Projet de loi de 2021 sur les opérations au port de Montréal
Troisième lecture
30 avril 2021
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour exprimer mon appui envers le projet de loi C-29 dont nous sommes saisis. J’appuie le projet de loi C-29, qui vise à mettre fin à l’arrêt de travail au port de Montréal pour mettre en place un processus neutre de médiation-arbitrage afin de régler le différend et de conclure une nouvelle convention collective.
Comme beaucoup d’entre vous, j’éprouve de la réticence. Comme beaucoup de gens au Parlement et à l’extérieur du Parlement, j’appuie la libre négociation collective parce qu’elle reflète la réalité des conditions dans le milieu de travail et laisse entre les mains des employeurs, des syndicats et des travailleurs la responsabilité de l’issue des négociations.
Pour ces raisons, l’intervention des gouvernements dans les conflits de travail ne devrait avoir lieu que lorsque l’intérêt public la rend absolument nécessaire. C’est là le pivot de la prise de décision et d’orientation dans les cas relativement rares où l’on envisage l’intervention du gouvernement. Je dis « rares » parce que la vaste majorité des différends relatifs aux négociations collectives au Canada sont résolus par les parties. En fait, on nous a dit que de nombreuses conventions collectives au port de Montréal ont été conclues par les parties. Cela s’explique par la nature équilibrée des régimes de négociations collectives au Canada. C’est grâce à la sagacité des employeurs et des syndicats, et grâce aux compétences et à la persévérance des médiateurs mandatés par le gouvernement.
Plus de 90 % des négociations collectives sont résolues par les parties sur les lieux de travail, cette proportion pouvant atteindre 98 % dans certains secteurs, parfois avec l’aide des services de médiation fédéraux ou provinciaux. Dans les cas relativement rares où les négociations s’enlisent, des médiateurs du gouvernement sont mis à disposition. Dans les circonstances actuelles, les experts du Service fédéral de médiation et de conciliation sont à l’œuvre depuis un certain temps. Ils ne prennent pas ce travail à la légère. Ils ont pour rôle essentiel d’apporter soutien et conseils aux parties au conflit. Leur apport est d’autant plus crucial, chers collègues, que l’intérêt public est en jeu.
Dans la situation actuelle, nous avons appris que les négociations s’étaient étendues sur 30 mois, avec plus de 100 séances, dont beaucoup avec l’appui de conciliateurs et de médiateurs fédéraux et, dans certains cas, comme l’a dit la ministre, par quelques super médiateurs. Ce que je vous dis est loin de décrire les efforts intensifs, souvent discrets et officieux, déployés par les médiateurs fédéraux. Je sais que vous vous joindrez à moi pour les remercier de leurs efforts, et je remercie également la ministre Tassi.
Confrontés à une impasse comme celle-ci, nous sommes instinctivement amenés, chers collègues, à nous demander ce que nous pouvons faire de plus pour en sortir. On se dit qu’il y a sûrement quelque chose de plus à faire. Je connais ce sentiment; je suis passé par là à maintes reprises, à la fois comme agent négociateur, comme médiateur et comme responsable d’un service de médiation, ainsi que comme responsable d’un ministère du Travail.
Fort de cette expérience, je peux vous dire que s’il y avait eu le moindre espoir d’arriver à une entente, à court ou à moyen terme, les conciliateurs et les médiateurs qui ont participé à ce processus ces dernières années se seraient évidemment manifestés pour mettre en garde le gouvernement et lui dire : « Vous allez trop vite. » Croyez-moi, ils auraient dit : « Accordons-nous plus de temps. » Les gouvernements prennent les conseils de ce type au sérieux.
Après 30 mois de travail avec les parties, les médiateurs savent ce qui est réalisable et ce qui ne l’est pas. Il serait donc possible que le conflit s’étire encore pendant plusieurs mois, et nous nous retrouverions ici pour avoir la même discussion. Entretemps, le transport de marchandises dont la valeur atteint 270 millions de dollars par semaine serait interrompu, ce qui a des répercussions sur les 19 000 Canadiens dont les emplois sont liés à l’opération du port, à ce qu’on nous dit.
