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Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans

Troisième lecture--Suite du débat

26 avril 2022


L’honorable Nancy J. Hartling [ + ]

Honorables sénateurs, je m’adresse à vous de mon domicile à Riverview, au Nouveau-Brunswick, sur le territoire non cédé des Mi’kmaqs. Je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.

Je remercie sincèrement la sénatrice Mary Jane McCallum du leadership dont elle a fait preuve pour défendre ce projet de loi et de ses efforts continus pour nous expliquer et nous rappeler les nécessaires gestes de réconciliation.

L’objectif de mon bref discours est d’appuyer cet important projet de loi. J’ai découvert que beaucoup d’entre nous connaissent très mal les événements historiques et la culture des Autochtones, des Métis et des Inuits au Canada. Je suis sincèrement reconnaissante d’être ici et d’avoir continuellement des occasions de parfaire mes connaissances.

En tant que femme, je suis consciente du besoin d’honorer les femmes au moyen de rituels et de célébrations qui résonnent en elles de diverses façons. Je crois que le projet de loi S-219 encourage les femmes et les filles à porter leur jupe à rubans pour célébrer leur culture et qu’il leur fournit des occasions claires de le faire. Il crée aussi un cadre favorisant l’éducation, la décolonisation et la réconciliation. On peut lire ce qui suit dans le préambule du projet de loi :

Attendu : que les femmes autochtones sont des donneuses de vie et qu’elles usent du savoir traditionnel hérité pour prendre soin de leur famille, de leur communauté et de l’environnement;

que, depuis des siècles, la jupe à rubans est un symbole spirituel de féminité, d’identité, d’adaptation et de survie et qu’elle constitue pour les femmes un moyen de s’honorer elles-mêmes et d’honorer leur culture [...]

Pour commencer, je veux vous dire que j’ai été particulièrement touchée par l’histoire d’un des témoins du comité, c’est-à-dire Isabella Kulak, une fille de 11 ans de la Première Nation Cote en Saskatchewan, qui a raconté l’expérience qu’elle avait vécue en portant sa jupe à rubans à l’occasion de la journée de tenues habillées à son école.

Elle nous a dit qu’à son réveil ce jour-là, elle se sentait très fière et excitée à l’idée de porter sa jupe et qu’elle avait hâte d’arriver à l’école. Cependant, une fois à l’école, un auxiliaire d’enseignement l’a ridiculisée en affirmant que sa tenue n’était pas assez habillée.

Bien entendu, cette remarque a profondément blessé Isabella. Cependant, avec les encouragements de ses parents, Isabella a donné à cette mauvaise expérience un dénouement positif. Elle a commencé à parler publiquement et à obtenir beaucoup de soutien et de reconnaissance à propos de l’importance d’honorer et de porter une jupe à rubans.

Son récit captivant était déchirant. Il m’a fait penser à toutes ces jeunes filles comme Isabella dont l’estime d’elles-mêmes a été anéantie par une simple remarque. Anouk Bella, ma petite-fille de 11 ans, me fait penser à Isabella. Ce sont tant de jeunes filles si précieuses au grand cœur et aux idées passionnées. Isabella a fait entendre sa voix et elle est devenue une leader. Elle a parlé de son expérience et elle a aidé beaucoup de gens à comprendre la valeur du port de la jupe à rubans.

Isabella a transformé un événement qui aurait pu être tragique en un résultat positif. Je crois effectivement que le projet de loi S-219 créera des occasions d’honorer ces femmes et ces filles que l’on a si souvent muselées. Les difficultés sont même peut-être pires pour les femmes et les filles des Premières Nations marginalisées qui ont été touchées par des traumatismes intergénérationnels et dont la voix n’a pas été entendue.

En me renseignant au sujet de la jupe à rubans, j’ai trouvé des articles intéressants de partout au Canada et j’aimerais vous en transmettre les grandes lignes.

La jupe à rubans autochtone fait partie intégrante de nombreuses tranches de la société canadienne. Le regain d’intérêt pour la jupe à rubans autochtone revêt différentes significations pour les femmes qui la portent. Par exemple, dans l’Ouest canadien, Suzanne Life-Yeomans, présidente du First Nations Women’s Council on Economic Security et membre de l’Alberta Joint Working Group on Missing and Murdered Indigenous Women and Girls, a déclaré que sa mère a perdu sa culture autochtone en raison des pensionnats autochtones et de la rafle des années 1960 :

[...] lorsque je porte ma jupe à rubans, cela apaise mon esprit et me rapproche de la Terre mère. J’espère aider d’autres Autochtones à embrasser fièrement leur culture ainsi que les enseignements concernant la confection et le port de la jupe à rubans.

Georgina Lightning, une cinéaste, scénariste et actrice des Premières Nations, a déclaré :

[...] on porte la jupe à rubans en symbole d’une grande force, de fierté et d’espoir pour un avenir meilleur dans notre défense commune de nos enfants, de nos petits-enfants et de toutes les générations à venir.

Puis, j’ai été très heureuse de trouver aussi des exemples dans l’Est du Canada.

