Projet de loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais
Projet de loi modificatif--Seizième rapport du Comité des banques, du commerce et de l'économie--Suite du débat
28 novembre 2024
Honorables sénateurs, je suis le porte-parole pour le projet de loi C-280. À l’étape de la troisième lecture, j’ai la possibilité de parler pendant 45 minutes. Étant donné que le débat sur ce projet de loi est axé, à mon avis, sur le rapport que nous avons reçu du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, si vous m’accordez 20 minutes aujourd’hui, je promets de ne pas prendre la parole à l’étape de la troisième lecture. Cela semble être un échange raisonnable. Lorsque Son Honneur m’interrompra pour m’indiquer la fin de mon intervention après 15 minutes, je demanderai votre indulgence pour avoir quelques minutes de plus.
Le projet de loi et l’amendement adopté par le comité ont été bien analysés dans les discours prononcés dans cette enceinte. Je vais me concentrer essentiellement sur quatre points.
Chers collègues, je voudrais commencer par vous faire part de mes impressions sur le débat qui s’est déroulé jusqu’à présent. J’ai l’impression que, ces derniers temps, à quelques exceptions près, y compris, bien sûr, lors de la période des questions, notre assemblée a — pour paraphraser Martin Luther King Jr. — vu la longue courbe de son histoire s’infléchir vers la civilité. C’était déjà le cas lorsque j’ai comparu devant le Comité des banques en tant que premier témoin concernant ce projet de loi. Je ne sais pas où se trouvaient le parrain de la Chambre et le sénateur MacDonald. Je pensais être entre amis, mais c’était un peu comme si j’étais dans un champ de tir, et que j’étais la cible. Étant donné la longue courbe de l’histoire qui tend vers la civilité, il s’agissait au moins de tirs amicaux.
Cela dit, je pense que le débat sur ce rapport, la semaine dernière, a marqué un recul par rapport à cette courbe. Nous jouissons d’un privilège remarquable au Sénat, où nous pouvons nous exprimer et où nous avons rarement des comptes à rendre à quelqu’un d’autre qu’à nous-mêmes. S’il ne s’agit pas d’un grand pouvoir, il s’agit d’un pouvoir inhabituel et spécial, qui s’accompagne d’une obligation de retenue, sans pour autant être une obligation au sens propre du terme. Je sais qu’il y a des règles strictes de décorum ici, mais je me concentre davantage sur la façon dont nous voulons que les gens se comportent en cet endroit. J’ai établi des balises, pour moi du moins, que j’appliquerai pour les remarques qui suivent. Voyons comment je me débrouille.
Je veux commencer par raconter deux histoires. J’intitulerai la première « Le voilier de Dan Hartney ». J’ai un ami de longue date qui est devenu vétérinaire et qui est allé s’établir à Vancouver. Il n’avait pas beaucoup d’argent, mais il avait très envie de se mettre à la voile, alors il a acheté un voilier. Quand je l’ai vu là-bas, je lui ai demandé : « Comment diable as-tu les moyens de t’offrir un voilier? » Le sénateur Loffreda voit où je veux en venir. Mon ami m’a dit : « La Banque Royale est maintenant l’heureuse propriétaire d’un voilier de plus. » Il a dit cela — avec beaucoup de clairvoyance — parce que, bien sûr, il n’avait pas l’argent pour acheter le bateau. Il avait contracté un emprunt auprès de la Banque Royale, et la Banque Royale était titulaire de ce qui s’appelait à l’époque une « hypothèque mobilière » sur le voilier. Cependant, la Banque Royale, d’un point de vue juridique, était l’heureuse propriétaire d’un voilier de plus. Je vous demande de retenir cela, car je vais y revenir.
J’aimerais maintenant essayer d’évoquer un exemple simple qui n’a pas de rapport direct avec le secteur des fruits et des légumes périssables, mais qui prépare le terrain pour discuter des tenants et des aboutissants du projet de loi dans le contexte de la faillite et l’insolvabilité. J’ai choisi de présenter un exemple qui s’inspire de l’entreprise dont mon grand-père était propriétaire il y a des dizaines d’années. Je ne parle pas de sa compagnie de plomberie et de chauffage, qui a été relativement prospère, mais de l’entreprise qu’il possédait pendant la Grande Dépression. C’était un petit magasin de friandises à Kamsack, en Saskatchewan.
