Aller au contenu

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés—Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

16 juin 2022


L’honorable Peter Harder [ + ]

Propose que le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

L’honorable Michael L. MacDonald

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à propos du projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Quand j’ai parlé de ces mesures législatives pour la première fois à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné les objectifs que le gouvernement a déclaré vouloir concrétiser avec ce projet de loi. Premièrement, il vise à réorganiser les dispositions existantes en matière d’interdiction de territoire relatives aux sanctions dans le but d’établir un motif distinct d’interdiction de territoire pour sanctions en fonction de sanctions que le Canada pourrait imposer en réponse à un acte d’agression. Deuxièmement, il propose d’élargir la portée de l’interdiction de territoire pour sanctions en incluant les sanctions imposées non seulement à l’égard d’un pays, mais aussi à l’égard d’une entité ou d’une personne. Troisièmement, il propose d’élargir la portée de l’interdiction de territoire pour sanctions en incluant tous les décrets et règlements pris en vertu de l’article 4 de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Enfin, il modifie le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés pour, notamment, prévoir que le ministre de la Sécurité publique aura le pouvoir de prendre des mesures de renvoi en raison de l’interdiction de territoire pour sanctions visée au nouvel alinéa 35.1(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Ces mesures semblent être très générales sur certains aspects. Elles sont censées remédier aux lacunes dans la loi, surtout pour veiller à ce que les individus qui appuient le régime russe actuel soient interdits de territoire au Canada. Il est évident que c’est ce que nous voulons tous.

Cependant, comme je l’ai souligné dans mes remarques à l’étape de la deuxième lecture, il arrive que nos mesures supposément fortes soient présentées comme étant plus fortes et nécessaires qu’elles ne le sont réellement. Certains des témoins qui ont comparu au cours de l’étude sur ce projet de loi l’ont confirmé.

Lorsque Mme Andrea Charron, directrice du Centre for Defence and Security Studies de l’Université du Manitoba a témoigné, elle a affirmé que le projet de loi « confirme [la] tendance [du Canada] à peaufiner les détails de la loi sans s’attaquer aux problèmes fondamentaux de ses politiques et processus ».

Dernièrement, il est beaucoup trop fréquent qu’on entende cette critique au sujet des projets de loi du gouvernement. Bon nombre des projets de loi présentés par le gouvernement contiennent des mesures qui sont de plus en plus amenées de façon réactive pour répondre à la hâte aux événements extérieurs. Ce sont des mesures bâclées qui sont symboliques et cela paraît.

Lorsque Mme Charron a parlé du projet de loi S-8 au comité, elle a déploré que le gouvernement semble souvent présenter des solutions législatives aux problèmes qui relèvent plutôt des processus et des politiques.

Le gouvernement actuel essaie de faire bonne figure tout en évitant les consultations, ainsi que le travail plus complet et plus difficile en matière d’élaboration de politiques. Le gouvernement a déclaré que le projet de loi S-8 est nécessaire pour corriger une échappatoire de la loi selon laquelle une personne pourrait être considérée comme admissible au Canada, malgré les sanctions dont elle fait l’objet. Mais comme l’a demandé Mme Charron, y a-t-il eu un cas d’étranger sous sanction et interdit de territoire qui s’est vu accorder l’entrée au Canada? Elle a indiqué que cela ne semble s’être jamais produit.

En effet, lorsque Richard St Marseille, directeur général, Politiques sur l’immigration et les examens externes à l’Agence des services frontaliers du Canada, a comparu devant le comité, il nous a informés qu’aucune personne sanctionnée ne semble être entrée au Canada au cours des cinq dernières années. Évidemment, il y a eu des refus à l’étranger : 5 en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et 10 en vertu de la loi de Magnitski. Mais même ces refus font partie des 1 858 personnes sanctionnées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et des quelque 2 200 personnes inscrites sur la liste pour divers motifs de sanction.

Aucune de ces personnes ne semble être entrée au Canada et, de toute évidence, moins de 1 % ont même tenté de présenter une demande en ce sens à l’étranger. Mme Charron a soutenu que les principales lacunes du régime de sanctions canadien ne sont pas d’ordre législatif, mais qu’elles découlent plutôt du fait que « [...] le Canada manque parfois de clarté quant aux motifs des sanctions ainsi qu’aux conditions qui doivent être remplies avant qu’elles soient levées ». Autrement dit, Mme Charron affirme que le principal problème est le manque de clarté et de cohérence des politiques.

