Projet de loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
30 novembre 2023
Propose que le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui en tant que parrain au Sénat du projet de loi C-280, Loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais. Le projet de loi dont nous sommes saisis, une initiative du député d’York—Simcoe, Scot Davidson, a reçu un appui quasi unanime à l’étape de la troisième lecture à l’autre endroit, qui l’a adopté par 315 voix contre 1.
Chers collègues, il est facile de tenir pour acquis notre accès à la nourriture et à une bonne alimentation. La plupart d’entre nous se contentent d’aller au supermarché le plus proche chaque semaine, de mettre dans leur chariot les produits habituels dont ils ne peuvent pas se passer, puis de remplir leur réfrigérateur et leur garde‑manger à la maison. Nous oublions à quel point nous dépendons des producteurs de ces aliments : les agriculteurs. Nous comptons sur eux trois fois par jour, tous les jours.
Les agriculteurs ont toujours joué un rôle essentiel dans notre pays. À bien des égards, ils constituent la pierre angulaire de l’industrie alimentaire. Ils sont une main-d’œuvre indispensable. Ils nourrissent les familles et les collectivités canadiennes, qu’elles soient rurales ou urbaines, grandes ou petites.
Cependant, malgré leur rôle essentiel dans l’approvisionnement de nos familles et de nos collectivités en fruits et légumes nutritifs, les producteurs maraîchers, en particulier, étant donné la nature de leurs produits, sont vulnérables sur le plan financier. C’est ce problème que le projet de loi C-280 propose de remédier.
Les lois actuelles sur la faillite ne prévoient pas de protection financière adéquate pour les producteurs canadiens de fruits et légumes frais. Contrairement aux agriculteurs des autres secteurs, les producteurs de fruits et légumes sont spécialement vulnérables parce que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la législation connexe ne tiennent pas compte de la nature particulière de ce secteur et notamment du fait que les produits deviennent rapidement périssables.
Si un acheteur de fruits et légumes frais devient subitement insolvable et qu’il n’est pas en mesure de payer ses fournisseurs ou ne les paie pas, ces derniers subiront vraisemblablement une perte, sans pouvoir récupérer leur dû ni leurs produits. À l’heure actuelle, selon les lois en vigueur, il est pratiquement impossible pour les agriculteurs de récupérer la valeur pécuniaire des produits livrés. De plus, une fois les procédures d’insolvabilité terminées, les fruits et légumes livrés sont gâtés depuis longtemps et ils sont irrécupérables pour la vente.
Par surcroît, les modalités de paiement en vigueur dans le secteur aggravent la vulnérabilité des producteurs de fruits et légumes parce qu’elles prévoient que l’acheteur a plus de 30 jours après la livraison pour payer le fournisseur. Dans une industrie où la marge de profit est déjà mince, de telles modalités de paiement rendent le producteur particulièrement vulnérable en cas d’insolvabilité de l’acheteur, situation qui est malheureusement assez courante, je dirais même plus courante qu’on ne l’imagine.
Le secteur est surtout constitué de petits et moyens producteurs, dont bon nombre de fermes familiales. Comme ils n’ont pas la protection financière nécessaire, ces agriculteurs sont souvent dans l’impossibilité de réinvestir suffisamment dans leur entreprise, ce qui limite énormément le potentiel de croissance du secteur.
Une autre difficulté à laquelle se heurtent les producteurs : la perte de protection aux termes de la Perishable Agricultural Commodities Act, une loi américaine qui accordait un traitement préférentiel et une protection aux entreprises canadiennes qui vendent aux États-Unis. Cette protection a été révoquée en 2014 en raison de l’absence de mécanisme réciproque au Canada. Cette décision est venue accroître le risque financier auquel sont exposés les producteurs maraîchers.
Le projet de loi C-280 offre au secteur la protection financière dont il a besoin.
Le projet de loi propose d’établir une fiducie réputée limitée pour les vendeurs de fruits et légumes frais, ce qui leur donnerait un accès prioritaire au produit de la vente, mais dans les limites de l’inventaire, des comptes débiteurs et de l’argent provenant de la vente des produits durant la procédure de faillite d’un acheteur insolvable.
