Projet de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers
Troisième lecture--Débat
13 juin 2019
Honorables sénateurs, avant de formuler mes observations à propos du projet de loi comme tel, j’aimerais dire quelques mots concernant ce qui s’est produit dans le cadre du débat à l’étape du rapport. Si je laissais la situation filer sans intervenir, j’ai le sentiment que cela nuirait aux futurs travaux à l’égard de ce projet de loi.
Honorables sénateurs, je n’ai pas rédigé le rapport seul. Les conservateurs non plus. C’est pourtant ce qu’ont laissé entendre de nombreux sénateurs de même que Joan Bryden dans son article du National Post. De nombreuses personnes ont contribué au rapport, y compris la sénatrice Simons, dont Mme Bryden a qualifié les propos de partisans. N’importe qui aurait pu contribuer au rapport. Tous les membres du comité ont eu l’occasion de le faire lorsque l’ébauche leur a été présentée dans le cadre du débat afin qu’ils puissent la modifier s’ils le souhaitaient. Nous n’avons pas attribué de temps.
Les membres du comité avaient également la possibilité d’écrire un rapport minoritaire. Ils ont choisi de ne pas le faire. Voici ce que la sénatrice Julie Miville-Dechêne m’a écrit dans un courriel le vendredi 17 mai.
Après avoir parlé au sénateur Dawson ce matin, nous sommes en faveur de ne présenter au Sénat qu’un seul rapport du comité sur la défaite du projet de loi C-48, rapport que vous souhaitez rédiger d’après ce que j’ai compris de notre discussion d’hier. Le sénateur Dawson et moi aimerions avoir l’occasion de lire le projet de rapport et, si possible, vous rencontrer le lundi 27 mai ou le 28 mai avant la réunion du comité. Nous souhaiterions voter sur un rapport le mardi 28 mai pour pouvoir le présenter au Sénat le plus rapidement possible.
J’ai acquiescé à toutes ses demandes. Malgré cela, elle a décidé de se plaindre du rapport et du processus dans son allocution sur le rapport. Voici ce qu’elle a dit :
J’ai décidé de ne pas consacrer des heures à essayer d’amender ce long rapport partisan, forcément subjectif, présenté par les membres du comité qui s’opposent à cette mesure législative.
Oui, nous nous sommes opposés au projet de loi. Elle a fait le choix de ne pas modifier le projet de loi. Par contre, se plaindre du ton du rapport après ne pas avoir saisi l’occasion qui vous était offerte au comité de proposer des changements parce que vous aviez un autre objectif est de mauvaise foi, sans parler qu’il y a certainement là, à tout le moins, manquement au devoir.
Ces accusations contre une honorable sénatrice vont beaucoup trop loin.
Je vous en prie.
Je pense qu’accuser une collègue de manquement au devoir est plutôt excessif, Votre Honneur.
Honorables sénateurs, plus tôt aujourd’hui, lorsque j’ai rendu ma décision sur un recours au Règlement du sénateur Plett, j’ai mentionné que nous devions faire preuve de prudence dans le choix de nos mots. En effet, les propos incendiaires ne contribuent pas réellement à faire avancer le débat. De toute évidence, les sénateurs peuvent avoir des divergences d’opinions et exprimer leur mécontentement à l’égard de certaines situations et mesures législatives. Après tout, le Sénat est un lieu de débat. Cependant, je demande aux sénateurs de veiller à ne pas tenir de propos incendiaires.
La sénatrice Galvez a déclaré ce qui suit : « Les demandes qui ont été faites dans le but de rencontrer les membres du Sous-comité du programme et de la procédure ont été rejetées par le président, et le président a pris seul la majorité des décisions. »
Nous avons entendu le témoignage de maires de régions indirectement touchées, puis de maires de régions directement touchées. Nous avons beaucoup parlé de division et de séparation.
Je vous invite tous à consulter le site web du Comité des transports et à jeter un coup d’œil sur le calendrier des audiences que nous avons tenues sur le projet de loi C-48. Vous constaterez que nous avons entendu un échantillon représentatif de témoins. Nous avons entendu précisément cinq maires de la Colombie-Britannique, représentant les régions soi-disant directement touchées, et cinq maires de l’Alberta et de la Saskatchewan, représentant ce que la sénatrice semble penser être les régions indirectement touchées. Eh bien, comme je vis dans cette province, je peux vous dire que la Saskatchewan est directement touchée par ce projet de loi, tout comme l’Alberta.
Avant de faire mes observations sur le projet de loi, je dois souligner que je suis d’accord avec les propos du sénateur Patterson et les arguments qu’il a tenté de faire valoir au sujet du projet de loi lui-même.
