Aller au contenu

Comité de sélection

Deuxième rapport du comité--Suite du débat

9 décembre 2021


Honorables sénateurs, je tiens dire à toutes les personnes présentes que je ne suis pas ici pour servir mes propres intérêts. Quand j’ai été nommée au Sénat, j’estimais que cette enceinte est vectrice de solutions. Je suis redevable aux Autochtones que je représente, et c’est à eux que je rends des comptes. Je collabore avec eux pour mettre à l’avant-plan les préoccupations des Autochtones.

Quand on décide de se joindre à un groupe, on le fait aveuglément. Si le jumelage n’est pas bon, la situation est toute aussi injuste pour le sénateur. Le Comité de sélection a-t-il examiné cette question ainsi que les répercussions sur les sénateurs non affiliés? Comprenez-vous où je veux en venir? On agit de manière aveugle en se disant : « D’accord, je vais joindre tel groupe. » Si le jumelage n’est pas bon, je devrai ensuite prendre une décision sur la suite des choses. Parce que les sénateurs ont le choix de demeurer dans un groupe ou de devenir non affiliés, les sénateurs non affiliés n’ont aucune protection. S’il s’agit d’un choix à leur disposition, dans quelle mesure le Comité de sélection s’est-il penché sur la question pour les aider durant cette transition? La période de transition d’un sénateur se termine quand il rejoint un groupe ou quand il forme un nouveau groupe.

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) [ - ]

Merci, sénatrice McCallum. Selon moi, votre caractérisation de cette enceinte comme étant une pollution est un peu dure. Je pense que l’institution sert merveilleusement bien le pays depuis plus de 150 ans, ainsi que le Parlement. Comme nous l’avons dit à maintes reprises, le Canada n’est pas parfait. C’est une nation parfaitement imparfaite. Mais je pense quand même qu’elle est l’une des meilleures au monde, et ce, en grande partie grâce à ses institutions. Je n’accepterai donc pas la caractérisation de cette institution comme étant polluée ou ayant été polluée, pour être honnête. C’est ce que je crois avoir entendu.

Le sénateur Housakos [ - ]

Ah oui, « solution ». Pardonnez-moi, sénatrice McCallum. Je me fais vieux et il se fait tard. J’avais cru entendre « pollution » et non « solution ». Cela m’étonnait, puisque je sais que vous faites des interventions très pertinentes et que vous apportez beaucoup au Sénat. J’étais donc un peu étonné.

Je reviens donc au sujet de votre question. Je m’excuse, chers collègues, il est tard et je suis fatigué. Je n’avais pas prévu participer au débat, comme je l’ai dit. Bref, je reviens à votre question, madame la sénatrice. Je suis au Sénat depuis 13 ans et chaque fois que nous avons accueilli un sénateur non affilié qui ne faisait pas partie d’un groupe ou d’un autre, à mon souvenir, nous avons toujours déployé beaucoup d’efforts pour répondre à ses besoins.

Nous l’avons fait dès le premier jour où les huit ou neuf premiers sénateurs non affiliés nommés par le premier ministre Trudeau sont arrivés au Sénat, en 2016. Ils n’avaient pas de groupe parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux, et ils se butaient à l’hostilité du caucus libéral de l’époque dont les membres avaient été, on s’en souvient, exclus du caucus national. Pour sa part, le caucus conservateur avait des doutes considérables à propos de la nouvelle expérience que le gouvernement tentait au Sénat, et il ne s’en cachait pas. Malgré cela, nous avons accueilli tous les nouveaux sénateurs. Nous avons trouvé des façons de procéder pour qu’ils aient des sièges dans les comités. C’est ce que nous avons toujours fait.

Encore aujourd’hui, je peux vous dire en tant que leader que j’ai tendu la main aux deux vrais sénateurs indépendants au Sénat. J’ai eu des conversations avec eux, et ce n’était pas parce que le sénateur Mercer ou quelqu’un d’autre avait présenté une motion. Cela allait de soi parce que je sais qu’ils ont leur mot à dire. La sénatrice McPhedran peut en témoigner. Nous leur avons tendu la main parce que nous croyons qu’ils ont un rôle à jouer.

De plus, comme je suis au fait des règles et des procédures du Sénat, je sais qu’aucune autre chambre du système parlementaire de Westminster ailleurs dans le monde n’a des règles aussi favorables aux sénateurs non affiliés. Chaque soir et chaque après-midi, combien de fois a-t-on vu le Président ou la Présidente intérimaire se lever et dire : « Avec le consentement du Sénat »? Cela veut dire tout simplement que n’importe quel sénateur peut dire au Président qu’il n’accorde pas son consentement. Qu’il s’agisse de la sénatrice McPhedran ou du sénateur Woo, tous sont égaux dans cette enceinte.

Cette semaine, combien de projets de loi n’auraient pas pu franchir rapidement les étapes de la deuxième et troisième lecture pour devenir loi si la sénatrice McPhedran — que je considère comme l’une des rares personnes véritablement indépendantes, tout comme le sénateur Brazeau — n’avait pas accordé son consentement? Ils n’appartiennent pas à un groupe. Ce ne sont pas des leaders. Or, ils auraient pu empêcher l’adoption de tous les projets de loi que nous avons étudiés cette semaine. Ils ont autant de pouvoir que les autres, y compris le leader du gouvernement. À vrai dire, ils ont probablement encore plus de pouvoir. Nous devons tenir compte de la volonté de ces sénateurs indépendants.