La Grande Dépression a été difficile pour les plombiers, mais heureusement, mon grand-père avait appris d’un ami à faire des chocolats à la main. Il a pris un risque et il a ouvert un petit commerce de crème glacée et de chocolat, appelé Kandy Kitchen, à Kamsack. Il n’avait à peu près pas d’argent pour se lancer en affaires, alors il avait besoin de plusieurs choses. Il avait besoin de la banque afin d’obtenir l’argent nécessaire pour occuper l’immeuble et faire marcher son commerce, mais aussi pour acheter une bicyclette spéciale lui permettant d’aller vendre sa crème glacée dans les parcs où se déroulaient des tournois de baseball et dans les foires. Il avait aussi besoin que Mme Gorski lui fournisse la crème riche que produisait sa ferme et du vendeur de chocolat et de noix pour garnir ses stocks. Il avait également besoin de la rivière Assiniboine, qui coule près de Kamsack, pour s’approvisionner en glace. En février, il se rendait à la rivière et y découpait de gros blocs, qu’il enterrait ensuite sous des couches de paille et qu’il utilisait comme élément de congélation dans sa crème glacée maison. Étonnamment, la glace pouvait durer jusqu’au mois d’août.
Il avait enfin besoin de deux employés — Judy Kalmakoff et Ruth David — pour servir les clients, et il savait qu’il lui faudrait faire des paiements au titre de l’impôt sur le revenu. Si les régimes de retraite avaient existé, il aurait aussi dû verser des cotisations.
Mon grand-père a connu un succès modeste avec Kandy Kitchen. Les plombiers savent tout faire, chacun sait ça. Mais imaginez un instant que votre commerce va de plus en plus mal. Dans ce genre de situation, il est loin d’y avoir assez d’argent ou d’actifs pour satisfaire tout le monde, alors il faut déterminer qui reçoit de l’argent, et combien. Comment faire? La réponse se trouve en partie dans les forces du marché, qui sont modulées, le cas échéant, par les politiques établies dans les lois fédérales sur la faillite et l’insolvabilité. Ces lois définissent les raisons de politique publique qui justifient qu’on favorise tel créancier plutôt qu’un autre et servent à atténuer les conséquences parfois fâcheuses des forces du marché.
Il n’est pas surprenant que la banque, en raison de son pouvoir sur le marché, se fasse accorder la priorité. Grâce à son effet de levier, elle contracte une hypothèque sur le bâtiment et l’équipement. D’une certaine manière, comme le voilier de Dan Hartney, ces biens sont la propriété de la banque. Comme la sénatrice Moncion me l’a rappelé, il y avait probablement aussi une forme de charge flottante sur le stock qui se matérialiserait dès que la banque prenait conscience qu’elle ne recevrait pas l’argent qui lui était dû.
Dans la plupart des cas, la plupart des actifs y sont consacrés, vu le trop grand nombre de factures à payer, ce qui fait que les Mme Gorski, les Judy Kalmakoff et les Ruth David de ce monde se retrouvent largement sous-payées, si tant est qu’elles soient payées. D’une certaine façon, nous avons aidé certains de ces créanciers. La Loi sur le Programme de protection des salariés se porte à la défense des employés, dans une certaine mesure, et accorde la priorité absolue à certains éléments comme les versements d’impôt sur le revenu. Dernièrement, nous avons aussi créé des mécanismes de récupération des cotisations aux régimes de retraite. Cela dit, pour l’essentiel, les Mme Gorski de ce monde et les fournisseurs de mon grand-père sont carrément laissés en plan. C’est ce qui nous amène à ce projet de loi et, dans ce contexte, aux Mme Gorski de ce monde, c’est-à-dire les fournisseurs de fruits et légumes périssables.
Je tiens à insister sur le fait — ce qui devrait atténuer certains des arguments qui ont été présentés précédemment — que même pour les personnes qui sont passées à une catégorie supérieure, y compris ce groupe, personne n’a le dessus sur les prêteurs commerciaux s’ils étaient là en premier. Voici pourquoi : la Cour suprême du Canada l’a récemment précisé en ce qui concerne les parties qui se retrouvent en haut de la liste. Pour les remises d’impôt sur le revenu impayées, si les gens de l’impôt sur le revenu — la fiducie d’origine législative de l’Agence du revenu du Canada — arrivent avant la sûreté prise par le prêteur, et que l’élément d’actif de cette fiducie peut être retracé, c’est l’Agence du revenu du Canada qui l’emporte. Toutefois, s’ils arrivent plus tard, après la sûreté de la banque — dans ce cas, la Banque TD —, aucun élément d’actif n’est réputé être détenu en fiducie et la sûreté du prêt commercial l’emporte. Le voilier appartient vraiment à la banque.
