones.

À ce sujet, comme le sénateur Tannas l’a indiqué, il a surtout été question de déterminer si le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause constitue un veto; on a cherché à établir ce qu’il ne signifie pas — en particulier pour le mot « consentement ». Cependant, on a très peu parlé de ce qu’il signifie et de ce qu’il pourrait signifier. C’est ce sur quoi je ferai une série d’observations.

D’abord, certains affirment qu’il ne s’agit que d’une version plus étoffée de l’obligation de consulter. C’est une interprétation incomplète de ce que demande le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. À l’opposé, certains prétendent qu’il s’agit pratiquement d’un droit de veto. Cette interprétation pose problème. Poussée à son extrême, cela voudrait dire que la souveraineté même du Canada serait compromise, ce que ne prévoit absolument pas la déclaration des Nations unies. D’autres ont demandé qu’une définition soit donnée avant que le projet de loi soit adopté, afin qu’il y ait plus de certitude. C’est une bonne idée, mais, en tout respect, ce n’est pas réaliste.

Permettez-moi de commencer par cette dernière suggestion. Il faut reconnaître deux choses. Rêver de plus de clarté est utopique. Prenons le concept d’« obligation de consulter ». Il est inexact de prétendre, comme certains l’ont fait, que nous en sommes arrivés à un certain équilibre dans la façon d’interpréter ce concept. En effet, ce dernier a été débattu à maintes reprises devant la Cour suprême du Canada, comme l’ont récemment souligné le sénateur Dalphond et la sénatrice Dupuis. L’affaire de la nation haïda et l’affaire Marshall en sont de bons exemples. En outre, la signification de ce concept a évolué en fonction des circonstances et des initiatives auxquelles on l’appliquait. C’est de cette façon que le droit évolue sans cesse.

En ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, notre but doit être d’en définir le sens le plus clairement possible, tout en reconnaissant que, parfois, une telle incertitude — comme il en existe dans le cas d’un concept aussi important — finira par être dissipée par les instances judiciaires. Mettons donc l’accent sur la clarté.

L’expression « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » ne se définit pas facilement pour des raisons que je vais tenter d’expliquer. Premièrement, penchons-nous sur les mots. Le libellé de bien des dispositions de la déclaration des Nations unies met en lien la consultation, la communication et la coopération avec le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Tous ces mots sauf un désignent des processus. Ce sont de bons mots : communication, consultation, coopération, connaissance de cause. J’ai bon espoir — et j’en suis même convaincu — que cette formule, aussi enrichissante et respectueuse soit-elle, mènera à de bonnes lois équitables ainsi qu’à de bonnes occasions économiques équitables dans le cadre d’un partenariat entre les collectivités autochtones, les gouvernements et les entreprises. C’est ce que souhaitent pratiquement tous les participants, y compris, comme l’a mentionné le sénateur Tannas, l’espoir et l’attente que le développement économique autochtone finisse par être dirigé par les peuples et les dirigeants autochtones.

Parfois, il n’y aura pas de consentement, que ce soit dans le cadre de lois ou de politiques des gouvernements ou du développement des ressources. C’est pourquoi, bien que nous ayons tous l’espoir de réussir, on en fera plus, je pense, avec de meilleurs résultats. C’est le cœur de la réconciliation, mais c’est là où l’honnêteté entre en jeu. Il y aura des situations où les communautés autochtones et leurs gouvernements ne donneront pas leur consentement. C’est important, parce qu’il est communément admis que consentir équivaut à prendre une décision, ce qui relève de l’indépendance d’esprit. Il ne s’agit pas d’un processus; il est question ici d’autonomie. Comment aborder la signification du consentement ou, plus important dans le débat, les implications de l’absence de consentement dans de tels contextes?

Cela m’amène à ma deuxième observation sur ce point. Je voudrais présenter mon argument de trois manières, notamment pour expliquer pourquoi je crois qu’il est possible de décrire ou d’établir un cadre pour le comprendre, mais pas de le définir.

Dans son témoignage devant le Comité des peuples autochtones, Mary Ellen Turpel-Lafond a dit du consentement qu’il était contextuel. Je suis d’accord avec cette observation. La Cour suprême du Canada, dans son examen des affaires portant sur l’obligation de consulter, a donné quelques indications sur le sujet du consentement, notamment dans l’arrêt Nation haïda. Ce qui suit, il est vrai, est une simplification excessive et c’est moi qui parle.

Comme la sénatrice Dupuis l’a dit récemment, dans certains cas, une question à l’étude fera tellement partie intégrante d’une communauté autochtone ou d’un gouvernement autochtone que, s’il n’accorde pas son consentement, le projet de développement ou peut-être la mesure législative ou la politique fédérale ne pourra pas aller de l’avant. Dans d’autres cas, la question à l’étude peut être moins importante et ne pas toucher à une valeur centrale, auquel cas l’intérêt public du plus grand nombre peut prévaloir.

Imaginons par exemple qu’un gouvernement souhaite construire une ligne de transport pour alimenter en électricité une collectivité nordique éloignée ou peut-être une communauté autochtone. Le meilleur tracé pour cette ligne de transport d’électricité traverse un territoire ou une terre autochtone. Si elle devait traverser une réserve des Premières Nations et les maisons des Autochtones ou des terres sacrées, il est clair qu’il s’agirait d’un argument convaincant justifiant qu’on respecte le refus d’y consentir. Vous seriez du même avis s’il était question de votre maison ou du cimetière où vos parents sont enterrés.

