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Le Sénat

Motion tendant à constituer un comité spécial sur le racisme systémique--Suite du débat

25 juin 2020


Honorables sénateurs, il fait bon d’être de retour.

Je vais faire une déclaration au nom du chef régional Ghislain Picard. Il s’agit d’un message de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador sur le racisme et la discrimination :

Je suis membre de la nation innue de l’Est du Québec et du Labrador. Depuis près de 30 ans, j’ai le privilège de représenter les dirigeants de 10 nations différentes situées dans ces deux territoires. À mon avis, le travail réalisé jusqu’ici ne nous a pas souvent donné l’occasion de célébrer le succès. En fait, presque chaque jour qui passe nous rappelle le long chemin à parcourir avant que, comme cela devrait être notre droit, nous puissions nous gouverner nous-mêmes, comme vous le faites. J’ai aussi le privilège, de concert avec mon collègue le chef régional Terry Teegee, de la Première Nation du lac Takla, en Colombie-Britannique, d’être responsable du portefeuille de la justice au nom de nos collègues du comité exécutif de l’Assemblée des Premières Nations.

Il y a un peu plus de 10 ans, avant un sommet du G20, un ancien premier ministre a nié que le Canada avait un passé colonialiste. Cela s’est produit après les excuses officielles présentées en 2008 au Parlement par le gouvernement dirigé par le même premier ministre au sujet du système de pensionnats, qui visait explicitement à « tuer l’Indien au sein de l’enfant ». C’est une partie importante de l’histoire récente qui explique, en partie du moins, le débat actuel sur le racisme et la discrimination systémiques au pays. Bien que nous ne puissions pas réécrire l’histoire, nous pouvons certainement faire notre possible pour bien faire maintenant et jeter les bases d’un avenir meilleur. Voilà ce que je considère comme mon travail.

Nous savons à peu près tout ce qu’il y a à savoir sur le racisme et la discrimination. Le racisme a plusieurs visages, et tous les Autochtones ont été confrontés à la discrimination au moins une fois dans leur vie. Nous qualifions le phénomène de racisme systémique pour de nombreuses raisons, mais la plus évidente est la relation entre l’État canadien et nos peuples au cours des 150 dernières années. Le cadre législatif imposé aux peuples autochtones depuis 1876, la Loi sur les Indiens, est le principal exemple des tentatives infructueuses de l’État pour éradiquer nos nations. Le paradoxe est que cette loi, bien qu’elle ait été modifiée à plusieurs reprises depuis sa création, continue de définir la gouvernance de nombre de nos nations.

Il faut examiner la discrimination systémique comme ayant fait partie du passé colonial du Canada. L’application de la loi a joué un rôle important dans le processus de colonisation. Devons-nous vous rappeler que c’est la police qui nous a retiré nos enfants pour les placer de force dans des pensionnats? C’est la police qui a empêché nos peuples de pratiquer leurs cérémonies et qui a interdit leurs pratiques spirituelles. Là où d’autres voyaient la police comme un service assurant leur protection et leur sécurité, nos peuples la voyaient comme un oppresseur, tellement que, dans de nombreuses langues autochtones, « police » se traduit par « ceux qui nous enlèvent ».

En dépit des garanties constitutionnelles et après plusieurs décisions de la Cour suprême, on continue à violer les droits constitutionnels et issus de traités des Premières Nations. Nous examinons l’accès aux services publics, notamment le droit à la protection et à la sécurité, quelque chose que d’autres citoyens tiennent pour acquis dans le cadre de ces droits.

Pourtant, soyons francs : certains politiciens n’osent même pas nommer les choses telles qu’elles sont. Bien que le racisme et la discrimination soient largement reconnus et bien étayés, certains préfèrent penser qu’ils constituent un problème pour les autres et nier qu’ils font partie intégrante du tissu social canadien.

Nier l’existence de la discrimination ou du racisme systémique n’est pas la voie à suivre si nous voulons entreprendre une réforme majeure du système judiciaire. Cela mène au refus de reconnaître le problème, malgré les nombreuses commissions d’enquête et les études qui ont conclu à son existence et à ses répercussions sur nos vies.

Quand l’État du Canada, celui responsable de la discrimination systémique, conviendra-t-il pleinement qu’il y a urgence d’agir? Nous nous sentons obligés de faire appel à tous ceux qui ont voix au chapitre et qui ont le pouvoir de changer les choses. Ce problème, comme tous les problèmes des Autochtones, ne devrait pas faire l’objet de débats partisans. Vous devriez plutôt travailler de concert avec nous pour éradiquer ce traitement institutionnalisé qui continue de détruire des vies.

Nier l’existence du racisme systémique est en soi une forme de discrimination, surtout à une époque où le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, plusieurs maires, la GRC elle-même, la police de Montréal, beaucoup d’autres services de police du Canada et même la Cour suprême reconnaissent cette existence.

