Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu
Motion d'amendement
15 mai 2019
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-71 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :
a)à la page 1, à l’article 1, par substitution, aux lignes 4 à 9, de ce qui suit :
« 1 L’article 2 de la Loi sur les armes à feu est modifié par ad- »;
b)à la page 11, par suppression de l’article 16;
c)à la page 12 :
(i)par suppression des articles 18 à 21,
(ii)à l’article 22, par substitution, aux lignes 19 et 20, de ce qui suit:
« 22 (1) Les paragraphes 3(2) et 4(2) entrent en vigueur à la ».
Le sénateur Plett a la parole pour participer au débat sur l’amendement.
Honorables sénateurs, mon intervention sera brève. Je tiens à remercier le sénateur Dagenais d’avoir proposé cet amendement. C’est à mon avis un amendement judicieux pour toutes les raisons qu’il a mentionnées. J’aimerais ajouter quelques points.
Pendant l’étude menée par le comité, plusieurs témoins ont soulevé des problèmes et des inquiétudes relativement au système actuel de classification des armes à feu. Quand on examine la chose de près, on constate que les problèmes se résument à ceci : le système de classification des armes à feu actuel est un instrument général qui entraîne souvent des décisions arbitraires.
Je vais citer un extrait d’un texte publié par un des groupes qui a témoigné devant le comité :
Le problème avec le système actuel est que les critères ne reflètent pas de manière systématique ni cohérente les risques pour la sécurité publique associés aux différentes catégories d’armes. En effet [...] en se basant sur certaines caractéristiques physiques, comme la longueur de l’arme ou du canon, la classification s’avère souvent arbitraire.
Sénateurs, cette citation est tirée d’un document publié en 2017 par PolySeSouvient, un groupe d’étudiants et de diplômés de l’École Polytechnique qui militent pour un contrôle plus serré des armes à feu.
La nature arbitraire du système de classification entraîne des irritants pour tout le monde — et les propriétaires d’armes à feu et les partisans du contrôle des armes à feu. Ce système doit être revu.
Dans leur plateforme électorale de 2015, les libéraux ont déclaré qu’ils souhaitaient « [remettre] le pouvoir de décision en matière d’armes entre les mains de la police, et non des politiciens ». Cette idée semble bonne et elle est répétée très souvent dans cette Chambre qui se fait l’écho du gouvernement libéral, mais elle est fondamentalement insensée. Vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole. Permettez-moi de citer de nouveau le groupe PolySeSouvient :
[...] [la GRC] ne « décide pas » de la classification d’une arme à feu : les services policiers doivent composer avec les définitions établies dans le Code criminel. En d’autres mots, leur rôle se limite à l’interprétation de la loi.
Chers collègues, la décision de confier à la GRC la responsabilité d’interpréter la loi tout en retirant au Parlement sa fonction de surveillance représente une très mauvaise politique publique.
Un des principes fondamentaux en matière de gestion consiste à assortir une responsabilité de l’obligation de rendre compte. Il ne faudrait jamais séparer les deux. Pourtant, dans le cas de la classification des armes à feu, c’est exactement ce que le gouvernement libéral propose de faire.
La GRC s’est vu confier la responsabilité de classifier les armes à feu en interprétant la loi, mais le gouvernement veut retirer la fonction de surveillance de ce processus aux parlementaires qui ont créé la loi en éliminant la capacité du gouverneur en conseil d’intervenir dans les décisions en matière de reclassification.
Le gouvernement souhaite que la GRC assume cette responsabilité sans toutefois être assujettie à l’obligation de rendre compte correspondante. Ce n’est jamais une bonne idée, mais c’est encore pire dans le cadre d’un système que l’on sait être arbitraire.