Mais si la ligne de transport d’électricité devait traverser des territoires traditionnels qui sont utilisés occasionnellement par les Autochtones pour chasser et pêcher, ce serait une grave préoccupation, mais cela ne représenterait peut-être pas un argument aussi convaincant. Les différents contextes peuvent faire la différence.

Continuons de jouer avec cet exemple. Certains scénarios auraient des conséquences environnementales plus marquées que d’autres : il y a une différence entre installer une ligne de transport d’électricité et bâtir une centrale électrique ou une mine en territoire autochtone. Certains projets risquent davantage de compromettre l’intégrité de territoires autochtones que d’autres. Le contexte a de l’importance.

Il faut aussi tenir compte de l’importance du projet pour l’intérêt public, ce qui comprend l’intérêt des Autochtones. Une ligne de transport d’électricité qui desservira une communauté éloignée, c’est une chose; un terrain de golf, c’est autre chose. Le contexte a de l’importance.

Il y a des façons de réfléchir à cette question tout en respectant à la fois l’esprit et l’intention de la déclaration des Nations unies, tels qu’ils sont exprimés dans le projet de loi, et l’obligation qu’a le gouvernement national de gouverner pour le bien public. La déclaration elle-même reconnaît cet aspect de la souveraineté nationale, comme l’a souligné le sénateur Dalphond. Par ailleurs, les contraintes liées à l’exercice autonome du consentement existent déjà, dans bien des cas, dans les lois en vigueur.

Dans d’autres contextes, la Cour suprême du Canada a créé le concept du refus déraisonnable de consentir lorsqu’un intérêt public important est compromis injustement. L’interprétation des droits constitutionnels prévus par la Charte canadienne des droits doit tenir compte de limites, comme l’indique l’article 1. La même logique s’applique aussi à certains aspects de l’article 35. La déclaration des Nations unies indique aussi, au paragraphe 46(2), qu’un droit peut être soumis aux restrictions strictement nécessaires pour satisfaire aux justes exigences qui s’imposent dans une société démocratique.

Je suggère que le plan d’action soit élaboré en en tenant compte. Cela exige, non pas une définition, mais un cadre de travail — une chose qui n’est pas absolue, mais qui crée un contexte reflétant le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et les objectifs plus vastes qu’il représente. Par ailleurs, le gouvernement du Canada, notre gouvernement, a la responsabilité, idéalement assumée en dialoguant, de décrire comment il réglera cette question importante, comment il comprend et abordera les enjeux difficiles, dans le cas où il n’y a pas de consentement, ce qui, espérons-le, ne se produira qu’occasionnellement.

C’est nécessaire, à mon avis, pour que les Autochtones et les gouvernements sachent à tout le moins comment le gouvernement — qui est, après tout, leur gouvernement —abordera ces questions dans l’élaboration de lois et de politiques fédérales et dans les projets d’exploitation de ressources sur le chemin de la réconciliation.

En ce qui concerne l’exploitation des ressources, puisque, essentiellement, on délègue souvent au secteur privé le processus consistant à consulter, à coopérer et, maintenant, à obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause aux projets d’exploitation, le secteur privé est en droit de s’attendre à une telle explication, pour que cela soit clair, sinon certain, dans son travail avec les partenaires autochtones en quête d’autonomie et de prospérité.

Il y a plus d’un siècle, le chef Poundmaker — un grand personnage historique, un de mes héros, dont la mémoire a récemment été réhabilitée, à juste titre — a fait la réflexion suivante au sujet des profonds changements vécus par son peuple à l’époque de la colonisation des Prairies :

Je suis triste lorsque je pense à l’homme qui est resté en bordure du sentier. Comme la végétation a recouvert le sentier, il n’a jamais pu retrouver son chemin. Nous ne pouvons pas reculer ni rester en bordure du sentier. Nous devons avancer en espérant trouver un avenir meilleur.

La triste vérité, c’est que la voie de l’avenir pour les peuples autochtones a été tracée par d’autres qui, dans bien des cas, se sont fondés sur des politiques malavisées qui reposaient bien souvent sur des concepts liés à la supériorité raciale et qui étaient à tout le moins condescendants, nuisibles et dommageables pour la culture, des valeurs et le mode de vie des peuples autochtones.

Cependant, 135 ans après la mort du chef Poundmaker, je crois que ses sages paroles peuvent guider chacun d’entre nous. Nous ne pouvons pas retourner en arrière, effacer le passé, ni rester en bordure du sentier. Nous devons avancer, mais sur une foule de sentiers que nous tracerons ensemble de façon respectueuse et constructive afin de promouvoir l’autonomie et de respecter les droits des peuples autochtones qui, pendant si longtemps, n’ont pas été pris en considération tant dans nos pensées que dans nos actions.

Peu importe dans quelle mesure vous croyez que le Canada est un pays formidable en ce moment — je crois que c’est un pays assez exceptionnel, malgré ses défauts —, si vous écoutez ce message, vous pouvez vous attendre à ce que ce pays devienne encore plus formidable et meilleur pour nous tous. Merci. Hiy hiy.