Je ne suis pas spécialiste de la Charte; j’écoute donc ceux qui le sont. Cela dit, en ce qui concerne la Charte, nous avons aussi entendu que l’examen ne se limite pas aux répercussions économiques du conflit. Comme il en a été aussi question dans l’énoncé concernant la Charte que le gouvernement a présenté, des témoins nous ont dit aujourd’hui que le port est une porte d’entrée importante pour l’importation de produits essentiels en conteneurs, dont des fournitures médicales, des produits pharmaceutiques, des aliments et des intrants cruciaux pour les industries agroalimentaires du Québec et de l’Ontario. Il ne fait donc aucun doute que les répercussions dépassent les dommages strictement économiques.
Je ne trouve pas que c’est une décision facile à prendre. J’aime toujours mieux les ententes négociées parce qu’elles sont préférables pour tous les intéressés. Cependant, honorables collègues, une telle solution ne semble pas très probable en l’occurrence. Dans ce cas, le projet de loi C-29 établirait un processus de règlement des différends équilibré, dans le cadre duquel des efforts seraient déployés pour aider les parties et le médiateur-arbitre à parvenir à un consensus. Nous espérons que c’est ce qui se passerait. En l’absence d’un tel consensus, la ministre nommerait toutefois un médiateur-arbitre, probablement à partir d’une liste dressée conjointement, au fil du temps, par l’association patronale et le syndicat. Le médiateur-arbitre aurait ensuite 90 jours pour déposer son rapport, à moins qu’il obtienne une prolongation de la ministre.
Nous aimerions tous que le conflit se règle. Même si je conviens qu’il est peu probable que cela se produise, un règlement par médiation n’est pas complètement impossible.
Je signale que l’arbitrage des propositions finales était l’une des options offertes au médiateur-arbitre dans la version initiale du projet de loi, mais que cette option a été supprimée par l’adoption d’un amendement à la Chambre des communes.
En terminant, je dirais que l’arbitrage des propositions finales rend un peu moins prévisibles les processus d’arbitrage normaux. Cela ajoute un élément de risque et donne au médiateur-arbitre un moyen supplémentaire d’aider les parties à s’entendre ou au moins de réduire les sources de différends. C’est l’un des outils accessibles aux tiers indépendants qu’il vaut la peine d’essayer.
Je ne vais pas poursuivre cette discussion plus longtemps qu’il ne le faut. En conclusion, je vais appuyer le projet de loi tel qu’il a été amendé à la Chambre des communes. Merci.
Honorables sénateurs, j’ai écouté ce débat avec un esprit ouvert. J’ai écouté les témoignages présentés aujourd’hui. Je ne suis pas intervenu, mais j’aimerais maintenant faire quelques observations.
Qu’est-ce que les témoins nous ont appris aujourd’hui? On nous a répété que nous devions adopter cette mesure législative en raison de la situation liée à la COVID. Nous devons bien entendu veiller à ce que les fournitures médicales parviennent à destination, mais il s’agit là d’une fausse justification. Il est évident que nous souhaitons que les fournitures médicales parviennent à destination. Le syndicat a dit qu’il veillerait à ce qu’elles soient traitées sans exception. De toute façon, les fournitures les plus urgentes seraient expédiées par avion. Par conséquent, tenir des propos alarmistes au sujet de la COVID ne constitue pas, à mon avis, un argument valable ou convaincant.
On nous dit également qu’il s’agit d’un service essentiel. C’est certainement un service important, mais est-il essentiel? Les autorités compétentes ont déjà déterminé qu’il ne s’agit pas d’un service essentiel. Il existe des ports de rechange à celui de Montréal dans l’Est du Canada. Je rappelle aux honorables sénateurs que le port de Saint John, au Nouveau-Brunswick, peut accueillir tout navire normalement accueilli par celui de Montréal, et que celui d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, peut accueillir les plus grands navires au monde, des navires que le port de Montréal ne peut accueillir. De plus, tous ces ports sont desservis par des chemins de fer. Rien n’est déchargé à Montréal puis expédié depuis Montréal qui ne peut être déchargé à Halifax ou à Saint John puis expédié depuis Halifax ou Saint John par train ou par camion. Ainsi, l’argument selon lequel ce port est essentiel n’est, encore là, pas très convaincant.
Si le Canada avait une politique et un système de transport adéquats, tirant profit du port de Saint John et des trois ports en eau profonde de la Nouvelle-Écosse, nous ne nous retrouverions pas dans cette situation aujourd’hui, n’est-ce pas?
Évidemment, il est fort intéressant d’entendre l’establishment libéral, lui qui adore vanter les mérites de la Charte des droits et libertés, faire fi de celle-ci quand elle ne fait plus son affaire.