Chers collègues, le caractère arbitraire de la reclassification a des répercussions non seulement sur les propriétaires d’armes à feu, mais aussi les entreprises liées aux armes à feu. Alison de Groot, directrice de l’Association de l’industrie canadienne des munitions et armes de sport, a déclaré ceci au comité :
Nous suggérons […] qu’il y ait un cadre structuré pour ce processus de classification […] Je vais utiliser les chargeurs d’armes à feu de type 10/22 comme exemple. Sans discuter du bien-fondé du changement de classification, aucun avis n’a été donné à l’industrie au sujet de ce changement. Nous en avons pris connaissance, à titre de propriétaires d’entreprises, quand l’[Agence des services frontaliers du Canada] a saisi un chargement à la frontière. Lorsque l’[Agence] saisit un produit, on doit payer des frais d’entreposage sécurisé exorbitants, ce que notre importateur a dû faire. Nous nous sommes retrouvés au Canada avec des dizaines de milliers de dollars de stocks non vendus par des petits détaillants. Ces produits sont maintenant des stocks invendables que nous ne sommes pas autorisés à renvoyer au fabricant […] nous demandons au gouvernement d’exiger [que la GRC] élabore un cadre structuré pour ce processus, tant pour les nouveaux produits que pour les produits actuellement sur le marché [et de laisser à] l’industrie [...] la possibilité de s’occuper de sa chaîne d’approvisionnement quant aux produits reclassés ou qui font l’objet de changements de classification.
De son côté, Robert Henderson, propriétaire de l’entreprise Access Heritage, a aussi parlé au comité du caractère dysfonctionnel de la reclassification par la GRC. Voici ce qu’il dit à ce sujet :
Depuis 18 ans, j’importe des armes à silex neutralisées de l’Inde. Grâce au retrait d’un petit évent de connexion dans la conception, la technologie était considérée comme désactivée, et les armes à silex étaient acceptées aux douanes [...] En décembre dernier, au sommet de la saison de vente au détail, un chargement important a été retenu par l’[Agence des services frontaliers du Canada]. À ce moment-là, on a pris la décision arbitraire d’arrêter d’accepter les armes à silex désactivées sans m’avoir donné de préavis et sans avoir apporté de modification pertinente aux lois. On a demandé aux intervenants du Programme canadien des armes à feu d’enquêter. Il a été déterminé que les produits n’étaient pas suffisamment neutralisés et que les armes à silex à canon court étaient des appareils à autorisation restreinte.
Les propriétaires d’armes à feu et les gens d’affaires comme Robert Henderson et Alison de Groot ne demandent rien de déraisonnable, pas plus que le sénateur Dagenais dans son amendement. En acceptant cet amendement, nous garantirons une surveillance parlementaire adéquate des classifications d’armes à feu, de manière à assurer la reddition de comptes et la transparence. Merci.
Honorables sénateurs, le choix que nous avons à faire, en votant sur le projet de loi C-71, est celui de déterminer qui prendra la décision technique de classer une arme comme étant prohibée, avec toutes les restrictions que cela entraîne, parce que ce sont les armes les plus dangereuses. Qui prendra cette décision? Est-ce que ce sera les experts de la GRC ou les politiciens, qui en connaissent très peu sur les armes à feu, qui ne sont pas des experts et qui sont soumis au puissant lobby des armes à feu?
Faisons un peu d’histoire. Depuis que la classification des armes à feu est inscrite dans le Code criminel, c’est toujours la GRC qui a eu la responsabilité de déterminer si telle ou telle arme est sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée. Du moins jusqu’en 2015, année où la loi a été modifiée. Je vous rappelle brièvement ce qui s’est passé. Le projet de loi C-42, qui a été adopté en 2015, confie au gouverneur en conseil le pouvoir de classifier certaines armes à feu tout en faisant fi des définitions que donne le Code criminel des différentes catégories. C’est grave, si vous voulez mon avis. Les définitions de ce qui constitue une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte et une arme sans restriction se trouvent dans le Code criminel. Le même qui a été adopté par le Parlement. Quand une arme à feu doit être classifiée, les spécialistes de la GRC, dont les laboratoires sont situés ici, à Ottawa — parce que les choses peuvent prendre une tournure assez technique, parfois —, se fient au Code criminel et à leur expertise pour déterminer si l’arme en question sera sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée.
En 2015, le gouvernement précédent a décidé non seulement de faire fi de l’opinion des spécialistes de la GRC sur toute une série d’armes à feu, mais d’ignorer aussi les définitions du Code criminel. C’est ce que dit la Loi sur les armes à feu depuis qu’elle a été modifiée en 2015.
Beaucoup ont dénoncé l’arbitraire de ces décisions. Eh bien, je regrette, mais ce n’est pas parce que certains sont mécontents d’une décision qu’elle est arbitraire. Je me suis rendu dans les laboratoires de la GRC. Les gens qui y travaillent font de l’excellent boulot. Personnellement, je choisis de faire confiance aux agents de la GRC. Ce sont eux, les experts. Ils savent de quoi ils parlent.