L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

C’est la troisième fois que je parle de cette mesure législative importante. À l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné mes cinq préoccupations à cet égard. J’ai fourni beaucoup de citations provenant de témoignages au comité et de mémoires, afin de souligner les préoccupations des dirigeants autochtones à propos de ce projet de loi et les questions qui demeurent sans réponse, même après une étude préalable approfondie.

J’ai pris la parole encore une fois durant le débat portant sur les amendements proposés par la sénatrice McCallum, alors que j’ai lu intégralement des lettres envoyées par les grands chefs de l’Assemblée des chefs du Manitoba et du Traité no 6. J’ai posé des questions au comité et durant le débat. En fin de compte, bon nombre de ces questions demeurent sans réponse, ou alors on y a répondu de façon insatisfaisante, à mon humble avis. Je trouve que les sénateurs et les Canadiens qui rejettent d’emblée mes arguments le font en fonction de contre-arguments ou de croyances pouvant être regroupés en trois vastes catégories.

La première est attribuable à mon rôle de porte-parole pour ce projet de loi. Durant les 16 ans où j’ai été ministre ou premier ministre territorial, et les 12 ans où j’ai été législateur fédéral, j’ai acquis un profond respect pour les rôles de parrain et de porte-parole, que j’ai joués tour à tour. À titre de parrain de projets de loi, j’étais le principal émissaire du gouvernement. J’avais le mandat de faire adopter les mesures législatives qui réalisaient des promesses électorales et de faire progresser les objectifs politiques du gouvernement.

En tant que porte-parole, contrairement à ce que certains pourraient croire, je n’étais pas forcément opposé à un projet de loi donné. Il est important de se rappeler que chaque projet de loi a un parrain et un porte-parole. Ainsi, même si un sénateur appuie un projet de loi, il porte le titre de porte-parole.

C’est exactement ce qui s’est passé lorsque j’étais le porte-parole pour le projet de loi C-61, Loi sur l’accord en matière d’éducation conclu avec la Nation des Anishinabes, le projet de loi C-70, qui accordait l’autonomie gouvernementale aux Cris d’Eeyou Istchee, et de nombreux autres projets de loi de la session précédente.

Parfois, dans mon rôle de porte-parole, je souscrivais à l’esprit et à l’intention du projet de loi, mais je travaillais avec le parrain ou d’autres intervenants pour que des observations importantes y soient annexées. C’est ce que j’ai fait pendant la 42e législature avec le projet de loi C-17, Loi modifiant la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon, et le projet de loi C-88, Loi modifiant la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie.

À d’autres occasions, j’ai travaillé avec des intervenants pour proposer des amendements, comme dans le cas du projet de loi C-55, qui a apporté des modifications à la Loi sur les océans, afin de respecter l’entente sur la revendication territoriale des Inuvialuits. Ces amendements ont été élaborés conjointement avec la Société régionale inuvialuite et adoptés au comité, mais ont été rejetés par le gouvernement majoritaire lorsque le projet de loi a été renvoyé à l’autre endroit.

D’autres fois encore, mais rarement, je me retrouve à critiquer un projet de loi qu’il m’est difficile d’appuyer, non pas parce que je suis contre l’esprit et l’intention du projet de loi, mais à cause de la façon dont il est rédigé et, dans certains cas, à cause des personnes et des choses qu’il laisse de côté. Le projet de loi C-15 est l’un de ces projets de loi.

Tout au long du débat sur ce projet de loi, il y a eu un amalgame constant et cohérent entre l’appui à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et l’appui au projet de loi C-15. Permettez-moi d’être clair : je soutiens cette déclaration, je l’ai appuyée lorsqu’elle a été adoptée par le gouvernement Harper en 2010, et je continue de l’appuyer aujourd’hui. Cependant, je ne pense pas que le projet de loi C-15 tienne toutes ses promesses et je crois qu’il est né d’un processus de consultation truffé d’erreurs.

La deuxième raison générale que beaucoup utilisent pour rejeter les critiques que je formule en ce qui concerne ce projet de loi est mon affiliation politique. J’ai lu les gazouillis et les commentaires anonymes sur les blogues à la suite des différents articles, et j’ai dû me défendre d’accusations selon lesquelles j’essayais de ralentir le projet de loi parce que j’ai choisi de m’exprimer après avoir examiné les nombreux témoignages reçus dans le cadre de cette étude préliminaire. Même si j’ai pris la parole à temps pour que le projet de loi soit renvoyé au comité à la date convenue, mon bureau a reçu des appels de personnes qui croyaient que l’ajournement du débat n’était rien d’autre qu’une tactique dilatoire.

À ces détracteurs, je réponds, oui, je suis un sénateur conservateur, et j’ai été membre en règle du Parti conservateur pratiquement toute ma vie. C’était le cas lorsque j’ai fait campagne en proposant la création d’un nouveau territoire pour les Inuits. J’ai rencontré des leaders inuits, j’ai écouté leurs arguments et j’ai été convaincu de faire quelque chose pour les aider. J’ai remporté l’élection territoriale dans Frobisher Bay — qui s’appelle aujourd’hui Iqaluit — grâce à mon programme novateur, parce que je croyais au rêve de la création du Nunavut.