Il est également très amusant de regarder le sénateur Gold et les sympathisants du gouvernement bien embarrassés par ce mépris flagrant de droits qui sont pourtant protégés par la Charte dans ce cas-ci. Je me demande où sont passés tous les défenseurs de la justice sociale. Tous les bolcheviks ont disparu du Sénat.
Évidemment, il faut cependant se préoccuper des emplois. Bien sûr qu’il le faut. Or, qui s’en préoccupait, lors de la dernière législature, lorsque les projets de loi C-48 et C-69 ont été adoptés et que des centaines de milliers d’emplois ont été supprimés en Saskatchewan et en Alberta, et que personne de ce côté-ci du pays n’en a parlé? D’où la question : pourquoi les emplois de la grande région de Montréal sont-ils plus importants que les milliers d’emplois dont je viens de parler? Je crois que tous les emplois au Canada sont importants.
Je trouve tout à fait contestable de demander à des débardeurs d’être de garde 19 jours sur 21. Le prolongement de leurs heures serait justifié s’ils étaient dans un chantier ou dans une région éloignés, mais pas dans le cas présent.
Cela me fait penser au père de ma mère, que je n’ai jamais connu. Il est mort en 1947, à l’âge de 74 ans. Pendant les 15 dernières années de sa vie, il a vécu avec un pied à moitié amputé, parce qu’il avait des quarts de travail de 12 heures et qu’il devait parfois faire deux quarts de travail de suite lorsqu’il travaillait à charger du charbon. Fatigué et épuisé, il a vu le train passer sur son pied. C’est ce qui arrive lorsqu’on a de longs quarts de travail dans des conditions dangereuses.
Il est évident que l’Association des employeurs maritimes savait que le gouvernement allait la sortir d’affaire et qu’elle n’a donc pas jugé nécessaire de trouver une solution. Elle a continué son petit bonhomme de chemin, sachant que le gouvernement s’occuperait d’elle.
Je comprends les préoccupations économiques des gens. Si seulement les préoccupations économiques étaient traitées aussi sérieusement dans d’autres régions du Canada que dans cette situation particulière. Je ne pense pas que la situation à Montréal a été très bien gérée. Par conséquent, je n’appuierai pas le projet de loi et j’encourage les sénateurs à faire de même. Merci.
Honorables sénateurs, je tiens moi aussi à participer au débat et je serai bref.
Je dirais que la principale émotion que je ressens aujourd’hui à l’égard du projet de loi est le découragement. Je suis découragé parce que, au milieu d’une pandémie mondiale qui a causé tant de difficultés à tant de Canadiens, nous sommes obligés de nous attaquer à un problème qui aurait pu — et aurait dû — être évité.
Il ne fait aucun doute que la situation au port de Montréal nuira non seulement au port lui-même et aux personnes qui y travaillent, mais aussi à l’ensemble des personnes et des entreprises qui en dépendent ainsi qu’à l’économie du Québec, voire de tout le Canada.
J’estime toutefois que la situation aurait pu être évitée. En ce sens, je suis découragé que le gouvernement ne semble pas savoir ce que signifie l’expression « régler un problème de manière proactive ».
Je dis cela parce que ce conflit sévit au port de Montréal depuis plusieurs années, que la négociation collective est en cours depuis septembre 2018 et qu’il y a eu des arrêts de travail l’année dernière pendant les premiers mois de la pandémie. Pourtant, le gouvernement n’a aucunement réussi à maîtriser la situation et à prévenir le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, soit une grève extrêmement dommageable pour toutes les parties concernées.
À chaque étape, le gouvernement a réagi aux événements au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Bien entendu, il a nommé des conciliateurs et des médiateurs sur une période de deux ans et demi. Ces médiateurs et conciliateurs ont travaillé avec le syndicat et l’employeur et facilité plus de 100 séances de négociation par médiation.
Cependant, avant le récent arrêt de travail, le syndicat avait quand même organisé cinq grèves distinctes, dont une grève générale illimitée de 11 jours en août 2020. Toutes ces pressions syndicales et la médiation ont eu peu d’effet sur la négociation et sur les démarches visant à trouver une solution. Pourtant, le gouvernement ne s’est pas rendu compte de l’insolubilité du problème et de la nécessité de le régler en pleine pandémie mondiale, alors qu’il était vital de maintenir le plus possible le commerce et l’approvisionnement en fournitures essentielles.
