Projet de loi sur l’évaluation d’impact—Projet de loi sur la Régie canadienne de l’énergie—La Loi sur la protection de la navigation
Projet de loi modificatif--Message des Communes--Adoption de la motion d’adoption des amendements des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat
20 juin 2019
Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir pour vous livrer mes dernières observations à propos du projet de loi C-69. À moins d’un miracle — et le sénateur Harder nous a dit plus tôt cette semaine qu’il ne croit pas aux miracles, et moi non plus d’ailleurs —, je crois que les dés sont jetés pour ce qui est du projet de loi C-69, malgré le fait qu’une série d’amendements approuvée par le Sénat ait été envoyée à la Chambre des communes. Ces amendements visent à permettre la reprise des projets au pays et le retour des investissements, et à envoyer le message aux autres pays que le Canada est disposé à faire des affaires. Grâce aux amendements apportés par le Sénat, ce projet de loi aurait été à même de faire avancer ces objectifs. Malheureusement, ce n’est pas le cas de la version qui nous est revenue.
Comme je n’ai pas l’impression que d’autres amendements sont les bienvenus, personne ne sera étonné d’apprendre que je vais voter contre le projet de loi C-69. Je vais formuler mes observations aujourd’hui aux fins du compte rendu, car je crois que ce dossier sera réexaminé tôt ou tard. Je tiens à me pencher sur le processus d’examen du projet de loi C-69, et sur la suite probable des choses.
Je vais vous faire part de mes principales réflexions — et je serai aussi bref et précis que possible. D’abord, je tiens à féliciter mes collègues sénateurs du travail que nous avons accompli ensemble. Il s’agit d’un travail remarquable. Je ne suis sénateur que depuis sept ans, mais je n’ai jamais vu le Sénat travailler de manière aussi diligente et concertée, et ce, dans des circonstances très difficiles.
Le projet de loi que la Chambre des communes nous a renvoyé était incomplet, c’est le moins qu’on puisse dire. Nous avons consacré le temps et les efforts nécessaires à de nombreux niveaux pour créer une mesure législative qui serait efficace. Je suis profondément reconnaissant envers mes collègues d’avoir pris cette question très au sérieux.
Évidemment, nous avons eu des divergences d’opinions. Mon point de vue ne correspond pas forcément à celui des autres sénateurs. Toutefois, je respecte l’opinion de tous les sénateurs, car je sais que vous avez pris le temps nécessaire pour bien comprendre les enjeux.
Je tiens tout particulièrement à féliciter trois sénateurs, qui, selon moi, ont apporté une contribution exceptionnelle à ce dossier et qui nous ont permis d’en arriver au point où nous en sommes aujourd’hui. Mon collègue — notre collègue —, ami et ancien confrère de la faculté de droit, le sénateur Wetston, qui n’est malheureusement pas avec nous ce soir, a apporté une contribution très concrète et solide pour que l’on puisse présenter un ensemble d’amendements qui se tient debout.
Je tiens aussi à féliciter le sénateur Richards. Si le sénateur Richards n’avait pas adopté la position qu’il a prise au comité, nous n’aurions jamais eu l’occasion d’examiner totalement les amendements qui ont été acceptés par le Sénat.
Enfin — et j’imagine qu’il y en a qui seront surpris —, je souhaite souligner le travail de mon grand ami, le sénateur Mitchell. On peut dire que nous n’étions pas d’accord dans ce dossier. Cependant, pendant la dernière année, au cours de laquelle j’ai activement participé au dossier, le sénateur Mitchell a toujours été d’une extrême courtoisie avec moi et ceux avec qui je travaille.
Je crois comprendre qu’il ne votera pas comme moi ce soir, mais je respecte le fait qu’il avait un dossier très difficile et qu’il s’en est occupé d’une manière admirable.
Mon deuxième point est que, malheureusement, à mon avis, le projet de loi C-69 ne sera pas plus efficace que ne l’a été la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 pour ce qui est de permettre la réalisation de projets au Canada. Cette dernière — je pense que nous en conviendrons tous — allait un peu trop loin dans une direction. Le projet de loi C-69 va dans l’autre direction, mais l’effet est le même : un niveau d’incertitude qui va empêcher la réalisation de projets.
Troisièmement, je ferais remarquer — comme nous le voyons bien et comme l’a souligné notre collègue la sénatrice Dasko plus tôt dans la soirée — que les Albertains se sentent actuellement profondément abandonnés par le Canada et la structure du pouvoir qu’ils perçoivent. Ce qu’ils aimeraient bien savoir est simple : pourquoi la majorité accepte-t-elle des politiques qui punissent si clairement la réussite économique d’une industrie qui établit une norme mondiale en matière d’exploitation responsable d’énergies renouvelables et non renouvelables et de collaboration avec les Premières Nations? C’est la question qu’on se pose. Je m’en tiendrai à cela. Nous espérons tous pouvoir trouver une issue, mais je pense, comme nous en sommes tous conscients, que c’est un problème bien réel au Canada.
Mon point suivant porte sur le pipeline Trans Mountain. Il a été approuvé hier, ce qui est fantastique naturellement. Il faut s’en réjouir. Rien ne sert de se plaindre. Cette annonce était nécessaire et je félicite le gouvernement de l’avoir faite. À présent, il faut que les travaux de construction commencent et il faut voir à ce que le gouvernement gère les moments houleux qui vont suivre.
Je rappelle à nos collègues que, il y a un an, le Sénat a appuyé le projet de loi que j’ai parrainé, le projet de loi S-245, qui déclarait que le pipeline Trans Mountain était dans l’intérêt général du Canada. Il y a toute une série de raisons pratiques d’ordre commercial et constitutionnel qui en découlent, mais je suis également redevable à mes collègues à cet égard. La Chambre des communes aurait dû adopter le projet de loi; elle se serait évité l’achat d’un pipeline.
C’est un débat pour un autre jour. Je soupçonne que nous réexaminerons le projet de loi S-245 ou son successeur parce qu’il y aura de réelles difficultés à l’avenir.
Il est étrange de constater que, à ce moment précis de l’histoire du Canada, alors que nos débouchés commerciaux sont limités dans divers secteurs, dont le secteur agricole, nous semblons prendre des mesures proactives pour restreindre l’exportation de nos produits d’exportation les plus importants.
Je tiens aussi à signaler à mes collègues que toutes les belles paroles qui ont été prononcées au cours du débat ne sont pas que de vaines paroles. Depuis que la Chambre des communes a décidé la semaine dernière de ne pas accepter la série d’amendements proposés par le Sénat, je peux vous dire une ou deux choses.
Même si l’indice de la Bourse de Toronto a beaucoup progressé depuis quatre ou cinq jours, le sous-indice regroupant les sociétés du secteur intermédiaire, c’est-à-dire celles-là mêmes qui construisent des pipelines, des entrepôts et des usines, a atteint un creux encore jamais vu. Certaines entreprises ont perdu de 70 à 90 p. 100 de leur valeur depuis que la Chambre des communes a annoncé cette décision.
J’aimerais porter à votre attention les propos de certains chefs d’entreprise. Le PDG d’Imperial Oil, une société que nous connaissons tous et qui appartient à ExxonMobil, a déclaré ceci la semaine dernière à propos du projet de loi :
[...] il va hélas nous obliger à prendre un peu de recul et à revoir sérieusement nos principales stratégies de croissance [...]
Les politiques, les projets de loi comme celui-ci n’ont absolument rien d’équilibré. Le temps finira par nous donner raison, quand les investissements se feront de plus en plus rares.
Le président de Japan Canada Oil Sands, Satoshi Abe, a tenu sensiblement les mêmes propos. Japan Canada Oil Sands, qui appartient à des intérêts japonais, a investi des milliards de dollars au Canada depuis plus d’une quarantaine d’années.
Voici ce qu’a dit M. Abe :
L’accroissement des obstacles réglementaires et de l’incertitude ajoute aux facteurs qui rendent le Canada moins attrayant par rapport au reste du monde.
Partout au Canada, les chefs d’entreprise tiennent le même discours. Tout ça depuis mercredi dernier.