Il est donc absurde de croire qu’un sénateur se joint à un groupe parce que cela lui donne plus de pouvoir. Que Dieu la bénisse, la sénatrice Anne Cools m’a appris cette leçon alors que je siégeais comme simple sénateur et leader du gouvernement sous le gouvernement conservateur à l’époque. Chaque fois qu’il y avait un projet de loi du gouvernement, nous nous tournions vers la sénatrice McCoy — Dieu ait son âme — et la sénatrice Cools et nous disions : « Bon sang, j’espère qu’elles seront en faveur de ce projet de loi du gouvernement, sinon il ne sera jamais adopté et nous allons être ici pendant des semaines. » Pas vrai? Combien de fois avons-nous dû siéger le vendredi et le lundi parce que les sénatrices Cools et McCoy n’étaient pas contentes? Bien sûr, je dis des choses qui pourraient donner des munitions à la sénatrice McPhedran. De plus, je peux vous dire qu’elle m’appelle régulièrement pour obtenir des conseils. Elle a vite appris les rudiments de la procédure, et elle utilisera son savoir très bientôt. Monsieur le leader du gouvernement, je suis désolé. Sénatrice McCallum, pour répondre à votre question, c’est la nature du Sénat.

Je vous regarde avec curiosité depuis votre arrivée. Vous apprenez vous-même très rapidement et contribuez de plus en plus d’une merveilleuse façon. Je remarque le nombre et la teneur des projets de loi d’initiative parlementaire que vous déposez et des motions que vous proposez. Vous représentez votre communauté avec brio. Cela n’a rien à voir avec le groupe auquel vous êtes affiliée. Vous le faites parce que vous exercez votre droit en tant que parlementaire. Vous proposez d’excellentes motions, les présentez avec éloquence et persuadez suffisamment de vos collègues pour que vos projets de loi soient adoptés et deviennent des lois de notre pays. C’est ainsi que cela fonctionne.

Quiconque pense que cet endroit est conçu pour conférer un quelconque avantage à un groupe majoritaire se trompe. Au contraire, les sénateurs les plus désavantagés en tant que groupe au Sénat, ce sont ceux qui font partie du caucus qui forme le gouvernement. Je le sais parce qu’à mon arrivée, je faisais partie du caucus au pouvoir. Le sénateur Gold et la sénatrice Gagné ont la tâche la plus ardue ici et celle-ci est d’autant plus difficile maintenant en raison de ces divers groupes aux valeurs différentes qu’il faut rassembler. J’espère que cela répond à la question.

Comme je l’ai dit, quiconque se sent en quelque sorte diminué parce qu’il est indépendant ou fait partie d’un groupe plus petit a tort. Je répète mon argument. Lorsqu’un sénateur est nommé président ou vice-président d’un comité, il représente un caucus. Il représente de nombreux autres sénateurs. Encore une fois, pensons à tous les accommodements qui sont faits en dépit du Règlement. Combien de fois avons-nous accepté de faire abstraction du Règlement en disant « nonobstant tel ou tel article »? Pourquoi? Parce que nous faisons des concessions. Nous sommes conscients que nous devons être courtois les uns envers les autres pour être une institution crédible.

J’espère que nous continuerons d’agir ainsi, soit de manière coopérative et respectueuse, et non hostile. Oui, parfois, nous nous livrons à des joutes politiques. C’est notamment le cas du sénateur Gold et moi. J’ai le plus grand respect pour lui, et j’espère qu’il éprouve un certain respect pour moi. Nous trouvons des moyens de travailler ensemble. Nous mettons la politique de côté lorsque c’est nécessaire, et nous agissons dans l’intérêt du pays. Nous finirons bien par régler tous les problèmes de tous les groupes que nous représentons. Merci.

Son Honneur le Président [ - ]

Je suis désolé, sénatrice McCallum. Il y a d’autres sénateurs qui souhaitent poser une question. Je vous redonnerai la parole si le temps le permet.

Sénateur Quinn, aviez-vous une question?

L’honorable Jim Quinn [ - ]

Oui.

Honorables sénateurs, tout ce débat est très intéressant pour le nouveau sénateur que je suis. J’ai été nommé en tant que sénateur indépendant. J’ai ensuite choisi un groupe, mais je n’ai pas renoncé à mon indépendance. Plutôt, je me suis joint à un groupe qui semblait partager ma philosophie, au-delà de mon indépendance.

Chose certaine, je pense que je dois respecter, à bien des égards, le travail accompli par les leaders pour l’institution en ayant des discussions sur la proportionnalité. Je respecte les négociations qui ont eu lieu. Cependant, les discussions des derniers jours ont été très utiles pour entendre les deux camps.

Je dois dire que j’ai des sentiments partagés. En effet, je veux respecter les négociations qui ont été menées par les leaders. Toutefois, je pense qu’il est important que je puisse parler en tant que sénateur qui a été nommé à titre d’indépendant et qui a choisi un groupe qui ce soir ressemble de plus en plus à un caucus — je suis désolé de devoir le dire, mais c’est la réalité. Je ne vois pas comment je pourrais même envisager de changer de groupe ou de devenir indépendant, si cette décision entraînait la perte d’un siège à un comité. J’ai une responsabilité envers les Canadiens parce qu’on m’a demandé de siéger à un comité en raison d’un ensemble de compétences particulières que je peux représenter. Tout ce débat m’inspire des sentiments partagés. Je suis sûr que ce genre de situation n’est pas rare.

Comment justifier l’indépendance de cette institution modernisée, une institution qui continue d’évoluer? Comment justifier cela alors qu’en même temps, c’est presque comme punir quelqu’un parce qu’il a pris la décision de se réaligner?

J’espère que le réalignement de la philosophie d’une personne ne se fait pas du jour au lendemain. J’ose espérer qu’il s’agit d’une évolution. Mais je ne pense pas que cet ensemble d’aptitudes et de compétences doive être retiré d’un comité au sein duquel le sénateur siège et contribue au nom des Canadiens, et non au nom d’un groupe.

Comment rationaliser tout cela?

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénateur Quinn, voilà tous de bons arguments, mais, sauf votre respect, la vérité, c’est que ce ne sont pas les Canadiens qui vous ont nommé à un comité. Le caucus conservateur du Sénat m’a nommé à quelques comités, mais ce ne sont pas les citoyens canadiens qui m’y ont nommé.

Supposons que je change de point de vue demain matin et que je décide de me joindre au Groupe des sénateurs canadiens ou au Groupe progressiste du Sénat, par exemple. À ce moment-là, il me faudrait respecter le groupe qui m’a confié du travail dans un certain comité.