J’ai contribué au démantèlement de tous les pensionnats aux Territoires du Nord-Ouest lorsque j’étais ministre de l’Éducation et j’ai contribué à la reconnaissance des langues autochtones en tant que langues officielles dans ces territoires lorsque j’étais ministre de premier plan et premier ministre. Je me suis battu pour l’ajout de l’article 35 dans la Loi constitutionnelle de 1982 en compagnie des ex-sénateurs Serge Joyal et Charlie Watt ici même, dans cet édifice, alors qu’on l’appelait encore le Centre de conférences du gouvernement. C’est pour cette raison que j’étais très fier d’être en compagnie du sénateur Watt au moment de ma cérémonie d’assermentation en tant que sénateur du Nunavut.

J’espère que je ne donne pas l’impression de vouloir me vanter. Tout ce que j’essaie de faire, c’est de montrer qu’il est possible de vouloir un petit gouvernement, des budgets équilibrés et une défense nationale forte et de défendre les droits des Autochtones. Tous ces éléments sont compatibles.

Cela m’amène à la troisième grande catégorie et peut-être celle que je trouve personnellement la plus désolante des trois. Je constate la virulence largement dirigée vers l’ensemble des conservateurs, qui sont parfois considérés comme des racistes déconnectés de la réalité qui ne respectent pas les droits ancestraux. De grâce, cessons de généraliser. Tous les partis sont coupables de cela, tout comme tous les partis comptent des membres aux vues extrêmes ou plus marginales.

Je vous demande de me juger d’après mon bilan et d’après mes paroles et non d’après les paroles ou les actions d’autrui. Il est injuste d’équivaloir une objection à ce projet de loi ou une question à son sujet à du racisme ou à de l’intolérance. Presque toutes les citations que j’ai transmises des délibérations de notre comité étaient des voix autochtones qui s’opposent au projet de loi.

Je sais que, comme je ne suis pas autochtone — Qallunaaqualurama —, certains estiment que ma voix n’a pas sa place dans ce débat. À ces personnes, je dis ceci : pour devenir bénéficiaire inuit, il suffit d’avoir un seul parent bénéficiaire. La situation des Inuits est grandement préférable à cette des Premières Nations et des Métis. J’ai quatre enfants et quatre petits-enfants et tous sont des bénéficiaires inuits. Lorsque des gens qui connaissent ma famille considèrent mes préoccupations comme étant moins valables, je ne peux m’empêcher de me demander s’ils sous-entendent que je ne suis pas un père et un grand-père aimant. Évidemment que j’appuie les droits ancestraux. Ma famille a été durement touchée par l’héritage des pensionnats, le traumatisme intergénérationnel. Honorables sénateurs, je peux vous assurer que je suis motivé par un profond désir de voir ma famille inuite et les Inuits du Nunavut prospérer.

En tant que législateur, lorsque j’étudie un projet de loi — et dans le présent cas j’ai le privilège d’avoir été nommé porte-parole de l’opposition officielle —, j’aborde toujours la question sous deux angles différents. D’abord, je me demande comment cette mesure touche la région que je représente, le Nunavut, et sa population, les Nunavummiuts. Ensuite, je me demande quelle incidence elle a sur l’ensemble des Canadiens.

Les Inuits du Nunavut ont une situation digne de mention. Ils sont propriétaires et gestionnaires d’un immense territoire. Ils sont assurés d’une représentation importante aux tables de cogestion du territoire et des ressources du Nunavut. Qui plus est, ils sont assurés d’une part substantielle des redevances sur les ressources et de la préférence en matière d’emploi, d’occasions d’affaires et de processus d’approvisionnement du gouvernement. Comme la sénatrice Duncan vient de le dire, le Canada peut en apprendre beaucoup des traités modernes avec le Nord et de la réussite du processus de réconciliation.

Je reconnais également l’espoir qu’a exprimé Mme Aluki Kotierk, présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated. Elle a dit :

Le projet de loi C-15 ne sera pas une panacée, mais c’est un outil important à mesure que nous continuons de travailler sur l’évolution de notre relation entre le Canada et les Inuits et le gouvernement fédéral.

Même si cet accord prévoit des mécanismes garantissant la pleine participation des Inuits, on ne peut nier l’existence de problèmes liés à la mise en œuvre. Le gouvernement fédéral a dû signer une entente de règlement de 255,5 millions de dollars pour des violations de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, commises entre 1993 et 2015. Par ailleurs, la Loi sur les langues autochtones n’a rien prévu pour appuyer la prestation des services gouvernementaux de base dans la langue maternelle de la majorité de la population inuite, privant de leurs droits fondamentaux beaucoup d’aînés inuits et Inuits unilingues à l’échelle du Nunavut.

Je reconnais aussi que les quatre présidents dûment élus des quatre organisations inuites de revendications territoriales, guidés par Pauktuutit Inuit Women of Canada, le Conseil national des jeunes Inuits et le Conseil circumpolaire inuit du Canada, ont donné des directives claires à Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, dans une résolution qui a été signée le 29 mars 2021. Cette résolution demande d’appuyer l’adoption du projet de loi C-15, ainsi que la proposition d’amendements, tels que la création d’un conseil visant à faire respecter les droits fondamentaux des Autochtones, afin que le projet de loi prévoie une meilleure reddition de comptes et des mesures d’exécution plus strictes. En tant que représentant du Nunavut et étant donné l’appui unanime des dirigeants inuits pour un tel amendement, j’ai proposé la création de ce conseil durant l’étude en comité. Malheureusement, ma proposition a été rejetée.