Ce que je tente de faire valoir, c’est que le débat que nous avons entendu la semaine dernière était un faux débat. La plupart du temps, la banque sera la première dans le dossier et l’emportera. Par conséquent, l’économie ne s’effondra pas. Que cela nous plaise ou non, cette fiducie placera très occasionnellement les producteurs de fruits et légumes frais devant la banque. En fait, il ne s’agit que marginalement d’un débat opposant les banquiers et les agriculteurs.
Passons maintenant aux raisons pour lesquelles j’appuie le projet de loi et pour lesquelles j’ai une certaine sympathie à l’égard de l’amendement du sénateur Varone. La principale raison pour laquelle j’appuie ce projet de loi est qu’il tente de soutenir ce que j’appellerais les « petites gens » dans la lutte pour l’indemnisation en cas de faillite et d’insolvabilité. Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, les principaux perdants dans la distribution des produits de la faillite sont les petits créanciers. Ce projet de loi, bien qu’imparfait, aide quelque peu ces petits créanciers du secteur des fruits et légumes. C’est une bonne chose pour de nombreuses raisons qui ont été expliquées ici et au comité.
C’est une bonne chose pour le secteur agricole et pour de nombreuses personnes qui dépendent du producteur — notamment les fournisseurs d’intrants et les employés —, car lorsque le producteur fait faillite, ils en souffrent également, et certains d’entre eux font faillite à leur tour. Comme je l’ai dit, j’aime bien l’amendement du sénateur Varone, qui se concentre sur les principales sources de fruits et légumes périssables, soit les producteurs. Cela améliore le projet de loi, mais ce n’est qu’une modeste amélioration, à mon avis.
Ensuite, je pense que l’engagement constructif avec les États-Unis auquel participe ce projet de loi revêt une grande importance, bien que le projet de loi soit modeste à cet égard. Au début de l’année, je me suis rendu à Washington avec la sénatrice Robinson et un petit nombre de députés pour rencontrer des membres de la Chambre des représentants et des hauts responsables de l’agriculture au sein du gouvernement américain. J’ai été invité principalement pour parler du projet de loi C-280. Au cours de ces échanges, je peux vous assurer que les membres du Congrès que nous avons rencontrés et les hauts responsables de l’agriculture ont accueilli avec enthousiasme la perspective du projet de loi C-280. Bien qu’aucune garantie n’ait été donnée, ils ont indiqué qu’il était probable — je pense qu’il est juste de le dire — qu’après l’adoption par le Canada du projet de loi C-280 dans la forme qu’ils ont vue, l’accès des producteurs canadiens au système de la Perishable Agricultural Commodities Act serait rétabli. Je dirais que c’est une probabilité.
Certains ont raison de dire que les systèmes canadien et américain ne sont pas parfaitement harmonisés. Cela dit, il appartient aux Américains de décider si l’harmonisation est suffisante pour répondre à leurs intérêts. Il convient de garder à l’esprit, comme nous l’avons entendu, que proportionnellement, les producteurs américains qui réalisent des ventes au Canada représentent un groupe beaucoup plus vaste que celui des producteurs canadiens qui réalisent des ventes aux États-Unis. J’ai le sentiment que les Américains tiennent grandement à conserver cette réciprocité.
L’amendement bien intentionné du sénateur Varone pourrait ou non compliquer la question de la réciprocité avec les États-Unis. Vous avez probablement tous vu la correspondance qui évoque cette possibilité, qui, à mon avis, pourrait ou non se concrétiser si nous avions affaire à un projet de loi amendé. Tout bien considéré, je pense que l’adoption du projet de loi sans amendement a de très bonnes chances de donner lieu à une réciprocité de la part des États-Unis. Le projet de loi amendé a un peu moins de chances d’y parvenir. Enfin, sur ce point, dans l’environnement actuel, nous pouvons mener un dialogue constructif avec les États-Unis sur la question du commerce, et ce d’une manière qui profite mutuellement à nos deux pays. Cela constituerait une déclaration très positive.
Mon troisième constat est que nous devons être ouverts et honnêtes sur les problèmes que pose le projet de loi — ou du moins sur ses limites. Ces problèmes ne sont pas expressément liés à l’amendement adopté par le comité. J’ai deux points à soulever ici. Le premier concerne l’efficacité de la fiducie rattachée. C’est en partie dû au fonctionnement du droit commercial, auquel j’ai fait allusion plus tôt, mais c’est aussi une fonction — au moins dans certaines circonstances — du fait que la fiducie créée par le projet de loi n’est pas rédigée dans des termes juridiques suffisamment stricts pour être rattachée le plus tôt possible, ce qui améliore ses chances de devenir une fiducie efficace en concurrence avec d’autres créances sur les actifs d’un débiteur. J’en ai déjà parlé.