Depuis 1967, au moins 13 études ont porté sur les relations entre l’appareil judiciaire et les Premières Nations. Elles ont abordé presque toutes les facettes de la situation, depuis les taux d’incarcération troublants des Autochtones jusqu’à leur rapport avec loi et ceux qui l’appliquent. Treize rapports présentent des preuves concluantes que le Canada a échoué. À cela viennent s’ajouter sans doute quelques centaines d’articles publiés par des universitaires qui en viennent fort probablement à la même conclusion. L’une des premières études réalisées est celle qui a abouti à la publication du rapport Laing il y a 53 ans, en 1967. Ce rapport traite de la situation de la population autochtone dans les établissements correctionnels du Canada.

Ceux qui hésitent encore à croire que le système de justice a laissé tomber les Premières Nations voudront peut-être examiner cette réalité, car elle est encore plus pertinente aujourd’hui qu’auparavant. Le Canada peut-il soutenir la comparaison avec les autres pays? Voyons comment se débrouillent ceux qui partagent ses tendances et son passé colonialiste. En Australie, les Autochtones, y compris ceux du détroit de Torres, représentent 28 % des détenus, alors qu’ils ne forment que 3 % de la population. On ne compte plus les fois où une réforme a été réclamée là-bas. En Nouvelle-Zélande, les Maoris constituent 51 % de la population carcérale, mais 12,5 de la population nationale du pays.

Au Canada, les Autochtones comptent pour 4 % de la population, mais ils représentent 30 % des détenus.

Quant aux femmes autochtones, non seulement elles sont nombreuses à peupler les établissements correctionnels du pays, mais leur nombre continue d’augmenter. Dans son plus récent rapport, le Bureau de l’enquêteur correctionnel souligne que le nombre de femmes autochtones en détention a augmenté de 74 % depuis 10 ans. Les femmes autochtones représentent aujourd’hui 41,4 % des détenues dans les pénitenciers fédéraux. Ces chiffres, doit-on le répéter, sont à la fois alarmants et inquiétants.

Pourquoi est-ce aussi difficile de parler des relations entre les peuples autochtones du Canada et les forces de l’ordre? Les tensions entre Autochtones et policiers ont très souvent fait les manchettes depuis les années 1960 et elles ont fait l’objet de nombreuses études et recherches. C’est ce qu’on sait. Maintenant, pouvez-vous imaginer tout ce qu’on ne sait pas?

En outre, de nombreuses études ont confirmé que les Autochtones sont plus susceptibles d’être détenus par la police à la suite d’arrestations, qui sont plus souvent qu’autrement motivées par des préjugés ou du racisme. Ils courent aussi davantage le risque d’être détenus pendant de longues périodes dans le cadre du processus de libération conditionnelle. Ils sont plus susceptibles d’être condamnés à des peines d’emprisonnement pour des durées souvent trop longues. Enfin, ils sont plus susceptibles d’être emprisonnés pour non-paiement d’amendes. Vous pouvez ajouter à ces tristes statistiques le fait que les Autochtones risquent davantage d’être tués dans des interventions policières.

Au fil des ans, pour tenter de remédier à ce triste état des choses, le pays a adopté diverses mesures d’accommodement afin d’atténuer les répercussions de l’assujettissement des Autochtones aux lois canadiennes. Toutefois, elles ont donné des résultats très mitigés. Les rapports de type Gladue font partie de ces mesures. Un peu plus de 20 ans après leur création, les taux d’incarcération indiqués plus tôt montrent clairement que l’alinéa 718.2e) du Code criminel n’a pas eu les effets escomptés au sein du système de justice canadien.

Ce sont là des problèmes dont nous sommes conscients. Pouvez-vous imaginer ceux dont nous ne sommes pas au courant? Qui était au courant que l’alcoolémie des citoyens les plus vulnérables faisait l’objet d’un jeu de devinettes parmi les professionnels des établissements de soins de santé? Ces établissements sont censés veiller sur leur bien-être. Ici encore, il y a abus de confiance. Qui sera tenu responsable de ces actes horribles et répréhensibles?

Malgré les nombreuses recommandations et appels à l’action, on ne s’attaque pas aux problèmes de discrimination systémique spécifiques aux Autochtones d’une manière qui reflète l’urgence de la situation. La violence contre les Autochtones fait toujours les manchettes. Des études ou des enquêtes supplémentaires ne nous apprendront rien de plus que nous ne savons déjà. Le Canada doit agir immédiatement et présenter un plan national pour obliger les provinces à reconnaître le racisme systémique. Ce plan d’action doit aussi obliger tous les ordres de gouvernement à éradiquer toute forme de racisme et de discrimination contre les Autochtones dans leurs institutions, à commencer par les services de police.

Voilà la tâche qui nous attend. Elle doit être considérée comme une urgence nationale. Cela dure depuis beaucoup trop longtemps. Merci.

L’honorable Robert Black [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Lankin, qui vise à mettre sur pied un comité sénatorial spécial sur le racisme systémique chargé de mener une étude sur le racisme systémique au Canada.

Je remercie les sénatrices Lankin et Bernard de cette initiative. Je remercie également les sénatrices Mégie et Moodie du leadership dont elles ont fait preuve à l’égard de la question importante qu’est le racisme systémique. Je remercie par ailleurs mes nombreux collègues qui ont présenté des discours émouvants et passionnés dans cette enceinte.

