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Projet de loi d'exécution de l'énoncé économique de l'automne 2022

Deuxième lecture

13 décembre 2022


Honorables sénateurs, la partie 4 du projet de loi C-32 fournira au ministre des Finances 2 milliards de dollars pour l’achat d’actions d’une société qui n’est pas nommée et n’existe pas. Le projet de loi ne fournit aucun renseignement à son sujet, sinon que ce sera :

[...] une filiale à cent pour cent de la Corporation de développement des investissements du Canada chargée d’administrer le Fonds de croissance du Canada.

Le projet de loi n’explique pas la signification du terme « administrer ». La société n’a pas encore été créée et il n’y a pas de renseignements à son sujet. Le projet de loi ne fournit aucun renseignement quant à la composition du conseil d’administration et ne précise même pas s’il y en aura un. Il n’y a aucun renseignement sur le mandat et la fonction de la société, ni sur sa structure de gouvernance; on ne sait pas de qui elle relèvera ni comment elle rendra des comptes aux Canadiens et aux parlementaires.

Il n’y a aucun renseignement concernant la gestion financière et le contrôle financier de plus de 2 milliards de dollars. Comme la société n’existe pas, qu’est-ce que la ministre a l’intention de faire de ces 2 milliards? Conservera-t-elle l’argent jusqu’à la création de la société ou l’investira-t-elle et dans ce cas, où?

Une autre disposition tout aussi préoccupante du projet de loi autorise le ministre à prélever sur le Trésor « [...] tout autre montant supérieur précisé dans une loi de crédits ». Aucun montant maximal n’est indiqué.

Honorables sénateurs, les dispositions législatives du projet de loi C-32 qui se rapportent aux dépenses d’au moins 2 milliards de dollars font seulement 18 lignes et ne fournissent pas de détails sur ces dépenses ni d’information sur la filiale visée.

Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement indique que les revenus qu’il désigne comme les « autres revenus projetés » ont été révisés à la baisse et que c’est « principalement attribuable à l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur les revenus de la Banque du Canada ». Dans ses états financiers du troisième trimestre, la Banque du Canada a enregistré une perte — une première en 87 ans d’histoire — qui s’élève à 522 millions de dollars.

Ces pertes ne sont pas couvertes par une entente d’indemnisation, contrairement aux pertes liées à l’achat d’obligations d’État, qui sont couvertes par une entente d’indemnisation conclue avec le gouvernement et qui seront assumées par le gouvernement fédéral. Avec la hausse des taux d’intérêt, les intérêts sur les dépôts bancaires augmentent. Cependant, le taux d’intérêt perçu sur les obligations du gouvernement du Canada que la banque a achetées pendant la pandémie est beaucoup plus faible. La perte enregistrée par la Banque du Canada est attribuable à cet écart entre les intérêts perçus à faible taux et les frais d’intérêt assumés à un taux plus élevé.

Il y a donc lieu de se demander comment la banque et le gouvernement traiteront ces pertes. Je m’attendais à ce que l’énoncé économique de l’automne indique comment ces pertes seraient traitées. Le gouvernement remboursera-t-il la banque pour ces pertes? Les pertes seront-elles plutôt accumulées dans le bilan de la banque? Puisqu’on s’attend à ce que ces pertes se poursuivent dans l’avenir, les parlementaires et les Canadiens devraient être informés du sort réservé à ces éléments.

Honorables sénateurs, la présentation tardive des comptes publics continue de poser problème. Cette année, les comptes publics ont été déposés le 27 octobre, ce qui est un peu mieux que l’an dernier, où ils l’avaient été le 14 décembre, mais néanmoins plus tard que le 30 septembre, soit six mois après la fin de l’exercice financier.

Si les comptes publics ont été déposés cette année le 27 octobre, le rapport de la vérificatrice générale était en fait daté du 12 septembre, après quoi il a fallu 45 jours au gouvernement pour le déposer au Parlement. En moyenne, au cours de la dernière décennie, les comptes publics ont été déposés plus de deux mois après la conclusion de l’audit du vérificateur général. Autrement dit, il semble que le gouvernement retarde le dépôt des comptes publics.

Lors d’une récente réunion du Comité sénatorial des finances, la vérificatrice générale Karen Hogan nous a assuré que son bureau terminerait l’audit des comptes publics à temps pour permettre un dépôt avant le 30 septembre. Elle a ajouté que, habituellement, elle approuve les comptes publics au début de septembre et qu’elle serait prête à devancer cela de quelques semaines, au besoin, pour respecter tous les délais de publication.

Les normes avancées sur les rapports financiers du Fonds monétaire international recommandent que les gouvernements publient leurs états financiers annuels dans les six mois suivant la fin de l’exercice financier. Les parlementaires et les Canadiens ont besoin d’accéder à cette information dans les plus brefs délais afin que les renseignements fournis soient à jour et non dépassés.

Honorables sénateurs, l’Allocation canadienne pour les travailleurs est un crédit d’impôt remboursable visant à aider les Canadiens qui travaillent, mais gagnent un petit salaire. Dans l’énoncé économique de l’automne, on a annoncé une modification de la politique gouvernementale concernant cette allocation. Les personnes seules recevront 1 395 $ si leur revenu net modifié est de 22 944 $ ou moins. Pour les gens dont les revenus se situent entre ce montant et 32 244 $, le montant de l’allocation est réduit. Les familles, quant à elles, obtiendront 2 403 $ si leur revenu net modifié est de 26 177 $ ou moins. Les familles dont les revenus se situent entre ce montant et 42 197 $ verront pour leur part le montant de leur allocation être réduit.

Sur les 52 milliards de dollars en nouvelles dépenses que prévoit l’énoncé économique de l’automne, 4 milliards de dollars sont liés aux changements apportés à l’Allocation canadienne pour les travailleurs. À compter de l’année prochaine, tous les travailleurs qui sont admissibles à cette allocation selon leurs revenus de l’année précédente recevront des paiements anticipés tous les trois mois au lieu d’un paiement forfaitaire après avoir présenté leur déclaration de revenus.

Cependant, la révision de l’allocation a également entraîné un changement. Sous l’ancien régime, le paiement était versé seulement après que le travailleur eut soumis sa déclaration de revenus. Si le travailleur avait opté pour un paiement anticipé partiel, tout trop-payé déterminé après la soumission de la déclaration de revenus devait alors être remboursé à l’État. En revanche, sous le nouveau régime de paiements anticipés trimestriels, qui sont versés avant la soumission de la déclaration de revenus, tout trop-payé établi d’après la déclaration de revenus soumise n’aura pas à être remboursé. Le coût considérable de ce changement — 4 milliards de dollars — découle en grande partie de la décision du gouvernement de ne pas récupérer ces trop-payés lorsque les travailleurs ne sont plus admissibles à ces prestations ou qu’ils ont droit à des montants inférieurs.

Cependant, le nouveau régime introduit des injustices dans le régime fiscal et dans le programme lui-même. Par exemple, on se retrouvera avec des situations où, même si deux travailleurs reçoivent le même salaire au cours d’une année donnée, seul l’un d’eux recevra l’Allocation canadienne pour les travailleurs parce qu’il y était admissible l’année précédente. En effet, si un travailleur était admissible à l’allocation l’année précédente, mais que son revenu est plus élevé cette année et dépasse le plafond de l’allocation, il recevra quand même l’Allocation canadienne pour les travailleurs et il n’aura pas à rembourser le trop-perçu. Comparons cette situation à celle d’un collègue qui reçoit le même salaire pour la même année, mais qui était inadmissible à l’allocation l’année précédente : ce travailleur ne recevra aucune Allocation canadienne pour les travailleurs. Le fait de ne pas exiger le remboursement d’une prestation qui a été versée à des particuliers non admissibles déroge au régime fédéral d’imposition actuel.

Le directeur parlementaire du budget nous a dit que le coût substantiel de cette mesure est en grande partie attribuable à la décision stratégique du gouvernement de ne pas recouvrer les paiements anticipés lorsque les revenus des bénéficiaires augmentent et que ces derniers ne sont plus admissibles aux prestations, ou qu’ils y sont à un niveau inférieur. Il a ajouté que le fait de ne pas exiger le remboursement des prestations fédérales aux particuliers non admissibles déroge passablement au régime fédéral d’imposition et de transferts actuel.