Selon moi, le problème de l’identification et de la traçabilité des biens fiduciaires est plus grave. Il s’agit d’une fiducie, après tout, et il faut identifier les biens qui font l’objet de la fiducie. Comme je l’ai mentionné à l’étape de la deuxième lecture — et cela est confirmé par la décision de la Cour fédérale a rendu en 2018 concernant la Banque Toronto-Dominion et l’Agence du revenu du Canada, au sujet de la fiducie d’origine législative aux fins de l’impôt sur le revenu —, le projet de loi laisse inchangées les règles relatives à la nécessité de retracer les biens de la fiducie.
La raison en est que le projet de loi laisse en place les règles provinciales en matière de propriété et de droits civils, c’est-à-dire la façon dont les fiducies fonctionnent et sont interprétées. La préservation de la compétence provinciale en matière de droit des fiducies est explicite dans le projet de loi. Le projet de loi aurait pu inclure des dispositions permettant d’écarter les règles de traçabilité pour les besoins de la faillite et de l’insolvabilité. Le principe constitutionnel de la primauté de la législation fédérale donnerait la priorité aux règles fédérales en matière de faillite. Cela aurait pu être tentant pour l’auteur initial du projet de loi, mais cela introduit une nouvelle couche de complexité où Ottawa empiète sur les lois provinciales et les annule. Il s’agirait là d’une initiative fédérale-provinciale gênante, qui n’a pas été retenue dans le cas présent.
Sénateur Cotter, je regrette de devoir vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?
Oui, j’aimerais avoir plus de temps.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Cela créerait aussi une autre complication, puisqu’il demeure absolument nécessaire d’identifier le bien qui est la propriété fiduciaire et de le suivre jusqu’au bout. Dans les faits, les fruits et légumes périssables seront certainement mêlés à ceux d’autres fournisseurs et l’argent généré sera également mêlé, de sorte que la question suivante restera en suspens : à quel bien la fiducie est-elle censée se rattacher? S’il est impossible de répondre à cette question, la fiducie échoue. Pour être tout à fait honnête, depuis que j’ai lu la décision de la Cour suprême, j’ai moins d’espoir que la fiducie présumée puisse être totalement efficace.
J’ai déjà utilisé une métaphore un peu ringarde qu’il m’apparaît pertinent de répéter. C’est l’histoire de deux types dans une chaloupe. Ils sont en train de descendre la rivière quand ils se rendent compte, soudainement, qu’ils sont sur le point de tomber dans une chute. L’un des types dit à l’autre : « Jette l’ancre. » Le deuxième lui répond : « Mais l’ancre n’est pas attachée à la chaloupe. » Le premier réplique : « Jette-la quand même, ce sera peut-être utile. » La situation dont nous discutons n’est pas aussi inquiétante que celle des deux types dans la chaloupe, mais je crois que nous devrions avoir certaines réserves quant à la possibilité d’une réussite totale. Cela dit, il semble que le jeu en vaut la chandelle.
Compte tenu de ces éléments, tout d’abord, le sénateur Varone a fait valoir que la fiducie ratisse trop large. Je pense avoir une légère préférence pour l’amendement du sénateur Varone à cet égard. Il y a des problèmes d’ordre pratique au sujet de l’applicabilité de la fiducie : je pense que c’est vrai, mais il aurait fallu modifier considérablement le projet de loi, et il est possible que le projet de loi soit un succès. Il y a un risque accru que le projet de loi amendé ne soit pas en harmonie avec la mesure américaine. Le risque n’est pas grand, mais je ne pense pas que cela en vaille la peine. On a déjà dit que l’autre endroit a approuvé ce projet de loi dans sa forme initiale. On a souvent recours à cet argument lorsque cela convient à la personne qui l’utilise. En ce qui me concerne, il s’agit toujours d’un point important, mais pas toujours déterminant. En l’occurrence, je le prends au sérieux.