Malheureusement, le racisme est profondément enraciné dans l’histoire du pays et dans l’ensemble de nos institutions. Au Canada, le racisme se manifeste de bien des façons, mais le racisme envers les Noirs et les Autochtones est l’une des formes les plus répandues.

Comme nous le savons, le Canada a été créé avec la colonisation, l’assimilation forcée, la violence généralisée et l’extermination des peuples autochtones qui vivaient sur ce territoire depuis bien avant l’arrivée des colons européens. Dans les siècles qui ont suivi, le Canada a continué de soumettre les peuples autochtones à des horreurs dont les Canadiens blancs ont peine à saisir toute l’ampleur. Des bébés autochtones ont été enlevés de force à leurs parents pendant des dizaines d’années. Le système des pensionnats indiens a enlevé des enfants à leurs parents, il visait à éliminer toute trace de leur patrimoine, de leur langue et de leur culture, et on y a agressé et tué des milliers d’enfants. Pas moins de 4 000 femmes et filles autochtones ont été assassinées ou sont disparues depuis les années 1970. Des femmes autochtones ont été stérilisées de force, et cette pratique existe encore aujourd’hui. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.

Encore aujourd’hui, les Autochtones du Canada sont victimes d’une discrimination inconcevable. Même s’ils ne représentent que 5 % de la population du Canada, les Autochtones représentent 30 % de la population carcérale au pays. Les données révèlent que les Canadiens autochtones sont 10 fois plus susceptibles que les Canadiens blancs d’être abattus par balle par un policier.

Au cours des dernières semaines seulement, nous avons appris que deux Autochtones au Nouveau-Brunswick, Chantel Moore et Rodney Levi, ont été tués par des policiers pour aucune raison. Comment peut-on accepter cela?

Les personnes noires au Canada sont elles aussi constamment victimes de discrimination.

La question du racisme à l’endroit des Noirs fait les manchettes depuis quelques semaines en raison de la mort de George Floyd, tué par des policiers de Minneapolis, au Minnesota.

Plusieurs au Canada aimeraient croire que ce genre de racisme n’existe pas ici, mais il existe dans toutes les sphères de la société canadienne. À Toronto, les Noirs constituent 8 % de la population, mais ils sont impliqués dans 37 % des incidents où la police fait feu. Trop souvent, les policiers impliqués ne subissent que peu de conséquences.

Les Noirs et les Autochtones au Canada risquent également davantage de subir un contrôle de police arbitraire. Évidemment, il n’y a pas que les services policiers où le racisme fait rage au Canada. Les gens de couleur ont beaucoup plus de difficulté à obtenir un emploi. D’ailleurs, le risque qu’un membre d’une minorité visible subisse de la discrimination à l’embauche est 11 % plus élevé au Canada qu’aux États-Unis. Au travail, 54 % des Noirs et 53 % des Autochtones au Canada subissent toujours de la discrimination. Les services des ressources humaines au pays n’ont pas réussi à mettre fin aux pratiques d’embauche discriminatoires et à la culture du racisme au travail.

Ici même, au Sénat du Canada, je sais que des employés et même des sénateurs subissent du racisme et de la discrimination.

Dans les derniers jours au Sénat, plusieurs de nos collègues ont fait des discours éloquents et importants au sujet du racisme systémique. Je veux remercier la sénatrice Bernard, la sénatrice Moodie et la sénatrice Mégie d’avoir mené la charge et la sénatrice Lankin d’avoir présenté cette motion.

À l’instar de la sénatrice Lankin, au début, j’hésitais à prendre la parole à ce sujet. Comme l’a dit la ministre Chagger à propos d’elle-même cet après-midi, moi aussi, « je peux faire mieux. »

En tant qu’homme blanc, je n’ai pas été victime de racisme et je ne comprendrai jamais entièrement ses effets profondément néfastes. Cependant, j’estime important que nous manifestions tous notre appui pour ce qui est juste. Nous, Canadiens blancs, devons nous servir de notre privilège afin de lutter pour et avec nos frères et sœurs noirs, autochtones et racialisés. Nous devons être leurs alliés. Je serai leur allié.

J’appuie fermement la création d’un comité spécial chargé d’étudier ces problèmes. Est-ce que je m’attends à ce que ce comité puisse mettre fin à des siècles de racisme et de discrimination systémiques et institutionnels? Non. Toutefois, j’estime qu’il s’agira d’un pas important dans la lutte contre le racisme. Un tel comité pourra examiner les nombreux rapports et les nombreuses recommandations concernant le racisme systémique que mes honorables collègues ont mentionnés et auxquels on n’a pas donné suite.

Ce comité donnera également l’occasion aux sénateurs d’entendre des Canadiens autochtones, noirs et racialisés qui doivent montrer la voie, ainsi que des groupes et des organismes qui travaillent à cet important dossier. J’attends avec impatience le changement.

Merci de votre écoute. Je sais que beaucoup sont mal à l’aise d’aborder ce sujet, mais nous devons tout de même en discuter. Nous devons entretenir le dialogue et intervenir jusqu’à ce que le changement se concrétise.

Merci.Meegwetch.

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