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Le Code criminel

Deuxième lecture--Suite du débat

8 juin 2023


L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition)

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada).

J’aimerais commencer mon discours en répétant les propos tenus par le sénateur Kutcher lorsqu’il est intervenu à propos de ce projet de loi en octobre dernier. Il a dit : « Je crois que tous les sénateurs souhaiteraient que la violence contre les enfants cesse complètement. »

Je suis on ne peut plus d’accord avec lui. Or, évidemment, le souhaiter et le réaliser sont deux choses bien différentes. Dans le cas précis des parents, je ne peux imaginer qu’un parent sain d’esprit ou responsable souhaite infliger de la violence physique à son enfant. Que cela soit légal ou non, cela est pratiquement contre nature. À mon avis, ceux qui le font le font sans doute dans un accès de dépit ou d’épuisement, et non sans ressentir par la suite énormément de remords. Pour ceux dont ce n’est pas le cas, je doute que le fait d’abroger l’article 43 les arrêtera.

Honorables sénateurs, je comprends l’attrait de ce projet de loi, mais je crois que, en général, peu de parents ont besoin d’un projet de loi ou d’un article du Code criminel pour s’abstenir de battre leur enfant ou de lever la main sur lui. Nous avons beaucoup progressé depuis l’époque lointaine où l’on entendait couramment le dicton « Qui aime bien châtie bien ».

Au Canada, le Code criminel protège tous les enfants contre toute forme de violence. Il contient des infractions criminelles générales visant à protéger toute personne contre la violence, ainsi que plusieurs infractions destinées à protéger spécifiquement les enfants, telles que l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence, l’abandon, et plusieurs infractions sexuelles à l’égard d’un enfant.

Outre les protections prévues par le Code criminel, chaque province et territoire est doté de lois visant à protéger les enfants de la violence familiale et des mauvais traitements. Ces lois permettent à l’État d’intervenir lorsqu’un enfant doit être protégé contre des préjudices physiques, émotionnels et psychologiques, ou contre la négligence. De nombreuses provinces et de nombreux territoires ont également des lois et des politiques qui interdisent le recours aux châtiments corporels des enfants dans les foyers d’accueil, dans les services de garde d’enfants comme les garderies, ainsi que dans les écoles.

En Colombie-Britannique, l’article 38 de la Teachers Act interdit aux enseignants d’infliger :

a) des préjudices physiques à un élève;

b) des abus sexuels ou toute forme d’exploitation sexuelle à un élève;

c) des préjudices émotionnels importants à un élève.

Ce projet de loi, et l’article 43 qu’il vise à abroger, ne se limitent pas aux parents, mais englobent également les enseignants ou toute personne qui remplace le père ou la mère de l’enfant. L’article 43 du Code criminel prévoit ce qui suit :

Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.

Ce projet de loi, comme le sénateur Kutcher et d’autres l’ont souligné, est le plus récent d’une série de projets de loi qui visent à régler le problème des châtiments corporels. Le sénateur Kutcher a mentionné que l’ex-sénatrice Hervieux-Payette a présenté cette mesure à huit reprises avant que le sénateur Sinclair prenne la relève. Je crois que le sénateur Kutcher a également mentionné que les efforts pour l’adoption de cette mesure remontent à 1989.

Le fait que ces efforts remontent à aussi loin nous indique bien que le projet de loi à l’étude concerne un enjeu qui est loin d’être simple. Il convient de souligner qu’il n’y a pas si longtemps, en 2004, dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), la Cour suprême du Canada a maintenu l’article 43 et statué qu’il ne violait pas la Charte canadienne des droits et libertés. Six des neuf juges sont arrivés à la conclusion que l’article ne porte pas atteinte aux droits de l’enfant à la sécurité de sa personne et à l’égalité et qu’il ne s’agissait pas d’une peine ou d’un traitement cruel et inusité.

Dans ses conclusions, la cour a énoncé les lignes directrices suivantes :

Un, les parents et les personnes responsables de l’enfant peuvent seulement employer une force légère pour infliger une correction ou un châtiment corporel « ayant un effet transitoire et insignifiant ». Par exemple, donner la fessée ou une gifle à un enfant avec une force suffisante pour laisser une marque ou une ecchymose n’est pas considéré comme un effet transitoire et insignifiant ni raisonnable.

Deux, les enseignants ne peuvent pas employer la force physique, peu importe les circonstances. Les enseignants peuvent toutefois utiliser la force raisonnable si cela est approprié, par exemple pour expulser un enfant de la classe.

Trois, aucun châtiment corporel ne peut être infligé à un enfant de moins de deux ans ou de plus de 12 ans.

Quatre, un châtiment corporel ne doit pas être infligé sous l’effet de la colère ou de l’emportement à un enfant pour sa conduite.

Cinq, il ne faut jamais utiliser d’objets, par exemple une ceinture ou une règle, pour corriger un enfant et ce dernier ne doit jamais être frappé ou giflé au visage ou à la tête.