En ce qui concerne le soutien au secteur agricole et agroalimentaire — je suis d’avis que nous sous-estimons constamment le secteur agricole et agroalimentaire en tant que pilier essentiel de notre économie, comme il est souligné dans le projet et le rapport dirigés par le sénateur Harder, que je félicite. C’est le cas aujourd’hui et ce le sera à l’avenir. Une meilleure reconnaissance du rôle de ce secteur serait bénéfique pour nous tous. Ce projet de loi est un petit signe de notre engagement envers de nombreuses personnes qui produisent nos aliments, et il serait vraiment malheureux que nous perdions l’occasion d’envoyer ce signe.
Mon dernier point est qu’il y a un risque que les amendements coulent le projet de loi. Tout ce que je peux dire, c’est que vous avez étudié la question. Cela semble probable, et je préférerais un projet de loi imparfait à aucun projet de loi du tout.
À mon avis, même si l’amendement du sénateur Varone améliorera un peu le projet de loi, tout bien considéré, un projet de loi amendé compromettra certains de ses avantages. J’appuie l’adoption de ce projet de loi dans sa forme originale non modifiée et, par conséquent, avec tout le respect que je dois à ceux qui pensent le contraire, je voterai contre le rapport du comité. Merci beaucoup.
Je vous remercie de votre discours. Je reconnais que la situation est un peu différente quand la banque possède directement l’actif. Toutefois, quand on calcule les créances prioritaires — et l’argument de la réciprocité est plus solide que l’argument économique —, on constate que l’économie ne s’effondrera pas.
Cependant, quand les banquiers calculent les créances prioritaires, ils tiennent toujours compte du pire scénario envisageable, et non du meilleur. S’il existe une possibilité que la banque ne recouvre pas la créance prioritaire, celle-ci sera déduite des actifs potentiels. Ne convenez-vous pas qu’un risque élevé peut entraîner un meilleur rendement?
Quand j’ai lu la décision de la Cour suprême dans l’affaire TD Canada Trust, il est devenu évident que les banques et les institutions financières qui prennent des garanties dès qu’une entreprise commence ses activités — ce qui est typique et peut contribuer à sa relance —, sont même à l’abri de la fiducie pour les versements d’impôt sur le revenu qui sont prévus plus tard. Cette fiducie est presque toujours créée plus tard.
Merci, monsieur le sénateur. Votre temps de parole est écoulé. Sénatrice Martin, vous avez la parole.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie sur le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).
Comme on l’a expliqué dans les discours précédents, le projet de loi C-280 a deux objectifs : tout d’abord, il établirait une fiducie présumée pour les produits agricoles périssables au Canada, donnant la priorité aux paiements aux fournisseurs de fruits et légumes frais en cas d’insolvabilité de l’acheteur. Grâce à cette protection, les agriculteurs, les distributeurs et tous les fournisseurs de la chaîne d’approvisionnement en denrées périssables disposeraient d’un mécanisme sûr et fiable pour recouvrer les fonds impayés.
Deuxièmement, le projet de loi C-280 contribuerait à rétablir le statut de partenaire commercial privilégié du Canada en rétablissant la réciprocité avec les États-Unis aux termes de la loi américaine sur les denrées agricoles périssables, ou PACA.
Avec la loi américaine sur les denrées agricoles périssables, le Canada a bénéficié d’une réciprocité pendant plus de 70 ans, avant de la perdre en 2014 en raison de l’absence d’un système réciproque de protection des paiements pour les exportateurs américains vers le Canada. Cette absence de réciprocité a rendu les exportateurs canadiens de fruits et légumes frais vulnérables sur l’un de leurs plus grands marchés, les obligeant à déposer une double caution coûteuse et en créant des conditions de concurrence inégales qui menacent l’économie agricole du Canada.
Il est important de comprendre que pour les producteurs canadiens, l’obtention de la réciprocité aux termes de la Perishable Agricultural Commodities Act n’est pas un rajustement mineur de la réglementation; il s’agit d’un impératif économique. De toutes les exportations de fruits et légumes frais canadiens, 85 % sont destinées aux États-Unis. Il est donc essentiel que le Canada mette en place un mécanisme de fiducie qui reflète les protections de la Perishable Agricultural Commodities Act. Sans cet alignement, les fournisseurs canadiens ne peuvent pas faire du commerce transfrontalier en toute confiance et notre secteur des fruits et légumes frais reste désavantagé sur un marché mondial de plus en plus compétitif.
Toutefois, les amendements apportés par le comité suscitent la crainte qu’ils compromettent gravement la capacité du Canada à obtenir le statut de partenaire commercial privilégié dont il a tant besoin, en restreignant la définition de « fournisseur » aux « producteurs ou détaillants » et en stipulant que les actifs sont réputés être détenus en fiducie à titre de créancier garanti plutôt que simplement réputés être détenus en fiducie.
