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La Loi sur la radiocommunication

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

17 mai 2022


L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition)

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-242, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication.

Je voudrais remercier notre collègue le sénateur Dennis Patterson d’avoir présenté ce projet de loi qui, je l’espère, permettra d’inciter enfin le gouvernement à agir dans ce dossier important.

Le projet de loi du sénateur Patterson vise à créer une mesure juridique qui dissuadera les entreprises de déconnecter des collectivités canadiennes, notamment des collectivités rurales, des infrastructures à large bande. À mon avis, ce projet de loi donnerait enfin suite à une recommandation de longue date, à savoir que le gouvernement exige que les entreprises utilisent le spectre qui leur a été alloué ou qu’elles ont développé si elles ne veulent pas le perdre. Si nous pouvons finalement imposer cette exigence, le projet de loi garantirait que les régions rurales du Canada profitent de l’attribution des fréquences du spectre.

Comme le sénateur Patterson l’a indiqué dans son discours, le problème c’est que trop de collectivités canadiennes, en particulier les collectivités rurales, ne sont pas connectées à des réseaux à large bande. Pour que les entreprises de télécommunications puissent offrir des services sans fil comme des services cellulaires ou des services sans fil à large bande, elles doivent avoir accès à un spectre suffisant pour fournir des services sans fil de haute qualité.

Comme le sénateur Patterson l’a affirmé, la disponibilité limitée des spectres pourrait nuire aux grandes sociétés de télécommunications, ainsi qu’aux petites entreprises présentes dans tant de collectivités rurales. En effet, dans une ère où le numérique occupe de plus en plus de place, ces entreprises ont besoin d’un accès aux spectres pour demeurer concurrentielles, et cet accès deviendra certes plus crucial au fil des années et des décennies à venir, à mesure que nous nous tournerons vers les technologies 5G et au-delà.

Étant donné qu’une entreprise novatrice peut maintenant, en réalité, être située n’importe où au Canada, nous ne pouvons nous permettre de laisser de grandes parties du pays dépourvues d’infrastructure à large bande efficace. Comme l’a dit le sénateur Patterson, le problème, c’est que le Canada rural n’est pas bien positionné pour la mise en œuvre du service 5G.

Une grande partie du problème découle du squattage de spectre. Le gouvernement fédéral est responsable de la vente aux enchères du spectre, laquelle lui rapporte des recettes considérables. La dernière vente aux enchères de la bande de fréquence de 3 500 mégahertz au Canada a généré des recettes records de 8,9 milliards de dollars, les trois sociétés de télécommunication dominantes du pays comptant pour plus de 80 % de cette somme.

À quelle fin affecte-t-on ces fonds? Si l’on consacrait l’intégralité de ces 9 milliards de dollars à l’amélioration de la connectivité, pourrions-nous remédier en tout ou en partie aux obstacles à la prestation d’une connectivité équitable au Canada? Presque assurément.

Cependant, si nous tentions de découvrir à quelles fins ces fonds sont affectés, nous risquerions fort probablement d’être déçus. Je crains que ces recettes soient simplement considérées comme une vache à lait pour alimenter les dépenses toujours plus injustifiées d’un gouvernement irresponsable.

En fait, rien ne prouve que la moindre partie des sommes que touche le gouvernement grâce aux enchères du spectre serve à améliorer la connectivité pour les Canadiens.

Qu’en est-il de l’importance, sur le plan de la politique publique, d’exiger des comptes des acheteurs du spectre?

Le problème est qu’il n’y a guère d’incitation pour beaucoup d’acheteurs de spectre à y avoir recours dans un délai raisonnable. En réalité, comme l’a souligné le sénateur Patterson, moins de 20 % des parties du spectre accordées en milieu rural sont utilisées par les fournisseurs régionaux. Soit les entreprises n’ont pas les ressources nécessaires pour le déployer, soit elles décident de ne pas le faire pour des raisons stratégiques.

Le sénateur Patterson a tout à fait raison de dire que nous avons besoin d’un environnement politique qui ne tolère plus cette pratique qui consiste à squatter le spectre, pour reprendre son expression. Dans ce contexte, il nous faut également réfléchir aux répercussions de cette pratique sur les collectivités les plus vulnérables.