Je répète que votre privilège de sénateur n’est pas perdu. Vous et moi pouvons faire valoir notre point de vue et participer aux travaux de n’importe quel comité, mais dès qu’on y siège comme président ou vice-président, qu’on siège à un comité directeur ou qu’on a le droit de voter à un comité, encore une fois, c’est qu’on y a été envoyé. Il faut rendre des comptes chaque semaine à son groupe.

Il n’existe malheureusement pas encore de mécanisme au Sénat pour rendre des comptes aux Canadiens. Nous ne nous présentons pas aux élections tous les quatre ans. En outre, même en ce qui concerne les premiers ministres qui nous ont nommés au Sénat, ils n’ont pas beaucoup de responsabilités envers nous, étant donné que nous pouvons siéger ici jusqu’à 75 ans.

L’autodiscipline que cet endroit exige des groupes auxquels nous pouvons nous associer sur le fondement de leur idéologie est ce qui s’approche le plus d’une discipline et d’une organisation. Vous avez raison de dire qu’un sénateur qui décide de changer de groupe le fait pour des raisons idéologiques, et non en fonction d’un calcul intéressé.

Si je décide demain matin de quitter mon groupe et que je perds mon poste de président d’un comité pour cette raison, le poste de président ne me revient pas de droit. J’ose croire que j’ai été nommé président de différents comités au fil des ans en raison de l’expertise que j’avais et que c’est ce qui avait motivé mon caucus à me choisir pour ces comités. Si je quitte le caucus conservateur pour me joindre à un autre groupe, cet autre groupe choisira de m’envoyer le représenter là où il le jugera opportun.

Encore une fois, c’est compliqué, parce que nous ne formons pas une assemblée comme les autres. Ce qui différencie le Sénat, c’est que ses membres sont nommés. Les membres des comités sont, eux, nommés par les groupes qui les représentent. Il n’y a pas d’élections. Par exemple, les membres, les présidents et les vice-présidents des comités ne sont pas élus ici. La raison pour laquelle nous ne le faisons pas, c’est que nous nous retrouverions sous la dictature du groupe le plus grand, par exemple.

Au fil des ans, il est arrivé souvent que les libéraux aient une forte majorité de 70 ou 80 sièges alors que les conservateurs s’étiolaient. Il est aussi arrivé que le caucus libéral se rétrécisse jusqu’à ne compter que quelques membres.

D’ailleurs, comme tous les sénateurs indépendants qui arrivent ici pensent que le Règlement du Sénat pose problème, j’en profite pour informer tous les sénateurs qu’au final, la notion de majorité est en cœur du Sénat. Si le Sénat a pu survivre et demeurer un organe cohérent, c’est que le groupe majoritaire doit comprendre, même quand il devient très nombreux, que la crédibilité du Sénat repose sur la façon dont la majorité traite la minorité; c’est essentiel, sinon le Sénat s’effondre.

Je l’ai rappelé en 2016, à l’arrivée d’une petite minorité qui est devenue depuis une pluralité et une majorité. Il a fallu tenir compte des besoins de cette minorité, même si cela ne plaisait pas à la majorité. Je suis au Sénat depuis assez longtemps pour savoir que je fais maintenant partie de la minorité. Dans cinq ou sept ans, bon nombre d’entre vous seront aussi dans la minorité. C’est la nature de la démocratie. La façon dont nous nous traitons mutuellement est donc d’une importance capitale.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Duncan, avez-vous une question?

L’honorable Pat Duncan [ - ]

Merci, Votre Honneur. Je suis très reconnaissante d’avoir la chance de participer à cette discussion et de poser une question au sénateur Housakos.

D’abord, j’aimerais dire que j’approche de mon troisième anniversaire en tant que sénatrice. Dès le début, j’ai été impressionnée et charmée par chaque sénateur. Le Sénat est composé de Canadiens talentueux, brillants et dynamiques. Je me sens privilégiée de pouvoir servir la population canadienne à vos côtés, chers collègues.

C’est justement la valeur que j’accorde aux talents et aux compétences de chacun des sénateurs qui m’amène à poser une question. J’ai écouté attentivement les débats et j’ai maintes fois entendu « le Sénat nomme ». C’est vrai parce que l’on parle du Sénat dans son ensemble. Ce sont tous les sénateurs qui approuvent le rapport du Comité de sélection où apparaissent les noms des sénateurs qui composent les divers comités et leurs services.

Les leaders se sont rencontrés et ils sont d’accord avec la liste des noms inscrits, mais leurs groupes ont tranché. Les sénateurs nommés pour siéger aux divers comités sont énoncés dans le rapport du Comité de sélection. Personne n’a remis en question ce rapport. Aucun sénateur n’a dit : « Attendez un instant. Jetez un œil attentif à la composition de tous ces comités. »

Le problème que je vois, c’est que nous n’utilisons pas les talents de tout le monde et que nos comités ne reflètent pas la diversité du pays et ne représentent pas nécessairement sa population. Je présente mes excuses au sénateur Mockler et à mes collègues au Comité des finances nationales, mais j’y suis la seule qui représente une région à l’ouest de l’Ontario. J’estime que c’est un problème.

Tous les sénateurs ont approuvé le rapport du Comité de sélection, mais personne ne s’est dit en l’examinant : « Aucun Autochtone ne siège à ce comité. » Pourtant, les entreprises autochtones contribuent pour 32 milliards de dollars au PIB. Voilà ce qui me préoccupe.

Sénateur Housakos, j’ai le plus grand respect pour votre expertise et votre connaissance du Règlement et je respecte et comprends parfaitement les arguments qui ont été présentés.

Je tiens à demander au sénateur Housakos s’il estime que ce que j’ai mentionné constitue un problème et s’il a une suggestion pour le régler.

Le sénateur Housakos [ - ]

Je vous remercie, sénatrice. Évidemment, je comprends. Il sera toujours possible de peaufiner les détails. Il n’existe pas de système parfait.