Honorables sénateurs, deux des modifications proposées dans la partie 1 du projet de loi C-32 concernent l’Agence du revenu du Canada. L’alinéa 1q) du projet de loi renforce les règles relatives à l’évitement des dettes fiscales lorsqu’un contribuable transfère des actifs à une personne ayant un lien de dépendance pour une contrepartie insuffisante.

La deuxième modification fait suite à une décision du tribunal, qui a remis en question la mesure dans laquelle les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada peuvent obliger les gens à fournir toute l’aide raisonnable et à répondre à toutes les questions pertinentes à l’application ou l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu.

La modification vise à renforcer la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois afin de s’assurer que l’Agence du revenu du Canada a le pouvoir d’obliger une personne à répondre à des questions de vive voix ou par écrit. Malheureusement, les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada qui ont comparu devant le Comité des finances nationales n’ont pas été en mesure d’expliquer si ces modifications répondent aux préoccupations soulevées dans leur rapport sur l’écart fiscal fédéral global récemment publié, intitulé Rapport sur l’écart fiscal fédéral global : Estimations et principales constatations concernant l’inobservation pour les années d’imposition 2014 à 2018, et si les modifications aideront l’Agence du revenu du Canada à percevoir les impôts qui font partie de ce soi-disant écart fiscal.

Dans le rapport sur l’écart fiscal fédéral global récemment publié, l’Agence du revenu du Canada estime que l’écart fiscal se situe entre 35 et 40 milliards de dollars. L’écart fiscal est une mesure de la perte potentielle de recettes fiscales résultant de l’inobservation fiscale. Bien qu’elle reconnaisse l’existence de l’écart fiscal et qu’elle fournit une estimation, l’Agence du revenu du Canada ne fait pas de progrès pour recouvrer les sommes dues. On a plutôt l’impression qu’elle se concentre sur les contribuables qui respectent déjà les règles fiscales. Le recouvrement d’une partie seulement de l’écart fiscal de 40 milliards de dollars réduirait considérablement le déficit du gouvernement. Par conséquent, des efforts supplémentaires devraient être déployés pour recouvrer ces sommes.

L’énoncé économique de l’automne contient une liste des nouvelles initiatives en plus de celles mises en œuvre depuis le budget de 2022. Ensemble, ces initiatives totalisent 52 milliards de dollars sur six ans, soit jusqu’à la fin de mars 2028. Toutefois, sur ces 52 milliards de dollars, 14 milliards de dollars sont liés à des initiatives au sujet desquelles il n’y a aucune information. Lorsqu’il est venu témoigner à notre Comité des finances nationales, le directeur parlementaire du budget a déclaré que cette somme inexpliquée de 14 milliards de dollars n’est pas un cas isolé, qu’il s’agit du plus gros montant non détaillé depuis 2016 et que la précision du montant laisse supposer que le gouvernement sait exactement à quoi il va servir. Toutefois, lorsque le gouvernement annoncera des initiatives liées à ces 14 milliards de dollars, il ne parlera pas des 14 milliards dont il est question ici. Les parlementaires seront incapables d’associer ces 14 milliards à quoi que ce soit. Nous ne saurons pas si ces 14 milliards de dollars vont être utilisés ou s’ils serviront simplement une fois de plus de coussin de sécurité ou en cas d’urgence.

Ce n’est pas inhabituel de la part du gouvernement actuel. Il pare aux situations imprévues et, en établissant le nouveau plafond de la dette, il y a deux ans, il a inclus un coussin de sécurité de 5 % en prévision de nouveaux emprunts ainsi qu’un double du coussin prévu cinq ans plus tôt au moment de l’établissement du précédent plafond de la dette. Le gouvernement aime se donner une bonne marge de manœuvre lorsqu’il s’agit de dépenser et d’emprunter, et la transparence n’est pas sa priorité.

Dans le budget d’avril 2022, le gouvernement a annoncé deux examens des dépenses qui mettraient l’accent sur l’ensemble des dépenses du gouvernement. Premièrement, on procéderait à un examen de la politique stratégique pour évaluer l’efficacité du programme, trouver des économies et réaffecter les ressources pour adapter les programmes et les activités du gouvernement à la nouvelle réalité de l’après-pandémie. On estime que l’examen de la politique stratégique devrait permettre d’économiser 6 milliards de dollars sur trois ans, à compter de 2024-2025.

Dans un second examen des dépenses, le gouvernement a déclaré qu’il examinerait les plans de dépenses annoncés précédemment dans la perspective de réduire le rythme et l’envergure des dépenses qui n’ont pas encore eu lieu — c’est la formulation utilisée — jusqu’à un maximum de 3 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années, ou 750 millions de dollars par année à partir de 2023-2024. Je souligne que le gouvernement s’est engagé à se concentrer sur les dépenses qui n’ont pas encore eu lieu et que ce sont ces dépenses futures qu’il vise à réduire. Dans son énoncé économique de l’automne, le gouvernement a annoncé qu’il avait déjà atteint les cibles d’économies de 3 milliards de dollars et plus parce que la participation aux mesures d’aide relatives à la COVID-19 de l’exercice précédent — c’est-à-dire 2021-2022 — dépassait la cible de 3 milliards de dollars.

Honorables sénateurs, dans le budget de 2022, le gouvernement a pris l’engagement de diminuer les dépenses dans les années à venir, et non pas de revenir à une période antérieure pour se servir des programmes terminés afin de s’attribuer le mérite d’avoir fait des économies qui, en réalité, avaient été réalisés avant qu’il ait pris son engagement. Manifestement, le gouvernement n’est pas à la hauteur de la tâche de gérer ses dépenses. Le gouvernement peut sûrement faire mieux que cela. Les Canadiens méritent mieux.

Avant de terminer, je soulève de nouveau la question de la réforme fiscale dont on a tellement besoin. La dernière révision majeure du régime fiscal canadien remonte à 1967. Bien des choses ont changé depuis lors : notre façon de vivre et de travailler a changé, les Canadiens vivent plus longtemps, les technologies sont en constante évolution et la proportion des femmes sur le marché du travail a augmenté considérablement. Le régime fiscal est devenu un ensemble disparate de nouveaux règlements, d’amendements, de mesures incitatives, et cetera. Il compte maintenant plus de 3 000 pages. Soit dit en passant, la première loi de l’impôt sur le revenu, adoptée en 1917 comptait... je pensais qu’elle comptait 10 pages, mais le sénateur Loffreda a dit 11, alors ce n’est pas un grand écart. La Loi de l’impôt sur le revenu du Canada est devenue inefficace et compliquée pour les Canadiens et les entreprises, ainsi que les professionnels, comme les comptables et les avocats. Peut-être n’aurions-nous plus besoin d’autant de comptables et d’avocats si le régime fiscal était réformé.

Il est même devenu difficile pour le gouvernement, particulièrement pour l’Agence du revenu du Canada, d’appliquer cette loi, comme le montre un audit mené en 2017 par le Bureau du vérificateur général : quand les vérificateurs ont posé à l’Agence du revenu du Canada des questions sur l’impôt, ils ont reçu des réponses erronées dans presque 30 % des cas. Beaucoup d’organisations professionnelles et de Canadiens sont en faveur d’un examen approfondi du régime fiscal. C’est notamment le cas de Comptables professionnels agréés Canada, du Business Council of British Columbia, de la Chambre de commerce du Canada, et de comités du Sénat et de la Chambre des communes.

J’encourage une fois de plus mes collègues à appuyer un examen approfondi du régime fiscal canadien. C’est ainsi que je conclus mes observations au sujet du projet de loi C-32. Merci.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Sénatrice Marshall, je reviens sur cette société inexistante. Si j’ai bien compris, non seulement la société inexistante que le gouvernement crée avec le projet de loi C-32 recevra-t-elle 2 milliards de dollars en vertu de ce projet de loi, mais elle pourrait aussi recevoir une somme supplémentaire non précisée. Si c’est bien le cas, la somme supplémentaire est-elle assujettie à un plafond maximal?