Comme nous l’a dit avec éloquence la sénatrice Busson plus tôt aujourd’hui, et comme je me souviens avoir entendu la sénatrice Nancy Greene Raine le dire lorsqu’elle était avec nous l’an dernier, il faut savoir que le pétrole sera transporté, et il le sera par train. Au cours des derniers mois, disons depuis un an, un an et demi, la quantité de pétrole transporté par train a augmenté de 500 à 600 p. 100. Ce n’est pas un scénario idéal. Il y a un an ou un an et demi, le Comité sénatorial des transports a étudié ce dossier et a alerté le Sénat à l’égard des risques que nous courons.
Le spectre soulevé par la sénatrice Busson a aussi été soulevé par la sénatrice Greene Raine. Je me souviens de l’avoir entendue parler des trains qu’elle regardait passer dans le centre de la Colombie-Britannique sur ces hauts ponts à chevalets. Comme l’a indiqué si éloquemment la sénatrice Busson ce soir, c’est dans l’intérêt de qui au juste?
J’habite à Canmore. Je vois les trains se diriger vers les montagnes Rocheuses. Déjà, ils comptaient 30 ou 40 wagons. Maintenant, ils en comptent 140.
Mes collègues de Toronto voient ces trains traverser le centre-ville et le centre du quartier Rosedale, à Toronto. Il en est de même à Lac-Mégantic, à Winnipeg, à Regina et à Vancouver. Quel intérêt pensons-nous possiblement servir ainsi? Prions Dieu qu’aucune catastrophe ne se produise, car nous aurions de la difficulté à regarder notre reflet dans le miroir.
Je mentionnerais aussi que les Premières Nations, qui veulent passer de la pauvreté à la prospérité, sont très frustrées de la décision qui a été prise. Je ne parle pas seulement de celles qui développent présentement les ressources sur leur territoire et qui essuieront des pertes financières — qui en essuient déjà d’ailleurs —, mais aussi de celles qui comptent sur de nouvelles occasions. Il n’y aura pas de projet Eagle Spirit. Il n’y aura plus d’occasions relatives à de nouveaux pipelines, que ce soit pour les installations de stockage, les propriétaires ou les pipelines, parce qu’il n’y aura pas de nouveaux projets. Ce sont toutes des occasions perdues.
Évidemment, il y aura une diminution des recettes fiscales et des redevances. Le sénateur Harder l’a évoqué avec éloquence hier lorsqu’il parlait du projet Trans Mountain : il n’est pas question de recettes fiscales et de redevances de milliers ou de centaines de millions de dollars, il est question de milliards de dollars. Le projet Trans Mountain générera des milliards de dollars pour l’industrie et le gouvernement. L’argent qu’on aurait obtenu d’autres projets sera perdu et cela aura des conséquences.
Honorables sénateurs, il faut aussi savoir qu’il y aura une augmentation du nombre de poursuites. Le principal objectif du travail que nous avons accompli — moi et beaucoup d’autres — était de limiter le risque de poursuites, parce que c’est ce qui empêche les promoteurs d’aller de l’avant.
Notre incapacité à faire adopter une série d’amendements entraînera une augmentation des litiges. C’est parce que les provinces sont mécontentes de la position d’Ottawa, sans oublier les points de friction qui existent entre elles. Ma province a déjà fait savoir qu’elle contestera le projet de loi C-48, le projet de loi C-69 et la taxe sur le carbone devant les tribunaux. Je ne parle que des trois ou quatre derniers jours.
La Colombie-Britannique a annoncé qu’elle prendra d’autres recours par rapport aux projets de pipeline. C’est sans tenir compte des gens qui se sentent désavantagés par le processus prévu dans le projet de loi C-69. Malheureusement, ce risque ne fera que prendre de l’ampleur.
Enfin, je souhaite faire une observation, principalement pour éclaircir un point au Sénat. Comme beaucoup d’entre vous le savent peut-être, pendant la dernière année, j’ai travaillé activement à la coordination d’un groupe d’organisations, de gens, d’organismes et de gouvernements à l’échelle du pays pour élaborer la série d’amendements qui a été soumise au Sénat.
Un processus a été suivi. Il est tout simplement malhonnête de laisser entendre que les amendements du Groupe des sénateurs indépendants ont été acceptés alors que ceux des conservateurs ont été rejetés. Une telle affirmation ne correspond pas à la réalité. Dans les faits, des partis aux vues similaires ont élaboré une série d’amendements et ont cherché à trouver le bon moyen de les présenter au Sénat. Voilà ce qui est arrivé et voilà ce qui a produit des résultats.
Je suis reconnaissant envers mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants, le sénateur Wetston, mes collègues d’en face et tous ceux qui étaient prêts à reconnaître les risques en question et à relever le défi. C’est ainsi que nous avons procédé. Il est tout simplement malhonnête de dire qu’on ne pouvait pas adopter ces amendements parce qu’ils venaient des conservateurs.
Qu’est-ce que j’aimerais que nous puissions accomplir? Cette étape du combat est terminée. Nous allons voter ce soir, et des miracles pourraient se produire, mais cette étape du combat est bel et bien terminée.
J’appelle à un dialogue constructif en vue d’élaborer une stratégie nationale en matière d’énergie qui ne s’appuie pas que sur de belles paroles, des espoirs ou des vœux. Il nous faut un plan qui inclut tous les intervenants, tant dans le secteur des énergies renouvelables que dans celui des énergies non renouvelables.
Nombre d’organisations ont fait bien des efforts depuis une dizaine d’années. Ce travail est nécessaire. Il faut que des gens prennent la relève et poursuivent ces efforts en vue d’élaborer une stratégie, afin que nous n’ayons pas à recommencer ce processus. Le pays ne devrait pas avoir à subir cela de nouveau. Nous finirons par comprendre ce que nous devons faire pour protéger l’intérêt national, et nous travaillerons ensemble pour atteindre l’objectif.
Enfin, je remercie les dizaines de milliers de Canadiens qui ont écrit, parlé et, bien souvent, marché, dans l’espoir de se faire entendre. Je tiens à remercier les neuf premiers ministres du pays. Neuf premiers ministres, chers collègues.
Je suis désolé, sénateur Black, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Puis-je le faire?
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Je tiens à remercier les groupes représentant les Premières Nations, les chambres de commerce, les groupes de réflexion, les groupes environnementalistes et les promoteurs de projets. Je n’ai jamais vu de plus grande coalition d’opposition. Je félicite ces gens pour leurs efforts.
Comme vous pouvez l’imaginer, à l’instar de bon nombre d’entre vous, j’ai entendu les idées, les préoccupations et les frustrations de centaines, sinon de milliers de Canadiens. Je les remercie chaque jour — et je dis bien chaque jour —, peu importe où je me trouve. Les gens m’abordent dans des aéroports, des épiceries et des cafés, peu importe où je suis, pour exprimer leurs frustrations, mais, plus important encore, pour me remercier, ainsi que mes collègues, du travail que nous tâchons d’accomplir. Je tiens simplement à souligner que c’est mon travail. Je travaille au nom des industries de ressources, renouvelables et non renouvelables, et de tous ceux qui en sont touchés, et ce travail se poursuivra.
Merci, chers collègues.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du message de la Chambre des communes sur le projet de loi C-69.
Je veux tout d’abord remercier les membres du Comité de l’énergie pour la compréhension et le soutien dont ils ont fait preuve en adoptant un amendement que j’ai proposé au nom de l’Association des femmes autochtones du Canada. Cet amendement particulier proposait d’inclure l’analyse comparative entre les sexes tenant compte des différences culturelles dans les évaluations régionales et stratégiques. Bien que l’analyse comparative entre les sexes est exigée dans les évaluations d’impact, elle était notoirement absente des autres évaluations régionales et stratégiques. Afin de corriger cette omission, j’ai proposé, avec l’Association des femmes autochtones du Canada, d’ajouter à la page 55, l’article 1 aq)(iii)(b) :
[...] inclut une analyse comparative entre les sexes des effets des politiques, plans, programmes ou questions évalués.
Chers collègues, à ma grande déception, la disposition a été subséquemment retirée à l’autre endroit.
Je veux déclarer officiellement que cela cause du tort aux femmes et aux hommes autochtones, surtout ceux des Premières Nations et des communautés métisses et inuites situées près des projets de développement, en particulier celles qui vivent près de l’emplacement des camps de travail.