Chers collègues, cet après-midi, j’ai demandé à la ministre si elle avait parlé de la situation avec le premier ministre, qui est député d’une circonscription de Montréal, la ville la plus touchée par cette crise, et je lui ai demandé ce que ce dernier avait fait à ce sujet. Elle n’avait pas de réponse pour moi. Le premier ministre est resté les bras croisés au lieu d’agir proactivement et énergiquement pour résoudre le problème. Par conséquent, aucune action décisive n’a été prise pour éviter les importants arrêts de travail qui se produisent actuellement.
Quelles sont certaines des conséquences de cette inaction? On en a déjà parlé, mais laissez-moi en répéter quelques-unes.
De façon plus immédiate, la grève générale illimitée qui a commencé le 26 avril a interrompu la circulation de 270 millions de dollars de marchandises chaque semaine. La grève menace directement le gagne-pain d’environ 19 000 Canadiens, dont le travail dépend du port. La grève cause des dommages à l’économie canadienne d’une valeur d’environ 40 à 100 millions de dollars par semaine. Plus la grève durera longtemps, plus il y aura de dommages, et pourtant, des sénateurs disent qu’ils n’appuieront pas la mesure législative et qu’ils laisseront ce genre de problèmes économiques coûteux perdurer.
Essentiellement, le problème que nous avons actuellement est que les perturbations économiques causées par la grève sont tellement importantes que, même quand cette dernière sera terminée, la reprise prendra sans doute beaucoup de temps.
Nous savons que l’arrêt de travail de l’an dernier a coûté 600 millions de dollars aux Canadiens. Le volume d’affaires qui passait par le port de Montréal a chuté de près de 10 %. Selon des fonctionnaires qui ont offert une séance d’information aux sénateurs cette semaine, ces pertes pourraient être permanentes, puisque de nombreuses entreprises font désormais passer leurs marchandises par des ports de la côte Est des États-Unis plutôt que par Montréal. C’est donc dire que les pertes permanentes subies l’an dernier risquent probablement de s’aggraver.
Selon un article paru récemment dans le Financial Post, la grève affaiblit encore la crédibilité du Canada à titre de pays manufacturier concurrentiel et doté d’une infrastructure commerciale fiable. L’an dernier, il a fallu trois mois pour rattraper les retards causés par l’arrêt de travail et les perturbations qu’il a entraînées.
Je n’ai pas besoin d’expliquer aux sénateurs les conséquences d’un tel retard dans certains secteurs, comme le secteur agricole. Le port de Montréal traite chaque année près de 900 millions de dollars de produits agricoles conteneurisés. Les producteurs agricoles canadiens savaient très bien que, si l’accès à ce port essentiel était interrompu, les conséquences seraient dévastatrices.
Voici un exemple. Des milliers de tonnes d’engrais importés, dont les agriculteurs ont besoin, passent par le port de Montréal. Des parlementaires de la Chambre des communes ont souligné que, si cette grève se poursuit, jusqu’à un million d’acres de terres de l’Est canadien risquent de ne pas être fertilisées.
Les sérieuses préoccupations concernant la fermeture possible du port de Montréal ont été soulevées à la Chambre par les députés conservateurs, pas plus tard que le mois dernier. Il ne fait donc aucun doute que le gouvernement était au courant du problème. Pourtant, aucune mesure concrète n’a été prise, malgré les arrêts de travail qui ont eu lieu au port l’an dernier.
Dans l’énoncé concernant la Charte que le gouvernement a lui-même produit au sujet du projet de loi, celui-ci soutient que le projet de loi est justifié parce que « la reprise et le maintien des activités portuaires sont importants pour l’ensemble de l’économie canadienne ».
Dans l’énoncé, on affirme :
Le projet de loi empêcherait des préjudices économiques persistants et importants aux entreprises canadiennes, aux employés et à ceux qui dépendent de leurs services.
On y ajoute que « ces préjudices sont aggravés par la pandémie de Covid-19 [...] » et que « de grandes entreprises ont commencé à détourner des marchandises du port [...] »
Tous ces motifs juridiques pour le projet de loi étaient présents et apparents bien avant la grève actuelle. Ils étaient manifestes durant la grève de l’an dernier, qui est survenue également durant la pandémie. Et pourtant, le gouvernement semble avoir été vaincu par l’inertie. Il aurait pu au moins redoubler ses efforts de médiation auprès des deux parties. Il aurait dû s’impliquer beaucoup plus activement et se montrer résolu à ne pas laisser la situation se détériorer au point d’en arriver à un arrêt de travail. Les ministres eux-mêmes auraient dû s’impliquer directement.
