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Un avenir à zéro émission nette

Interpellation--Suite du débat

27 février 2024


Honorables sénateurs, le débat sur ce point a été ajourné au nom de la sénatrice Clement. Je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole lui soit réservé.

Son Honneur le Président suppléant [ - ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur le Président suppléant [ - ]

Il en est ainsi ordonné.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Coyle sur l’importance de trouver des solutions pour assurer la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada vers un avenir juste, prospère, durable et pacifique à zéro émission nette, aussi bien pour notre pays que pour la planète.

Les phénomènes météorologiques extrêmes des dernières années nous rappellent de façon troublante les répercussions des changements climatiques. L’été dernier, quand j’étais en Italie, d’accablantes vagues de chaleur ont obligé les gens à rester à l’intérieur. Année après année, le monde fracasse des records de chaleur. Il s’agit d’un problème mondial qui nécessite une approche internationale où tout le monde met la main à la pâte. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, beaucoup auraient rejeté les appels en faveur d’une meilleure gérance de l’environnement.

En 2024, la plupart des Canadiens conviendront que les changements climatiques sont réels et que nous devons travailler ensemble pour respecter l’engagement pris à Paris par le Canada et 194 autres pays en vue de limiter la hausse de la température mondiale.

Les sondages continuent de démontrer que les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par l’environnement. En septembre, un sondage Léger a révélé que 72 % des Canadiens sont inquiets ou très inquiets des changements climatiques.

Pourtant, ce même sondage révèle que les changements climatiques sont la principale préoccupation de seulement 7 % des Canadiens. L’inflation était en tête de liste pour 33 % des répondants. L’abordabilité du logement suivait avec 16 %, puis la hausse des taux d’intérêt, à 8 %. Cela révèle que les Canadiens sont plus préoccupés par leur portefeuille que par les changements climatiques.

Nous ne pouvons pas leur en tenir rigueur. De nombreux Canadiens, voire la majorité, n’ont pas encore été directement ou gravement touchés par les changements climatiques, au point que leur vie ou leur portefeuille s’en trouve bouleversé ou déstabilisé.

Plus nous tardons à nous attaquer véritablement aux changements climatiques, plus le coût financier de notre inaction augmente. Il est dangereux d’ignorer ce problème, car les températures augmentent et les coûts s’accroissent. Or, nous pouvons obtenir des résultats concrets en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Cependant, comment y parvenir? Pour le Canada, ce ne sera pas facile.

En tant que pays riche en combustibles fossiles, le Canada est souvent au premier plan des discussions relatives aux émissions de gaz à effet de serre. En 2020, le Canada était le deuxième plus grand émetteur par habitant du monde, juste derrière l’Arabie saoudite, bien que nous ne représentions que 1,5 % des émissions mondiales.

Pourtant, à mon humble avis, le Canada est un leader mondial grâce, en partie, à l’engagement du gouvernement à lutter contre les changements climatiques et à atténuer leur effet sur les collectivités canadiennes. Notre bilan n’est pas parfait, mais nous pouvons être fiers du leadership du Canada. Comme l’indique la Banque Royale du Canada, et je partage son point de vue, « la position de départ du Canada en matière de politique climatique est solide, grâce à la robustesse de la tarification du carbone, des règlements et des dépenses actuelles. »

Je sais que nous devons en faire plus, mais nous avons déjà fait de grands progrès jusqu’à présent.

Heureusement, et c’est tout à notre honneur, le Canada possède l’un des réseaux électriques les plus propres du monde. Pour atteindre nos objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, il faut commencer par rendre notre électricité plus écologique.

Le gouvernement convient que l’économie propre dépendra presque entièrement de l’électricité propre. Le Canada est déjà dans une position enviable puisque 83 % de son électricité provient de sources à émission nulle telles que l’hydroélectricité, l’énergie éolienne, l’énergie solaire et l’énergie nucléaire. La bonne nouvelle, c’est que le solaire et l’éolien sont de plus en plus attrayants pour les investisseurs et qu’ils peuvent produire de l’électricité à des tarifs plus avantageux.