Je vous remercie. Votre interprétation du projet de loi est exacte. Il permet un versement précis de 2 milliards de dollars, prévu par la mesure législative elle-même. Une disposition permet aussi au ministre de demander des fonds provenant du Trésor, et aucune limite n’est prévue à cet effet. Nous n’avons aucune idée des sommes qui seront affectées à ce fonds après sa création.

La sénatrice Batters [ - ]

J’ai aussi été assez choquée par la réponse que vous avez reçue de la ministre des Finances lorsque vous l’avez interrogée au sujet de cette société non existante la semaine dernière, lors d’une réunion du Comité sénatorial des finances. Comme le rapporte Blacklock’s, vous lui avez demandé :

[...] 2 milliards de dollars sans aucune explication dans le projet de loi sur la manière dont ces 2 milliards vont être contrôlés. La société n’est même pas créée. Dans quoi allez‑vous acheter des actions? Il n’y a pas encore de société.

La ministre Freeland a répondu que la transition verte est essentielle. Selon Blacklock’s, la ministre des Finances n’a pas expliqué pourquoi la mesure n’est pas détaillée dans un projet de loi distinct.

Sénatrice Marshall, je me souviens des premiers jours de la pandémie de COVID. Le gouvernement Trudeau a utilisé l’un de ses premiers textes de loi pour créer ce que j’ai appelé à l’époque une « énorme société d’État », c’est-à-dire la capacité d’acheter d’énormes sociétés pour les utiliser à des fins gouvernementales. À ce moment-là, ils étaient capables de créer une société. Pourquoi n’ont-ils pas fait la même chose dans ce cas-ci?

Je n’en ai aucune idée, sénatrice Batters. Je pense que vous parlez de la filiale responsable du crédit d’urgence pour les grands employeurs. Cette filiale a été créée. D’ailleurs, il en a été question au Comité des finances, et le ministère des Finances nous a fourni toute l’information. Ce n’est probablement pas un bon exemple, et le sénateur Loffreda en a parlé, mais on peut aussi faire une comparaison avec la filiale responsable de la Banque de l’infrastructure du Canada, qui n’a pas été un grand succès, mais on a quand même créé une filiale distincte. Les mesures législatives relatives à cette filiale ont été incluses dans un projet de loi d’exécution du budget, et nous avons pu nous pencher là-dessus et demander des détails précis.

Dans ce cas-ci, il n’y a tout simplement aucun détail. Il n’y a aucune information. On parle seulement d’un montant d’au moins 2 milliards de dollars. On ne parle pas seulement de 2 milliards de dollars, mais d’au moins 2 milliards de dollars. Nous ne savons pas du tout comment on exercera un contrôle financier à cet égard. Nous ne savons rien à ce sujet.

Je sais que des gens consultent le document d’information et disent que celui-ci contient beaucoup d’information. On y trouve certains renseignements, mais on aurait dû inclure tout cela et plus encore dans le projet de loi. C’est donc une lacune importante.

L’honorable Tony Loffreda [ - ]

La sénatrice Marshall accepterait‑elle de répondre à une question? Je vous remercie de votre discours, toujours aussi perspicace.

Ne convenez-vous pas que la première étape commune à toute société et à tout investissement consiste en l’acquisition d’actions, et que c’est exactement ce qui se passe ici? Nous sommes en train d’acquérir pour 2 milliards de dollars d’actions dans une société d’État, une société affiliée qui appartient entièrement à la Corporation de développement des investissements du Canada à l’heure actuelle. Après l’acquisition des actions, nous nommerons un PDG et un conseil d’administration et mettrons la structure en place. Il y a un document d’information technique qui fournit le détail des objectifs et des valeurs.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, d’après mon expérience — j’ai parlé de 20 ans de vérification et je crois avoir toujours 40 ans, mais j’en ai plutôt 60, et 1984, c’était il y a longtemps —, le principal défi des fusions et des acquisitions consiste à intégrer l’acquisition et à obtenir les valeurs. Est-ce qu’ils ont nos valeurs? Nos valeurs seront différentes.

C’est une nouvelle société d’État. Nous acquérons les actions. Nous partons de zéro, comme je l’ai dit dans mon discours, et nous pouvons dorénavant bâtir de là, trouver le bon PDG et le bon conseil d’administration. N’êtes-vous pas d’accord avec cela? Ne convenez-vous pas que la première étape commune est l’acquisition d’actions? Comment faire autrement?

Non, je ne suis pas d’accord avec vous, sénateur Loffreda. La première étape aurait dû être d’établir la société d’État au moyen d’une loi, laquelle aurait dû être incluse dans le projet de loi. Toute l’information dont vous parlez, les questions touchant le conseil et autres, est incluse dans le document d’information — le gouvernement devrait l’avoir eue. En fait, ce devrait être dans le projet de loi.

La société n’existe pas — vous dites qu’il faut acheter des actions de la société, mais elle n’existe pas. Des actions de quoi la ministre achète-t-elle exactement? Quels mécanismes de contrôle s’appliquent aux 2 milliards de dollars? Sans oublier qu’il n’est pas seulement question de 2 milliards de dollars. Il s’agit de 2 milliards de dollars et d’autres montants supplémentaires afin qu’elle puisse réquisitionner de l’argent supplémentaire. Il n’y a aucune information sur la société. Il n’y a rien à ce sujet.

En tant que parlementaires, nous devrions être très préoccupés qu’une partie d’un projet de loi prévoie 2 milliards de dollars pour acheter des actions d’une société qui n’existe pas. Qui plus est, nous ne savons rien de la société. Tout ce dont nous disposons, ce sont quelques pages qualifiées de documents d’information. Si ces renseignements sont à ce point important, ils doivent être dans le projet de loi pour que nous en débattions.

Non, je ne suis pas d’accord avec vous. Je dirais que c’est une dépense de plus de 2 milliards de dollars sans mécanisme de contrôle.

Le sénateur Loffreda [ - ]

Ne croyez-vous pas qu’une chose aussi importante que le Fonds de croissance du Canada — je suis convaincu que, comme moi, vous avez lu trois fois le document d’information technique, donc je ne remets pas cela en question, et soit dit en passant, vous avez fait du bon travail dans votre discours —, mais ne convenez-vous pas que la bonne façon de procéder consiste à démarrer une nouvelle société d’État, et non, comme je l’ai mentionné dans mon discours, de l’intégrer, comme on l’a fait avec la Banque de l’infrastructure, à une société existante dont les valeurs et les objectifs sont totalement différents de ceux du Fonds de croissance du Canada, dont les objectifs sont clairs?

On le constate dans le document d’information technique et l’énoncé économique de l’automne : les objectifs sont clairs. L’intention du gouvernement par rapport à ce fonds de croissance est évidente, tous comme les objectifs et là où l’argent sera investi. Ces 2 milliards de dollars serviront à acheter des actions; viendra ensuite la nomination du chef de la direction et du conseil d’administration, suivie des investissements.

N’êtes-vous pas d’accord pour dire que le meilleur moyen de procéder est de partir à neuf en ce qui a trait aux technologies, d’autant plus que le matériel et les technologies deviennent très rapidement désuets?

Ne convenez-vous pas qu’il vaut mieux partir à neuf? Acheter des actions est la première étape courante pour créer une société. Vous ne croyez pas?

Je ne peux pas être d’accord avec vous, sénateur Loffreda, parce que la société en question n’a pas été créée. Elle n’existe pas. Le projet de loi nous dit de donner 2 milliards de dollars à la ministre pour qu’elle puisse acquérir des actions dans une filiale d’une société donnée. Je demande donc quel est le nom de cette société pour que je puisse me renseigner à son sujet, et quelqu’un me répond de ne pas m’inquiéter parce que cette société n’a pas encore été créée. On ne trouve rien à ce sujet dans la mesure législative. Vous affirmez qu’il y a un document d’information. Écoutez, je veux voir cette information dans la mesure législative. C’est là la bonne façon de procéder.

L’honorable Renée Dupuis [ - ]

La sénatrice Marshall accepterait‑elle de répondre à une question?

Oui, bien sûr.