Honorables sénateurs, l’analyse comparative entre les sexes vise à rétablir l’égalité et l’équilibre. Cette analyse sert à évaluer et à noter les répercussions potentielles des politiques, des programmes ou des initiatives sur diverses populations de femmes, d’hommes et de personnes allosexuelles. Dans le cas des personnes des Premières Nations, métisses ou inuites, d’autres facteurs entrent en jeu, plus précisément la race, l’ethnicité et les séquelles historiques laissées par la colonisation et la discrimination, qui sont sources de marginalisation et de vulnérabilité pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits, surtout les femmes. Dans cette section-ci, je parle des femmes des Premières Nations, métisses et inuites.
Dans le document de discussion First Nations, Metis and Inuit Women’s Health publié en 2006, quatrième volet d’une série consacrée à la santé des Autochtones, notre distinguée collègue, la sénatrice Yvonne Boyer, dit ceci :
Les institutions canadiennes qui prétendent être indépendantes de toute valeur continuent de refléter une construction masculine de la réalité. Le colonialisme, axé sur des valeurs créées par et pour les hommes, a façonné des institutions, des lois et des politiques qui ont eu un effet négatif à long terme sur la santé des femmes autochtones. Certaines lois et politiques du mouvement colonial s’attaquaient au pouvoir qu’avaient les femmes autochtones en tant que piliers de la famille. Ainsi, la Loi sur les Indiens, les pensionnats, les lois sur la stérilisation et sur la santé mentale et le fait de retirer de force des enfants de leur famille étaient autant de façons de s’en prendre à l’essence même des femmes autochtones qui dispensaient des soins, veillaient au bien-être de la famille et étaient les égales des hommes dans la communauté.
Elle ajoute ensuite :
Les femmes prenaient les décisions essentielles au sujet de la famille, des droits de propriété et de l’éducation. Les principes sous-jacents de l’équilibre entre les sexes faisaient partie intégrante de la culture autochtone à ses débuts. La question de l’équilibre, cependant, ne doit pas être interprétée ou comprise de la même façon que la conception eurocentrique, féministe ou juridique occidentale voulant qu’« équilibre » soit synonyme d’« égalité ». Le droit autochtone n’est pas ordonné autour de valeurs eurocentriques ou de perceptions de ce qu’est l’« équilibre » ou l’« égalité ». Pour les femmes autochtones, l’équilibre est plutôt assimilable au respect des lois et des relations que les femmes autochtones entretiennent avec le droit autochtone et l’ordre écologique de l’univers. Comme le souligne la professeure Patricia Monture-Angus : « [...] la culture autochtone enseigne l’union, non la séparation. Nos nations ne séparent pas les hommes des femmes, bien qu’elles reconnaissent les rôles et les responsabilités uniques de chacun. Les enseignements de la création nous apprennent que ce n’est qu’ensemble que les deux sexes pourront instaurer un équilibre philosophique et spirituel complet. Nous sommes des nations et cela exige l’égalité des deux sexes. »
La sénatrice Boyer ajoute :
Contrairement à la culture européenne imposée par la colonisation, la culture iroquoienne n’était pas centrée sur les conflits ou la subordination [...] chaque sexe avait un rôle à jouer et chaque sexe était supérieur dans sa sphère de responsabilité. Les rôles des deux genres étaient considérés comme égaux et nécessaires pour la santé et la survie de la communauté.
Tous les groupes de la société autochtone ont un point commun : ils mettent l’égalité et l’équilibre des genres au premier plan, estimant que les hommes ne peuvent survivre aux conditions difficiles sans les femmes et que les femmes ne peuvent survivre sans leur pendant masculin. Selon la professeure Emma LaRocque :
Avant la colonisation, les femmes autochtones étaient aussi respectées que les hommes. Elles étaient leurs égales et jouissaient même d’un pouvoir politique comparable, contrairement aux Européennes à la même époque. On constate que le statut social des femmes autochtones a décliné au fil de de la progression du colonialisme. Maintes cultures autochtones, voire la majorité, étaient à l’origine matriarcales ou semi-matriarcales. Le patriarcat a été initialement imposé aux sociétés autochtones au Canada par l’intermédiaire du commerce de la fourrure, des missions de christianisation et des politiques gouvernementales.
Honorables sénateurs, les membres du Comité sénatorial de l’énergie ont entendu des témoignages sur les effets dévastateurs que l’industrie de l’énergie et de l’extraction des ressources a sur les femmes et les communautés nordiques, effets qui sont exacerbés par les cycles d’expansion et de ralentissement de l’économie.
Ces effets négatifs sont expliqués dans l’article du Réseau féministe du Nord intitulé Implications sexospécifiques et intersectionnelles de l’industrie de l’énergie et de l’extraction des ressources dans des communautés du Nord du Canada . Les auteures de cet article expliquent que le discours public concernant l’exploitation des ressources est souvent centré sur la croissance économique et l’emploi. Toutefois, pendant qu’on met ces aspects de l’avant, on ferme les yeux sur les effets socioculturels profonds et durables qu’un développement aussi intense a sur les communautés.
L’exploitation de ressources, quelles qu’elles soient, met à rude épreuve l’infrastructure physique et sociale des localités touchées. L’assiette fiscale change, les logements abordables se font rares, les services de santé et les réseaux de transport ne suffisent plus. L’exploitation des ressources a des répercussions sur la vie communautaire, tant lorsque les travailleurs arrivent en grand nombre que quand ils quittent la communauté. En outre, les coûts et retombées de cette exploitation ne sont pas répartis également au sein de la population ou de la communauté.
Chers collègues, dans l’article du Réseau féministe du Nord dont je parlais, on fait remarquer que l’amorce de projets d’exploitation des ressources peut influer sur le taux de toxicomanie dans la population environnante. Les crimes liés à l’exploitation sexuelle et à la traite des personnes ainsi que le travail du sexe peuvent augmenter. Nous avons entendu des femmes venant de localités touchées par un projet d’exploitation des ressources raconter qu’elles avaient été victimes de viol et de violence. Comme on le sait, la toxicomanie entraîne souvent des problèmes de violence conjugale et de maltraitance des enfants. Enfin, les projets d’exploitation des ressources peuvent perturber les traditions et les pratiques culturelles d’un groupe autochtone et nuire à leur transmission.
Honorables sénateurs, j’aimerais citer le Plan d’action national du Canada 2017-2022, intitulé L’égalité des genres : un pilier pour la paix. Plus précisément, je voudrais citer la lettre des ministres, qui affirme ceci :
[…] en situation de conflit, les femmes doivent affronter des risques particuliers. Elles doivent souvent se défendre contre la violence sexuelle et fondée sur le genre […] Le statu quo — empreint de relations de pouvoir inégales ainsi que de normes sociales, de pratiques et de systèmes juridiques discriminatoires — empêche les femmes et les filles d’exercer une influence sur les processus qui les touchent grandement.
Dans la section intitulée Les défis du Canada : apprendre de ses expériences, le rapport fédéral poursuit en ces termes :
Bien qu’elles ne vivent pas dans un État fragile ou touché par des conflits, les Canadiennes se heurtent à différents défis, notamment la violence fondée sur le genre. Les femmes et les filles autochtones font tout particulièrement l’objet d’une discrimination intersectionnelle et d’une violence fondées sur le genre, la race, le statut socioéconomique et autres facteurs identitaires, ainsi que sur des causes historiques sous-jacentes — en particulier l’héritage du colonialisme et la dévastation causée par le système des pensionnats […] Le Canada est déterminé à renouveler la relation avec les peuples autochtones du Canada. Le gouvernement veut réparer les torts du passé et également s’attaquer aux enjeux et aux problèmes actuels. Il a accepté les appels à l’action décrits dans le Rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada et confirmé son intention d’adopter sans réserve la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones […] Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire avant que les peuples autochtones du Canada aient facilement accès à des logements adéquats, à une éducation de qualité et à l’eau potable, qu’ils ne soient plus victimes de discrimination et que les femmes et les filles autochtones ne craignent plus pour leur sécurité physique.