En établissant une fiducie réputée limitée et en donnant un accès prioritaire au produit de la vente, le projet de loi C-280 garantirait que les lois canadiennes sur la faillite tiennent compte des difficultés et des exigences propres aux producteurs de fruits et légumes. Il leur fournirait des protections financières qui sont justifiées compte tenu de la nature particulièrement périssable des fruits et légumes frais et des longs délais de paiement qui sont actuellement la norme dans l’industrie.
Comme je l’ai dit, chers collègues, le projet de loi C-280 a reçu l’appui de tous les partis à l’autre endroit, puisqu’il a été adopté presque à l’unanimité dans une proportion de 315 contre 1. Il s’agit vraiment d’une question non partisane.
Il est question de fournir à ce secteur essentiel les protections dont il a besoin en reconnaissant la nature unique de l’industrie et les lacunes actuelles de nos lois sur la faillite. Il est question d’assurer la viabilité et la croissance de ce secteur et du secteur agricole canadien.
Il est également important de noter que le projet de loi n’entraîne aucun coût pour le gouvernement ou les contribuables. Le gouvernement ne serait pas tenu d’assumer une quelconque responsabilité financière ni de rembourser des pertes.
Le projet de loi C-280 jouit également de l’appui de l’ensemble de l’industrie. En fait, elle réclame ces dispositions depuis des années.
Pendant l’étude de ce projet de loi, le Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes a entendu des intervenants de l’industrie.
Keith Currie, président de la Fédération canadienne de l’agriculture, a déclaré ceci :
Ce projet de loi fournirait le soutien financier nécessaire pour le secteur des fruits et des légumes frais, qui soutient environ 250 000 emplois dans le pays, mais il fait bien plus que cela. Le projet de loi C-280 vise à préserver la fibre des collectivités agricoles locales et rurales, à maintenir l’intégrité de nos chaînes d’approvisionnement alimentaire et à soutenir la sécurité alimentaire nationale du Canada.
Il a poursuivi :
[...] la gestion des risques représente une grande partie de ce que nous faisons. Dès que la graine est semée ou que le veau naît, il y a un risque qu’il n’y ait pas de récolte au bout du compte ou que ce veau ne serve pas à la traite ou n’aille pas sur le marché. Cependant, contrairement à la culture commerciale, à l’élevage de bétail ou aux producteurs assujettis à la gestion de l’offre au Canada, les producteurs de fruits et légumes frais font face à des risques et à des coûts supplémentaires propres à la production de denrées périssables.
M. Currie a souligné que le gouvernement a mis en place des mesures de protection pour des entités d’autres secteurs, y compris, par exemple, la Commission canadienne des grains, qui détient une garantie financière d’environ 1 milliard de dollars auprès de titulaires de licences individuels pour payer les vendeurs de grains au cas où un acheteur de grains deviendrait insolvable. Cependant, le secteur des fruits et légumes ne bénéficie pas d’une telle sécurité financière.
M. Currie a dit que la Fédération canadienne de l’agriculture appuyait le projet de loi C-280, qu’il a décrit comme « une solution sur mesure à une lacune évidente dans notre boîte à outils de gestion des risques pour les producteurs canadiens ».
L’association des Producteurs de fruits et légumes du Canada, ou PFLC, appuie aussi le projet de loi avec vigueur et elle espère qu’il sera adopté rapidement. Comme l’a expliqué le représentant de l’association lorsqu’il a comparu devant le Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire :
Le projet de loi offre un cadre qui renforce la stabilité de notre secteur et favorise l’équité dans les pratiques commerciales, garantissant ainsi la viabilité et la croissance de notre secteur pour les années à venir.
Les PFLC estiment que ce projet de loi change la donne, en offrant à nos membres les protections dont ils ont grandement besoin et en leur permettant d’accéder à de nouveaux marchés. [...]