La sénatrice Dupuis [ - ]

Merci. Je vous écoute toujours attentivement et j’ai de bonnes raisons de le faire. On porte souvent attention à la fin d’un discours, surtout s’il est long. Ce qui m’a frappée à la fin de votre discours, c’est que vous nous avez invités à travailler à la réforme du système de taxation. Vous avez fait état du fait que le système actuel date de 1967. Il y a donc eu une succession de gouvernements au pouvoir depuis ce temps.

À votre avis, quelle devrait être la priorité pour entreprendre cette révision en profondeur de notre système de taxation?

Je pense que la priorité devrait être accordée à l’ensemble du système. Je laisse au gouvernement le soin de décider de la manière dont il s’y prendra, mais il doit mettre en place une sorte de groupe de travail composé d’un bon échantillon de représentants du monde des affaires et du secteur caritatif. Il faut un bon échantillon de personnes. Je pense que ce sera une grosse entreprise.

Depuis que je suis membre du Comité des finances nationales, j’ai soulevé la question. Le sénateur Loffreda et le sénateur Duncan l’ont soulevée. Or, malgré toutes les personnes et organisations qui disent au gouvernement : « S’il vous plaît, réformez notre système d’imposition », il semble que le gouvernement ne se soit pas du tout efforcé de le faire.

Je vais vous donner un exemple. J’ai parlé de l’imposition des sociétés. Quelqu’un doit se pencher sur la façon dont les sociétés sont imposées, sur cette histoire de rachat d’actions. Ce qui se passe, c’est que le gouvernement introduit toutes ces nouvelles mesures, qu’il s’agisse d’augmenter les recettes ou de dépenser les recettes, et vous avez un gros méli-mélo de 3 000 pages. Le gouvernement doit mettre en place un groupe de travail pour examiner l’ensemble du système fiscal. Je ne pense pas qu’il puisse le faire petit à petit. Je pense qu’il faut procéder à un examen complet. Certaines administrations l’ont fait au cours des dernières années.

Je me souviens des changements apportés au régime fiscal en 1967, ce qui révèle mon âge. Le gouvernement doit vraiment agir. La législation fiscale est très compliquée. Je suis comptable de formation et même moi je m’y perds.

Son Honneur le Président [ - ]

Je suis désolé, sénatrice Dupuis, mais le temps de parole de la sénatrice Marshall est écoulé. Voulez‑vous poser une autre question?

La sénatrice Dupuis [ - ]

Toujours, oui.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Marshall, demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre aux questions?

Oui.

La sénatrice Dupuis [ - ]

Merci de votre réponse, sénatrice Marshall. Je comprends très bien l’idée de créer un groupe assez vaste avec une représentation élargie pour revoir l’ensemble du système. Vous avez parlé d’une initiative gouvernementale. Pensez‑vous que le Sénat, d’une manière ou d’une autre, aurait un rôle à jouer? Par exemple, le Comité sénatorial permanent des finances nationales pourrait-il entreprendre ce genre de réflexion?

Un certain nombre de membres du Comité sénatorial des finances ont fait la promotion de cette idée et nous l’avons inclus dans le rapport du Comité des finances. J’aimerais que plus de sénateurs en parlent. Si nous le faisions, peut-être que le gouvernement serait incité à faire quelque chose ou, du moins, à y réfléchir.

L’honorable Percy E. Downe [ - ]

Sénatrice Marshall, dans votre discours, vous avez parlé d’évasion fiscale et du travail de l’Agence du revenu du Canada. J’aimerais avoir votre avis au sujet des Panama Papers, révélés en avril 2016, et du fait que 894 Canadiens avaient des comptes dans ce pays. Nous le savons, il n’est pas illégal d’avoir des comptes bancaires à l’étranger, mais, d’après ce que nous savons, l’Agence du revenu du Canada est arrivée à un total de plus de 9 millions de dollars en impôts impayés pour 840 de ces Canadiens. C’était en 2016.

Des pays de partout sur la planète dont les citoyens avaient des comptes à Panama ont réussi à récupérer 1,2 milliard de dollars liés à l’affaire des Panama Papers. L’Australie a récupéré 92 millions de dollars, l’Allemagne, 183 millions de dollars et même l’Islande a réussi à récupérer 25 millions de dollars. Le Canada n’a pas encore récupéré un seul cent, et aucune accusation n’a été portée. Que proposez-vous que nous fassions à propos de l’Agence du revenu du Canada?

Je pense que l’Agence du revenu du Canada devrait commencer à faire son travail. Elle dispose en effet de très bons moyens. On lui a même accordé des ressources spécialement pour combler l’écart fiscal. Elle le mesure, mais ne fait rien pour y remédier. L’Agence du revenu du Canada doit assumer ses responsabilités et commencer à faire le travail pour lequel elle est payée.

Le sénateur Downe [ - ]

Je pense que le fait de savoir que les comptes de 106 Canadiens se trouvaient dans une banque du Liechtenstein il y a plus de 10 ans mine la confiance des Canadiens dans le système fiscal. Encore une fois, des sommes étaient dues et aucune accusation n’a été portée.

Deux ans plus tard, on a découvert les comptes de plus de 1 700 Canadiens dans une banque suisse. Encore une fois, au Canada, il n’y a eu aucune accusation ni aucune condamnation, contrairement à ce qui a été fait dans d’autres pays où des accusations ont été portées afin de recouvrer des fonds.

Pensez-vous qu’il y a deux poids, deux mesures au Canada? Vous y avez brièvement fait allusion dans votre intervention. Les Canadiens reçoivent un feuillet T4 et paient leurs impôts. L’Agence du revenu du Canada fait un excellent travail en matière de lutte contre l’évasion fiscale au pays. Cependant, pour ceux qui peuvent engager des avocats et des comptables, les chances d’être poursuivis sont nulles, voire inexistantes. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?

Oui, je suis d’accord. J’ai déjà soulevé la question plusieurs fois au Comité des finances, notamment lorsque l’Agence du revenu du Canada est venue y comparaître.

À une occasion, nous parlions de l’écart fiscal et du fait que l’agence ne s’en prend pas aux gens qui doivent de l’argent. Je me souviens de l’exemple d’un étudiant qui avait déclaré des frais de déplacement parce qu’il avait déménagé à Calgary après avoir obtenu son diplôme d’études universitaires. L’étudiant m’a raconté que l’Agence du revenu du Canada le talonnait pour qu’il paie environ 200 $ d’impôts.

J’ai dit aux représentants de l’agence que cela laisse aux contribuables l’impression qu’elle s’en prend aux cibles faciles. C’est ce que j’ai dit. Elle s’en prend aux cibles faciles et laisse les gros fraudeurs s’en tirer impunément.

L’autre chose qui se produit, c’est que tout le monde soupçonne les sociétés et les personnes à revenu élevé de frauder le fisc. Or, beaucoup d’entre elles paient tout l’impôt qu’elles doivent au gouvernement. Pourtant, nous avons un écart fiscal de 35 milliards à 40 milliards de dollars. Comment se fait-il que les gros fraudeurs s’en tirent impunément? Pourquoi ne paient-ils pas leur juste part?

C’est ce que la ministre des Finances répète constamment : chacun doit payer sa juste part. Qu’en est-il des particuliers et des sociétés qui contribuent à l’écart fiscal? Ils ne paient pas leur juste part. Il est temps que l’Agence du revenu du Canada et le gouvernement commencent à percevoir l’impôt qui leur est dû.

Nous devrions avoir un bilan plus sain.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Marshall, votre temps de parole est écoulé. Je sais que le sénateur Loffreda a une autre question. Demandez-vous plus de temps pour répondre à sa question?

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur le Président [ - ]

Le consentement n’est pas accordé.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Je prends moi aussi la parole au sujet du projet de loi C-32, Loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2022. Je parlerai d’un tout petit paragraphe du projet de loi. Vous l’aurez deviné, il est question d’organismes de bienfaisance. Je vous demande de faire preuve de bienveillance à mon égard, alors que j’accapare votre temps en cette heure tardive, mais c’est pour de bonnes raisons, chers collègues.

Pendant et après la pandémie, lorsque des Canadiens étaient dans le besoin, ce sont les nombreux organismes de bienfaisance du Canada qui ont pris la relève pour offrir des services essentiels. Ce n’était pas facile. Ce secteur n’a pas les ressources nécessaires pour effectuer facilement un changement de cap, mais il l’a fait. Il a donc réussi à offrir des services dont la population avait vraiment besoin, notamment les jeunes en détresse, les femmes dans les refuges et les personnes démunies qui n’avaient pas de quoi se nourrir.