Chers collègues, pour toutes les raisons que j’ai soulignées, je félicite le Comité de l’énergie d’avoir adopté cet amendement visant à inclure une analyse comparative entre les sexes aux fins des évaluations régionales et stratégiques. Cet amendement est une mesure importante pour la protection des membres les plus vulnérables notre société. Je tiens à dire, pour que cela figure au compte rendu, que je suis particulièrement déçu et même consterné que l’autre endroit n’ait pas tenu compte de cet élément essentiel.
À la lumière de la récente publication du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, cet amendement revêt une importance particulière, car il est conforme aux recommandations du rapport. J’aimerais attirer l’attention des honorables sénateurs sur les appels à la justice, notamment l’appel à la justice 1.9, qui se lit comme suit :
Nous demandons à tous les gouvernements d’élaborer des lois, des politiques et des campagnes d’éducation publique visant à remettre en cause l’acceptation et la normalisation de la violence.
Bien que le gouvernement ait finalement rejeté cet amendement fondamental, je tiens encore à tous vous remercier pour votre appui initial à cette importante démarche vers l’égalité.
Honorables sénateurs, étant donné que je me suis abstenue tout au long du processus, je tiens à dire très brièvement que le pire scénario que j’avais prévu s’est réalisé. À mon avis, l’équilibre que les amendements du Sénat ont réussi à rétablir dans ce projet de loi était adéquat. Je suis vraiment désolée que le gouvernement ait refusé de reconnaître que ces amendements l’auraient aidé, lui et tous les participants, à réaliser les objectifs qu’il espérait atteindre à l’aide du projet de loi.
Cela dit, je tiens à dire que, selon moi, la Loi sur l’évaluation d’impact, dans sa forme actuelle, comportera de graves lacunes — vraiment, de graves lacunes. Je crois qu’il y a quatre domaines qui devront faire l’objet d’un examen et de corrections en temps opportun.
Primo, les décideurs politiques. Ce n’est pas bon signe quand un Cabinet ou un ministre prend des décisions à cet égard. Lorsque nous sommes allés à l’étranger pour enseigner à d’autres personnes comment faire des évaluations d’impact, nous avons toujours dit : « Essayez de ne pas politiser les décisions. Essayez d’avoir un décideur indépendant. » Voilà que, au Canada, nous adoptons une pratique que l’on voit plus souvent dans des pays dont on ne vanterait pas les mérites dans une conversation banale autour d’une table.
Secundo, nous n’avons pas réussi à établir un mécanisme ou une pratique permettant d’établir et d’articuler clairement des politiques gouvernementales avant l’exécution de l’étude d’impact. C’est l’un des problèmes que nous connaissons depuis sept à dix ans. Nous avons besoin d’une plate-forme. Nous avons besoin d’un espace où tous les citoyens et tous les intervenants canadiens intéressés participent aux décisions stratégiques du gouvernement et les approuvent. Nous pourrons ensuite appliquer la politique, qui sera alors un élément connu dans le cadre du processus d’évaluation. Vous êtes informé à l’avance des politiques, vous savez ce qu’elles renferment et vous avez quelque chose avec lequel vous pouvez travailler — plutôt que quelque chose qui change et qui est annulé, sept ans plus tard, par une journée pluvieuse de novembre, après avoir dépensé 800 millions de dollars et avoir reçu toutes les approbations nécessaires ou, du moins, des recommandations pour approbation, et juste avant l’annonce d’une politique gouvernementale qui aurait mis fin à la pratique plus tôt si elle avait été faite correctement.
Tertio, l’expertise des évaluateurs fera grandement défaut. Je recommande vivement que vous lisiez la transcription des délibérations du comité. Je pense que le témoin Andrew Roman a très bien résumé la situation. Il a dit qu’on ne peut pas « séparer ceux qui entendent les témoignages de ceux qui prennent les décisions ». Vous ne pouvez pas prendre des décisions en vous basant sur un résumé préparé par quelqu’un d’autre. Rédiger des notes d’information ne permet pas de devenir un évaluateur perspicace. Vous devez savoir ce que vous faites, et vous devez avoir écouté et assimilé les témoignages. Cela n’a pas été établi.
Quarto, le projet de loi ouvre encore trop la porte aux contestations judiciaires. Il n’est pas à l’abri de telles contestations. En effet, la portée de la disposition privative comme on l’appelle en langage juridique, qui est un processus de révision judiciaire, n’a pas été restreinte suffisamment pour préserver l’intégrité du processus d’évaluation. Le résultat, c’est que les gens se ruent devant les tribunaux pour plaider leur cause encore une fois, ce qui offre bien des avenues de contestation judiciaire. Les gens ne cessent de se précipiter devant les tribunaux et de retarder le processus. Cela crée de l’incertitude, et le contexte n’est pas toujours pris en considération.
Voilà quatre grandes failles fatales du processus auxquelles on n’a pas remédié à mon avis. Pour résumer, je dirai également que le processus ne sera pas une affaire de loi, mais bien une affaire de gestion. Sa gestion sera très importante. Elle exigera une grande discipline de la part des intervenants. Espérons que l’Agence d’évaluation d’impact, plus particulièrement, qui s’est vue accorder des pouvoirs supplémentaires, saura trouver la fermeté et le professionnalisme nécessaires pour gérer le processus avec rigueur.
Voilà, je m’en tiendrai à cela. Merci.
Honorables sénateurs, j’ai une impression de déjà-vu. Je parle naturellement de ce que nous avons vécu avec le projet de loi C-49 à peu près à la même époque l’an dernier. Nous avions proposé 18 amendements que le gouvernement s’était empressé de rejeter pour la plupart. Il n’en avait accepté que deux. Nous y revoici. Nous envoyons le projet de loi C-69 avec 188 amendements à la Chambre, qui nous le renvoie en les ayant presque tous rejetés. Or ces amendements étaient appuyés par les provinces, par l’opposition officielle et par les industries qui sont les plus susceptibles d’être touchées par le projet de loi, celles dont les projets seront soumis au nouveau processus d’examen.
Mais, nous dit-on, le gouvernement a accepté un nombre record d’amendements, ce qui, pour certains, est la preuve que le Sénat nouveau et amélioré fait du bon travail. Ce qu’on ne nous dit pas, c’est qu’il s’agit des amendements qui proviennent du gouvernement lui-même et qui ont été transmis par le truchement du groupe des sénateurs indépendants. Évidemment, ils vont les accepter.
Honorables sénateurs, nous avons proposé 188 amendements et la Chambre, 100, ce qui fait près de 300 amendements. Lorsque la ministre de l’Environnement a témoigné à propos du projet de loi C-69 devant le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, elle a affirmé :
Le projet de loi C-69 a bénéficié de l’apport de milliers de Canadiens au cours de trois ans de consultation et de mobilisation. En fait, le processus a commencé en janvier 2016.
Depuis trois ans, des gens de partout au pays y ont contribué, y compris des représentants de l’industrie, du milieu universitaire et nos partenaires autochtones, provinciaux et territoriaux.
Deux groupes d’experts et deux comités parlementaires ont tenu leurs propres réunions, mené des études, entendu des témoins et examiné les commentaires du public. Cette contribution a bénéficié au projet de loi et l’a renforcé.
À l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Mitchell a affirmé ceci :
Le projet de loi C-69 est fondé sur un processus de consultation exhaustif et transparent de 14 mois, conçu pour capter les divers points de vue des Canadiens, notamment ceux des Autochtones, de l’industrie, des provinces et territoires et du grand public. Il y a eu deux examens par un groupe d’experts, deux examens par un comité parlementaire permanent, des centaines de réunions et de mémoires ainsi que des milliers de commentaires en ligne.
Cela dépasse l’entendement. Après toutes les consultations menées auprès des peuples autochtones, de l’industrie, des provinces, des territoires et du grand public, les conclusions de tous les comités d’experts, les centaines de réunions, les mémoires soumis, et les milliers de commentaires en ligne, le Sénat a jugé nécessaire d’apporter 188 amendements au projet de loi C-69 et de le renvoyer à la Chambre.
Jusqu’à quel point les consultations étaient-elles poussées? Les engagements étaient-ils coulés dans le béton pour que les députés libéraux se sentent obligés d’apporter 100 amendements à leur propre projet de loi, et le Sénat, 188 de plus?