Je voudrais souligner, chers collègues, que, dans le monde occidental démocratique — et si j’ai les bons chiffres, je crois qu’on pourrait dire parmi toutes les Chambres démocratiques de la planète —, c’est le Sénat qui présente la plus grande diversité. Si je ne m’abuse, nous avons rejoint d’autres assemblées en ce qui a trait à la parité hommes-femmes. La représentativité du Sénat est très bonne en ce qui a trait aux minorités visibles, ethniques et linguistiques. Je le répète, le Sénat se compare avantageusement à n’importe quelle autre assemblée parlementaire dans le monde.

En ce qui concerne la composition des comités, est-ce qu’elle est parfaite en tous points? Prenons le Comité des peuples autochtones. Je vais vous dire ce que je pense. Je crois qu’il n’y a pas assez de non-Autochtones au sein de ce comité. Dans le processus en cours de réconciliation nationale, des gens comme moi ont besoin d’en apprendre encore beaucoup sur l’histoire de notre pays et sur cette question. Honnêtement, quand je regarde la composition de ce comité, je trouve qu’elle repose sur des stéréotypes; les seules personnes qui s’intéressent aux enjeux concernant les Autochtones ou qui veulent en discuter, ce sont les Autochtones. C’est ce qui me frappe.

Prenons le Comité des langues officielles. Est-ce que les seules personnes que cette question intéresse sont les francophones? N’intéresse-t-elle pas les anglophones? C’est l’impression que cela donne.

Ce ne sont là que quelques exemples. Je suis convaincu que si nous examinons la chose plus en profondeur, nous en trouverons d’autres. Il est de notre responsabilité de soulever la question auprès de notre groupe, d’en discuter avec nos leaders, de secouer la cage, de revenir à nos groupes de leaders et de tenter de régler le problème. Comme je l’ai dit plus tôt, nous essayons d’être justes et fidèles au meilleur de nos capacités. Nous comprenons les problèmes et tentons de les résoudre.

Le Canada et cette institution sont parfaitement imparfaits. Le seul moyen de rectifier la situation est de reconnaître que ce processus est inachevé et continue d’évoluer. Je suis convaincu que tous les autres groupes de leaders le reconnaissent.

Nous avons un autre problème. Nous tentons d’être justes envers tous les groupes. Toutefois, à mesure que la taille des groupes diminue, ceux-ci ne sont pas aussi largement représentatifs de l’ensemble de la population du pays et de l’ensemble des groupes linguistiques. Nous pouvons parler des iniquités dans le processus et de ce qui rend cette institution imparfaite.

Je viens du Québec. Cette province compte 24 des 105 sénateurs. Les provinces de l’Ouest — la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba — comptent elles aussi 24 sénateurs. C’est donc dire que la seule province du Québec est représentée par autant de sénateurs que ces quatre provinces mises ensemble. Les provinces de l’Atlantique, quant à elles, sont surreprésentées. Nous pouvons débattre de la façon dont la Constitution a vu le jour et dont on a persuadé les deux peuples fondateurs de venir à la table de négociation. Ceux d’entre nous qui connaissent l’histoire savent que si ce n’était de la composition inégale du Sénat, le Canada n’aurait probablement jamais été fondé et nous ne serions pas ici à tenter de le rendre encore meilleur.

Bref, sénatrice Duncan, nous avons fait beaucoup de chemin, et nous y sommes parvenus à force de patience, de tolérance et de négociation. Le Canada est le fruit de négociations, et non du populisme et de l’anarchie. On ne soumettait pas toutes les petites questions à des votes. Le Canada a vu le jour grâce à des consultations, à la coopération et à des débats, parfois acrimonieux. Cependant, le modèle de Westminster est conçu de façon à ce que ces débats acrimonieux se déroulent loin des feux de la rampe. Le sénateur Gold et moi pouvons nous engueuler et nous fâcher l’un contre l’autre. Or, quand le Sénat siège, nous réglons nos différends, et nous passons aux choses sérieuses. C’est ainsi que je vois les choses.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénateur Kutcher, souhaitez-vous poser une question?

L’honorable Stan Kutcher [ - ]

Oui, mais je ne suis pas certain, Votre Honneur, si la sénatrice Duncan avait une question complémentaire.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Duncan, avez-vous une question complémentaire?

La sénatrice Duncan [ - ]

Oui, mais dans l’intérêt...

Son Honneur le Président [ - ]

Excusez-moi, madame la sénatrice. Je mets votre nom sur la liste, parce qu’il ne reste plus beaucoup de temps, et que d’autres sénateurs souhaitent intervenir.

La sénatrice Duncan [ - ]

Je comprends. Merci.

Le sénateur Kutcher [ - ]

J’ai une question à poser au sénateur Housakos, mais j’aimerais faire d’abord une observation. Je pense que nous nous montrons réciproquement toute l’importance que nous accordons à bien comprendre l’évolution que connaît le Sénat, ce qui n’est pas une mauvaise chose.

Sénateur Housakos, je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu votre réponse à la remarque du sénateur Quinn et j’aimerais apporter une précision. Je pensais vous avoir entendu dire que lorsque nous siégeons dans un comité, nous parlons dans ce comité au nom du groupe.

Or, je ne parle pas au nom du Groupe des sénateurs indépendants lorsque je siège dans un comité. Je siège dans un comité pour lequel j’ai un intérêt et une expertise, et je m’exprime sur cette base en tant que sénateur indépendant; je ne m’exprime pas en tant que membre d’un groupe.

La plupart des collègues que je connais bien voient leur rôle de la même manière : en comité, nous ne parlons pas de ce qu’un groupe nous dit de dire. Nous intervenons en nous fondant sur notre expérience personnelle, notre expertise et nos valeurs.

Je suis donc un peu étonné par votre réponse, si je vous ai bien compris, car je pense que nous avons une divergence d’opinions fondamentale. Je vous saurais gré de corriger ma compréhension ou de me donner de plus amples explications afin de m’aider. Merci beaucoup, sénateur.