En tant que sénateur du Québec, je suis particulièrement fier de notre statut de superpuissance de l’électricité propre grâce à l’hydroélectricité, une ressource renouvelable, fiable et abordable, qui représente 94 % de l’électricité de la province.

Le Canada est également largement considéré comme un leader en raison de sa tarification du carbone. Même si cette mesure est controversée dans certains milieux — et c’est compréhensible —, la tarification de la pollution reste l’un de nos meilleurs outils pour réduire les émissions en adoptant des carburants plus propres et en utilisant l’énergie de manière plus efficace.

Je reconnais que de nombreux ménages ont des difficultés financières et que la taxe sur le carbone est un fardeau supplémentaire pour eux, mais nous savons que la Remise canadienne sur le carbone, comme on l’appelle maintenant, aide les particuliers et les familles à compenser le coût de la tarification fédérale de la pollution.

Comme Dale Beugin et Chris Ragan nous l’ont rappelé récemment :

[…] la plupart des ménages – surtout ceux à faible revenu – reçoivent plus qu’ils ne dépensent en carbone. Contrairement à l’opinion populaire, cette façon de faire ne vient pas miner l’efficacité du système : les ménages qui prennent des mesures pour réduire leurs émissions n’ont pas à payer pour le carbone et reçoivent un remboursement.

L’atteinte de nos cibles climatiques coûtera cher. Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de rester assis sur nos lauriers. Comme nous le rappelle souvent la sénatrice Galvez, les coûts relatifs au rétablissement en cas de catastrophes naturelles et de phénomènes météorologiques violents montent en flèche. En effet, selon le Bureau d’assurance du Canada, les conditions météorologiques extrêmes ont entraîné des coûts d’environ 3,1 millions de dollars en dommages assurés au Canada en 2022, la troisième pire année jamais enregistrée.

Or, que pouvons-nous faire au-delà de la tarification du carbone? Il y a quelques années, le Wall Street Journal a publié une série d’articles très intéressants sur la manière dont le monde peut réduire sa consommation de combustibles fossiles et ses émissions. Tout d’abord, ces articles proposent que le gouvernement oblige les propriétaires de charbon, de pétrole et de gaz naturel à laisser ces combustibles dans le sol. Personnellement, je ne pense pas que cela soit faisable ou réaliste à l’heure actuelle, car le monde a encore besoin de combustibles fossiles et je pense que le Canada a un rôle de premier plan à jouer. Comme l’a dit un jour le premier ministre : « Alors que les pays du monde entament la transition écologique, il y aura encore une demande pour nos ressources existantes. »

Le premier ministre a poursuivi en disant :

Nous devrions [...] mettre à profit ce que nous possédons et investir les retombées dans notre avenir. Nous pouvons ainsi faire avancer la transition écologique qui est déjà à notre portée.

Je suis d’accord avec lui.

Le Wall Street Journal avance également que les nouvelles technologies aideront à résoudre le problème. Je suis d’accord. La recherche et le développement ouvriront la voie. Le Canada est à la pointe de la recherche et du développement dans de nombreux secteurs et investit des milliards de dollars dans les énergies propres et les entreprises vertes. Par exemple, nous sommes un chef de file mondial dans le domaine de l’énergie nucléaire. Nous devons tirer profit de cette expertise.

Enfin, le Wall Street Journal nous rappelle que la solution qui est peut-être la plus évidente serait de consommer moins. Les entreprises et les ménages doivent être incités à consommer moins d’énergie et à opter pour des solutions plus propres. Voici ce que nous suggère ce journal :

La solution la plus simple est d’avoir recours à la taxation pour forcer les entreprises à internaliser le coût du carbone. Les énergies propres deviennent alors plus attirantes, pas parce qu’elles deviennent de moins en moins chères, ce qui serait l’idéal, mais parce que les combustibles fossiles deviennent plus chers. Au bout du compte, plus le coût sera élevé, plus la consommation devrait être faible.