Certains sénateurs estiment qu’il y a lieu de se réjouir que le gouvernement ait rejeté presque tous les amendements conservateurs et en ait accepté tant d’autres. « C’est historique et sans précédent », a publié sur Twitter une sénatrice du Groupe des sénateurs indépendants. « Je pense que cela prouve ce que le nouveau Sénat peut faire. »
Cela vaut aussi pour l’ancien Sénat. Certains d’entre nous sont ici depuis assez longtemps pour se souvenir de la Loi fédérale sur la responsabilité, à laquelle le Sénat avait apporté 180 modifications, toutes proposées par l’opposition. Le gouvernement Harper en avait accepté près de 100. Le fait de dire que le message est historique, sans précédent et qu’il est la preuve de ce que le nouveau Sénat peut faire, c’est comme prendre des vessies pour des lanternes : ne prétendons pas que le problème est réglé.
En fin de semaine, la ministre de l’Environnement a expliqué pourquoi elle avait rejeté les amendements de l’opposition. À l’intention du sénateur Black et au risque d’être désagréable, je vais la citer. D’après ce qu’elle a dit, la principale raison est que les amendements ont été proposés par le secteur pétrolier.
Les politiciens conservateurs ne souhaitent qu’une chose : que nous prenions telles quelles les recommandations formulées par les lobbyistes du secteur pétrolier.
Voilà pourquoi nous avons rejeté 90 p. 100 des amendements des conservateurs.
J’ai quelques petites choses à dire à ce sujet.
Premièrement, Rachel Notley sera surprise d’apprendre qu’elle est maintenant une politicienne conservatrice et une porte-parole du lobby du pétrole, tout comme le chef libéral de l’Alberta, David Khan. Ils ont tous les deux adressé une lettre au premier ministre et au sénateur Harder pour appuyer l’ensemble des amendements — tous les amendements.
Deuxièmement, s’il valait la peine d’écouter l’industrie lorsque le gouvernement a mené des consultations qui ont abouti à la présentation du projet de loi C-69, pourquoi la ministre a-t-elle rejeté les recommandations de l’industrie du revers de la main aujourd’hui? Elle ne semble pas les avoir rejetées en raison de leur contenu — dont elle n’a même pas parlé —, mais plutôt parce qu’elles provenaient de l’industrie pétrolière.
Il s’agit pourtant de la même industrie dont la ministre a parlé en termes dithyrambiques en février 2018, à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi :
Le gouvernement comprend l’importance du secteur des ressources pour l’économie. De grands projets d’exploitation des ressources d’une valeur de plus de 500 milliards de dollars sont prévus partout au Canada au cours de la prochaine décennie. Ces projets créeront des dizaines de milliers d’emplois bien rémunérés dans tout le pays et stimuleront l’économie des collectivités avoisinantes [...]
Toutefois, lorsque cette même industrie a appuyé les amendements apportés par les conservateurs à son projet de loi, elle l’a vilipendée. C’est un tout autre niveau d’hypocrisie.
Soit dit en passant, le gouvernement Harper n’a pas vidé de sa substance le processus d’évaluation environnementale, et la population n’a pas perdu confiance dans la façon dont l’Office national de l’énergie rend ses décisions. Créé en 1959, l’Office national de l’énergie est reconnu dans le monde entier comme une entité experte en matière de réglementation. Il n’était pas nécessaire de s’en débarrasser. Tous les problèmes relevés dans le processus d’évaluation environnementale auraient pu être réglés en modifiant la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Le gouvernement libéral fait une fixation sur Stephen Harper et a la manie d’éliminer toutes les mesures qui portent la signature des conservateurs.
Par conséquent, la seule raison que je puisse imaginer pour justifier la mise de côté de l’Office national de l’énergie, c’est qu’il s’agissait d’une mesure de l’ancien premier ministre conservateur John Diefenbaker, de la Saskatchewan.
Troisièmement, les amendements que nous avons proposés n’étaient pas simplement des amendements conservateurs, mais ceux des gens des provinces et des villes qui seront les plus touchées par le projet de loi. Écoutez ce qu’ils ont à dire.
La semaine dernière, le sous-préfet du comté de Lac Sainte-Anne m’a informé qu’un conseiller de cette municipalité avait déposé une motion qui incluait la phrase suivante :
QUE la mesure législative proposée, sous la forme du projet de loi C-69 sans les amendements du Sénat, nuira à la viabilité et au développement durable du comté de Lac Sainte-Anne et du secteur de l’énergie.
La motion demande aux « honorables membres du Sénat du Canada [...] de rejeter le projet de loi C-69 s’il est renvoyé à la Chambre haute sans l’ensemble des amendements qui ont été adoptés au Sénat ».
Le maire de Bonnyville a écrit au Sénat pour lui demander de rejeter le projet de loi C-69 ou d’insister sur les amendements qu’il avait initialement adoptés : « Nous vous prions de tenir compte du gagne-pain et du bien-être de notre communauté au moment du vote. »
Le conseiller Ray Prevost, de Bonnyville, a présenté une motion similaire à celle que je viens de citer :
QUE le conseil municipal de Bonnyville encourage les honorables membres du Sénat du Canada à rejeter [...] le projet de loi C-69 s’il est renvoyé à la Chambre haute sans les amendements qui ont été adoptés au Sénat.
Greg Sawchuk, le préfet de Bonnyville, m’a écrit pour implorer le Sénat de tenir compte des milliers de travailleurs de l’industrie pétrolière dans la région :
L’industrie collabore avec les habitants, les municipalités, les Premières Nations et les établissements métis afin de réduire au minimum l’empreinte environnementale de leurs entreprises. Assurer l’attrait continu de la région est un objectif important pour l’industrie, étant donné qu’il s’agit d’un incitatif pour que les travailleurs qualifiés s’y établissent.
L’industrie collabore depuis longtemps avec la population autochtone locale pour créer des emplois, établir des partenariats commerciaux et offrir de la formation continue et des bourses d’études aux étudiants locaux. La Première Nation de Cold Lake exploite plus de 40 entreprises liées à l’industrie pétrolière et gazière, employant ses propres membres et d’autres personnes provenant de communautés autochtones de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan. Elle est reconnue à l’échelle nationale pour ses partenariats uniques avec l’industrie pétrolière et gazière et elle a remporté de nombreux prix pour ses efforts de coopération.
Le conseil du comté de Thorhild et celui de Wood Buffalo ont tous les deux imploré le Sénat de rejeter le projet de loi C-69 s’il y était renvoyé sans ses amendements. La motion du conseil de Wood Buffalo indique notamment ceci :
QUE la mesure législative proposée, sous la forme du [...] projet de loi C-69 sans les amendements du Sénat, nuira à la viabilité et à la durabilité de la région de Wood Buffalo et du secteur de l’énergie.
Honorables sénateurs, vous vous rappellerez que Wood Buffalo comprend Fort McMurray, une ville qui a été dévastée par un incendie de forêt il y a quelques années. Maintenant, avec le projet de loi C-69, le gouvernement est déterminé à doubler ses torts d’un affront.
En terminant, j’aimerais remercier le vice-président du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, Michael MacDonald, tous mes collègues et le sénateur indépendant Richards pour leur travail au comité. Je veux aussi remercier la sénatrice McCoy, qui est souvent venue au comité poser de bonnes questions, difficiles, mais bonnes et fort appréciées.
Honorables sénateurs, avec ce message, le gouvernement contrecarre tous ces efforts et fait du tort à tous ceux au Sénat qui ont travaillé si fort sur les amendements. C’est ce que le gouvernement fait. Avec ce message, le gouvernement rend un bien mauvais service aux gens de Bonnyville, Thorhild et Wood Buffalo, du comté de Lac Sainte-Anne et d’autres villes au Canada qui soutiennent le secteur des ressources.
Vous pouvez me croire : ces gens feront savoir exactement ce qu’ils pensent au mois d’octobre.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du message de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-69.
Le projet de loi C-69 a été surnommé le « projet de loi sur la fin des pipelines » parce qu’on a présumé à tort qu’il traite seulement de l’industrie pétrolière et gazière. Or, ce projet de loi a de vastes répercussions sur bon nombre des secteurs de notre économie, et il touche nombre de facettes des grands projets d’infrastructure et d’exploitation des ressources au Canada.