Une industrie canadienne des fruits et légumes plus robuste et plus sécuritaire, appuyée par ces mesures de protection, aiderait à réagir aux préoccupations croissantes du Canada en matière de sécurité et de souveraineté alimentaires.
L’association a aussi expliqué l’importance de certains détails du projet de loi :
Un aspect essentiel du projet de loi est que, une fois que le produit de la vente de fruits et légumes frais est réputé être détenu en fiducie par le fournisseur, il n’est pas inclus dans les biens de l’entreprise. C’est important, car cela signifie que ces actifs seraient protégés, et cela n’empêche pas les autres créanciers d’accéder à leurs réclamations...
En outre, les définitions comprises dans le projet de loi tiennent compte des réalités de notre secteur. Il est important de reconnaître que les fruits et légumes peuvent être réemballés ou transformés, tout en demeurant la propriété effective du fournisseur.
Chers collègues, cette mesure législative ouvrira possiblement la voie à rétablir la protection des producteurs canadiens aux États-Unis au moyen de la Perishable Agricultural Commodities Act. Comme je l’ai déjà indiqué, la protection de cette loi a été révoquée pour les entreprises canadiennes il y a presque dix ans en raison de l’absence de mécanisme réciproque au Canada. Le rétablissement de la protection en vertu de la loi américaine pour les exportateurs canadiens serait chaleureusement accueilli par nos producteurs. Cela leur accorderait un traitement préférentiel et un mécanisme de règlement des différends, des mesures cruciales pour les entreprises canadiennes qui vendent leurs produits aux États-Unis.
Patrice Bourgoin, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, avait fait écho à ce sentiment lors de sa comparution devant le comité. Il avait déclaré que le projet de loi C-280 « reflète les paramètres d’un modèle efficace et éprouvé utilisé aux États-Unis », et que « l’introduction d’un mécanisme de protection financière au Canada ouvrirait la porte au rétablissement du traitement préférentiel en vertu de la loi américaine. »
Le représentant de l’Association des producteurs maraîchers du Québec avait aussi expliqué l’importance de protéger et de stabiliser la chaîne d’approvisionnement, je le cite :
Si un des maillons n’est pas payé, l’effet se répercute dans tout le système jusqu’à l’exploitation agricole familiale elle-même.
Chers collègues, le projet de loi C-280 offre une solution sous forme d’un filet de sécurité que l’industrie souhaite et dont elle a besoin.
Encore une fois, cela n’entraîne pas de fardeau pour le gouvernement ni pour les contribuables.
Cette mesure législative créerait un marché plus prévisible et stable en offrant à nos agriculteurs les garanties financières qu’ils méritent, des garanties financières qui leur permettront de réinvestir dans leur entreprise et qui finiront par mener à des baisses de coûts pour les Canadiens. Les consommateurs devraient économiser entre 5 % et 15 % sur leurs achats annuels de fruits et de légumes frais.
Chers collègues, ce projet de loi va changer la donne dans ce secteur. Je vous demande d’appuyer son renvoi au comité le plus rapidement possible.
Merci.
L’honorable sénateur MacDonald veut-il répondre à une question?
Certainement.
Merci, sénateur, de votre discours exhaustif, qui nous rappelle la fragilité du secteur agricole de notre pays et plus particulièrement, comme vous l’avez dit, la volatilité du prix des produits périssables et des intrants. La solution que vous offrez fait partie d’un train de mesures de gestion des risques pouvant aider les agriculteurs à composer avec cette volatilité, y compris dans d’autres secteurs agricoles, comme la volaille, les œufs et le séchage des grains.
Seriez-vous favorable à d’autres mesures de gestion des risques afin d’aider les producteurs de volailles, d’œufs, de grains, etc., à composer avec les véritables sources de volatilité?
Sénateur Woo, il faudrait que je voie les détails de la proposition, mais, assurément, je crois que c’est une chose que je pourrais appuyer en principe. Encore une fois, ce sont toujours les détails qui posent problème. Il faudrait que j’étudie ce qui est proposé.