Tous les sénateurs dans cette enceinte appuient sans réserve le droit à la négociation collective. Cependant, le gouvernement a aussi comme devoir fondamental de protéger l’économie et l’ensemble des travailleurs et des entreprises du pays pendant la période des plus exceptionnelles que nous vivons actuellement.
La Cour suprême du Canada a elle-même établi que le droit d’association peut être limité quand il est question de services essentiels. Ces limites peuvent être particulièrement nécessaires dans des situations « d’une urgence nationale extrême, mais seulement pendant une période limitée ».
Je crois que peu de gens diraient que la situation actuelle n’est pas d’une urgence nationale extrême. Ce qui m’inquiète énormément, c’est que la façon dont le gouvernement est en train de gérer la crise qui touche actuellement le port de Montréal ressemble à l’approche qu’il adopte de façon générale à l’égard d’un grand nombre de problèmes découlant de la pandémie mondiale. Le gouvernement réagit constamment aux événements à mesure qu’ils se produisent. On pouvait peut-être le lui pardonner pendant les premières semaines de la crise, mais c’est complètement injustifiable maintenant.
Depuis le début de la crise, le gouvernement a rarement pris des mesures proactives qui lui auraient permis de prendre de l’avance. Je pense que c’est pour cela que la plupart des Canadiens ne sont toujours pas vaccinés et que le gouvernement tente essentiellement de régler ces problèmes en empruntant et en dépensant le plus d’argent possible.
Au sujet de la grève au port de Montréal, tout ce que le gouvernement peut faire maintenant, c’est de tenter désespérément de fermer la porte de l’écurie après que le cheval s’est enfui. Le gouvernement a affirmé que le projet de loi permettrait de mettre un frein aux dommages causés à l’économie du Canada, qui est déjà fragilisée en raison de la pandémie de COVID-19.
Sauf que la réalité, honorables collègues, c’est que le mal est déjà fait. Tout ce que le gouvernement peut faire maintenant, c’est de tenter de limiter les dommages.
Le gouvernement a dit que la solution proposée dans le projet de loi fournira au syndicat et à l’employeur un processus neutre pour enfin résoudre le conflit qui les oppose depuis plusieurs années et établir une nouvelle convention collective équitable.
Pourquoi donc le gouvernement a-t-il attendu la crise actuelle pour prendre une telle mesure? Au sujet de la crise au port de Montréal, Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, a dit ce qui suit :
La crainte d’une deuxième grève en sept mois a perturbé les chaînes d’approvisionnement de l’ensemble des secteurs d’activité et entravé la relance économique du Canada en cette période de grave récession.
Nous pressons tous les membres du Parlement d’adopter rapidement le projet de loi afin de prévenir les lourdes conséquences d’une grève sur la situation de l’emploi et sur la relance économique du Canada.
Honorables collègues, je suis aussi d’avis qu’il faut agir. Je voterai également pour ce projet de loi. J’aurais simplement voulu qu’une telle mesure soit prise beaucoup plus tôt. Merci, honorables collègues.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à ce débat très important. J’ai écouté très attentivement les interventions. J’apprécie particulièrement le point de vue exprimé par la sénatrice Lankin.
Je veux résumer rapidement les arguments qui éclairent la façon dont je vais voter. Pour ce qui est de la sécurité et du matériel médical essentiel, les arguments liés à la COVID-19 et à la pandémie ne tiennent pas la route. Les syndicats ont toujours été disposés à ne pas viser, dans le cadre de leur grève, les cargaisons de matériel médical pour lutter contre la pandémie. De surcroît, la très grande majorité du matériel pour lutter contre la pandémie est transportée par voie aérienne et non par voie maritime.
Différentes personnes aujourd’hui ont parlé de l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, dans laquelle la Cour suprême a statué que le droit de grève était protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et qu’il constituait un élément essentiel de tout processus de négociation collective efficace dans le système de relations de travail. Ce droit n’est pas seulement un dérivé de la négociation collective, mais une composante indispensable de celle-ci. La grève est un instrument puissant de la négociation collective. Lorsque les négociations de bonne foi échouent, le fait de pouvoir interrompre collectivement les services permet aux travailleurs de continuer de participer activement à l’atteinte de leurs objectifs collectifs en milieu de travail.