Si le Canada ne réussit pas à démarrer de grands projets comme les oléoducs, les trains à grande fréquence, les ponts, les lignes de transport d’électricité et d’énergie propre et les terminaux portuaires, nous risquons de nuire grandement à l’économie. Évidemment, cela implique, pour des gens comme Jacques et Marie, moins d’emplois bien rémunérés permettant de subvenir aux besoins de la famille. Cela suppose aussi moins de recettes provenant de redevances et d’impôts pour financer les nombreux programmes sociaux, de santé et éducatifs de notre pays.
Il va sans dire que le projet de loi risque de perturber complètement la confiance des investisseurs au Canada et de mettre des bâtons dans les roues des grands projets d’infrastructures. Par exemple, le mois dernier, lors d’une exposition et conférence de trois jours sur le gaz naturel et le gaz naturel liquéfié à Vancouver, un expert a affirmé que le projet de LNG Canada d’une valeur de 40 milliards de dollars — le plus gros projet au Canada — n’aurait probablement jamais été approuvé s’il avait dû subir la nouvelle évaluation d’impact que propose le gouvernement Trudeau.
Je rappelle aux sénateurs que LNG Canada est censé liquéfier et exporter de façon responsable le gaz naturel le plus propre au monde vers les marchés asiatiques, afin de contribuer à l’élimination du charbon et ainsi réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Malgré ce que nous pourrions penser, je crois sincèrement que le gouvernement libéral souhaite, peut-être subtilement, mettre un terme à l’industrie pétrolière et gazière. D’un autre côté, il veut pouvoir compter sur un gaz naturel liquéfié propre pour obtenir des crédits de carbone internationaux, de manière à s’approcher de ses objectifs en matière de changements climatiques.
Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Mitchell nous a dit que le projet de loi C-69 :
[...] vise à faire en sorte que les répercussions des projets d’exploitation des ressources soient passées en revue rigoureusement afin de gagner la confiance du public et des peuples autochtones et de satisfaire aux interprétations exigeantes des tribunaux. De plus, il mettra en œuvre des dispositions visant à maintenir et à améliorer la compétitivité de l’industrie et la confiance des investisseurs.
Il ne serait pas exagéré de dire que le gouvernement y est allé à l’aveuglette dans ce dossier et que le projet de loi rate sérieusement la cible. Pendant les audiences du comité, les témoins ont souvent dit que ce projet de loi viendrait éroder la compétitivité de l’industrie et la confiance des investisseurs. Le comité a tenté de régler ces problèmes.
Quelques mois ont passé, et le gouvernement reconnaît maintenant que le travail du Sénat a considérablement amélioré cette mesure législative. De toute évidence, le projet de loi C-69 était bancal depuis le début. Le comité a d’ailleurs entendu des témoignages révélateurs et plutôt ahurissants.
À mon humble avis, il fallait les 188 amendements du Sénat pour que le projet de loi C-69 commence enfin à avoir un certain sens. Plusieurs premiers ministres ont exhorté le gouvernement à accepter tous ces amendements. La réponse du gouvernement : « non merci ».
Les sénateurs peuvent s’attribuer beaucoup de mérite pour avoir mené une étude approfondie de ce projet de loi, surtout les 14 membres du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Nous avons tenu des réunions dans neuf villes canadiennes. Malgré ce que certains peuvent en penser, j’estime que l’exercice a été très utile.
Je suis particulièrement fier du travail de l’opposition officielle au Sénat. Certains nous ont accusés de faire de l’obstruction ou de vouloir retarder indéfiniment l’adoption du projet de loi C-69. La semaine dernière, la ministre McKenna a dit à Don Martin que les sénateurs conservateurs ont retardé l’étude pendant un an. Je rejette cette accusation. Je ne peux pas parler au nom de mon caucus, chers collègues, mais j’ai toujours voulu améliorer ce projet de loi. Je suis heureux que notre caucus ait beaucoup insisté pour que le comité se déplace et qu’il étudie ce projet de loi en détail. Je crois que nous avons tous grandement bénéficié de ces audiences.
Je pense également que nombre de Canadiens ont bénéficié de cette expérience. Lors de nos voyages, bien des gens sentaient enfin qu’on portait vraiment attention à ce qu’ils disaient et à leurs préoccupations. Après toutes ces heures de réunions, j’ai constaté très clairement un certain nombre de choses. Premièrement, le projet de loi C-69, comme le projet de loi C-48, a été l’un des projets de loi les plus malsains, les plus polarisants et les plus controversés que nous ayons étudiés depuis ma nomination au Sénat.
Comme je l’ai dit il y a quelques semaines, Trudeau se vante d’être rassembleur, de trouver le juste équilibre entre économie et environnement et de ne pas faire de politique polarisatrice. Il a été particulièrement mauvais à ce chapitre, comme l’ont clairement montré nos multiples réunions.
Il a réussi à se mettre à dos un pan entier de la population canadienne. Il n’est pas exclusivement question d’une confrontation entre l’Est et l’Ouest. Dois-je vous rappeler que neuf provinces sur dix se sont dites préoccupées par ce projet de loi à différents égards?
Deuxièmement, c’est tout à notre crédit, le Sénat a fait un excellent travail d’écoute des Canadiens des deux camps. Nous devrions en être très fiers. Je lève mon chapeau à tous ceux qui ont travaillé d’arrache-pied à ce dossier dans l’ombre. Je sais que c’était un travail éreintant et parfois frustrant. Je crois que le projet de loi que nous avons renvoyé à la Chambre était grandement amélioré.
Troisièmement, les libéraux de Trudeau ont complètement laissé tomber les Canadiens en ce qui a trait aux consultations relatives à l’élaboration du projet de loi C-69.
Quand a-t-on vu un projet de loi d’initiative ministérielle nécessiter plus de 300 amendements des deux Chambres du Parlement? Bonté divine, au total, le projet de loi ne compte que 359 pages.
Cela témoigne de la piètre qualité du travail du gouvernement. Je crois sincèrement que les amendements que nous avons proposés auraient amélioré ce projet de loi. Ils aideraient l’industrie, stimuleraient la prospérité économique de notre pays et protégeraient notre environnement. Cependant, le gouvernement a rejeté des dizaines de nos amendements. En fait, il se vante même d’en avoir accepté beaucoup, en insinuant que nous devrions être satisfaits du résultat. En d’autres termes, nous devrions nous estimer chanceux qu’il ait même décidé d’en accepter.
Dans un discours prononcé la semaine dernière, la ministre McKenna a soutenu que le gouvernement avait accepté des amendements qui étaient logiques, plutôt que ceux proposés par les politiciens conservateurs.
Voici ce qu’elle a dit :
À la Chambre et au Sénat, les conservateurs veulent remplacer les évaluations environnementales par un processus d’approbation des pipelines [...] Leur objectif est d’affaiblir les règles, et nous savons tous où cela nous mènera.
Permettez-moi de rappeler quelques faits à l’honorable ministre. Le 16 mai, le projet de loi a été fortement amendé par le comité et il a été entendu à l’unanimité qu’il soit renvoyé à la Chambre tel qu’amendé. Le 6 juin, au Sénat, le projet de loi contenant toute la série d’amendements proposés par le comité a ensuite été adopté avec dissidence.
Certains ont soutenu que les amendements du comité allaient trop loin et ont affirmé que des sénateurs étaient influencés par l’industrie pétrolière et gazière ou cédaient à ses pressions. J’estime plutôt que les amendements du Sénat proposent un compromis qui établit le genre d’équilibre dont le gouvernement se vante depuis des mois.
Évidemment, je suis déçu, mais pas étonné que le gouvernement ait rejeté la plus grande partie des amendements que notre camp avait proposés et qui, soit dit en passant, avaient reçu l’aval du Sénat.
Pour répondre au message de l’autre endroit, je vais m’attarder sur une seule modification que nous avons suggérée et que le gouvernement a rejetée. Je parle de la participation du public.