Six, tout usage de la force envers un enfant ne doit pas être dégradant, inhumain ou préjudiciable ou le placer dans une situation préjudiciable.

Sept, il ne faut pas infliger un châtiment corporel à un enfant qui est incapable de tirer une leçon de la situation en raison d’un handicap ou de tout autre facteur.

Huit, la gravité du comportement répréhensible de l’enfant n’est pas une justification pour déterminer la force raisonnable du châtiment corporel à infliger à l’enfant. La force utilisée doit être faible, peu importe le comportement de l’enfant.

La cour a statué — la majorité des juges de la cour, devrais-je dire — que l’emploi de la force doit être réfléchi et modéré, répondre au comportement réel de l’enfant et viser à contrôler ce comportement ou à y mettre fin ou encore à exprimer une certaine désapprobation symbolique à cet égard.

Je ne pense pas qu’il soit utile de formuler cette décision en termes incendiaires, en disant par exemple que s’il n’est plus légal d’agresser son épouse ou ses employés — comme le permettait la loi de 1892 — il est toujours permis, dans le Code criminel, d’agresser des enfants.

Soyons clairs : les parents qui dépassent les limites fixées par la Cour suprême du Canada, ceux qui maltraitent leurs enfants, méritent d’être punis.

Élever des enfants est une entreprise difficile, semée d’essais et d’erreurs. Les parents veulent ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants. Ils veulent qu’ils se comportent bien et qu’ils soient des membres productifs de la société, qu’ils comprennent les règles et les nuances de l’entente avec les autres. La parentalité est simplement l’acte et l’attitude d’un amour inconditionnel. Dans ces conditions, l’utilisation d’une force corrective mineure est un outil auquel certains parents ont recours. Je dirais que tous les parents envisagent un jour ou l’autre de donner une fessée à leurs enfants. La plupart ne le font pas, mais punir les parents qui le font et les envoyer en prison pour cela causera irrémédiablement plus de tort à la famille.

Comme je l’ai mentionné précédemment, l’article 43 ne s’applique pas seulement aux parents, mais aussi aux enseignants, et la Cour s’est prononcée sur ce point également. Tout en excluant que les châtiments corporels soient autorisés dans les écoles, elle a déclaré que les enseignants pouvaient recourir à la force pour faire sortir les enfants des salles de classe ou pour s’assurer qu’ils respectent les instructions.

Honorables sénateurs, la triste réalité de notre société actuelle, c’est que vous risquez davantage de voir des élèves agresser des enseignants que l’inverse. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas quelque chose de souhaitable ni quelque chose qui devrait être autorisé dans les écoles, mais le problème de la violence dans les écoles aujourd’hui est un problème général et, à bien des égards, pour certains segments influents et vocaux de notre société, la réponse à ce problème est complètement à l’opposé de ce à quoi vous pourriez vous attendre.

Les policiers, par exemple, ceux que l’on appelle habituellement en réponse à une attaque violente, sont désormais considérés comme les auteurs de la violence, parfois par leur simple présence. Je pense à un incident survenu récemment dans une école d’Ottawa où un enfant, à l’occasion d’une journée « amenez vos parents à l’école », n’a pas été autorisé à amener son père qui portait un uniforme de police. La police, en général, n’est souvent pas la bienvenue dans les écoles ni dans les commissions scolaires.

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, nous traitons d’une question très complexe. C’est pourquoi la cour a été divisée en 2004. Le juge Ian Binnie a soutenu dans son opinion dissidente que les enseignants ne devraient pas pouvoir se prévaloir de l’article 43. La juge Louise Arbour a quant à elle soutenu que l’article 43 comporte une « imprécision inconstitutionnelle », qu’il porte atteinte au droit de l’enfant à la sécurité de sa personne et qu’il « n’est pas conforme au principe de justice fondamentale ».

La juge Marie Deschamps a soutenu que l’article 43 viole l’article 15 de la Charte parce qu’il :

[...] encourage l’opinion selon laquelle les enfants ne méritent pas la même protection et le même respect de leur intégrité physique que les autres personnes, opinion qui est fondée sur l’idée désuète que les enfants sont des personnes de statut inférieur.

Elle estime qu’une loi qui autorise plus que des applications très mineures de la force porte atteinte de manière injustifiée aux droits des enfants.

Honorables sénateurs, bien que la majorité ait statué à la cour, comme le veut notre démocratie, ce serait un oubli dans nos débats de ne pas reconnaître qu’il y a eu aussi des opinions très différentes et très bien défendues.

C’est le cas au Sénat, comme en témoigne l’échange entre le sénateur Kutcher et le sénateur Plett. Comme vous l’avez deviné à partir de mes observations, bien que je respecte les opinions du sénateur Kutcher et de tous ceux qui se sont exprimés sur ce projet de loi depuis — pour la plupart en faveur —, j’ai des inquiétudes sur le projet de loi pour les raisons que j’ai exprimées.

Je suis cependant favorable à ce que ce projet de loi soit renvoyé à un comité en vue d’une étude et d’un débat plus approfondi.

Merci.

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