Le sénateur Housakos [ - ]

Merci, sénateur Kutcher. N’oubliez pas que j’ai dit que je ne prévoyais pas intervenir dans ce débat, mais que je voulais simplement faire quelques observations.

Je vais m’expliquer davantage, car nous disons essentiellement la même chose. Évidemment, le groupe que vous représentez vous nomme à un comité en fonction de votre expertise et de vos connaissances. Au moment de choisir les membres des comités, je peux vous assurer que les leaders de tous les groupes choisissent les meilleurs candidats, soit ceux qui ont le plus de connaissances, d’expérience et d’intérêt pour le domaine.

Cela dit, nous choisissons également de travailler avec un groupe ou un caucus qui représente nos valeurs, et nous défendons ces valeurs. Ce n’est pas par hasard que vous vous êtes retrouvé dans le groupe auquel vous appartenez, ni que ce groupe estime que vous êtes la meilleure personne pour remplir vos fonctions. En toute franchise, je crois que ces deux choses ne sont pas mutuellement exclusives.

Cependant, il peut arriver — car c’est ainsi que le Parlement fonctionne — que vous et moi, dans le cadre de nos différentes fonctions au sein des comités, exprimions un point de vue qui n’est pas forcément partagé par le groupe. C’est ce qu’on appelle la démocratie. C’est le genre de chose qui peut arriver dans le cadre de nos travaux, de nos discours politiques et des échanges avec des groupes politiques.

Je ne crois pas que quelque leader ou groupe que ce soit fasse la microgestion des représentants qu’il nomme aux divers comités car, comme je l’ai dit, si vous faites partie d’un comité, c’est pour une raison. Vous êtes probablement la personne qui guide et dirige le débat au sein de votre groupe.

Lorsque j’étais président du Comité du Règlement, je crois que mon groupe m’avait choisi pour ce poste en raison de mes connaissances en matière de procédure, de règles et de droit parlementaires, et ainsi de suite. Je vous assure que j’ai dirigé les débats au sein de mon groupe, mais on m’a choisi pour faire partie de ce comité afin d’y représenter les intérêts de mon groupe. Je cite les comités de l’éthique, du Règlement et de la régie interne parce qu’il ne s’agit pas de rôles philosophiques, mais administratifs. Ce serait totalement anarchique et antidémocratique si les présidents, les vice-présidents et les membres de ces comités se retrouvaient à ne représenter qu’un seul groupe au Sénat. Le Sénat cesserait alors d’être représentatif et démocratique. Pour revenir à mon point initial, il s’agit là d’une atteinte au privilège d’un grand nombre de sénateurs. On risque d’enfreindre le privilège de nombreux sénateurs.

Sénateur Kutcher, je ne crois pas que nos opinions soient diamétralement opposées. J’espère avoir clarifié mon point de vue.

Son Honneur le Président [ - ]

Honorables sénateurs, avant que le prochain sénateur ne pose une question, je vous rappelle qu’il ne reste qu’un peu plus de cinq minutes au sénateur Housakos et que quatre sénateurs souhaitent lui poser une question. Je vous demanderais donc de poser de courtes questions.

L’honorable Renée Dupuis [ - ]

Sénateur Housakos, ma question sera brève.

Je ne sais pas si je vous ai bien entendu, mais comme vous avez parlé de la possibilité de changer de philosophie politique, vous pourriez songer à intégrer le Groupe progressiste du Sénat ou le Groupe des sénateurs canadiens.

Est-ce que le fait que vous ne mentionnez pas le Groupe des sénateurs indépendants (GSI) signifie que, par principe, vous excluez la possibilité de devenir éventuellement membre d’un groupe comme le GSI?

Le sénateur Housakos [ - ]

Non, pas du tout. Le GSI est un groupe comme les autres. Comme tout le monde l’a constaté, il a réussi à attirer bon nombre de représentants et de représentantes et il compte plusieurs membres. Il se porte bien et je n’éprouve aucune difficulté.

L’honorable Marty Klyne [ - ]

J’ai vraiment l’impression que nous avons perdu de vue la question à l’étude, c’est-à-dire la transférabilité de ces sièges.

À mon humble avis, qui ne repose pas sur une ancienneté aussi longue que la vôtre, les sièges sont une monnaie d’échange, un outil de rétention et des menottes dorées. La sénatrice McCallum a effleuré cette idée quand elle a parlé du bon jumelage dans un groupe, quand un membre qui ne se sent pas à sa place reste pour continuer de faire partie du comité en question. Je ne veux pas parler à sa place, mais la sénatrice garde-t-elle son siège parce qu’elle estime que sa place est au sein de ce comité?

J’aimerais vous remémorer les sages propos de l’ancien sénateur Robert Peterson, qui disait que les comités sont le lieu où des travaux essentiels sont effectués. J’ai entendu nombre de sénateurs reprendre ses propos. Je suis du même avis. C’est vraiment là où nous effectuons une grande part de nos réalisations. Nous examinons les projets de loi et nous nous penchons sur des sujets d’intérêt national qui n’attirent pas l’attention.

Je commence à perdre le fil, mais la question qu’il faut régler selon moi, c’est celle de la transférabilité. Je sais que j’ai déjà vu un sénateur quitter un groupe et conserver son siège, au grand dam du groupe qu’il avait laissé. Quand le sénateur a quitté le groupe, celui-ci comptait sur la règle voulant que les sièges ne soient pas transférables et il affirmait que le sénateur n’aurait pas dû le conserver. L’autre groupe, celui qui avait accueilli le sénateur, a dit : « C’est faux. Il peut conserver son siège. » Il y a un peu d’hypocrisie dans ce dossier.

Ce que j’aimerais savoir, c’est pourquoi un siège ne peut pas être transférable. Je le répète, à mon avis, les sièges sont une monnaie d’échange, un outil de rétention et des menottes dorées.