Avant d’expliquer pourquoi j’estime qu’il est utile d’avoir des critères liés au droit de participation, je vais raconter un incident survenu durant l’une de nos audiences, qui justifie l’établissement de certains paramètres pour encadrer la participation du public ou, à tout le moins, mettre en place un mécanisme pour éviter que la voix des experts ou de ceux qui sont touchés par un projet ne soit pas étouffée par celle des autres.
Je me permets de décrire le contexte de l’incident, qui s’est produit le 12 avril, durant une audience tenue à l’hôtel Fort Garry de Winnipeg. Le deuxième groupe de témoins ce matin-là était formé de dirigeants métis et de Premières Nations, dont l’aîné David Scott de la nation Swan Lake. Durant sa comparution, des militants écologistes, qui étaient assis dans l’auditoire, sont soudainement venus se placer à côté de nous, et ils ont déployé des banderoles de protestation. Ils sont restés là, sans dire un mot, devant les caméras, tandis que notre audience se poursuivait. La paix et le respect régnaient jusqu’à ce qu’un manifestant décide d’interrompre alors qu’une question était posée à l’aîné David Scott.
En plus d’interrompre nos travaux, cet individu a aussi manqué de respect envers un membre des Premières Nations. L’audience a été brièvement suspendue pendant qu’on demandait gentiment aux manifestants de quitter la salle. Cependant, pendant qu’il quittait la salle, le manifestant qui avait joué le trouble-fête a annoncé que son groupe tiendrait une conférence de presse ailleurs dans l’établissement.
Je vous raconte cette histoire pour deux raisons. Premièrement, je crois qu’il est très révélateur que lorsqu’on a escorté les manifestants hors de la salle, l’équipe de tournage et les médias les ont suivis pour assister à leur conférence de presse. Ils ont fait preuve d’une indifférence totale envers l’aîné David Scott. Ils ne s’intéressaient guère à ce qu’il avait à dire. Ils se souciaient uniquement du message des militants, qui étaient venus en petit nombre, mais qui avaient une voix forte. De toute évidence, le témoignage sincère et passionné de l’aîné David Scott ne revêtait pas une grande importance pour eux.
Deuxièmement, comme je l’ai dit à ce moment-là, ces personnes se sont introduites dans la salle dans le but de propager un message, peut-être même avec une intention cachée, et ils ont interrompu nos travaux. À mon avis, c’est exactement le même genre de chose qui se passe à plus grande échelle à l’heure actuelle avec les projets d’exploitation des ressources du pays.
Même s’il s’agit d’un simple événement survenu pendant une réunion, je pense qu’il reflète en quelque sorte ce que le gouvernement espérait accomplir avec le projet de loi C-69 au chapitre de la participation du public au processus d’évaluation d’impact.
Le gouvernement prétend qu’en retirant à l’organisme de réglementation le pouvoir de refuser un éventuel participant, on permet une participation publique plus réelle. Aux termes de la loi actuelle, les personnes directement touchées par la réalisation ou l’exploitation d’un projet proposé doivent être autorisées à participer au processus. Les personnes qui pourraient posséder des renseignements pertinents ou une expertise appropriée peuvent également participer à l’évaluation. Le projet de loi C-69 vise à ouvrir les évaluations d’impact à tous en éliminant les « critères de participation ».
Grâce au travail du comité, nous avons amendé le projet de loi afin de rendre la composante des évaluations relative à la participation du public plus efficace, plus pratique et plus ou moins applicable. L’un des amendements adoptés au comité, appelé l’amendement 1p)iii), confère à l’agence les pouvoirs et la flexibilité de déterminer la manière qu’elle estime indiquée pour les membres du public de participer de façon significative à une évaluation d’impact, en tenant compte, premièrement, de la mesure dans laquelle un membre du public est directement touché par les projets désignés et, deuxièmement, du fait qu’un membre du public possède ou non de l’information ou une expertise pertinentes pouvant éclairer sa décision.
Il est devenu évident, pour moi, que permettre à tout un chacun d’avoir voix au chapitre relativement à des propositions de projet risque d’enterrer la voix des personnes qui sont directement touchées. La situation concernant l’aîné David Scott, à Winnipeg, reflète cette préoccupation.
L’amendement proposé n’applique aucunement le « critère de participation » et ne limite pas la participation du public. Plutôt, il oriente l’agence pour évaluer la valeur de la participation du public.
Je suis content que le gouvernement ait accepté un amendement que nous avons proposé, qui habilite l’agence et la commission à établir certaines règles et attentes relativement à la participation du public, mais j’estime qu’il ne va pas assez loin.
Si nous n’accordons pas le poids qu’ils méritent aux intérêts des différentes parties, nous risquons de rendre le processus terriblement injuste. Les personnes qui habitent à proximité d’un projet et qui seront directement touchées par celui-ci devraient avoir la priorité, faute de quoi leur voix risque de se perdre dans le tumulte général, comme c’est arrivé à certains chefs autochtones pendant la réunion que nous avons tenue à Winnipeg. Certains des amendements adoptés par le Sénat permettaient de remédier en partie à la situation.
Honorables collègues, les évaluations environnementales doivent être prises au sérieux, alors nous ne devrions pas encourager ceux qui s’en moquent ouvertement à y participer. Autrement, nous ferons simplement retarder l’approbation des projets, nous accroîtrons les risques que courent les investisseurs et nous pousserons les entreprises à aller ailleurs.
Les processus permettant de prioriser les participants afin que la décision repose d’abord et avant tout sur les connaissances des spécialistes, les données pertinentes et le point de vue des personnes directement touchées ont souvent été utilisés à bon escient. Je suis fermement convaincu qu’on continuera d’en faire un usage responsable si le gouvernement accepte nos amendements.
La députée Shannon Stubbs a dit quelque chose d’intéressant la semaine dernière : « Les critères de participation n’ont pas pour but d’écarter les participants qui méritent d’être entendus. Elles offrent au contraire un moyen responsable d’écarter les personnes dont le point de vue n’ajouterait aucune valeur à l’évaluation environnementale des divers projets. Selon moi, elles servent tout à fait les intérêts du Canada. »
Personnellement, je suis convaincu que nous devrions insister sur les amendements portant sur la participation du public, mais je m’incline. Je tenais à exprimer mon point de vue, mais je n’en ferai pas non plus mon Golgotha.
Votre temps de parole est écoulé
Je vous remercie, honorables sénateurs.
Honorables collègues, je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée ce soir de dire quelques mots sur le message de la Chambre au sujet du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois
Si je suis heureux de dire quelques mots sur le message, je ne suis certainement pas satisfait du projet de loi dans sa forme actuelle. Dans le peu de temps qui m’est imparti ce soir, je concentrerai mes observations sur l’effet extrêmement néfaste que l’adoption de ce projet de loi aura dans ma province d’origine, Terre-Neuve-et-Labrador.
Je tiens en outre à souligner que ces préoccupations ne proviennent pas seulement de moi, mais qu’elles sont partagées par de nombreuses personnes de ma province, sans égard aux allégeances politiques, ainsi que par des organismes qui s’intéressent à l’industrie pétrolière et gazière, dont la Newfoundland and Labrador Offshore Industry Association.
Par ailleurs, le projet de loi C-69 inquiète énormément le gouvernement provincial de Terre-Neuve-et-Labrador. Soit dit en passant, c’est l’un des deux seuls gouvernements provinciaux encore dirigés aujourd’hui par des libéraux. Or, l’autre gouvernement provincial dirigé par des libéraux, celui de la Nouvelle-Écosse, souscrit totalement aux points de vue et préoccupations que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a exprimés au sujet du projet de loi C-69.
Pardonnez-moi, mais je vais faire un peu d’histoire. En 1985, le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ont signé un accord appelé l’Accord atlantique. Il s’agissait d’un accord concernant la gestion conjointe des ressources pétrolières et gazières extracôtières au large de Terre-Neuve-et-Labrador.
Voici le paragraphe 2(c) de cet accord :
reconnaître le droit de Terre-Neuve-et-Labrador d’être le principal bénéficiaire des ressources pétrolières et gazières situées au large de ses côtes, tout en conciliant la nécessité de conserver le pays fort et uni;
Quant au paragraphe 2(d), il dit ceci :
reconnaître l’égalité des deux gouvernements dans la gestion des ressources, et garantir que le rythme et les modalités de la mise en valeur de ces ressources optimisent les avantages sociaux et économiques qui profiteront à l’ensemble du Canada, en particulier à Terre-Neuve-et-Labrador;
À mon avis, le projet de loi C-69 va dans une tout autre direction.