La semaine dernière, nous avons entendu deux positions très différentes sur l’impact des amendements apportés par le comité. D’une part, les sénateurs MacDonald, Deacon, Black et Plett ont fait valoir, tout comme le sénateur Cotter aujourd’hui, que les amendements priveraient le Canada de la possibilité d’obtenir la réciprocité aux termes de la Perishable Agricultural Commodities Act. D’autre part, le sénateur Varone a affirmé que le projet de loi non amendé ne ferait rien pour protéger les agriculteurs et que, même avec ses amendements, il faudrait encore travailler pour « faire franchir aux agriculteurs la ligne d’arrivée de la réciprocité ».
Honorables sénateurs, je suis éducatrice de formation et non experte en faillite. Cependant, je suis membre du Comité sénatorial des banques et j’étais présente lorsqu’il a étudié ce projet de loi.
Au comité, nous avons entendu les meilleurs témoins que nous avons pu trouver qui étaient des experts dans ce domaine. Comme ce sont des experts, je crois que leurs témoignages devraient peser lourd dans la balance et éclairer notre décision à savoir si nous appuyons ou non les amendements dans le rapport dont nous sommes saisis.
À la suite du discours du sénateur Varone, la semaine dernière, j’ai passé un moment à relire ses commentaires et j’ai noté certains arguments qu’il avait présentés à l’appui de ses amendements. J’aimerais revoir chacun de ces arguments à la lumière des preuves et des témoignages des experts qui ont comparu devant le Comité des banques.
Le sénateur Varone a commencé son discours en disant que le libellé initial du projet de loi C-280 n’était « pas assez clair » et qu’il craignait que ses dispositions manquent de clarté et de précision. Il a soutenu que ce manque de clarté pourrait donner lieu à des difficultés de mise en œuvre, en particulier dans le cas des procédures d’insolvabilité, et que des ajustements étaient nécessaires afin que le projet de loi soit réalisable.
Cependant, Massimo Bergamini, directeur général des Producteurs de fruits et de légumes du Canada, nous a dit ceci au comité :
Les Producteurs de fruits et légumes du Canada militent en faveur de la protection financière contenue dans le projet de loi C-280 depuis près de 40 ans. Le secteur des fruits et légumes doit composer avec des produits périssables et de courtes fenêtres de vente. La réalité, c’est que les lois actuelles sur l’insolvabilité n’offrent aucune protection aux producteurs qui ne peuvent récupérer des biens qui perdent rapidement de la valeur. Le projet de loi C-280 viendrait combler cette lacune.
M. Bergamini est un expert qui représente l’industrie des fruits et légumes de tout le pays, laquelle soutient actuellement plus de 185 000 emplois. Il croit que le projet de loi cadre parfaitement avec les réalités particulières de l’industrie des fruits et légumes frais, et d’autres témoins étaient du même avis.
La deuxième préoccupation du sénateur Varone, c’était que le projet de loi, dans sa forme actuelle, viendrait perturber la hiérarchie des créanciers existante dans les procédures de faillite. Il a soutenu que le fait d’accorder la priorité aux vendeurs de fruits et légumes frais par l’entremise d’une fiducie réputée pourrait les élever injustement au-dessus des autres créanciers, comme les prêteurs garantis ou les employés, ce qui pourrait déstabiliser le cadre global de l’insolvabilité.
Cependant, Ron Lemaire, président de l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, n’était pas d’accord. Dans une lettre soumise au comité, il a écrit :
[…] une fiducie réputée est le seul moyen grâce auquel le gouvernement du Canada peut offrir une protection financière efficace aux producteurs et aux divers vendeurs de fruits et légumes frais du Canada.
Cela ne perturbe pas la hiérarchie des créanciers, mais assure l’équité des paiements dus aux fournisseurs.
M. Lemaire a clairement indiqué que la crainte du sénateur Varone n’était pas fondée. La fiducie réputée est une solution ciblée conçue pour remédier aux inégalités en matière de paiement sans perturber la hiérarchie générale des créanciers.
Le troisième argument du sénateur Varone était que le fait de donner la priorité aux vendeurs de fruits et légumes frais pouvait entraîner une augmentation des coûts d’emprunt et une réduction du crédit pour les petites entreprises. Cette affirmation a également été contestée par les témoins. Fred Webber, ancien président de la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes, a dit ceci au comité :
Le projet de loi ouvrirait la voie au rétablissement de la protection financière des producteurs canadiens en vertu de la loi américaine sur les produits agricoles périssables. Cette loi fait ses preuves depuis plus de 30 ans et procure une stabilité financière aux fournisseurs sans perturber les marchés du crédit.