Le sénateur Housakos [ - ]

Je ne pense pas du tout que c’est le cas. Il s’agit de maintenir le respect de la proportionnalité et du semblant de fonctionnement de cette institution sans que cela devienne le Far West, où les votes sur les sièges deviennent négociables avec les groupes. Au contraire, tout sénateur qui change d’affiliation perd son droit de vote dans un comité puisque, comme je l’ai dit, il faut respecter la proportionnalité, mais cela ne l’empêche pas de faire le travail.

Cette législature, je ne fais plus partie du Comité des affaires étrangères et du commerce international. C’est l’une de mes passions. Comme le montre mon travail au Sénat, je travaille beaucoup sur les questions de droits de la personne et d’affaires étrangères. Le Comité des affaires étrangères et du commerce international touche à environ 80 % de mon travail au Sénat. Malheureusement, en raison de la représentation proportionnelle de notre groupe, nous ne sommes plus que deux membres à siéger à ce comité. Deux d’entre nous ont donc dû céder leur siège. J’étais l’un d’entre eux.

Croyez-vous que faire partie de tel ou tel groupe m’empêcherait de présenter les motions que je veux ou de déposer un projet de loi d’initiative parlementaire? Croyez-vous qu’on pourrait m’empêcher de participer aux débats du Comité des affaires étrangères et du commerce international? Absolument pas. Je pourrai toujours y aller et participer. Je pourrai toujours poser des questions, mais je ne pourrais pas voter officiellement au nom de mon groupe ou de tout autre groupe en raison de l’exigence de proportionnalité.

Je vous remercie des commentaires que vous avez faits.

Le sénateur Housakos [ - ]

Je vous remercie, sénatrice McCallum.

L’honorable Marilou McPhedran [ - ]

Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Housakos?

Le sénateur Housakos [ - ]

Absolument.

La sénatrice McPhedran [ - ]

D’abord, la discussion de ce soir me plaît beaucoup. Je suis aussi très impressionnée par votre façon d’esquiver les questions avec vos réponses érudites. Cependant, je vais voir si nous pouvons rester concentrés.

D’une certaine manière, ma question rejoint ce qu’a dit le sénateur Woo. Selon les règles actuelles, si on m’attribuait un siège à un comité et que je changeais d’affiliation, ou que je cessais d’être non affiliée ou que je le devenais, je garderais le siège pour le reste de la session, n’est-ce pas?

Si le rapport du Comité de sélection est mis aux voix et adopté, un sénateur qui change d’affiliation ou dont le groupe doit apporter des correctifs pour quelque raison que ce soit — si je puis dire — peut voir son siège lui être retiré. Est-ce bien le cas? Merci.

Le sénateur Housakos [ - ]

Oui.

La sénatrice Duncan [ - ]

Je veux simplement rappeler au sénateur Housakos que ce n’est pas la période des questions. Je lui saurais gré de me donner une réponse courte et directe.

Serait-il possible de former les comités d’une façon qui tiendrait compte des compétences et des talents de tous les sénateurs et qui garantirait une représentativité? Existe-t-il une autre méthode? Bien sûr, je ne voudrais pas le faire dans le cadre des débats du Sénat et faire de la microgestion. Le sénateur Housakos proposerait-il, par exemple, que le Comité du Règlement étudie le sujet?

Le sénateur Housakos [ - ]

Une étude du Comité du Règlement est toujours une bonne idée. Tout ce que je dis, c’est qu’il y aura toujours des circonstances où les caucus prennent des décisions qui plaisent à certains et déplaisent à d’autres. Aucun processus n’est parfait. J’en suis conscient.

Toutefois, dans l’ensemble, je ne me souviens d’aucune situation dans cette institution où un président, un vice-président ou un membre d’un comité n’apportait pas une précieuse contribution et n’aurait pas dû être là. On peut soutenir qu’une personne conviendrait mieux ou moins bien qu’une autre, mais selon mon expérience, je crois que tous les sénateurs choisis s’acquittent de la tâche qui leur est confiée avec dignité et professionnalisme. C’est la raison pour laquelle les comités sénatoriaux sont reconnus au Parlement comme effectuant le meilleur travail. Cela n’a rien de nouveau. Les témoins et les parties intéressées le reconnaissent depuis des décennies.

Cela signifie que le système n’est pas si mal géré que cela.

Le sénateur Kutcher [ - ]

Si j’ai bien compris la réponse du sénateur Housakos à ma question — et je tiens à reconnaître que le sénateur Housakos et moi avons tous deux un attachement pour les Canadiens de Montréal, bien que, cette année, ce soit très difficile — je ne suis pas sûr d’être d’accord avec ce que l’on vient de dire.

Je tiens à apporter une précision. Ce que je vous ai entendu dire, c’est que le sénateur ne représente pas les vues du groupe lorsqu’il siège au comité. Il présente son point de vue et sa perspective. Il n’est pas le porte-parole du groupe au sein d’un comité. Si c’est le cas, puisqu’ils ne sont pas les porte-parole du groupe, ne devraient-ils pas être libres de passer d’un groupe à l’autre parce qu’ils sont indépendants et qu’ils présentent leur propre perspective?

Par conséquent, la proportionnalité — j’essaie de comprendre — peut être en jeu dans l’attribution des sièges. Et cela me semble tout à fait logique. Mais une fois que les sièges sont attribués pour la durée de la session, si le sénateur n’est pas le porte-parole du groupe au sein du comité, puisqu’il siège au comité en tant que sénateur libre, s’il choisit de changer de groupe, ne devrait-il pas simplement déplacer son siège vers un autre groupe? Parce que vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vous ne pouvez pas siéger à un comité en tant que sénateur indépendant, parler d’une voix indépendante et être le porte-parole de votre groupe. Cela ne fonctionne pas de cette façon, à ma connaissance. Donc, merci, sénateur.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénateur Kutcher, nous nous entendons sur de nombreux sujets, surtout le hockey. Cependant, en ce qui concerne cette question, je pense que nous ne sommes pas tout à fait dans le même clan. Quand vous exercez vos fonctions en tant que membre d’un comité, vous vous exprimez assurément selon votre conscience et votre manière de concevoir les choses, mais quand vous décidez aussi de vous affilier à un groupe — comme je l’ai mentionné plus tôt dans ce débat interminable — vous optez pour un groupe qui partage vos valeurs et votre manière de concevoir les choses. Ainsi, cela confirme qu’il est fort probable que vos arguments et votre travail au sein du comité sont compatibles avec la vision du groupe auquel vous appartenez.