La fin de semaine dernière, je n’ai pu faire autrement que de penser aux propos de Mme Charron lorsque nous avons appris qu’une haute fonctionnaire d’Affaires mondiales Canada avait assisté aux célébrations de la fête nationale à l’ambassade de la Russie. Le gouvernement soutient qu’il s’agissait d’une erreur, mais je me demande bien honnêtement comment une telle erreur a pu se produire.

Si une telle erreur est possible dans le contexte international actuel, alors il n’est guère surprenant d’apprendre qu’il pourrait y avoir un manque de clarté et de cohérence dans nos politiques lorsque vient le temps de coordonner efficacement les efforts à l’égard des sanctions, ou même la mise en œuvre de tout élément de nos politiques internationales.

Malheureusement, le projet de loi S-8 ressemble à une initiative conçue pour donner l’impression qu’on fait quelque chose plutôt que pour faire quoi que ce soit de concret. Cela dit, il se pourrait que certaines mesures incluses dans le projet de loi S-8 soient vraiment utiles. En principe, il se pourrait que l’on doive corriger des lacunes d’ordre juridique entre le régime de sanctions et les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés relatives à l’interdiction de territoire. Cependant, je dois dire que je n’en suis pas tout à fait convaincu, puisque le gouvernement n’a pas démontré clairement en quoi ce projet de loi est nécessaire.

Le comité a aussi entendu Mario Bellissimo, qui a prévenu que le projet de loi S-8 élargit et restreint à la fois les dispositions sur l’interdiction de territoire. Il soutient que le projet de loi introduit même des ambiguïtés considérables qui peuvent être en partie attribuables à un manque de planification et de réflexion.

M. Bellissimo a fait valoir que cette ambiguïté pourrait créer de nouveaux problèmes inattendus, y compris l’ambiguïté de savoir si un étranger faisant l’objet de sanctions peut être traité comme une personne ayant enfreint les droits de la personne, qu’il ait lui-même pris part à des actes répréhensibles ou non. Malheureusement, le témoignage de M. Bellissimo révèle également un manque probable d’attention stratégique envers les enjeux de politiques qui entourent la création d’un tel projet de loi.

Tout cela m’amène à conclure que le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui est en grande partie une mesure réactive. Cependant, je peux l’appuyer vu qu’il réglerait certains problèmes mineurs. Par contre, je souhaiterais que le gouvernement agisse de façon un peu plus réfléchie et proactive, et qu’il consulte et écoute vraiment les personnes touchées, comme les personnes si bien informées qui ont témoigné au comité. Si le gouvernement agissait de la sorte, nous pourrions commencer à voir des politiques plus réfléchies et globales.

Les Canadiens devraient être mieux servis à cet égard. Il y aurait moins de projets de loi qui occupent le temps des législateurs pour finalement n’accomplir que peu de choses. Cela dit, malgré mes préoccupations légitimes, il vaut mieux accomplir peu de choses en adoptant ce projet de loi que ne rien faire du tout. Voilà pourquoi j’encourage les honorables sénateurs à l’appuyer. Merci.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole très brièvement pour aborder le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Je n’ai pas eu l’occasion d’apporter mon appui à ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, et je prends donc un peu de votre temps aujourd’hui pour le faire.

Je ne répéterai pas les éléments essentiels du projet de loi. Le parrain de ce projet de loi, le sénateur Harder, ainsi que d’autres vous en ont parlé.

En bref, ce projet de loi harmonise nos aspirations à l’égard du régime de sanctions à la loi appropriée d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour faire en sorte que les personnes sanctionnées pour diverses raisons dans le cadre de la Loi sur les mesures économiques spéciales ou de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus ne soient pas admises au Canada par inadvertance.

La main droite doit savoir ce que fait la main gauche, et c’est ce que vise ce projet de loi.

Je crois qu’il s’agit d’un projet de loi d’ordre administratif. Néanmoins, il est urgent et il faut nous assurer de saisir l’occasion.