Il y a eu aussi plusieurs mentions sur le fait que les propriétaires d’armes à feu qui sont touchés par la prohibition soudaine d’une arme à feu ne sont pas indemnisés. Je voudrais souligner deux choses à ce sujet. Premièrement, aucun propriétaire d’armes à feu prohibées au Canada, que ce soit en vertu du projet de loi C-71 ou d’autres projets de loi précédents sous les gouvernements libéraux ou conservateurs, n’a eu droit à une compensation. Toutefois, ils ont obtenu des droits acquis, c’est-à-dire le droit de continuer d’être propriétaires de leurs armes et celui de les utiliser dans des champs de tir autorisés. Il n’y a pas eu d’indemnisation, mais ces gens sont protégés parce qu’ils ont continué d’avoir le droit d’être propriétaires de leurs armes à feu devenues prohibées et de les utiliser dans des champs de tir autorisés.
Les gouvernements de tous les horizons politiques ont utilisé des méthodes identiques pour préserver les droits acquis des propriétaires d’armes dont les armes devenaient prohibées.
Des sénateurs se sont prononcés, pendant leur discours, en faveur de l’adoption, par la GRC, d’une méthode de classification des armes plus transparente, et de la mise en place d’un mécanisme d’appel à ce sujet. Comme je l’ai indiqué pendant mon discours à l’étape de la troisième lecture, je crois que ces idées ont du mérite. Il est vrai que, par le passé, les décisions de la GRC n’étaient pas communiquées ouvertement. Il n’était pas facile de découvrir si une arme particulière était prohibée, à autorisation restreinte ou sans restriction. La GRC a toutefois annoncé qu’elle commencerait, dans quelques mois, à publier toutes ses décisions au sujet des armes sur le Web, dans le Tableau de référence des armes à feu. Ce tableau de référence sera mis à jour régulièrement. Vous pourrez donc voir dans quelle catégorie se classe une arme que vous avez déjà ou que vous souhaitez acheter, et les raisons pour lesquelles c’est, selon le cas, une arme prohibée, à autorisation restreinte ou sans restriction. La question de la transparence est donc réglée, selon moi.
Il reste donc à régler la question du mécanisme d’appel. C’est une question valide. Le gouvernement pourrait, selon moi, voir s’il serait possible d’offrir un mécanisme qui permettrait de faire appel des décisions prises par les experts de la GRC.
Pour le moment, ce n’est pas ce que propose cet amendement. Tout ce qu’il fait, c’est nous ramener à la loi de 2015, qui accorde au gouverneur en conseil le pouvoir de faire fi des classifications des armes à feu précisées dans le Code criminel afin de répondre au lobby des armes à feu — quel qu’il soit — s’il est en désaccord avec la décision d’un expert de la GRC.
Honorables sénateurs, j’ignore ce que vous en pensez, mais je choisis de faire confiance aux experts de la GRC en matière de classification des armes à feu. Si le Parlement veut changer les critères de classification des armes à feu, alors il doit modifier le Code criminel au lieu de donner au gouverneur en conseil le pouvoir d’en faire abstraction.
Je choisis de faire confiance aux experts de la GRC. Je choisis de faire confiance aux gens qui connaissent le mieux les armes à feu, au lieu d’accorder ce pouvoir-là à des politiciens élus qui, malgré tous leurs mérites, ne sont pas spécialistes en armes à feu. Comme nous le savons tous, comme sénateurs, comme nous l’avons vu avec le projet de loi C-71, les politiciens sont constamment soumis aux pressions intenses exercées par les associations de propriétaires d’armes à feu, qui prétendent parler au nom de tous les propriétaires d’armes à feu au Canada. Merci.
J’ai une question pour le sénateur Pratte.
Sénateur Pratte, je ne suis pas spécialiste de ces questions. Je voulais intervenir dans le débat, mais j’ai hésité. J’ai une question à poser. J’ai eu l’occasion de rencontrer des propriétaires de petite entreprise qui m’ont dit que, lors de la reclassification de certains produits, ils ont reçu la directive de ranger et d’entreposer ces produits de façon sécuritaire et de ne pas les vendre. Ces produits qu’ils ont achetés font partie de leurs actifs, mais ces actifs ne sont d’aucune utilité à leur famille et ne peuvent pas être transférés aux membres de leur famille. Selon ces propriétaires, deux ans après avoir fait ce qu’on leur a dit, à la suite de ce que j’appellerais une reclassification arbitraire, ils n’ont plus de nouvelles et ne font qu’attendre. Il y a un risque même si on entrepose ces armes de façon sécuritaire. Je me demande si vous avez eu la chance de parler avec ces propriétaires d’entreprise au sujet de cette situation difficile.