Comme l’explique un récent article de James Hobart et de Cindy Woodhouse dans Options politiques, « bon nombre de collectivités autochtones situées dans des régions éloignées sont coupées du monde numérique [...] »

Le gouvernement des États-Unis a récemment décidé d’accorder aux communautés autochtones américaines des régions rurales un accès prioritaire au spectre inutilisé et non attribué. Le Canada devrait-il suivre cet exemple? Pour répondre à cette question, nous devons tenir compte de la triste réalité : seulement 37 % des communautés rurales et 24 % des communautés autochtones ont accès à Internet haute vitesse. Nous savons que le manque de connectivité exacerbe les inégalités socioéconomiques, notamment sur le plan des occasions d’affaires, de l’emploi, de l’éducation et de la santé physique et mentale.

Si nous souhaitons sincèrement nous réconcilier avec les peuples autochtones, il faut mettre fin aux inégalités. Le gouvernement doit prendre des mesures afin de combler les écarts importants qui touchent les communautés les plus vulnérables. Lors des élections de 2021, la plateforme électorale du Parti conservateur proposait une politique pour remédier à ces inégalités. En voici un premier extrait :

Alors que la technologie continue à évoluer, l’infrastructure de l’avenir — large bande et 5 G — sera de plus en plus essentielle à la création d’emplois.

La plateforme proposait aussi ce qui suit :

Construire une infrastructure numérique pour connecter tous les Canadiens à Internet haute vitesse d’ici 2025 [...]

Accélérer la mise en place de la large bande dans les régions rurales.

Accélérer le processus de vente du spectre pour que ce dernier soit plus utilisé et appliquer des dispositions « utilisé ou perdu » pour assurer qu’il est réellement développé (surtout dans les régions rurales) [...]

Le gouvernement actuel s’est engagé, lui aussi, à adopter une approche « utilisé ou perdu ». Cet engagement figure dans la lettre de mandat du ministre Champagne, selon laquelle le ministre doit :

Accélérer le déploiement du service à large bande en exigeant que ceux ayant acheté des droits pour déployer la large bande respectent les jalons établis dans l’offre de la large bande, sous peine de perdre leurs droits de spectre.

Malgré le consensus qui existe à ce sujet, les progrès sont beaucoup trop lents et l’écart continue de se creuser. Il ne fait aucun doute que, parce que le gouvernement actuel tarde à agir, le Canada a maintenant un retard considérable à rattraper. Selon Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa, le Canada se situe en queue de peloton parmi les pays en ce qui concerne le nombre d’abonnements au service mobile à large bande par 100 habitants. Il se classe bien en dessous de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques et devance seulement six autres pays de l’OCDE. Le Canada accuse également un retard par rapport à la plupart des pays de l’OCDE en ce qui concerne l’utilisation des données mobiles par abonnement au service à large bande.

À l’inverse, la 5G est déjà en cours de déploiement dans des pays comme la Corée et le Japon, pour ne nommer que ceux-là. Le Japon s’est officiellement engagé à utiliser l’attribution du spectre de manière efficace et efficiente pour répondre aux besoins de la « société 5.0 » et au-delà. La Corée travaille déjà sur les considérations liées à la 6G et le gouvernement et les universités participent à la planification et à l’étude des applications pour les utilisateurs finaux.

L’approche léthargique du Canada aura des répercussions majeures sur la compétitivité mondiale du pays. Le spectre est une ressource essentielle dans l’économie d’aujourd’hui et de demain. Helaina Gaspard, Alanna Sharman et Tianna Tischbein de l’Université d’Ottawa ont récemment publié un article intitulé « Governing Connectivity: How is Spectrum Policy Impacting the Lives of Canadians? » dans la revue Policy, où elles font remarquer ceci :

Le spectre joue un rôle direct ou indirect dans la plupart des domaines du développement industriel et de l’activité économique. De la connectivité à la médecine en passant par le transport et la navigation, la politique du spectre — les politiques qui déterminent la manière dont le spectre est attribué aux divers utilisateurs et à différentes utilisations — a des répercussions sur les économies et les populations.