Ces amendements sont essentiels. Qu’il suffise de penser au contexte horrible de l’Ukraine : des villes et des localités décimées, des milliers de morts, un carnage brutal laissé derrière par les envahisseurs, des fosses communes, des gens dont les mains ont été attachées dans le dos, de la torture, des viols, etc.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné le déplacement de presque 7 millions de personnes, qui ont fui vers la Pologne, la Roumanie, la Moldova, la Hongrie, la Slovaquie et le Canada. Malheureusement, puisque ce conflit semble interminable, je crains que d’autres personnes soient déplacées.

Nous savons aussi que la Russie a interné des dizaines de milliers d’Ukrainiens dans des camps en Russie. On estime que 200 000 enfants figurent parmi les personnes enlevées de l’Ukraine et envoyées en Russie. La Russie les a essentiellement enlevées.

Tout cela est horrible. Cependant, s’il y a une lueur d’espoir dans toute cette situation, aussi mince soit-elle, c’est que tous les pays aux vues similaires ont uni leurs efforts pour infliger diverses sanctions aux Russes.

Un bon exemple de cela est évidemment les sanctions rapides et sévères imposées à la Russie concernant le système SWIFT, ainsi que par d’autres organisations. Je suis heureuse que le gouvernement adopte maintenant une approche plus globale à l’égard de nos régimes de sanctions, dans le cadre de ce projet de loi et d’autres modifications prévues dans la loi d’exécution du budget concernant la réaffectation et la confiscation des avoirs gelés. Ces deux mesures législatives renforceront davantage la détermination du Canada à tenir responsables de leurs actes les entités étrangères, de même que les dirigeants étrangers et leurs hommes de main, qui sont corrompus et ont commis des violations des droits de la personne, ainsi que de graves violations de la paix et de la sécurité.

Aucun régime de sanctions imposé par un seul pays ne peut être aussi efficace qu’un régime découlant de la collaboration et de la coordination des efforts de pays aux vues similaires. Cependant, nous devons au moins assurer une harmonisation et une coordination internes des efforts.

Comme le parrain du projet de loi l’a mentionné, l’application de ce projet de loi concerne bien plus que la Russie ou le Bélarus. Il pourra s’appliquer à des personnes ou à des entités visées par des sanctions venant de pays comme l’Iran, le Myanmar, le Soudan du Sud, la Syrie, le Venezuela, le Zimbabwe et la Corée du Nord.

Ce projet de loi est pertinent de bien d’autres façons. Pour commencer, fondamentalement, nous ne voulons pas accueillir des individus visés par des sanctions au Canada. Nous ne voulons pas de leur argent, nous ne souhaitons pas leur présence, et le Canada ne devrait en aucun cas être un refuge temporaire ou permanent pour eux.

Deuxièmement, il est logique d’harmoniser la Loi sur les mesures économiques spéciales avec la loi de Sergueï Magnitski. La loi de Magnitski fixe déjà des motifs d’interdiction de territoire pour les personnes ayant participé à de graves violations des droits de la personne, à des actes de torture et à des actes de corruption de grande envergure. Il est judicieux de disposer de régimes de sanctions cohérents entre eux.

Enfin, nous savons que les sanctions appliquées par le Canada et par d’autres pays donnent des résultats. Comme nous l’avons appris, certains oligarques russes ont commencé à parler, et il faut resserrer l’étau de toutes les façons possibles.

En conclusion, chers collègues, depuis bien trop longtemps, des entités et des responsables étrangers criminels, violents et corrompus agissent en toute impunité. Le gouvernement a besoin de plus d’outils pour obliger les dirigeants agressifs à rendre des comptes, et le projet de loi S-8 nous donne une nouvelle façon de le faire. Il ne suffit pas de les dénoncer. Les sanctions ne suffisent pas. Nous devons veiller à ce qu’ils ne mettent jamais les pieds au Canada, car nous savons tous il me semble, qu’une fois qu’ils sont au Canada, il est extrêmement difficile de les expulser.

Je me permettrais de reprendre une phrase du discours du sénateur Woo sur le projet de loi S-6, quand il nous a exhortés à renvoyer le projet de loi S-6 à l’autre endroit. Je vous exhorte à faire de même en renvoyant ce projet de loi avec la mention « très urgent ». Je vous remercie, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Haut de page