Rassuré de savoir que cela ne nuirait pas aux Nunavummiuts, mais qu’au contraire cela les aiderait, et que les leaders inuits étaient clairement d’accord pour aller de l’avant avec le projet de loi, je me suis penché sur l’impact global possible, en me posant la question suivante : dans quelle mesure ce projet de loi affecte-t-il les autres peuples autochtones ainsi que le chevauchement potentiel entre les divers champs de compétence du gouvernement fédéral et ceux des provinces et des territoires?

Honorables collègues, voilà où est la pierre d’achoppement du projet de loi pour moi. Il est vrai que j’avais eu de sérieuses inquiétudes au sujet du projet de loi C-262, le précurseur du projet de loi C-15, même si je sais que nombre d’entre vous voulaient le faire adopter lors de la législature précédente. Par ailleurs, lors de son témoignage devant le comité, le 31 mai 2021, le ministre Lametti a déclaré que, selon lui, le projet de loi C-15 est une version améliorée. Puis, Dwight Newman, un expert en droit constitutionnel, a dit au comité qu’il estimait que le projet de loi C-15 répondait à certaines de ses préoccupations en lien avec le projet de loi C-262. Le fait que l’on ait reconnu que ce projet de loi n’était pas parfait confirme certaines de mes préoccupations dont je vous avais fait part lors de la législature précédente.

Un projet de loi d’initiative ministérielle vient avec une promesse de ressources. On s’attend du ministère de la Justice qu’il ait accès aux conseils juridiques appropriés pour garantir que le libellé de la loi est adéquat et que les coffres du gouvernement fédéral auront les ressources nécessaires pour mener des consultations exhaustives et inclusives. Pourtant, nous avons entendu de nombreux témoignages qui contredisent cette supposition de base.

Voici ce qu’a déclaré le président de l’Association du Barreau autochtone, Drew Lafond, lorsqu’il a comparu devant le comité le 10 mai dernier :

Cela dit, d’une part, dans le cas du projet de loi C-15, les déclarations de la ministre Bennett, qui prévoyait sans équivoque l’adoption et la mise en œuvre de la [Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones] dans le droit canadien et le libellé actuel qui est devant nous aujourd’hui, où le Parlement n’a pas pris les mesures qu’il a prises dans le cas d’autres instruments internationaux et de leur mise en œuvre dans le droit canadien, c’est très préoccupant pour l’Association du Barreau autochtone.

Le grand chef Garrison Settee, de l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak, le chef David Monias, de Pimicikamak Okimawin, Ghislain Picard, de l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador, et le chef Ross Montour, du Conseil des Mohawks de Kahnawàke, ont également exprimé cette préoccupation.

L’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador et le Conseil des Mohawks de Kahnawàke ont présenté des amendements qu’ils considèrent comme le minimum requis pour appuyer le projet de loi, tandis que l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak et le chef Monias ont présenté des amendements qui, selon eux, faciliteraient l’application de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada. Ces suggestions ainsi que les amendements proposés par l’Association du Barreau autochtone ont inspiré ceux présentés par la sénatrice McCallum la semaine dernière, que le Sénat a rejetés.

Au sujet des consultations, je crains que le sénateur Klyne n’ait déformé mes préoccupations lorsqu’il a déclaré ceci :

Pour répondre aux allégations du sénateur Patterson et aux autres personnes qui s’opposent à ce projet de loi, je précise que le projet de loi C-15 n’empêchera pas les nations titulaires de droits d’interagir directement avec le gouvernement si elles le souhaitent, par exemple aux tables de négociation de traités, plutôt que de s’en remettre au plan d’action. Le projet de loi C-15 n’impose aucune obligation aux nations de participer au plan d’action. La participation à ce dernier est volontaire.

Je soutiens que le projet de loi C-15 mine déjà les droits des nations dont les traités prévoient des consultations directes avec le gouvernement fédéral. Il y a une érosion des obligations, prévues par les traités, d’avoir des négociations bilatérales avec les signataires de traités, et cette érosion a commencé quand le gouvernement a décidé d’entamer la discussion avec l’Assemblée des Premières Nations en juin 2020, plusieurs mois avant le moment où il aurait prétendument communiqué avec les signataires de traités, dont les Premières Nations du Traité no 6 et du Traité no 8 et la Première Nation d’Alexander.

La question de la consultation a été mentionnée directement par le grand chef Joel Abram, de l’Association des Iroquois et des Indiens alliés; le grand chef Arthur Noskey, des Premières Nations du Traité no 8; le chef Jim Badger, de la Première Nation de Sucker Creek; Russel Diabo, représentant d’organisations communautaires; le chef Mel Grandjamb, de la Première Nation de Fort McKay; le grand chef Okimaw Vernon Watchmaker, qui a le mandat de représenter la Confédération des Premières Nations du Traité no 6; le chef Douglas Beaverbones, de la Première Nation O’Chiese; et le chef George Arcand Jr., de la Première Nation d’Alexander.

Je ne peux pas dire comment le projet de loi et le processus dont il est issu sont perçus par ces dirigeants. Je peux seulement les citer et répéter ce que l’on nous a dit. Les chefs et les grands chefs qui ont témoigné devant le comité ont affirmé que le processus de consultation bancal affaiblit tout ce qui découle du projet de loi.