À mesure que nous développons cette ressource pour rendre notre pays plus compétitif, nous devons nous assurer que tous les Canadiens de toutes les régions du pays, y compris les régions rurales et éloignées, en profitent. Si nous manquons à ce devoir, cela aura des répercussions non seulement sur notre compétitivité économique, mais aussi sur la capacité du gouvernement lui-même à offrir des services en ligne efficaces permettant de remplir les mandats ministériels. Cela est déjà évident dans le secteur de la santé.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, par exemple, a constaté qu’un nombre croissant de Canadiens cherchant à obtenir des services de santé mentale n’ont pas pu les recevoir.

Selon le site Web des Services aux Autochtones Canada, les fournisseurs de services de santé mentale « doivent être inscrits auprès d’Express Scripts Canada », un outil de gestion de la santé en ligne :

[...] afin de facturer le programme des [services de santé non assurés] pour les services fournis aux clients des Premières Nations et des collectivités inuites admissibles. Veuillez prendre note que les fournisseurs qui ne sont pas inscrits auprès d’Express Scripts Canada ne pourront plus soumettre de réclamation pour le programme des SSNA.

Comme de plus en plus de services sont mis en ligne, les Inuits et les Premières Nations en région éloignée ne pourront pas avoir accès à ces services essentiels. Pour aggraver la situation, une enquête publiée par l’Institut canadien d’information sur la santé suggère qu’en 2019-2020 :

[...] la moitié des Canadiens ont attendu jusqu’à 1 mois pour des services de counseling continus dans la collectivité, mais 1 sur 10 a attendu plus de 4 mois.

Il faut s’attaquer à ce manque criant de services Internet pour le bien-être des collectivités éloignées du Canada. Voici ce qu’on peut lire dans l’article rédigé par Helaina Gaspard, Alanna Sharman et Tianna Tischbein :

Si le Canada souhaite changer la donne en matière de connectivité, il devrait commencer à songer à la façon dont la politique relative au spectre est liée aux instruments et aux incitatifs (y compris les subventions) concernant le déploiement.

Les autrices ont aussi expliqué que :

[l]a façon dont on attribue le spectre ne devrait pas être qu’une question de revenus; elle devrait viser à atteindre les résultats escomptés, c’est-à-dire la connectivité pour tous.

C’est manifestement essentiel pour bon nombre de nos services sociaux et de santé, mais aussi pour tous les autres secteurs de notre économie. C’est également crucial pour les régions rurales et éloignées.

J’aurais tendance à dire que dans la nouvelle économie créée par la pandémie mondiale, où plus de Canadiens que jamais travaillent de la maison et continueront de le faire, ce fait est maintenant clair comme de l’eau de roche. C’est là que le projet de loi du sénateur Patterson devient très utile, car il établit un cadre juridique devant permettre d’atteindre l’objectif que le gouvernement prétend vouloir atteindre.

Plus précisément, le projet de loi du sénateur Patterson ferait deux choses. Premièrement, il préciserait les pouvoirs du ministre pour que celui-ci puisse annuler les licences des entreprises qui refusent de déployer le spectre à au moins 50 % de la population dans la zone géographique couverte par la licence de spectre. Deuxièmement, il autoriserait les Canadiens à poursuivre les entreprises qui sous-investissent dans la connectivité.

Comme l’a fait remarquer le sénateur Patterson, bien que le ministre ait techniquement déjà le pouvoir de retirer les licences des entreprises qui ne respectent pas les conditions, ce principe serait enchâssé dans la loi. Ainsi, en vertu de la loi, le ministre aurait le mandat clair de retirer des licences quand il ne ferait aucun doute que l’entreprise qui a obtenu la licence de spectre n’a aucune intention de déployer celui-ci.

Une collectivité ou une communauté des Premières Nations aurait la possibilité de demander un dédommagement quand une entreprise ne réglerait pas un problème de perte de connectivité. Par conséquent, je considère qu’il est primordial de mettre en place ce cadre juridique et politique afin d’encadrer la prochaine vente aux enchères du spectre qui devrait avoir lieu l’année prochaine.

La solution proposée comporte de multiples dimensions que nous devrions sans aucun doute examiner de manière exhaustive, idéalement à l’étape de l’étude en comité. Notre priorité devrait être de renvoyer ce projet de loi à un comité afin de clarifier les divers aspects de cet enjeu.

C’est pourquoi, honorables sénateurs, j’espère que vous serez d’accord pour appuyer le projet de loi S-242 à l’étape de la deuxième lecture. Merci.

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