Maintenant que nous sommes dans l’après-pandémie, ces organismes s’adaptent aux nouvelles demandes et à la nouvelle réalité. D’un côté, les demandes de services augmentent et, de l’autre, la quantité de dons diminue. Ce sont, une fois de plus, les organismes de bienfaisance qui essuient le coup. Ils seront soulagés et ils appuieront cette mesure dans le projet de loi qui a pour objectif de faire passer le contingent des versements des fondations de 3,5 % à 5 %. Comme l’a souligné le sénateur Loffreda, cette mesure générera près de 400 millions de dollars, voire plus, pour les organismes de bienfaisance partout au Canada.

Comme l’a précisé le gouvernement, les organismes de bienfaisance doivent dépenser chaque année un montant minimum calculé selon la valeur de leur investissement. Si une personne crée une fondation avec un investissement annuel de 10 millions de dollars pour lequel elle reçoit un crédit d’impôt pour don de charité, il est attendu qu’un montant de base provenant de ce crédit d’impôt doit être investi chaque année dans les activités de bienfaisance qui correspondent au mandat de la fondation. C’est ce qu’on appelle le contingent des versements, ou CV. Les organismes de bienfaisance utilisent l’acronyme CV et je vais donc aussi parler de CV. Ce dernier fait en sorte que les organismes de bienfaisance investissent dans nos collectivités au lieu d’accumuler les retours dans des comptes d’investissement.

En 1976, le gouvernement a fixé le CV à 5 %. Par la suite, il a baissé ce pourcentage à 4,5 %, et il est demeuré inchangé pendant 20 ans — c’est-à-dire jusqu’en 2004, où il a été réduit à 3,5 %. Cette politique était justifiée par une meilleure représentation des taux réels de retour à long terme que l’on connaissait à l’époque. Si vous vous souvenez, il y a eu une crise économique durant cette période. Toutefois, non seulement les marchés se sont stabilisés depuis cette crise, mais ils ont aussi généré des retours de 10 % ou plus. Or, le CV n’a pas été ajusté, et il est toujours fixé à 3,5 %.

À la suite des consultations menées auprès du secteur en 2021, le projet de loi C-32 propose d’instaurer un nouveau contingent des versements graduel pour les organismes de bienfaisance. Pour les actifs d’investissement supérieurs à 1 million de dollars, le taux du CV passera de 3,5 % à 5 %. Ce nouveau taux plus élevé augmentera le soutien au secteur des organismes de bienfaisance tout en étant fixé à un niveau qui est viable et qui assure une disponibilité continue du financement à long terme.

Chers collègues, je soutiens cette mesure pour des raisons évidentes. Elle apporte davantage de fonds privés aux organismes de bienfaisance. Elle nous met sur un pied d’égalité avec des États semblables, comme les États-Unis. Il s’agit d’un changement modeste de 3,5 % à 5 %. Certains défenseurs ont fait pression pour que le CV soit de 10 %, ce qui aurait permis d’attribuer plus d’argent aux organismes de bienfaisance. Je pense qu’un passage à 10 % aurait été trop grand et qu’il aurait sérieusement déstabilisé le secteur. Je suis tout à fait favorable à une approche prudente.

Qui sera touché? Il existe environ 5 800 fondations privées au Canada, dont l’actif s’élève à quelque 80 milliards de dollars. Il y a aussi des organismes de bienfaisance, comme le YMCA, qui ont des fonds de dotation et des fiducies. Au total, comme l’a mentionné le sénateur Loffreda, leurs actifs s’élèvent à 116 milliards de dollars.

Selon les estimations, le nouveau seuil proposé de 5 % pour le CV entraînera des déboursés supplémentaires de 300 à 500 millions de dollars par année à compter de 2023. Honorables sénateurs, ce n’est pas de la menue monnaie. Étant donné les besoins actuels, comme la réconciliation, la justice raciale et l’équité, pour n’en nommer que quelques-uns, une augmentation du contingent des versements représente une ambition politique raisonnable.

Comme toujours, dans le secteur des fondations également, il y a des chefs de file et des retardataires. Certaines fondations déboursent déjà plus de 3,5 %, alors que d’autres n’atteignent pas le seuil. Pour ne citer qu’un exemple de leadership, chers collègues, la semaine dernière, la Fondation de Winnipeg a reçu 500 millions de dollars d’une personne, Miriam Bergen — le don le plus important jamais fait par un particulier dans l’histoire du Canada. La Fondation Ivey — une fondation de renom au Canada — a annoncé la semaine dernière qu’elle ne se contenterait pas de respecter le contingent de versements, mais qu’elle dépenserait la totalité de son capital de 100 millions de dollars au cours des cinq prochaines années. Ils vont tout dépenser.

Ceci, chers collègues, ne donne qu’un aperçu de la générosité des Canadiens. Cependant, il existe de nombreux fonds de dotation, fiducies et fondations qui font moins que le strict minimum. Il existe de nombreuses fondations dites « familiales » qui font moins que ce que l’on pourrait attendre d’elles, étant donné les avantages fiscaux importants dont elles bénéficient lors de leur constitution.

Les fondations sont, soit dit en passant, un secteur en plein essor, dont le taux de croissance est plus élevé que celui des autres organismes de bienfaisance. C’est, bien sûr, une bonne chose. D’une part, cela signifie que les gens sont généreux et que la richesse augmente à un rythme suffisamment rapide pour que des particuliers créent de telles entités. D’autre part, cela signifie que davantage d’argent est injecté dans la collectivité pour répondre à divers besoins considérés comme relevant de la charité par la loi.

Cette modification au contingent des versements arrive à point nommé. Comme vous vous en souviendrez, en juin de l’année dernière, nous avons adopté le projet de loi C-19, qui a créé une troisième façon pour les organismes de bienfaisance de travailler avec d’autres types d’organismes sans être coincés par les critères de « propres activités » et de « direction et contrôle ». Cette mesure a fourni une approche raisonnable et responsable pour se débarrasser d’une forme de racisme systémique profondément ancrée dans la Loi de l’impôt sur le revenu, qui faisait en sorte que toute propriété intellectuelle découlant d’une entente appartenait à l’organisme de bienfaisance et non au partenaire. Je ne reviendrai pas sur les arguments présentés. Vous avez approuvé la mesure législative à l’unanimité et, heureusement, elle est devenue loi.

Chers collègues, il s’agit là d’importants changements. Il y aura maintenant des partenariats solides et efficaces. La hausse du taux de contingent des versements entraînera une augmentation du montant absolu consacré à des causes. De plus, ces nouveaux changements permettront une répartition plus équitable des fonds de charité, qui rejoindront les communautés autochtones, noires et de couleur ainsi que les secteurs de développement local de l’hémisphère Sud.

Je devrais vous dire que, même si j’appuie la proposition, il y a eu quelques observations initiales de la part des fondations dont j’aimerais vous faire part.

D’abord, nous savons que les marchés vivent des bouleversements économiques depuis un an, et les fondations s’inquiètent du rendement de leurs placements dans ce contexte.

Deuxièmement, certaines fondations ont des règlements qui exigent qu’elles conservent à perpétuité leurs fonds d’établissement. Ces œuvres de bienfaisance et ces fondations se trouvent dans la situation peu enviable où elles doivent faire des investissements risqués afin de respecter le relèvement du contingent des versements.

Cependant, je suis d’avis que tout ce qui monte finit par redescendre, et tout ce qui descend doit forcément remonter — du moins, c’est ce que je me dis chaque fois que je regarde les retours sur mes propres investissements.

De plus, si une fondation ou une œuvre de bienfaisance se trouve en situation de grande difficulté, elle peut demander à l’Agence du revenu du Canada une considération particulière et s’entendre avec elle pour verser moins de 5 %. Le nouveau projet de loi prévoit que l’Agence du revenu du Canada serait tenue, en vertu de la loi, de publier tous les arrangements de ce genre aux fins de transparence. Il s’agit d’un nouveau et heureux changement.