Cela me rappelle l’histoire du politicien qui demande à une foule de supporteurs : « Qui veut du changement? » Tout le monde lève la main et acclame le politicien, puis il demande : « Qui est prêt à faire des changements dans sa vie? » Silence radio. Pour changer nos comportements et notre relation à la consommation énergétique, il faudra des efforts et des sacrifices individuels et collectifs. Évidemment, on oublie souvent que l’électron qui coûte le moins cher et qui pollue le moins est celui qui n’est pas utilisé. Alors, qu’en est-il de la situation au Canada?

Le pays est le quatrième producteur de pétrole en importance et le cinquième producteur de gaz en importance. Les industries pétrolière et gazière au Canada ont généré des milliards de dollars qui ont été réinjectés dans l’économie du pays, dans son système de santé et dans ses écoles. En 2021, le secteur générait 7,2 % du PIB nominal du Canada, ce qui représente 168,2 milliards de dollars, et il employait plus de 440 000 Canadiens, dont 10 000 Autochtones.

Dans ce contexte, le Canada demeure résolu à attaquer de front cette crise mondiale. La pression est de plus en plus forte, surtout dans un contexte où nous essayons de suivre le rythme des États‑Unis, qui ont fait des investissements dans l’économie à faibles émissions une priorité absolue. Grâce à l’Inflation Reduction Act, « [...] les États-Unis ont non seulement rétabli leur crédibilité en matière climatique, mais ont aussi changé les règles », selon un rapport de la RBC.

Le rapport dit aussi ceci :

[...] Les États-Unis sont maintenant un important investisseur dans l’économie à faibles émissions à l’échelle mondiale. Le Canada devra redoubler d’efforts pour soutenir la concurrence afin d’attirer les investissements liés à la lutte aux changements climatiques.

Selon la Banque Royale du Canada, si le Canada veut sortir gagnant dans l’économie de l’ère de l’Inflation Reduction Act, il doit agir de manière plus stratégique. Il nous faut une politique industrielle axée sur des activités économiques à forte valeur ajoutée dans des domaines où nous avons un avantage sectoriel. Le captage du carbone en est un exemple. Les auteurs préconisent ce qui suit :

En favorisant le déploiement de la technologie de captage du carbone à l’échelle nationale, le Canada peut réduire les émissions, améliorer davantage la technologie et développer une industrie nationale qui exporte de l’équipement de captage du carbone et son expertise à l’échelle mondiale.

Nous devons exploiter nos talents et nos forces. J’ai été heureux de constater que le gouvernement propose, dans le projet de loi C-59, un crédit d’impôt à l’investissement remboursable aux entreprises admissibles pour l’équipement admissible de captage, d’utilisation et de stockage du carbone.

Nous savons que la transition vers la carboneutralité sera coûteuse. La modélisation de la Banque Royale du Canada nous indique que la transition coûtera 2 billions de dollars au Canada d’ici 2050. Selon ses estimations, les gouvernements, les entreprises et les collectivités devront dépenser au moins 60 milliards de dollars par année pour réduire les émissions du Canada de 75 % par rapport aux niveaux actuels. C’est une hausse considérable par rapport aux 15 milliards de dollars par année qu’on dépense actuellement au Canada.

Les prévisions à l’échelle planétaire varient. Selon Barclays, la transition coûtera de 100 à 300 billions de dollars d’ici 2050. Pour mettre les choses en contexte, le PIB mondial annuel actuel est d’environ 100 billions de dollars. McKinsey est d’avis qu’il faudra 275 billions de dollars pour effectuer la transition entre 2021 et 2050, ce qui représente une moyenne de 9,2 billions de dollars par année, tandis que l’Agence internationale de l’énergie parle de dépenses annuelles d’environ 4,5 billions de dollars.