Il y a lieu de souligner que la principale plainte porte, encore une fois, sur la consultation entourant le projet de loi — plus précisément qu’il a été élaboré en étroite consultation avec trois organismes autochtones nationaux et non pas avec les signataires de traités et les titulaires de droits. Des fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère des Relations Couronne-Autochtones ont déclaré publiquement que des discussions préliminaires sur la manière dont le plan d’action sera structuré sont entamées avec les mêmes organismes autochtones nationaux. Le gouvernement a déjà entrepris un processus descendant et boiteux, qui est contraire au but évident du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et au mantra illusoire du gouvernement, « Rien pour nous sans nous ».

Lorsqu’on leur a demandé s’ils prendraient part au plan d’action, les titulaires de droits issus de traités ne se sont pas engagés dans un sens ou dans l’autre. À mes yeux, ce n’est pas une victoire ni un réconfort. Aux dires du gouvernement, c’est le plan d’action qui guidera la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et les futures initiatives de réconciliation. Il devrait faire l’objet de l’effort de consultation le plus inclusif et le plus complet entrepris par le gouvernement, car, selon l’article 19 de la déclaration, les peuples autochtones ont le droit d’être consultés au sujet de changements de lois et de politiques qui ont une incidence sur les droits des Autochtones.

De plus, l’article 38 demande expressément aux États de prendre :

[...] en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, les mesures appropriées, y compris législatives, pour atteindre les buts de la présente Déclaration.

J’ai lu à maintes reprises les témoignages, les réponses, les mémoires et les discours concernant le projet de loi. C’est pourquoi j’ai proposé de multiples observations, qui ont été appuyées seulement par les sénateurs MacDonald et Stewart Olsen. Au départ, j’espérais que les sénateurs examinent les déclarations que je proposais que nous fassions et qu’ils conviennent que nous devions faire front commun au moins pour certaines observations.

Or, la majorité des membres du comité ont refusé d’inclure une grande quantité de citations dans leurs observations. Comme un sénateur l’a laissé entendre, je me montrais sélectif dans les citations que je choisissais d’inclure. À cela, je réponds : « Vous avez absolument raison. » J’ai choisi d’inclure les voix dont on se moque à mon avis.

Le comité, et bientôt le Sénat, votera pour adopter le projet de loi. En agissant ainsi, nous faisons fi des conseils clairs et des demandes répétées de dirigeants autochtones élus, dont le territoire s’étend sur de vastes portions du Canada. Il s’agit de dirigeants qui représentent des dizaines de milliers de détenteurs de droits et qui ont consacré du temps et de l’énergie pour témoigner devant nous afin de nous donner leur opinion.

Pourquoi avoir fait tout ce travail si le résultat final ne reflète pas du tout les avis obtenus? Ils ont proposé des amendements et rejeté le processus de consultation, et certains d’entre eux ont donc tout simplement rejeté ce projet de loi. Je ne suis pas en train de me servir des témoignages en les citant en dehors de leur contexte. Les peuples visés par les Traités nos 6, 7 et 8 ont même adopté une résolution visant clairement et expressément à rejeter le projet de loi C-15, le 17 mars 2021, soit le même jour où le gouvernement dit avoir « consulté de façon non officielle et informelle » — ce sont ses propos, pas les miens — les nations signataires de traités, d’après la réponse écrite qu’a reçue le comité, le 7 juin 2021.

La semaine dernière, lors du débat sur la motion de la sénatrice McCallum, le sénateur Francis a dit que « les tribunaux examineront le libellé de ce dernier pour analyser son objet et son intention ». Un de nos estimés collègues, l’ancien sénateur George Baker, s’est toujours empressé de souligner que les observations et les débats des sénateurs sont souvent pris en considération par les tribunaux. Voilà pourquoi il était très important pour moi d’expliquer dans quel contexte s’inscrivent mes observations.

Selon la note de procédure du Sénat no 5 :

[Les observations] servent à attirer l’attention sur certains points du projet de loi ou de politiques connexes.

Ainsi, honorables collègues, je me permets de réaffirmer certaines de mes observations qui reflètent mon point de vue.

Quant à l’amalgame fait entre l’appui donné à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et l’appui donné, au projet de loi C-15, il est décevant de voir que beaucoup ont dû nuancer leurs critiques de ce projet de loi et s’évertuer à expliquer qu’ils étaient opposés au projet de loi et non à la déclaration. Ainsi, je tiens à redire que les critiques faites au cours de l’étude doivent être considérées objectivement comme des critiques contre le projet de loi C-15 en tant que moyen proposé par le gouvernement pour la mise en œuvre de la déclaration et non contre l’esprit et le but de la déclaration. Cette question a été réglée quand un gouvernement conservateur a approuvé la déclaration.

Beaucoup ont déclaré que la consultation sur ce projet de loi n’avait pas besoin d’être aussi exhaustive en raison du travail de consultation déjà effectué dans le cas du projet de loi C-262. Je ne suis pas d’accord. Pourquoi? Je tiens à faire remarquer que l’obligation de consulter et d’accommoder est le devoir de la Couronne seule et ne peut être déléguée à un seul parlementaire ou à d’autres entités. Le projet de loi C-262 doit être considéré comme distinct du présent projet de loi parrainé par le gouvernement.

En ce qui concerne la consultation, je tiens à souligner que le fait qu’il y ait eu de graves limitations de temps et de ressources qui ont été constatées et ont été source de plaintes et qu’une version provisoire du projet de loi ait été présentée à l’annexe A du rapport Ce que nous avons appris ne permet pas de conclure à une consultation significative ou conforme aux obligations découlant des traités numérotés et à l’obligation de consultation prévue à l’article 35 de la Constitution.