Chers collègues, si le principe du projet de loi est d’encourager plus de dons de bienfaisance à la collectivité, il rate une occasion importante parce que la modification ne couvre pas l’instrument de dons de charité qui connaît la croissance la plus rapide au Canada, soit les fonds de bienfaisance.

Les fonds orientés par les donateurs permettent à un groupe ou à un particulier de donner de l’argent à une fondation de bienfaisance ou à une fondation d’entreprise, qui s’occupe de la totalité de l’administration, de la gouvernance et de l’établissement de rapports, moyennant une contrepartie, en général un pourcentage de l’actif total. Le donateur reçoit un reçu à des fins fiscales pour la somme totale au moment de la création du fonds, mais il n’est pas nécessaire de débourser des fonds chaque année. La somme investie dans le fonds peut croître et être investie par l’institution, sans être dépensée sur des causes importantes.

Puisqu’il est plus simple d’établir un fond orienté par les donateurs qu’une fondation privée, bon nombre de philanthropes choisissent cette nouvelle solution plus simple. Elle exige moins de gouvernance et de gestion, et elle cause moins de maux de tête, ce qui est positif. Le problème vient du déboursement.

L’entité de portefeuille, qui est habituellement une fondation communautaire ou une fondation d’entreprise, détient probablement de nombreux sous-fonds. Si, en tout, elle débourse 5 % de tous ces fonds, c’est très bien. Toutefois, il n’est pas obligatoire de respecter les seuils établis de 3,5 ou de 5 % pour tous les fonds.

C’est peut-être la prochaine mesure que le gouvernement pourrait envisager — je ne suis pas en train de proposer un amendement, chers collègues —, étant donné que la valeur actuelle des fonds orientés par les donateurs au Canada est de 4,5 milliards de dollars.

De plus, un nombre croissant de fondations éclairées souhaitent vivre pleinement leur mission de bienfaisance. Elles ne se contentent pas de verser seulement 5 % de leur actif total. Elles investissent leurs éléments d’actif non pas dans le marché financier, mais dans ce qu’on appellerait des programmes — axés sur les changements climatiques, le logement et la réconciliation — et rien ne leur permet d’inclure une démarche progressiste de ce genre dans le contingent des versements.

En conclusion, chers collègues, j’accueille très favorablement le projet de loi à l’étude et j’encourage le gouvernement à considérer comment la Loi de l’impôt sur le revenu pourrait être modifiée à l’avenir afin de créer un régime plus équitable pour les contribuables et les organismes de bienfaisance. Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Honorables sénateurs, je suis obligée d’intervenir encore aujourd’hui pour parler du projet de loi C-32, Loi de mise en œuvre de l’énoncé économique de l’automne de 2022, et plus particulièrement de la section 3 de la partie 4, c’est-à-dire la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de Premières Nations. Je me concentrerai aujourd’hui sur la façon dont le processus d’étude préalable a commis une injustice envers les Premières Nations.

J’ai constaté qu’avec les études préalables, nous, les sénateurs, n’étudions pas les dossiers aussi minutieusement que nous le devrions, et nous ne sommes donc pas en mesure de faire un second examen objectif digne de ce nom. Malgré cela, comme l’ont dit d’autres sénateurs, les études préalables sont devenues un élément normalisé de la procédure, ce qui crée des problèmes.

En tant que sénatrice issue des Premières Nations, je suis préoccupée par la façon dont cette précipitation a porté atteinte à mon privilège. Le rapport provisoire du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement intitulé Une question de privilège : document de travail sur le privilège parlementaire au Canada au XXIe siècle indique que :

Le discours sur le privilège parlementaire, à la fin du XXe siècle et maintenant au XXIe siècle, est axé sur l’application du privilège dans un système juridique fondé sur des droits, illustré au Canada par la Charte canadienne des droits et libertés, et dans un contexte où la population attend une plus grande transparence et une reddition de comptes plus rigoureuse à l’égard des décisions des parlementaires

Le rapport cite la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid  :

Dans le contexte canadien, le privilège parlementaire est la somme des privilèges, immunités et pouvoirs dont jouissent le Sénat, la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales ainsi que les membres de chaque Chambre individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions.

Chers collègues, mon travail et mes fonctions portent sur les peuples autochtones du Canada, notamment les membres des communautés, les dirigeants et des groupes d’intérêt particulier. Mon rôle consiste notamment à leur permettre de se faire entendre, sachant qu’ils n’ont presque pas été entendus par le passé dans l’enceinte du Sénat ou lors des travaux des comités sénatoriaux. Il est extrêmement difficile d’accomplir cela avec des études préalables.

Compte tenu de l’urgence qui a été créée artificiellement autour du projet de loi C-32 et qui a donné lieu à de multiples études préalables, je n’ai pas été en mesure de m’assurer que les groupes intéressés que je représente aient l’occasion de se faire entendre sur des questions pertinentes d’une importance capitale. Cela est dû à l’incapacité de faire traduire rapidement leurs documents en français et à l’incapacité de présenter des propositions d’amendement parce que le Bureau du légiste et du conseiller parlementaire est surchargé. Ce problème, dont le bureau du légiste n’est aucunement responsable puisqu’il fournit un service crucial, a déjà eu une incidence sur mon travail au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Ce qui est très préoccupant dans de tels cas, c’est que ce problème m’a déjà empêché de démontrer de mon mieux à mes collègues, qui sont chargés de prendre des décisions ayant une incidence directe sur la vie et le bien-être des membres des Premières Nations, les effets cumulatifs de l’extraction des ressources sur la vie des Autochtones et les efforts de réconciliation.

Je suis curieuse de voir comment la traduction française sera gérée avec ces nouvelles études en comité. Pourquoi des amendements sont-ils permis dans certains projets de loi, mais pas dans d’autres? Il s’agit d’un traitement inégal.

Honorables sénateurs, dans ce cas précis, en ce qui concerne le projet de loi C-32, le grand chef Garrison Settee, de l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, n’a entendu parler de ce projet de loi que très tard dans le processus. Il a aussitôt présenté un mémoire au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et au Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Le 1er décembre 2022, l’organisme MKO a aussi demandé à être invité à témoigner devant le Comité des peuples autochtones et le Comité de l’énergie au sujet de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-32. Jusqu’à présent, aucun de ces comités n’a joint l’organisme MKO pour lui faire part d’une décision à la suite de sa demande de comparution. Mais surtout, on n’a toujours pas indiqué à l’organisme si son mémoire a été pris en considération.

Honorables collègues, l’organisme MKO a demandé à ce qu’on prenne des mesures judicieuses et rigoureuses pour faire respecter les droits des Premières Nations et donner suite aux mesures législatives relatives aux Premières Nations qui ont été promulguées en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations ainsi qu’aux règlements qui ont été pris en vertu de la Loi sur les Indiens. L’organisme MKO fait valoir que le Parlement a établi ces régimes législatifs en plus de reconnaître le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en vue de créer le troisième ordre de gouvernement nécessaire pour établir la relation de nation à nation mise de l’avant par le gouvernement fédéral.

Cependant, dans les communautés des Premières Nations, ces régimes législatifs sont inopérants en raison des politiques et de l’inaction du gouvernement du Canada et de la GRC. Selon le grand chef Settee, cela donne lieu à des « régimes en suspens » avec des lois et règlements qui sont inapplicables dans les communautés des Premières Nations.

Quels sont les résultats de ces régimes en suspens? Le grand chef Settee, des MKO, a voulu partager avec tous les honorables sénateurs ces renseignements essentiels sur les diverses expériences de Premières Nations membres des MKO dans leur lutte visant à mettre en œuvre les pouvoirs législatifs obtenus grâce au projet de loi C-49 en 1999 et au projet de loi C-428 en 2015. Pourquoi ces incertitudes persistent-elles malgré des lois qui étaient censées les corriger?

Ces expériences ont eu des effets sur toutes les communautés qui ont été obligées de se démener pour protéger le mieux possible leurs membres. Il s’agit notamment de confinements, de distanciation sociale, d’un nombre maximum de patients par habitation, par entreprise ou par installation, d’intrusion par des personnes non autorisées pendant les interdictions de déplacements qui visaient les non-résidents et de la vérification de l’état de santé des personnes arrivant dans la communauté, qui sont toutes des mesures de protection accordées aux autres Canadiens.