Je vous remercie de votre question. Oui, j’ai rencontré des petits marchands d’armes à feu à maintes reprises. Je comprends les difficultés auxquelles ils font face. Je crois qu’il faut aussi comprendre pourquoi les experts de la GRC ont recommandé l’interdiction de ces armes, lesquelles ont été importées au Canada sous de fausses représentations. Ces armes sont dérivées d’armes à feu entièrement automatiques. Or, le Code criminel interdit les armes à feu entièrement automatiques converties. Il ne s’agit pas d’une décision arbitraire. C’est une décision fondée sur la définition d’une arme à feu prohibée. Les armes à feu entièrement automatiques et les armes à feu entièrement automatiques converties sont prohibées en vertu du Code criminel.
Cela dit, il s’agit de savoir si les individus ou les entreprises qui possèdent ces armes à feu devraient être dédommagés. L’actuel gouvernement a décidé — comme tous les gouvernements précédents, peu importe leur affiliation politique — qu’il ne devrait pas y avoir de dédommagement. Les propriétaires bénéficieront de droits acquis. Ils pourront non seulement conserver leurs armes, mais aussi acheter les armes à feu en question d’autres propriétaires bénéficiant de droits acquis. C’est la décision qu’a prise l’actuel gouvernement, à l’instar des gouvernements précédents, qui n’ont pas dédommagé les individus ou les petites entreprises propriétaires de ces armes à feu.
Sénateur Dagenais, voulez-vous poser une question au sénateur Pratte?
Oui. Le sénateur Pratte accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Dans un premier temps, sénateur Pratte, je vous dirais que je suis un peu surpris de vous entendre. Nous sommes membres du même comité et nous parlions hier des listes d’interdictions de vol; on dit aux gens qui se retrouvent sur des listes d’interdiction de vol qu’ils ont le droit de contester la décision du gouvernement, et nous sommes même prêts à dire que les avocats qu’ils devront embaucher devraient être payés par le gouvernement.
Le projet de loi C-71 stipule que les gens ne pourront pas contester la décision parce qu’on donne tous les pouvoirs à la police. Ne croyez-vous pas que nous nous retrouvons alors dans un État policier ou totalitaire, au sein duquel les gens ne pourront pas contester une telle décision?
J’aimerais vous entendre à ce sujet.
D’abord, je voudrais souligner que, si nous nous trouvons dans un État totalitaire en raison du fait que ce sont les experts de la GRC qui prennent les décisions relativement à la classification des armes à feu, nous vivons dans un État totalitaire depuis très longtemps au Canada si nous suivons votre raisonnement. En effet, c’est seulement depuis 2015 que le gouverneur en conseil a le pouvoir d’ignorer le Code criminel.
Deuxièmement, j’aimerais rappeler que ce qui m’inquiète beaucoup plus que de voir des experts en armes à feu de la GRC prendre des décisions, c’est le fait que le gouverneur en conseil peut ignorer le Code criminel soit inscrit dans le projet de loi. Honnêtement, je trouve cela beaucoup plus risqué.
Quand vous parlez d’un mécanisme d’appel, comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit peut-être là d’une idée qui devrait être examinée pour que les citoyens puissent en appeler d’une décision de la GRC. Il faudrait y réfléchir pour voir comment ce mécanisme pourrait fonctionner.
Cependant, ce n’est pas ce que je vois dans votre amendement. Votre amendement propose simplement que le gouverneur en conseil puisse ignorer les classifications du Code criminel, et je pense que c’est là une très mauvaise idée.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Dagenais, avec l’appui de l’honorable sénateur Plett, propose en amendement :
Que le projet de loi C-71 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié...
Puis-je me dispenser de lire l’amendement?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Nous reporterons le vote à demain.
Conformément à l’article 9-10 du Règlement, le vote sera reporté à la prochaine séance du Sénat, à 17 h 30, et la sonnerie convoquant les sénateurs retentira à compter de 17 h 15.