Richard Lee, directeur général de l’Ontario Greenhouse Vegetable Growers, a dit que « [le] libellé actuel du projet de loi veillerait à ce que la réciprocité avec les États-Unis soit rétablie » sans pour autant engendrer de risques financiers ou de fardeaux administratifs excessifs pour les entreprises canadiennes.
En outre, l’expérience des États-Unis dans le cadre de la loi américaine sur les produits agricoles périssables laisse penser que de tels mécanismes n’ont pas entraîné de problèmes de crédit généralisés ni de perturbations financières systémiques. La protection des vendeurs de fruits et légumes frais renforce la stabilité économique en réduisant la probabilité de faillites en cascade dans le secteur agricole, ce qui favorise la sécurité alimentaire et les économies locales.
La simple vérité, c’est que les dettes impayées représentent un plus grand danger pour les petites entreprises qui font partie de la chaîne d’approvisionnement en fruits et légumes que les contraintes de crédit hypothétiques. Le projet de loi atténue les risques pour ces entreprises, qui sont essentielles à l’économie.
Le sénateur Varone a aussi laissé entendre que ses amendements étaient nécessaires pour assurer un équilibre plus équitable entre les intérêts des fournisseurs de fruits et légumes frais et d’autres parties prenantes dans le processus d’insolvabilité. Il a mentionné que le projet de loi initial avantageait trop un groupe au détriment d’un système équitable et transparent pour tous les créanciers.
Cependant, aucun témoignage au comité n’a confirmé cette préoccupation ni suggéré que les amendements étaient nécessaires. Au contraire, la majorité des témoignages et des données probantes ont laissé penser que le projet de loi sans amendement est une solution équitable et nécessaire compte tenu des vulnérabilités propres au secteur des fruits et des légumes frais.
Plutôt que de créer des iniquités, le projet de loi C-280 corrige des iniquités existantes. Les défis propres au secteur, dont le caractère périssable des produits et les longs délais de paiement, appellent une protection supplémentaire. D’autres secteurs, comme celui des producteurs de grains, ont déjà leurs propres protections financières sur mesure, et la fiducie réputée du projet de loi C-280 garantit simplement que les vendeurs de fruits et de légumes frais reçoivent les paiements qui leur sont dus, ce qui est équitable et ne s’apparente pas à un traitement préférentiel.
Enfin, selon le sénateur Varone, le texte initial du projet de loi déviait considérablement des normes et des principes canadiens d’insolvabilité, qui visent à équilibrer les intérêts plutôt qu’à avantager fortement des groupes particuliers. Le sénateur Varone a soutenu que ses amendements visaient à rapprocher la mesure législative des pratiques et des cadres juridiques établis.
Ron Lemaire, président de l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, n’était pas d’accord. Il a dit que le mécanisme de protection contre la faillite dans ce projet de loi créerait « un outil essentiel et adapté à une industrie unique et qui ne bénéficie actuellement d’aucune protection ».
Sur ce point, il est important de noter que la législation canadienne en matière d’insolvabilité prévoit déjà des priorités sectorielles, telles que les superpriorités pour les producteurs agricoles. Une étude de la Bibliothèque du Parlement indique que l’article 81.2 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité :
[...] crée un droit spécial pour les agriculteurs, les pêcheurs et les aquiculteurs qui livrent des produits agricoles, aquatiques et aquicoles destinés à être utilisés dans le cadre des affaires d’un acheteur. Lorsque, subséquemment, l’acheteur fait faillite ou est mis sous séquestre et que ses produits sont livrés dans les 15 jours précédant la faillite ou la mise sous séquestre de l’acheteur, l’agriculteur, le pêcheur ou l’aquiculteur peut déposer une réclamation pour le solde impayé dans les 30 jours suivant la faillite ou la mise sous séquestre. Cette réclamation est garantie par une sûreté portant sur la totalité du stock appartenant à l’acheteur; elle a priorité sur tout autre droit, charge ou réclamation, sauf sur le droit du fournisseur impayé à la reprise de possession des marchandises.
Le projet de loi C-280 n’est pas une initiative inédite. Il s’aligne sur la disposition existante dont bénéficient les producteurs agricoles en répondant aux besoins distincts des fournisseurs de produits frais. Le projet de loi tient compte du fait que, si cette disposition existante bénéficie à une grande partie du secteur agricole, elle n’aide pas les producteurs de fruits et légumes en raison de la courte durée de conservation de leurs produits.