Honorables sénateurs, j’ai déjà parlé du fait que le chef, le conseil, les policiers et le coordonnateur des mesures contre la pandémie de la nation crie de Misipawistik ont été abandonnés par la GRC, qui avait refusé d’appliquer la loi sur les mesures d’urgence liées à la COVID-19 qui avait été adoptée en vertu du code foncier de cette nation en pleine éclosion majeure de COVID-19 dans la communauté.

Le Service des poursuites pénales du Canada a déclaré officiellement qu’il n’a pas le mandat d’entamer des poursuites en vertu des lois du code foncier d’une Première Nation et de la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations.

La Loi sur la gestion des terres des Premières Nations a été adoptée pour reconnaître le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et les relations de nation à nation en donnant la possibilité de remplacer certaines dispositions de la Loi sur les Indiens. Qu’en est-il de la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale lorsque les lois adoptées par les Premières Nations en vertu d’un code foncier afin de protéger la santé et la vie de leurs membres au cours d’une pandémie mondiale ne sont pas reconnues, respectées, appliquées et qu’elles ne font l’objet d’aucune poursuite? Les demandes d’aide en cas de situation d’urgence doivent être traitées rapidement. Ces demandes ne peuvent attendre la bénédiction du procureur général, qu’il peut falloir attendre des mois.

Chers collègues, je suis d’accord avec les déclarations du sénateur Patterson selon lesquelles notre étude préalable du projet de loi C-32 n’a servi qu’à précipiter l’adoption de cette mesure législative. Je comprends le point de vue du sénateur, selon lequel :

[P]our les organisations autochtones ou communautaires qui ont déjà des ressources limitées[,] [n]ous devons donner un préavis aussi long que possible aux témoins potentiels. Nous devons ralentir et nous assurer que nous examinons correctement les projets de loi, en prenant le temps d’entendre le plus grand nombre possible de personnes et de points de vue différents.

Par ailleurs, je suis d’accord avec les affirmations du sénateur Francis selon lesquelles :

[I]l nous incombe de veiller à ce que les voix des individus et des groupes historiquement marginalisés, sous-représentés et opprimés soient entendues et prises en compte.

Je partage également le point de vue du sénateur Francis, selon lequel :

J’espère également que les membres du Comité des finances nationales auront l’occasion d’entendre directement l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak et peut-être d’autres personnes au sujet de la proposition de loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des premières nations.

Comme l’a demandé le sénateur Loffreda au Comité des finances nationales, j’attends moi aussi avec impatience les commentaires de la vice-première ministre et ministre des Finances sur les préoccupations relatives au projet de loi C-32 soulevées par l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak, auxquelles la vice-première ministre et ministre des Finances avaient répondu en disant : « J’en prends bonne note. »

Honorables sénateurs, les deux modifications relevées et soumises par l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak font référence à deux autres lois du Parlement qui ne sont pas incluses dans le projet de loi C-32, mais qui ont des répercussions directes sur la capacité d’application par les Premières Nations des lois adoptées en vertu d’un code foncier. Ces deux lois qui ont des répercussions sur l’application des lois des Premières Nations adoptées en vertu d’un code foncier et les poursuites intentées en vertu de ces lois sont la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, et la Loi sur le directeur des poursuites pénales, L.C. 2006, ch. 9, art. 121.

Selon moi, le fait qu’on n’ait pas modifié ces deux lois lorsque cet accord-cadre a été adopté en 1999 constitue une grave omission. Les problèmes liés à l’application de la loi et aux poursuites étaient connus en 1999 lorsque le projet de loi C-45 a été adopté pour la première fois, mais on a pensé qu’ils faisaient partie d’une discussion continue et à plus long terme, qui n’a jamais eu lieu. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière de façon frappante les effets de l’absence d’application de la loi et de poursuites judiciaires.

Honorables sénateurs, je parle parfois des failles que créent les projets de loi que nous adoptons, et nous en avons ici un exemple. Parce que nous traitons ce projet de loi à toute vitesse, une fois de plus, il nous est impossible d’examiner en profondeur les conséquences qu’il aura sur les Premières Nations touchées. Cette hâte nous empêche aussi de trouver les meilleures façons de représenter les personnes envers lesquelles nous avons des responsabilités. Comment pouvons-nous faire œuvre de réconciliation dans de telles conditions?

Il est très difficile de trouver des solutions qui aideront les Premières Nations à composer avec les injustices créées par des mesures prises isolément. Nous devons nous rendre à l’évidence et reconnaître que les études préalables ne font que contribuer au muselage des Premières Nations. Il faut faire mieux et exiger mieux. Kinanâskomitin. Merci.

L’honorable Diane Bellemare [ - ]

Honorables sénateurs, aujourd’hui, je veux ajouter ma voix au débat sur le projet de loi C-32.

J’ai été un peu surprise par le débat que nous avons eu sur le Fonds de croissance; surprise, oui, mais pas tout à fait, dans le fond. Je veux partager avec vous également certaines craintes quant au Fonds de croissance du Canada, mais je voudrais plutôt le situer dans son contexte.

Tout d’abord, quand j’ai étudié le projet de loi C-32, j’ai trouvé qu’il contenait un ensemble de très bonnes mesures et qu’il était très important qu’elles soient adoptées. Je cite en exemple les mesures qui s’adressent aux étudiants et celles qui concernent l’accession à la propriété.

Je me suis intéressée davantage, quand j’ai regardé le projet de loi, au Fonds de croissance du Canada parce que je m’étais penchée sur l’Inflation Reduction Act of 2022, qui a été déposée aux États-Unis à l’automne dernier. Celle-ci prévoit un ensemble de mesures qui visent notamment à réduire l’impact de l’inflation sur les Américains, mais aussi des mesures permettant de stimuler les investissements américains, pour favoriser la transition verte et augmenter la productivité tout en générant une croissance qui mènera à une réduction du déficit. C’est tout un ensemble de défis que l’Inflation Reduction Act cherche à relever.

En même temps, quand on regarde cette loi, il y a près de 400 milliards de dollars qui sont versés aux entreprises sous forme de crédits d’impôt et de prêts. J’ai vu davantage de crédits d’impôt que de prêts, mais le ministère des Finances y a vu plus de prêts que de crédits d’impôt, cela dépend de l’interprétation dont ont fait de la loi américaine.

Bref, dans l’Inflation Reduction Act, on trouve un ensemble de mesures visant à stimuler l’investissement des entreprises dans le contexte de la transition vers une économie plus verte. Il s’agit de près de 400 milliards de dollars, sans compter les effets de levier que ces mesures cherchent à réaliser.

Je comprends que le gouvernement du Canada, à la suite du dépôt de cette loi américaine, se soit senti interpellé et que, dans le projet de loi dont nous sommes saisis, il y ait une mesure qui s’appelle le Fonds de croissance du Canada. Quand la ministre est venue témoigner au comité — je n’y étais pas, mais j’ai lu les témoignages —, il était évident qu’elle plaidait l’urgence d’agir pour créer un fonds qui atteindra jusqu’à 15 milliards de dollars et qui avait été annoncé. Elle l’a inséré dans ce projet de loi pour amorcer tout de suite des investissements possibles aux entreprises.

Il est vrai que cela soulève beaucoup de questions, parce que le projet de loi est relativement succinct, qu’il prévoit une somme de 2 milliards de dollars pour l’acquisition d’actions par le gouvernement et que celui-ci s’en remettra à la Corporation de développement des investissements du Canada pour entreprendre éventuellement des investissements et pour assurer la transition.

Évidemment, beaucoup de sénateurs ont posé des questions au sein du comité. La sénatrice Marshall a posé des questions très intéressantes, ainsi que le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Galvez, la sénatrice Moncion et le sénateur Cardozo, qui ont tous été interpellés par ce fonds et par le peu d’information dont nous disposions, nous ne pouvons pas le nier.

Cela dit, on en apprend un peu plus quand on regarde le document technique lié au Fonds de croissance du Canada et les objectifs visés par le gouvernement dans cette mesure.