Peu importe que l’on se fie aux estimations plus conservatrices ou aux plus ambitieuses, la somme d’argent est monumentale. Jetons un coup d’œil uniquement au secteur de l’électricité.

L’été dernier, le Forum des politiques publiques a publié un plan directeur sur la façon de faire croître plus rapidement l’approvisionnement en électricité propre canadienne. Il nous a rappelé que la demande d’électricité devrait doubler d’ici 2050 et que nous devons donc assainir le réseau actuel tout en veillant à ce que l’augmentation de puissance du parc de production se fasse sans émission additionnelle. Le coût de la transformation vers l’électricité propre varie entre 1,1 et 1,7 billion de dollars, soit presque la taille de toute l’économie canadienne en 2023.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous sommes également dans une réalité post-pandémique où nos concitoyens éprouvent des difficultés sur le plan financier. Beaucoup de Canadiens s’attendent à ce que le gouvernement les appuie. Dire qu’il y a des intérêts contradictoires est un euphémisme. En tant que sénateurs, nous rencontrons régulièrement des intervenants et entendons leurs témoignages devant les comités. Ils défendent diverses causes louables, et ils ont habituellement une chose en commun : ils veulent une plus grande aide financière du gouvernement.

En réalité, les ressources financières du gouvernement sont limitées. En dépit de ces limites, et tout compte fait, je crois vraiment que les gouvernements et les Canadiens en général sont résolus à combattre les changements climatiques.

En terminant, j’aimerais revenir à ce que j’ai dit au début de mon intervention. Le Canada est un chef de file mondial, et nous devrions être fiers de notre bilan. Personnellement, je suis d’avis que nous sommes trop souvent critiques à l’égard de nos faiblesses. Nous devrions plutôt reconnaître nos réalisations et ce que nous faisons pour combattre les changements climatiques et pour en atténuer l’impact. Bien sûr, nous pourrions en faire davantage, et même accélérer le rythme, mais il faut agir de manière intelligente.

Je comprends l’urgence de la situation, mais il s’agit d’une transition, ce qui suppose que c’est un processus qui ne se fera pas du jour au lendemain. Certains veulent que nous mettions la pédale au plancher, tandis que d’autres souhaitent une transition harmonieuse et progressive, sans trop de perturbations. Trouver le juste équilibre est le plus grand défi que nous devons relever en tant que communauté mondiale.

Nous ne devons jamais perdre de vue que nous vivons dans un pays riche et industrialisé, alors que de nombreux pays en développement n’ont qu’un accès limité à l’électricité et vivent encore dans une situation de pauvreté énergétique.

Les émissions de gaz à effet de serre ne connaissent pas de frontières, c’est pourquoi nous avons besoin d’un plan d’action mondial. Le défi qui nous attend est de taille, mais les occasions sont gigantesques. Le Canada est particulièrement bien placé pour montrer la voie dans de nombreux secteurs afin de contribuer à la réduction des émissions mondiales. Je pense notamment au gaz naturel liquéfié de la Colombie-Britannique. Nous devons agir avec détermination.

Cela me rappelle un extrait du rapport de 2017 du Comité sénatorial de l’énergie intitulé Positionner le secteur de l’électricité canadien : vers un avenir restreint en carbone :

[…] dans la lutte contre le changement climatique, les efforts déployés par chacun des pays s’additionnent; ce n’est que par l’action collective qu’on viendra à bout du problème. Sans efforts concertés de notre part pour atteindre nos propres objectifs, comment pouvons-nous, en tant qu’économie avancée, demander à d’autres pays d’atteindre les leurs? Il y va de la réputation et de la crédibilité du Canada dans le monde.

Pour ma part, je pense que la crédibilité du Canada est intacte. Le monde sait que nous sommes engagés dans la lutte contre les changements climatiques, et notre bilan le prouve.

Je remercie mes collègues pour leur attention et je remercie la sénatrice Coyle pour sa demande. J’espère que d’autres sénateurs prendront part à cet important débat. Je vous remercie. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Honorable sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, heure où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

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