J’aimerais, pour commencer, citer des conseils que la ministre de l’Environnement a formulés en public récemment :
On a appris à la Chambre que lorsqu’on dit quelque chose haut et fort, qu’on parle plus fort, qu’on répète et qu’on se concentre sur un thème, les gens finissent par croire ce qui est dit sans poser de question.
C’est ce qu’a déclaré la ministre de l’Environnement.
Je me suis rappelé ces paroles de la ministre de l’Environnement lorsque, l’autre soir, j’écoutais le discours du sénateur Harder, dans lequel il a répété ce qu’il a dit souvent au sujet de ce projet de loi :
Comme vous le savez, cette mesure législative officialiserait le moratoire relatif aux pétroliers qui s’applique depuis longtemps le long de la côte nord du Pacifique, au Canada.
Il aurait peut-être dû le dire un peu plus fort parce que je n’y crois toujours pas totalement, et les Canadiens ne le devraient pas non plus.
Premièrement, comme l’a souligné la sénatrice Simons, ce n’est pas un moratoire, mais bien une interdiction. Le manque de précision quant à la signification des mots peut expliquer pourquoi le sénateur Harder pense pouvoir nous convaincre que le projet de loi C-48 officialise l’interdiction volontaire des pétroliers, alors qu’il ne fait rien de tel. Il a dit que le projet de loi C-48 aura pour effet d’éloigner les pétroliers de la côte nord-ouest en éliminant toute raison économique de s’y rapprocher. Non, sénateur Harder, c’est l’interdiction volontaire des pétroliers qui a pour effet d’éloigner les pétroliers de la côte. En officialisant l’interdiction volontaire des pétroliers, c’est ce qui se produirait.
Ce n’est pas ce que fait le projet de loi C-48. Je dirais qu’en utilisant l’expression « avoir pour effet de » pour décrire le projet de loi C-48, le sénateur Harder l’admet et sait très bien que le projet de loi n’officialise rien.
Le sénateur Harder aime citer le professeur McDorman et le cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright. Permettez-moi également de les citer. Comme nous l’avons écrit dans notre rapport, le professeur a dit à notre comité :
Pour des raisons commerciales et de bon voisinage, on garde habituellement les ports ouverts, mais en vertu du droit international, un pays a la capacité d’interdire l’accès aux ports à certains ou à tous les bâtiments. D’après ce que je comprends, c’est l’intention du projet de loi. Il interdit l’accès aux ports. Il n’a pas d’incidence sur la circulation dans la voie navigable en soi.
Dans son mémoire au sujet du projet de loi C-48, Norton Rose Fulbright a écrit :
Le projet de loi C-48 ne transforme aucunement la zone d’exclusion volontaire des pétroliers en une exclusion exécutoire en droit. Ni la zone d’exclusion des pétroliers ni le projet de loi C-48 n’empêcheront les pétroliers qui ne transportent pas de pétrole du système du pipeline Trans-Alaska de circuler le long de la côte Ouest canadienne ou dans les eaux territoriales. Le projet de loi C-48 n’empêche pas les navires chargés de pétrole de circuler dans la zone économique exclusive ou dans les eaux territoriales canadiennes, peu importe leur taille, pourvu que ces pétroliers ne s’amarrent pas dans les ports de la région ciblée du nord de la Colombie-Britannique.
Ce que le projet de loi fait — même le sénateur Harder le concède lorsqu’il dit que, économiquement parlant, les pétroliers n’auront plus de raison de venir près de la côte — c’est d’empêcher que le pétrole enclavé de l’Alberta et de la Saskatchewan puisse être acheminé sur les marchés.
Ne me dites pas que l’expansion du pipeline TMX, une fois achevée, permettra de le faire. La profondeur de l’eau au port à Burnaby n’est pas suffisante pour recevoir les pétroliers gigantesques requis de nos jours pour exporter du pétrole vers les marchés orientaux.
Honorables sénateurs, depuis un certain temps déjà, nous parlons sans nous écouter des raisons pour lesquelles le projet de loi est bon ou non. Mon principal argument est qu’il s’agit d’un projet de loi inutile et excessif parce qu’il n’y a pas d’oléoduc pour acheminer le pétrole au port dans cette région et qu’il est peu probable qu’il y en aura un dans les années à venir.
Le sénateur Woo sera déçu d’entendre cette nouvelle, car j’ai lu qu’il est un grand partisan du projet Northern Gateway, ou du moins qu’il l’était avant son arrivée au Sénat — ce que je ne savais pas avant.
Ce que je veux dire, c’est qu’il existe déjà un moratoire de facto visant les raisons économiques pour les pétroliers de s’approcher de la côte dans la région. Ce projet de loi est tout simplement excessif et il nous prive de notre avenir.