Annie Bernard-Daisley, la première cheffe de la Première Nation We’koqma’q, en Nouvelle-Écosse, a expliqué que :

[...] le port de la jupe à rubans vient avec un sentiment d’habilitation, parce que vous portez plus qu’une jupe, vous portez un symbole de votre culture et de vos croyances ancestrales et de l’identité du peuple mi’kmaq. Ce vêtement est l’expression de notre histoire, de notre résilience et surtout [...] des valeurs que nous défendons [...]

Avant de devenir cheffe, Mme Bernard-Daisley a travaillé pour l’association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse. La jupe à rubans qu’elle porte a été confectionnée par Candia Flynn de l’organisme Healing Stitches de façon à refléter ce qui compte le plus pour la cheffe : son rôle de mère de trois filles, son travail au sujet des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées et ses racines familiales.

Le 6 mars 2022, CBC présentait un reportage sur la Première Nation de Fort Folly, qui se trouve à seulement 30 kilomètres de chez moi, au Nouveau-Brunswick. Il était question d’un nouvel endroit où on peut emprunter des costumes traditionnels dans la Première Nation de Fort Folly, au Nouveau-Brunswick. Tous ceux qui ont besoin d’un costume traditionnel peuvent s’y rendre pour en obtenir un et il est également possible d’y apprendre à confectionner ses propres costumes.

Nicole Porter, qui est coordonnatrice culturelle et responsable du projet, en a expliqué le fonctionnement. L’idée de créer un tel endroit lui a semblé importante, car sa communauté connaissait un regain d’intérêt pour la culture et ressentait le besoin d’avoir accès à des costumes traditionnels pour les cérémonies ancestrales ou les sueries, à l’occasion desquelles les femmes doivent parfois porter des jupes à rubans.

Non seulement Nicole a des jupes à prêter, mais elle enseigne aussi aux femmes comment les fabriquer. Selon elle, réduire, réutiliser et recycler constituent un aspect important du projet.

Laura Lymburner, a qui Nicole a appris à fabriquer sa propre jupe de rubans, a déclaré que cela :

[...] m’a vraiment aidée à prendre conscience de mon rôle en tant que femme dans ma communauté, à comprendre notre caractère sacré et notre pouvoir, et à renouer avec la culture, par le biais de cette jupe.

Pour terminer, je souhaite vous faire part de l’histoire inspirante d’Agnes Woodward, une couturière crie des plaines de la Première Nation de Kawacatoose, en Saskatchewan, qui vit maintenant au Dakota du Nord.

Grâce à son entreprise, ReeCreeations, elle conçoit et vend des jupes à rubans. Woodword a déclaré :

La jupe est avant tout une question de représentation, c’est-à-dire de la façon dont les femmes autochtones choisissent de [se] représenter, et cela est particulièrement important aujourd’hui, car on les a réduites au silence.

Agnès a eu le grand honneur de confectionner une jupe de rubans pour la cérémonie d’assermentation de la première secrétaire de l’Intérieur autochtone des États-Unis, Deb Haaland. Ce moment était historique à bien des égards, car la première vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, faisait assermenter la première Secrétaire à l’Intérieur autochtone, Deb Haaland. La magnifique jupe bleu royal que portait Deb était décorée d’un arc-en-ciel de rubans de satin, superposés d’une tige de maïs artistique, de papillons bleu nuit et d’étoiles, et avait été confectionnée avec soin par Agnes Woodward, une Canadienne.

Ici, au Canada, la cérémonie a été très appréciée par de nombreuses personnes, notamment la cheffe Annie Bernard-Daisley, qui a regardé l’assermentation avec un groupe de femmes en Nouvelle-Écosse. Tout le monde avait les larmes aux yeux.

Ces genres d’événements et de liens sont d’une importance cruciale, surtout pour montrer aux jeunes filles des modèles de ce qui est possible. Il y a tellement d’histoires que j’ai trouvées très intéressantes sur ce sujet.

Chers collègues, la jupe à rubans possède un grand pouvoir et représente un moyen de faire avancer la réconciliation et de favoriser l’équité à l’égard des femmes et des filles autochtones. Grâce à elle, faisons un premier pas en ce sens en appuyant cet important projet de loi. Welalioq.

Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.

Je vais d’abord décrire les origines de la jupe à rubans, sur laquelle porte le projet de loi. Cette jupe semble dater du XVIIIe siècle, lors de l’élargissement des relations entre les tribus des Grands Lacs et les colons français. La pratique qui consiste à intégrer des rubans dans des vêtements autochtones semble s’être répandue après que la soie est devenue démodée en France, à la suite de la Révolution française. À l’époque, il y avait plus d’échanges de biens, y compris de rubans. Les fabricants de vêtements autochtones des régions des Prairies et des Grands Lacs ont commencé à intégrer les rubans de soie colorés à leurs œuvres.

Toutefois, il existe des traces de l’utilisation des rubans dans l’art autochtone bien plus anciennes. Dans l’Est, les femmes mi’kmaqs ont commencé au XVIIe siècle à remplacer les peaux et les fourrures des vêtements par des tissus qu’elles décoraient parfois de perles de verre et de rubans de soie.