Je vais vous en lire des extraits. Vous verrez, mon but n’est pas tant de défendre cette mesure que d’essayer de suggérer au gouvernement des éléments à prévoir dans la prochaine mouture du projet de loi, où il y aura plus de renseignements sur l’institution qui sera créée. Je pense qu’il s’agit ici d’une bonne occasion pour dire au gouvernement de prévoir ces éléments dans la prochaine mouture. C’est pour cette raison que je vous lis les objectifs du fonds :

Étant donné que la prospérité économique du Canada repose traditionnellement sur les ressources naturelles et d’autres industries à forte intensité d’émissions, il faudra une transformation importante de la base industrielle pour que le pays atteigne ses objectifs climatiques et assure une prospérité à long terme pour les Canadiennes et les Canadiens. Le Canada doit créer les technologies, les infrastructures et les entreprises nécessaires pour réduire sa dépendance au carbone; il n’y arrivera pas sans faire croître rapidement et sans maintenir ensuite l’investissement privé dans des activités et des secteurs qui renforcent la position du Canada en tant que chef de file de l’économie à faibles émissions de carbone.

Le texte se poursuit ainsi :

Le FCC, conçu pour atténuer les risques qui limitent actuellement l’investissement de capital privé, permettra de débloquer les capitaux nationaux et étrangers dont le Canada a besoin.

Ce sont là les objectifs que le fonds vise à atteindre, donc la transition, et ce, à une échelle assez grande.

On apprend également dans tout le débat qu’il y a une urgence en la demeure. Dans les journaux également, on constate qu’il y a des entreprises qui avaient commencé à faire des investissements, des investissements risqués, et qui peuvent décider d’aller investir aux États-Unis sans subir trop de pénalités. Le fonds permet donc un peu — c’est comme cela que je l’interprète — de défendre la stratégie canadienne et de dire aux entreprises : « On va vous aider également dans les technologies et les secteurs qui sont plus à risques. »

L’argument n’est pas convaincant comme tel, mais le document technique nous permet aussi de voir l’ampleur et la complexité de la problématique. Dans le document technique, on apprend notamment quels sont les risques que ce fonds essaie d’atténuer pour les entreprises. Ce ne sont pas de petits risques, ce sont de gros risques.

D’abord, il y a les risques liés à la demande, compte tenu de l’incertitude entourant la valeur marchande finale; les risques liés aux politiques, en raison de l’incertitude entourant la réglementation en matière de lutte contre les changements climatiques — comme le prix du carbone ou les normes relatives aux carburants propres —; les risques réglementaires, qui sont importants et qui concernent ce que les provinces peuvent faire en ce qui a trait à l’évaluation des projets et à l’octroi de permis pour les projets de construction; les risques d’exécution qui découlent de la création de produits commercialisés et d’entreprises de pointe.

Tout cela est un jargon pour dire que nos entreprises font face à des risques majeurs. En ce sens, le gouvernement tentera, grâce à ce fonds, de trouver des instruments financiers qui lui permettront en même temps de recevoir des rendements sur investissement et d’atténuer les risques de toutes sortes à l’échelle des entreprises.

C’est ce que le gouvernement veut faire avec ce projet, mais pour l’instant, dans le texte de loi, il n’y a pas grand-chose qui décrit la mesure, sinon les renseignements que contient le document technique.

À mon avis, le gouvernement aurait dû présenter des résultats à atteindre dans le projet de loi. Il aurait été assez simple de proposer des résultats concrets en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces résultats visés, ainsi que les éléments et les critères qui les définissent, apparaissent aussi dans le document technique à la dernière page. Il y en a plusieurs et je ne vous les lirai pas tous, mais on aurait pu indiquer dans le document que l’objectif principal est de réduire rapidement et sensiblement les émissions de GES et de contribuer à atteindre les cibles climatiques du Canada.

Il faudrait aussi inclure dans le projet de loi des paramètres de rendement possible, par exemple la réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre grâce aux investissements du fonds dans des projets liés à l’amélioration de la technologie et aux investissements du fonds dans les entreprises.

Cela dit, je pense qu’on doit donner la chance au coureur et attendre le prochain projet de loi du gouvernement. Il faut dire au gouvernement que l’on souhaite voir trois choses dans son projet de loi : des objectifs de résultats, des cibles visant à atteindre des résultats concrets et une gouvernance beaucoup plus large que celle qui a été prévue et décrite au comité.

Au comité, le ministère a mentionné qu’il avait prévu une gouvernance assurée par des experts, des financiers qui seront capables d’adopter les meilleurs instruments pour réduire les risques d’investissement pour les entreprises. Malheureusement, je ne suis pas certaine que ce soit suffisant.

D’ailleurs, des témoins ont présenté des idées fort intéressantes sur la gouvernance du fonds. Je songe à M. Gil McGowan, qui est président de la Fédération du travail de l’Alberta. C’est un syndicaliste qui est venu présenter les éléments d’un rapport que la Fédération du travail de l’Alberta a produit, qui s’intitule Skate to Where the Puck is Going, ce qui signifie patiner où va la rondelle en français. Dans son rapport, la Fédération du travail de l’Alberta a prévu pour l’Alberta des éléments de transition et une stratégie industrielle. M. McGowan a affirmé au comité qu’il manque une vision au Fonds de croissance du Canada, et que le gouvernement devrait en avoir une. Il a proposé, ce qui est fort intéressant, une gestion bicamérale du Fonds de croissance du Canada. Je vais vous lire un extrait de ce qu’il a dit, parce que c’est plus clair si je le lis en anglais :

J’ai transmis le rapport à la greffière, alors je vous encourage à examiner les sept voies que nous avons retenues. Il y a un élément du Fonds de croissance que je tiens à soulever, et j’en ai fait mention dans mon allocution d’ouverture. C’est une question de gouvernance. Au lieu de se contenter de créer une organisation sans lien de dépendance qui serait dirigée par des directeurs des placements, nous suggérons d’établir une structure bicamérale où il y aurait un conseil des intervenants au sommet, chargé de déterminer les orientations, et un conseil d’exploitation, chargé de gérer les investissements.

En Alberta, les principaux régimes de pension ont une structure bicamérale semblable. J’ai occupé les fonctions de président de ce qu’on appelle un conseil de parrainage, chargé d’établir les politiques générales. Il y avait aussi un conseil d’exploitation distinct.

On suggère donc au gouvernement, dans sa prochaine version du projet de loi qui devrait arriver bientôt, une structure de gouvernance de cette nature, pour s’assurer que les projets qui seront choisis assureront une transition plus macroéconomique, et non pas la réalisation de petits projets spécialisés.

Par ailleurs, tout ceci m’a inspiré un autre commentaire en comparant la situation à l’expérience du Québec. En effet, il y a eu au Québec un Fonds vert; il y avait une loi, qui a depuis été modifiée, il y avait une structure un peu bicamérale et il y avait des objectifs de résultats. Toutefois, il faut du temps avant d’avoir de la clarté dans tout cela, parce que la question est relativement complexe. À mon avis, il manque quelque chose au Canada pour être capable de faire cette transition si nécessaire : nous avons des fonds et nous savons ce que nous devons faire, mais il n’y a pas de concertation entre les principaux acteurs économiques. Chaque gouvernement veut faire les choses conformément à ce que le gouvernement en place décide.

À mon avis, la problématique macroéconomique exigerait de créer non pas juste un fonds, mais un conseil canadien de la prospérité. Il faudrait institutionnaliser un conseil auquel siégeraient les provinces, le gouvernement fédéral ainsi que les représentants de l’économie, soit les entreprises et la main-d’œuvre.

Le défi est colossal. Si l’on créait un tel conseil, on pourrait lui donner la vision nécessaire pour dépenser les fonds que nous avons partout. Il y a des fonds au Québec; nous allons en recevoir. C’est ce que je souhaite que le gouvernement fasse : établir des objectifs de résultats, assurer une gouvernance bicamérale et créer un conseil de la prospérité.

Merci beaucoup.

Son Honneur le Président [ - ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ - ]

L’honorable sénateur Loffreda, avec l’appui de l’honorable sénatrice Laboucane-Benson, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur le Président [ - ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ - ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ - ]

Je vois deux sénateurs se lever.

Son Honneur le Président [ - ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote aura lieu à 21 h 31. Convoquez les sénateurs.

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