Malgré les préoccupations soulevées par le sénateur Varone, le projet de loi C-280 ne mine pas l’équité du système; il la renforce. Les experts que nous avons entendus au comité ne partageaient pas les préoccupations du sénateur Varone et estimaient que ses amendements étaient nuisibles à l’industrie, et non utiles, et qu’ils menaçaient la possibilité d’obtenir la réciprocité avec les États‑Unis.
En limitant l’application du terme « fournisseur » au « producteur » ou au « détaillant », on exclut des participants essentiels de la chaîne d’approvisionnement en fruits et légumes, comme les emballeurs, les grossistes et les revendeurs. Cette exclusion va directement à l’encontre de l’approche inclusive de la Perishable Agricultural Commodities Act, ou PACA, qui protège l’ensemble de la chaîne de valeur. Les autorités des États-Unis ont clairement indiqué que la pleine réciprocité exige des protections comparables à celles de la PACA, qui couvre tous les fournisseurs de biens périssables, et non seulement les producteurs primaires ou les détaillants. Ainsi, l’amendement met en péril la possibilité pour le Canada de rétablir la réciprocité de la PACA.
De plus, en changeant le libellé du projet de loi pour désigner les produits des fournisseurs comme étant « détenus en fiducie à titre de créancier garanti » plutôt que simplement comme « fiducie réputée », on se trouve à abaisser le statut prioritaire des fournisseurs. En vertu de cette modification, les fournisseurs canadiens seraient en concurrence avec d’autres créanciers garantis pour le remboursement.
Honorables collègues, j’ai encore des choses à dire, mais je sais que mon temps de parole tire à sa fin. J’aimerais simplement dire — et vous avez déjà entendu bon nombre de ces arguments —, que je vous exhorte à rejeter le rapport du comité, à rétablir la forme originale et non amendée du projet de loi C-280 et à rétablir la réciprocité pour nos producteurs canadiens.
Merci.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Le temps prévu est écoulé. Sénatrice Martin, demandez-vous plus de temps pour répondre à une question?
Oui, je demande plus de temps pour répondre à la question du sénateur.
Le consentement est-il accordé?
Je vous remercie, chers collègues.
Comme je l’ai dit récemment au Sénat, le gouvernement adopte une position pour chacun des projets de loi qui aurait pour effet de changer les lois fédérales, y compris les projets de loi d’initiative parlementaire. En ma qualité de représentant du gouvernement, j’ai l’habitude de vous communiquer le point de vue du gouvernement ici, au Sénat. À titre d’exemple, comme vous le savez, je suis intervenu dernièrement à propos du projet de loi C-275, pour lequel le vote a été reporté. Nous en avons discuté aujourd’hui, et j’ai exprimé le point de vue du gouvernement, selon lequel nous ne devrions pas adopter d’amendements à ce projet de loi. Je voterai en ce sens la semaine prochaine.
Aujourd’hui, nous parlons du projet de loi C-280. Dans ce cas aussi, le gouvernement a pour position que cette mesure devrait être adoptée sans amendement.
Sénatrice Martin, nous avons entendu, tant de la part de collègues durant le débat que de la part de témoins pendant l’étude en comité, que la fiducie réputée doit continuer de s’étendre à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour protéger les producteurs, puisque les problèmes concernant les paiements peuvent entraîner des pertes financières indirectes pour les producteurs. Pourriez-vous nous expliquer un peu pourquoi cet enjeu vous amène à vous opposer aux amendements, vous aussi?
Comme je l’ai dit dans mon discours, pour obtenir la réciprocité en vertu de la Perishable Agricultural Commodities Act — dont nous avons joui pendant 70 ans —, cette loi prévoit des protections dans toute la chaîne d’approvisionnement. Pour que les producteurs américains bénéficient de ces protections, comme nous voudrions que les producteurs canadiens en bénéficient, nous devons veiller à la protection de toute la chaîne. C’est un secteur très vulnérable, comme d’autres personnes et moi-même l’avons expliqué. Ce sont des denrées périssables. Ces protections sont donc très importantes et nécessaires.
Bravo!
Votre Honneur, je propose l’ajournement du débat.
L’honorable sénatrice Clement propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Petitclerc, que le débat soit ajournée à la prochaine séance du Sénat.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Une heure? Le vote aura lieu à 17 h 40. Convoquez les sénateurs.