En terminant, je dirais que tout ce que nous faisons ici sert à persuader nos collègues d’adopter nos politiques. Nous nous affilions à des groupes pour avoir des alliés qui nous aideront dans nos efforts de persuasion afin de faire adopter des projets de loi et des motions, entre autres. Je pense que le sénateur Kutcher fait partie du Groupe des sénateurs indépendants. Est-ce exact? Je ne sais pas comment fonctionnent les choses au sein de ce groupe, mais dans le caucus conservateur, nous tenons compte des capacités et des opinions de nos membres. Je pense, bien sûr, à ceux d’entre nous qui siègent à des comités. Lors des réunions des comités, avant de déposer des rapports dans cette enceinte, nous nous consultons. Nous usons de nos pouvoirs de persuasion. Parfois, nous réussissons à nous entendre. Je suppose que c’est la même chose pour tous les groupes. Puis, nous venons dans cette salle, et après avoir persuadé la majorité de notre groupe de nous appuyer, nous tentons de persuader les autres groupes au moyen, notamment, de négociations, de débats, de questions et de réponses.

Pour répondre à votre question, je pense que tout n’est pas noir ou blanc. Je ne pense pas que le sénateur Kutcher ou le sénateur Housakos parlent exclusivement pour nous. Je pense que nous apportons une expertise, des connaissances et un point de vue. Je sais que nous avons tous les deux des convictions profondes, mais nous consultons notre groupe. Nous n’acceptons pas les ordres. Je pense que c’est là où le bât blesse. Même dans le caucus conservateur, nous n’acceptons pas les ordres. Nous tenons des discussions. Même au caucus national, nous tenons des discussions. Personne ne nous donne des ordres pour nous indiquer ce que nous devons faire. Croyez-moi, le caucus du Sénat en particulier n’aime pas beaucoup qu’on lui donne des ordres.

Je pense que c’est là où le bât blesse. Je ne pense pas qu’on parle exclusivement pour soi-même, et c’est là où je veux en venir. Je pense qu’on parle pour soi-même, pour sa conscience, mais qu’on représente aussi son groupe, parce que c’est lui qui nous a accordé le privilège de siéger au comité. C’est là où je veux en venir, mais je crois que je n’y arrive pas très bien, étant donné que tout le monde me questionne.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénateur Kutcher, avez-vous une autre question?

Le sénateur Kutcher [ - ]

Je crois que le sénateur Housakos a besoin d’une pause.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Honorables sénateurs, pendant la courte période de 15 minutes dont je dispose, j’essaierai de rester concentré pour répondre aux leaders des deux plus grands groupes, soit le sénateur Woo et le sénateur Housakos, et pour répondre aux questions que le sénateur Tannas a soulevées mardi.

Il y a une semaine, le Sénat a adopté, sans débat et avec le consentement unanime de toutes les personnes présentes, le premier rapport du Comité de sélection, qui désigne les sénateurs qui feront partie des comités du Sénat. C’était une étape cruciale pour organiser nos comités, dont bon nombre sont maintenant prêts à remplir leurs fonctions.

Ce faisant, nous avons agi conformément au chapitre 12 du Règlement, qui dit que le mandat du Comité de sélection est de désigner des sénateurs qui pourront être nommés aux comités et que le pouvoir de nomination appartient au Sénat.

Cette procédure suit les pratiques de la Chambre des communes, des deux Chambres du Parlement de Westminster et du Parlement de l’Australie. En outre, tous les spécialistes qui donnent leur avis sur le modèle de Westminster reconnaissent qu’une Chambre peut modifier la proposition d’un comité de sélection. Autrement dit, selon le modèle de Westminster, c’est la Chambre elle-même, et non les partis ou groupes politiques, qui nomme les membres aux divers comités.

De toute évidence, les groupes ont de l’importance à l’étape qui mène au rapport du Comité de sélection puis à la nomination. Ils servent à cerner les intérêts et l’expertise des sénateurs et à faire en sorte que tous les comités, même les moins populaires, comptent un nombre maximal de membres. C’est toutefois au Comité de sélection que devrait revenir la responsabilité de s’assurer qu’au final, la composition de chaque comité est représentative des Canadiens et de la société dans laquelle nous vivons.

Il ne faut pas confondre les processus internes qui varient d’un groupe à l’autre et le rôle du Comité de sélection, qui fait des propositions avant que le Sénat décide des nominations. Rappelons, en effet, que les sénateurs non affiliés sont égaux à tous les autres sénateurs et ont le droit de siéger à un comité. Ce droit n’est pas réservé aux sénateurs membres d’un groupe, comme l’a confirmé, en 2017, l’adoption du troisième rapport du Comité spécial sur la modernisation du Sénat, un mois avant que le Groupe des sénateurs indépendants soit reconnu officiellement comme un groupe.

Ainsi, pour protéger ce droit, conformément à l’article 12-1 du Règlement qui a été adopté à l’unanimité en 2017, les sénateurs non affiliés ont droit à un représentant au sein du Comité de sélection pour veiller à ce que son rapport inclue les noms des sénateurs non affiliés de plein droit. Malheureusement, cette règle n’a pas été respectée récemment puisque ni le sénateur Brazeau ni la sénatrice McPhedran n’ont été proposés pour occuper l’un des 193 sièges décrits dans le premier rapport du Comité de sélection. Cela ne me donne guère l’impression que l’égalité de tous les sénateurs, y compris les sénateurs non affiliés, est reconnue dans le processus de nomination. J’espère que cette situation sera corrigée rapidement, non pas en suppliant les groupes existants pour obtenir des miettes, mais bien lorsque les sénateurs participent aux travaux du Comité de sélection afin qu’ils attribuent un siège même aux deux sénateurs non affiliés. Cela représente 4 sièges sur 193. Nous en sommes loin si l’on considère les sénateurs Brazeau et McPhedran.