Honorables sénateurs, il est certes vrai qu’aucun droit garanti par la Charte n’est absolu. Cependant, les conditions nécessaires pour déroger à ce droit ne sont pas présentes. La Cour suprême a rendu par le passé plusieurs décisions reconnaissant les valeurs consacrées par la Charte — y compris la dignité humaine, l’égalité, la liberté, le respect de l’autonomie de la personne et le renforcement de la démocratie — et protégeant le droit à un processus véritable de négociation collective dans le cadre de l’alinéa 2d) de la Charte.
Le droit de grève est un élément essentiel de la concrétisation de ces valeurs et du processus de négociation collective parce qu’il permet aux travailleurs de se retirer collectivement du travail quand la négociation collective aboutit à une impasse. Les grèves permettent alors aux travailleurs de refuser, de manière concertée, de travailler dans les conditions imposées. Cette action collective lors d’une impasse représente une affirmation des valeurs mentionnées plus tôt.
Je remercie le sénateur MacDonald d’avoir souligné si clairement le coup de force effectué par l’employeur, et la façon dont cela lui a profité.
Le Canada est signataire d’instruments internationaux qui garantissent le droit de grève. Le droit international protège le droit de grève, c’est un fait. Compte tenu du contexte historique et international et de la jurisprudence, il est clair que la capacité de cesser collectivement d’offrir un service dans le cadre de la négociation d’une entente constitue un minimum incompressible du respect de la liberté d’association en matière de relations de travail au Canada, comme le garantit l’alinéa 2d) de la Charte.
La Convention no 98 de l’Organisation internationale du travail mentionne, à l’article 4, ceci :
Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d’employeurs d’une part, et les organisations de travailleurs d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi.
Le Canada n’a ratifié cette convention qu’en 2017, ce qui signifie que le gouvernement actuel est bien au fait de ces obligations.
Enfin, l’argument voulant que ces services soient essentiels et que cela justifie de suspendre le droit de grève a clairement été rejeté. Dans sa décision, le Conseil canadien des relations industrielles l’affirme clairement :
En l’espèce, les risques imminents et graves pour la santé et la sécurité du public liés au déroutage des navires, advenant la cessation des activités de débardage au Port de Montréal, n’ont pas été démontrés.
Le conseil ajoute ensuite :
Il est indéniable qu’une grève des débardeurs au Port de Montréal, voire un simple ralentissement des activités, aura des conséquences certaines pour tous les intervenants de la chaîne logistique dont fait partie le Port de Montréal. Les lignes maritimes, les compagnies de logistique, les fabricants, les distributeurs, les réseaux de chemin de fer, l’industrie du camionnage et les destinataires en seront affectés à divers degrés, et des augmentations des coûts de transport et, possiblement, des droits de douane se feront sentir.
Chers collègues, nous avons entendu ces arguments formulés durant notre débat et j’estime très important que nous reconnaissions le fait que le conseil poursuit ainsi :
[...] dans ses décisions antérieures en matière de services essentiels, [le Conseil a indiqué] que le droit de grève est protégé par le Code, au même titre que le droit de lock-out. Ces droits sont exercés par une partie engagée dans un conflit de travail afin d’exercer des pressions économiques sur la partie adverse et de l’inciter à conclure une convention collective.
Le fait de maintenir les services de débardage dans leur intégralité comme le demande l’employeur, advenant le déclenchement d’une grève — et ce, sans une preuve directe et convaincante que ce niveau de service correspond aux exigences de l’article 87.4 du Code — rendrait inefficace l’exercice du droit de grève [...]
La liberté de négocier collectivement est gravement compromise si les employés ne peuvent pas exercer leur droit de grève pour faire contrepoids à la puissance économique de l’employeur.
En conséquence, le Conseil est d’avis que la preuve est insuffisante pour qu’il accueille la demande présentée par l’employeur afin que soit maintenue la totalité des services de débardage [...] Le Conseil n’est pas convaincu, à la lumière de la preuve présentée, qu’il serait nécessaire de maintenir toutes les activités de débardage, tel que le demande l’employeur [...]
En résumé, honorables sénateurs, ceux dont la responsabilité est de réglementer l’industrie ont bien réfléchi à la question, ils ont pris une décision très récemment, et rien de nouveau n’a été proposé dans le projet de loi dont nous sommes saisis. Pour ces raisons, j’appuie le droit de grève et je vais voter contre le projet de loi. Je vous remercie, meegwetch.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)