J’admets que l’article 19 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est très clair lorsqu’il demande aux États de :

[...] se concerte[r] et [de] coop[érer] de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

C’est pourquoi je crains toujours que le gouvernement n’ait pas reconnu et honoré les structures de gouvernance autochtone traditionnelles, comme l’ont décrit et expliqué les divers dirigeants autochtones venus témoigner au comité.

Je reconnais, j’affirme et je respecte les droits des peuples autochtones à déterminer quels organismes doivent les représenter, conformément à leurs coutumes et à leurs traditions. Je reconnais et j’affirme le droit de tous les détenteurs de droits autochtones de participer aux consultations concernant toute mesure législative touchant à leurs droits et privilèges, conformément aux droits accordés à tous les Canadiens par la Charte des droits et libertés, droits qui sont renforcés par la déclaration. Je constate aussi qu’il faut absolument déterminer les représentants et les organismes qui doivent d’emblée être conviés à la table avant d’entreprendre toute action qui pourrait entraver, enfreindre ou compromettre les droits, titres et privilèges des peuples autochtones au Canada. Il y avait beaucoup d’attentes divergentes par rapport aux résultats que pourrait avoir le projet de loi. Même si bon nombre de témoins et de personnes ayant soumis des mémoires ont exprimé leur appui au projet de loi, il convient de noter que beaucoup d’autres témoins étaient d’avis qu’il nécessite de nombreux amendements. D’autres encore ont réclamé le rejet du projet de loi et son remplacement par un projet de loi qui est vraiment rédigé conjointement, qui respecte les obligations de consultation de la Couronne et qui tient compte du point de vue des détenteurs de droits.

Si les dispositions du préambule n’ont pas de force exécutoire, le ministre Lametti a tout de même expliqué que la déclaration elle-même et les droits contenus dans le préambule ont une fonction d’interprétation dans le droit canadien. Cette explication, conjuguée au plan d’action promis, a été utilisée pour rejeter les préoccupations soulevées quant à la consécration, dans le droit canadien, des principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Je constate qu’il y avait des perspectives différentes et divergentes sur les effets que le projet de loi C-15 aurait sur la réconciliation économique. Plusieurs témoins, dont Dawn Madahbee Leach, estiment que le projet de loi C-15 offrira davantage de certitude dans le secteur des ressources naturelles. Je reconnais l’importance de la conclusion économique dans les efforts de réconciliation actuels avec les peuples autochtones. Le comité fait également remarquer que le gouvernement du Canada collaborera avec les détenteurs de droits et d’autres partenaires d’une manière qui soutient et renforce la certitude, et qui fait une priorité absolue du développement économique durable des communautés autochtones. Il s’agit là d’un thème couramment repris dans les mémoires des témoins et des fonctionnaires. Comme le sénateur Tannas l’a souligné hier au cours du débat, « Les investissements au Canada ont cessé. » Les investisseurs fuient le Canada et le pays a subi les répercussions négatives des barricades érigées par les Autochtones, même au Nunavut. Nous devons trouver une nouvelle voie à suivre.

Je reconnais les préjudices historiques et actuels causés par les approches racistes et paternalistes, et je reconnais qu’ils contribuent à la méfiance et au scepticisme exprimés dans les témoignages. Je respecte le droit de toute personne ou entité de faire part de ses griefs et de ses opinions concernant le projet de loi dont le Parlement est saisi, et je reconnais que ce droit est fondamental à l’application des principes de la démocratie et de la primauté du droit.

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ne m’a pas accordé ce droit lors de la dernière législature. Il a invoqué l’attribution de temps pour l’examen article par article du projet de loi et il a précipité et étouffé le débat. En ce qui concerne le plan d’action proposé, j’observe que le projet de loi C-15 crée une obligation et une attente très ambitieuse selon laquelle un plan d’action entièrement élaboré conjointement sera présenté dans le délai de deux ans. Il faut toutefois souligner qu’il n’y a pas de délai pour la mise en œuvre du plan ou la mise en œuvre complète de la déclaration. Je tiens également à faire remarquer que l’obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi et de la planification n’est pas seulement garantie par le libellé du projet de loi C-15, mais aussi par l’article 38 de la déclaration, qui stipule clairement ce qui suit :

Les États prennent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, les mesures appropriées, y compris législatives, pour atteindre les buts de la présente Déclaration.

Je remarque que tout plan d’action résultant du projet de loi C-15 ne doit pas être fondé sur la conviction que des consultations appropriées ont été tenues dans le cadre de la conception et de l’adoption de cette mesure législative. Je remarque aussi que plusieurs témoins ont rejeté explicitement ce projet de loi et demandé que le processus soit repris en respectant la souveraineté des Autochtones et les traités. Je remarque aussi qu’en entamant des discussions préliminaires avec les organisations inuites nationales, le gouvernement du Canada continue d’ignorer les préoccupations légitimes et soutenues voulant que le processus de consultation fasse fi des préoccupations des peuples autochtones, en particulier des signataires de traités dont les attentes à l’égard d’une relation bilatérale avec le Canada sont ancrées dans les traités historiques de nouveau confirmés dans le cadre des processus de consultation mis en place solennellement en 1995.