Parlons des risques. Le risque fait partie de la vie. Vous vous levez le matin et vous risquez de ne pas rentrer chez vous le soir. Vous envoyez vos enfants à l’école et il y a un risque. Le sénateur Harder nous a informés qu’il faut comprendre que le risque est le produit de la probabilité multiplié par la conséquence. Bien que ce soit vrai, les gens, dont de nombreuses personnes ici présentes, prennent l’avion tous les jours. Comme beaucoup d’autres l’ont déjà dit, ils le font tout en sachant qu’il y a risque d’accident. Les conséquences pour eux et leur famille seraient énormes, mais pour éviter que les affaires du pays soient paralysées, nous acceptons le risque pour le bien collectif.
Nous faisons tout ce qui est humainement possible pour minimiser le risque, bien entendu, mais nous n’interdisons pas le transport aérien. Or, c’est essentiellement l’approche qu’adopte le gouvernement avec le projet de loi. Le pays ne s’est pas rendu là où il est en refusant de prendre des risques.
Le projet de loi C-48 est ce que Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie, explique dans son ouvrage Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée comme une réaction démesurée à un problème mineur. Un déversement massif de pétrole ne serait pas un problème mineur, mais le risque d’un déversement est quant à lui assez faible. Ce risque a été largement surestimé, en raison de ce que Kahneman décrit comme :
[...] une cascade de disponibilité : un non-événement qui est gonflé par les médias et le public jusqu’à ce qu’il remplisse nos écrans de télévision et devienne tout ce dont on parle.
Dans son explication, le désastre de l’Exxon Valdez — un accident que le sénateur Harder ressort encore 30 ans plus tard — est un événement déclencheur. Kahneman cite les travaux de Paul Slovic :
Paul Slovic en sait probablement plus que quiconque sur la façon particulière de l’homme d’évaluer le risque. Son travail démontre que M. et Mme Citoyen du monde [évaluent le risque] en se fondant sur leurs émotions plutôt que sur la raison, qu’ils sont facilement influencés par des détails triviaux et qu’ils sont trop sensibles aux différences entre les probabilités faibles et négligeables.
Au cas où quelqu’un ici se considérerait au-dessus du citoyen moyen, « M. Slovic fait valoir [...] que le grand public est plus apte à évaluer le risque que les spécialistes. »
J’aimerais conclure avec les observations d’un autre éminent penseur, le professeur Steven Pinker de l’Université Harvard, que Justin Trudeau aime assez pour l’inviter à son bureau. M. Trudeau a écrit sur son compte Twitter que c’était formidable de passer du temps avec l’un des penseurs les plus brillants et les plus vifs du monde et ancien étudiant de l’Université McGill, S. A. Pinker, qui était à Ottawa. Il l’a remercié de la conversation éclairante qu’ils ont eue.
Bien sûr, l’adjectif « éclairante » faisait référence au dernier livre de M. Pinker, Le triomphe des Lumières, un appel à la raison et à la science. Dans son chapitre sur l’environnement, l’auteur écrit :
Le summum de l’insulte environnementale, ce sont les déversements de pétrole causés par des pétroliers, qui recouvrent des plages vierges d’une boue noire et toxique, encrassant le plumage des oiseaux marins et la fourrure des loutres et des phoques. Les accidents les plus tristement célèbres, comme l’échouement du Torrey Canyon en 1967 et celui de l’Exxon Valdez en 1989, restent gravés dans la mémoire collective, et peu de gens savent que le transport maritime du pétrole est devenu beaucoup plus sûr.
M. Pinker explique ensuite que :
[...] le nombre annuel de déversements de pétrole est passé de plus d’une centaine en 1973...
— la décennie où la plupart des études mentionnées par le sénateur Harder dans son discours ont été publiées —
... à seulement 5 en 2016 (et le nombre de déversements importants est passé de 32 en 1978 à un seul en 2016.
M. Pinker souligne que :
[...] quoiqu’il y ait moins de déversements, on achemine davantage de pétrole [...]
Enfin, il indique ceci :
À l’évidence, les pétrolières devraient vouloir réduire le nombre d’accidents de pétroliers étant donné que leurs intérêts économiques et les intérêts de l’environnement coïncident : les déversements de pétrole constituent un désastre pour les relations publiques (surtout lorsque le navire fissuré arbore le nom de la société) [...]
Les déversements ont des conséquences économiques pour les entreprises, qui ont leurs propres incitatifs pour les prévenir. Elles n’ont pas besoin de celui du gouvernement, qui, en passant, va à l’encontre de son prétendu engagement à l’égard de la mondialisation.
J’aimerais présenter un amendement. J’ai déjà déclaré dans cette enceinte que, selon moi, il revient aux gens de décider. Mon amendement reporte l’entrée en vigueur de cette loi au 31 décembre 2020.