Selon le Musée public de Milwaukee :

Le premier cas enregistré de vêtement orné de rubans satinés est une robe de mariée menominee fabriquée en 1802. Les ouvrages en rubans ont atteint leur apogée dans le dernier quart du XIXe siècle, quand leur fabrication a arrêté d’être réservée aux tribus des Grands Lacs et qu’elle s’est étendue à plusieurs tribus des Prairies, des plaines et du Nord-Est.

Même si les matériaux utilisés pour produire des jupes à rubans ne sont pas d’origine autochtone, la méthode d’application utilisée pour créer l’aspect plié du ruban est devenue un marqueur visuel d’identité depuis des siècles.

Dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, la sénatrice McCallum a évoqué les propos d’une aînée métisse concernant l’importance de la coupe de la jupe :

[Elle dit que c’est comme] un tipi qu’on porte, la pointe entourant la taille. En parcourant la Terre, c’est comme si on la protégeait tout en étant reliée à elle. C’est ce genre d’enseignement qu’on recherchera à l’approche de la discussion sur l’origine de cette jupe.

Il est important de reconnaître que la jupe à rubans revêt une grande importance pour les communautés autochtones et pour les femmes qui la portent. Elle représente la force, la résilience, l’identité culturelle et la féminité. Il est nécessaire de rappeler ce contexte pour comprendre l’importance d’un incident qui a eu lieu en Saskatchewan le 18 décembre 2020. Même si vous avez entendu cette histoire plusieurs fois auparavant — notamment dans l’intervention que la sénatrice Hartling vient de faire — il reste que cette histoire inspirante mérite d’être répétée.

C’est l’histoire d’Isabella Kulak, une jeune fille de 10 ans de la Première Nation Cote, en Saskatchewan. Le 18 décembre 2020, son école avait organisé une journée de tenues habillées. Isabella portait fièrement une jupe à rubans traditionnelle. Malheureusement, elle a été humiliée par une éducatrice qui ne comprenait pas la signification de cette jupe. Avec tristesse, Isabelle a enlevé sa jupe et l’a mise dans son sac à dos. Lorsqu’elle est retournée chez elle, elle a raconté à ses parents ce qui s’était passé.

Lorsque les détails de l’incident ont été connus, Isabella a reçu du soutien de sa communauté et de partout dans le monde. Comme Isabella l’a déclaré au Comité des peuples autochtones : « C’est comme si le monde s’était réveillé. »

Le mois suivant, le 4 janvier 2021, Isabella est retournée à l’école pour la première fois à la suite de l’incident. Elle était accompagnée des dirigeants de sa nation et de nombreuses femmes de sa communauté qui portaient toutes des jupes à rubans. Voilà qui justifie l’importance de désigner le 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans.

Le 4 janvier 2022, l’école que fréquente Isabella a célébré pour la première fois la Journée nationale de la jupe à rubans comme symbole de réconciliation et de sensibilisation, et a invité des élèves d’autres nationalités à porter un costume représentatif de leur identité culturelle. Comme Isabella l’a dit : « Ce fut la plus belle journée de ma vie. »

Le mois dernier, plus précisément le 21 mars, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones s’est réuni pour étudier le projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans. Cette mesure législative montre l’importance des jupes à rubans, sensibilise les Canadiens et leur donne l’occasion d’en apprendre davantage sur les cultures et le patrimoine autochtones.

Lisa J. Smith, directrice principale à l’Association des femmes autochtones du Canada, a déclaré lors d’une séance du comité sur l’étude du projet de loi :

La culture autochtone doit être célébrée de la manière dont Isabella l’a démontré [...] il n’y a actuellement aucune journée de célébration de la culture autochtone reconnue par le gouvernement fédéral pendant l’hiver. L’AFAC soutient que la désignation du 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans est une mesure qui sera bien accueillie pour faire avancer la réconciliation.

[...] il s’agit de la vérité et de la réconciliation à l’œuvre.

Comme l’a dit la sénatrice McCallum lors de son témoignage à une réunion du comité :

[...] le fait de désigner chaque année le 4 janvier pour reconnaître la jupe à rubans est fondamentalement un geste de réconciliation et de conciliation. Cela sert non seulement à défendre et à honorer un objet culturel de grande importance aux yeux de nombreuses personnes autochtones au Canada, mais également à reconnaître et à valoriser l’autodétermination.

Avant de conclure, j’aimerais parler des excuses historiques présentées par le pape le 1er avril, qui ont été très médiatisées. Il y avait plusieurs vidéos sur des sites médiatiques qui montraient des femmes portant des jupes à rubans, tandis qu’un autre site avait une galerie de photos qui comprenait également des photos de femmes portant des jupes à rubans. Sans ce projet de loi, je n’aurais pas reconnu la jupe.

Le projet de loi S-219 propose de désigner le 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans. J’encourage mes collègues à appuyer le projet de loi.

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