Je remarque les recommandations proposées par des dirigeants inuits, qui témoignent de la volonté de mettre en œuvre des mesures concrètes d’application et de reddition de comptes. Il s’agit d’une volonté légitime dont il faut tenir compte.

En ce qui concerne l’empiétement possible sur la compétence provinciale ou territoriale, je remarque que de la confusion et des préoccupations persistent à propos des répercussions potentielles de cette mesure législative sur les champs de compétence provinciaux et territoriaux, de même que sur le chevauchement de compétence tel que le définit la Constitution. J’ai fourni des exemples concrets de cette confusion. L’empiétement du gouvernement fédéral sur la compétence du gouvernement du Nunavut, qui est protégée par la loi et par la Constitution, se voit érodé systématiquement et inexplicablement par un gouvernement territorial dirigé par un Cabinet entièrement composé d’Inuits.

Au chapitre de la confusion persistante que suscite ce projet de loi, je constate une volonté de clarifier la définition du principe de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Je constate également qu’il y a un débat continu pour déterminer si ce consentement est un processus ou une condition préalable à l’approbation. J’aimerais remercier le sénateur Cotter de ses précieux conseils pour déterminer comment ces questions difficiles devraient être prises en compte dans le plan d’action.

En outre, je remarque que des témoignages contradictoires ont été entendus quand est venu le temps de déterminer si oui ou non la jurisprudence canadienne continuerait d’avoir préséance. Je tiens à dire que je suis déçu qu’une plus grande attention n’ait pas été accordée aux problèmes qui ont été soulevés devant le Comité sur les peuples autochtones et dans cette enceinte. À mon avis, l’échéance créée de toute pièce par le gouvernement est due à son incapacité de gérer son programme législatif.

Finalement, en ce qui concerne les pressions exercées pour que le Sénat renonce à son privilège d’amender les projets de loi, au besoin, j’estime que le Sénat a le devoir constitutionnel et le privilège de modifier les projets de loi comme il le juge nécessaire et pour répondre aux inquiétudes sérieuses et légitimes soulevées lors des témoignages ou dans les mémoires soumis. C’est l’une des fonctions essentielles de la Chambre de second examen objectif. Ces observations figurent maintenant dans la liste des observations minoritaires et elles ont l’appui de trois membres du Comité.

Honorables sénateurs, je tiens à remercier le sénateur Christmas. En permettant et en favorisant une étude respectueuse et équilibrée du projet de loi, il a établi ce qui, je l’espère, deviendra un précédent. Cependant, je suis respectueusement en désaccord avec le sénateur Christmas lorsqu’il dit que nous devons choisir entre deux options pour voter. Je sais que la sénatrice Coyle ne m’en voudra pas de la paraphraser. Lors d’une réunion du comité, elle a dit que le projet de loi relevait de la foi et de l’espoir. Je respecte la sincérité et la passion de la sénatrice et de ceux qui partagent son avis. La semaine dernière, la sénatrice LaBoucane-Benson a aussi dit qu’elle espérait que le gouvernement respecterait le délai de deux ans.

Chers collègues, j’ai moi aussi de l’espoir. Nous nous engageons sur une nouvelle voie, mais nous devons reconnaître que nous pouvons et devons faire mieux. J’espère que ce que nous avons appris en constatant les lacunes de ce projet de loi et les questions sans réponse à son sujet servira de base pour améliorer la consultation et la collaboration directement avec les détenteurs de droits. J’espère que, dans un dossier aussi crucial, nous prendrons le temps, ferons l’effort et utiliserons les ressources nécessaires pour bien faire les choses et ne pas laisser de côté des voix importantes. Je dois m’en remettre à la foi et l’espoir parce que les dispositions exécutoires du projet de loi ne m’offrent pas l’assurance que je cherchais et qu’ont demandé un grand nombre de dirigeants autochtones ayant comparu devant le comité.

En tant que père et grand-père d’enfants autochtones et en tant que représentant des Inuits du Nunavut, je suis convaincu de l’importance de ce que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones vise à accomplir. Je sais que les Inuits veulent que ce projet de loi soit adopté par le Sénat et il le sera aujourd’hui. Pour ces raisons, je ne peux pas voter contre ce projet de loi. En tant que parlementaire fédéral, je ne peux cependant pas ignorer l’opinion des leaders dont j’ai parlé aujourd’hui. Ensemble, ils représentent plus de 90 000 titulaires de droits, soit plus que toute la population de l’Inuit Nunangat. Malgré leurs plaidoyers et leurs interventions, je sais que le projet de loi sera adopté sans amendement. En raison du respect que j’ai pour eux et pour leur lutte, je ne peux pas appuyer ce projet de loi. Je m’abstiendrai donc de voter, afin de ne pas voter contre une mesure que les Inuits appuient clairement et de ne pas non plus voter pour une mesure qui, dès sa création, a miné les relations bilatérales entre le Canada et les nations signataires de traités. Elle fait fi de l’obligation solennelle et constitutionnelle qu’a le gouvernement de consulter, et ce, sans répondre à d’importantes questions.

Merci. Qujannamik. Taima.

Son Honneur le Président [ + ]

L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, avec l’appui de l’honorable sénateur Gold, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois. Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

J’entends un non. Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur le Président [ + ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Quinze minutes.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs sur place qui s’opposent à ce que la sonnerie retentisse pendant 15 minutes veuillent bien dire non. Le vote aura lieu à 16 h 55. Convoquez les sénateurs.

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