J’insiste sur le mot « conjointe ». Au moyen de cet accord, l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers a été créé. Trois de ses membres devaient être nommés par le gouvernement fédéral et trois autres par la province. Les deux parties devaient s’entendre pour choisir un président.
Cet accord était considéré comme un tournant du développement économique de la province. Son objectif était de faire de la province « le principal bénéficiaire » de ses ressources pétrolières extracôtières. L’accord apportait des avantages économiques et, avec les modifications qui y ont été apportées en 2005, la province est devenue une province « riche » en 2008. C’était un moment historique pour la province et un grand moment de notre partenariat au sein de la Confédération canadienne.
Cet accord a également institué la cogestion, notamment en matière d’intendance environnementale et de sécurité. Ce modèle a très bien fonctionné pour Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi que pour l’ensemble du Canada.
J’insiste encore une fois sur le terme « conjointe », car nous, Téneliens, appuyons notre gouvernement provincial dans son opposition au projet de loi C-69, qui va à l’encontre de l’esprit et de l’intention de l’Accord atlantique.
Le premier ministre de notre province, Dwight Ball, a envoyé une lettre au parrain du projet de loi au Sénat, le sénateur Mitchell, dans laquelle il a énuméré les objections du gouvernement qu’il dirige à certains articles du projet de loi C-69. Il a proposé des amendements qui répondraient aux préoccupations de la province. À l’étape de la deuxième lecture, j’ai proposé mot pour mot un des amendements qui figuraient dans sa lettre et j’ai été très déçu que cet amendement, suggéré par le gouvernement et les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador et appuyé par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, ait été rejeté au Sénat.
Le 11 juin, la ministre des Ressources naturelles de Terre-Neuve-et-Labrador, l’honorable Siobhan Coady, a envoyé une lettre à l’honorable Catherine McKenna pour lui faire part de plusieurs préoccupations du gouvernement provincial concernant le projet de loi C-69 et offrir plusieurs suggestions concrètes pour y remédier. Encore une fois, aucun changement ni aucun amendement n’a été apporté.
Le matin du lundi 17 juin, quelques sénateurs téneliens et moi avons tenu une téléconférence avec le premier ministre Ball et la ministre Coady. Nous avons discuté de toutes les possibilités qui s’offraient à nous pour que les préoccupations de notre province soient prises en compte de façon productive. Malheureusement, je dois admettre que nos options sont extrêmement limitées à ce stade du processus, voire inexistantes. C’est très décevant.
En 1949, lorsqu’elle a adhéré à la Confédération, Terre-Neuve a apporté au pays les zones de pêche probablement les plus riches au monde. Lorsque la province s’est jointe au Canada, le contrôle et la gestion de cette grande ressource ont été totalement confiés aux autorités ici, à Ottawa. L’échec lamentable du plan de gestion des pêches a causé des torts immenses aux habitants de ma province. Je trouve très paradoxal que les ressources océaniques qui étaient et qui sont toujours très importantes pour les Terre-Neuviens soient gérées par des gens au centre-ville d’Ottawa, où le canal Rideau est le seul cours d’eau qu’ils aient jamais vu. Toutefois, je m’écarte du sujet. Je parlerai de cette question un autre jour.
L’industrie pétrolière et gazière est très avantageuse pour les habitants de ma province. Par exemple, en 1998, le salaire hebdomadaire moyen à Terre-Neuve-et-Labrador était de 529 $, alors que, pour l’ensemble du Canada, il était de 606 $. En 2017, grâce à l’industrie pétrolière et gazière, le salaire hebdomadaire moyen à Terre-Neuve-et-Labrador s’élevait à 1 035 $, tandis que la moyenne nationale se situait à 976 $. La cogestion fonctionne très bien pour l’industrie pétrolière et gazière de ma province.
Comme je l’ai déjà dit, le projet de loi C-69 va nous ramener dans la mauvaise direction. Il éliminera la cogestion et concentrera tous les pouvoirs entre les mains de la ministre fédérale de l’Environnement. Selon nous, cette mesure législative est malavisée, injuste et inéquitable, et elle entre en contradiction totale avec l’esprit de l’Accord atlantique.
À l’heure actuelle, cela peut prendre jusqu’à trois ans avant qu’une société pétrolière obtienne son permis pour forer un puits d’exploration. Notre gouvernement provincial réclame que l’on exclue les puits d’exploration de la liste des projets. Pourquoi? Parce que des pays qui sont des chefs de file en intendance de l’environnement effectuent l’évaluation de puits d’exploration extracôtiers en une fraction du temps que cela nous prend. La Norvège le fait en 79 jours. L’Australie, en 144 jours. En comparaison, au Canada, cela prend 900 jours. Mes chers amis, il y a quelque chose qui cloche. Certes, cela ne crée pas un climat d’investissement stable et sûr.
Le projet de loi C-69 permettra à Terre-Neuve-et-Labrador d’avoir deux sièges garantis au sein de la commission chargée de l’évaluation d’impact, laquelle pourrait compter cinq, sept ou neuf membres ou le nombre de membres que la ministre de l’Environnement décide. Je le dis comme je le vois. Cela ne correspond aucunement à une gestion conjointe.
Le projet de loi C-69 prévoit que le gouvernement du Canada consultera le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador aimerait voir la notion de consultation supprimée et remplacée par la notion d’accord. Après tout, on croirait que « gestion conjointe » signifie que les parties parviennent à un accord, et non que l’une consulte l’autre. La gestion conjointe est un arrangement à parts égales.
Par exemple, le partenariat entre deux époux est un arrangement à parts égales. Or, dans ce cas-ci, l’une des parties consulte l’autre, puis dicte comment les choses se feront. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne.
L’Accord atlantique a été signé en toute bonne foi il y a de nombreuses années. Il a été très bénéfique pour Terre-Neuve-et-Labrador et encore plus pour le Canada. Il a toujours très bien fonctionné. Les investisseurs nous disent souvent qu’ils ne demandent pas mieux qu’un régime stable favorisant la concurrence, et c’est exactement ce que l’Accord atlantique leur fournissait. Du moins jusqu’à l’arrivée du projet de loi C-69. Le régime de codétermination a fini par s’éroder, et l’Accord atlantique est désormais sous respirateur artificiel. Le premier ministre Ball a annoncé plus tôt aujourd’hui qu’il n’hésiterait pas à invoquer la clause d’arbitrage de l’accord si Ottawa passait outre aux principes de codétermination concernant les hydrocarbures extracôtiers. Il peut compter sur notre appui.
En terminant, j’aimerais revenir sur ce que disait le sénateur Black à propos de Fort McMurray. Comme bon nombre de mes collègues l’ont dit avant moi, Fort McMurray est — ou en tout cas était — la ville qui comptait le plus de Terre-Neuviens à l’extérieur de la province, et cela nous a toujours bien servis jusqu’ici.
Je suis moi-même allé passer quelques années là-bas, quand j’avais 17 ans. De nombreux Terre-Neuviens et Labradoriens ont pu mener une belle vie à Fort McMurray. Cela dit, pas besoin d’aller plus loin que mon village d’origine, qui compte 300 personnes, pour constater les effets dévastateurs du ralentissement du secteur albertain du pétrole et du gaz sur les petites localités de Terre-Neuve-et-Labrador. Beaucoup de gens pensent comme moi, et ce ne sont pas des cas isolés. Le pays au complet partage cet avis. Selon moi, le projet de loi C-69 n’est pas la voie à suivre.
Chers collègues, en toute sincérité, l’adoption du projet de loi C-69 dans sa forme actuelle est un triste jour pour Terre-Neuve-et-Labrador et pour le Canada. Par conséquent, il m’est impossible d’appuyer le message que nous avons reçu de l’autre endroit.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Mitchell, avec l’appui de l’honorable sénatrice Gagné, propose que, relativement au projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois... puis-je me dispenser de lire la motion?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Le vote aura lieu à 22 h 42.
Convoquez les sénateurs.