Malgré cette lacune, le Sénat a adopté le rapport la semaine dernière. Ce n’est qu’alors que les comités ont été constitués.

Ce qu’il faut retenir de ce processus, c’est que c’est le Sénat lui-même, et non les groupes, qui nomme les sénateurs aux comités.

Qui plus est, dans tous les Parlements inspirés du modèle de Westminster, les nominations aux comités permanents sont faites au moins pour la durée d’une session, voire d’une législature. Comme nous l’avons entendu au début de la semaine, le Sénat applique ce principe depuis 1867 et il l’a officiellement incorporé à son Règlement en 1969. Pourquoi en est-il ainsi? La réponse découle du rôle des comités, qui est résumé comme suit dans la préface de La procédure du Sénat en pratique :

Les comités ont toujours été un élément important du Sénat. C’est en comité que les sénateurs peuvent mettre le plus à profit leurs talents et leur expérience. Leurs compétences et leurs antécédents professionnels, combinés aux connaissances qu’ils acquièrent au Parlement, constituent un fondement solide pour leur participation aux comités. Les comités peuvent vraiment faire œuvre utile grâce à la stabilité des membres qui les composent. Et au fil des ans, les sénateurs en viennent à connaître à fond les dossiers complexes.

Cette citation est tirée du livre qui a été rédigé ici, au Sénat.

Maintenant, certains leaders proposent que nous acceptions, comme nous l’avons fait sans débat en mars 2020 et à nouveau avec un débat limité en octobre 2020, de rejeter ce principe de continuité. Ce principe est plus important aujourd’hui que jamais, étant donné qu’il assure une plus grande indépendance aux sénateurs pour choisir leur affiliation dans une Chambre où il y a maintenant davantage de groupes, ce qui leur permet ainsi une plus grande liberté de choix.

Sérieusement, chers collègues, est-ce que l’un d’entre vous croit vraiment que si un sénateur change de groupe ou se désaffilie, il ne sera plus digne de la confiance du Sénat qui l’a nommé à un comité, ou encore qu’en changeant de groupe, un sénateur change d’opinion ou de point de vue sur un sujet?

Pourquoi, alors, essayer de changer cette règle de continuité? Certains disent que c’est pour préserver l’attribution proportionnelle des sièges. La sénatrice Bellemare et d’autres ont signalé mardi les failles de cet argument. La réponse se trouve ailleurs.

La modification du Règlement semble préserver ou même accroître le pouvoir des groupes et de leurs leaders. On l’a dit clairement ce soir, les sièges appartiennent aux groupes. Cela va à l’encontre de diverses tentatives visant à accroître la liberté individuelle des députés et des membres des Chambres hautes du modèle de Westminster.

Un rapport de 2009 du Comité sur la réforme de la Chambre des communes du Royaume-Uni a recommandé la poursuite des nominations pendant la durée de la législature en précisant qu’il était souhaitable d’éliminer du processus l’influence des whips des partis. Ce rapport a aussi exploré diverses avenues pour rendre plus démocratique et transparent le processus de nomination des comités.

Il est encore plus malheureux que cette enceinte se penche sur cette proposition puisqu’elle va à l’encontre du principe de l’indépendance du Sénat en tant qu’entité composée de sénateurs libres d’exprimer leurs opinions sur les dossiers et projets de loi à l’étude, libres de voter et libres de s’affilier, ou non, sans peur de représailles.

En fait, ce nouveau concept de transférabilité et d’appropriation des sièges par les groupes semble être né du fait que le sénateur Richards était devenu un sénateur non affilié en 2018. Le sénateur Richards avait conservé son siège au sein du Comité de la sécurité nationale et de la défense, où des votes serrés étaient attendus à l’égard du projet de loi C-71. Si le principe de la nomination pour la durée de la session avait été rejeté, comme il est proposé ce soir, les rapports de force auraient été très différents au sein de ce comité.

Autrement dit, les résultats concrets des travaux des comités peuvent être un facteur à la source de cette initiative ayant pour but de rejeter le principe de la nomination jusqu’à la fin de la session.

Dans une question adressée à la sénatrice Cordy mardi soir, le sénateur Tannas a abordé directement cet aspect. Quant à l’article 12-5 auquel le sénateur Woo fait référence à répétition ce soir, particulièrement le remplacement au sein des comités, il a déclaré :

[...] mais personne n’a parlé de l’article 12-5, qui dit essentiellement que les leaders peuvent, d’une signature, retirer n’importe quel membre d’un comité et nommer quelqu’un d’autre à sa place. Cela signifie donc que, jusqu’à la minute précédant la démission d’une personne, le leader peut lui retirer son siège. Ce n’est qu’après avoir démissionné qu’elle peut conserver son siège ou que le leader ne peut le reprendre. Le groupe ne peut le reprendre.

Comme l’a dit en réponse la sénatrice Cordy, si l’article 12-5 peut être interprété ainsi, le temps est venu de demander au Comité du Règlement, et non au Comité de sélection, d’étudier la question.

J’ai également du mal à accepter les suggestions selon lesquelles les règles protégeant les sièges pour la session ne sont pas importantes, en raison d’une règle rédigée en termes généraux sur les remplacements. À mon avis, une interprétation correcte indique le contraire. La règle sur la durée des nominations est le principe et la règle sur le remplacement est l’exception.

La règle sur le remplacement est en place depuis 1983. Sa raison d’être est de permettre des remplacements temporaires, comme l’a expliqué le Président Noël A. Kinsella en 2007 :

Le fait de permettre des changements à la composition des comités au cours d’une session facilite la coordination des travaux des caucus. Par exemple, si un sénateur doit s’absenter d’une réunion en raison d’autres responsabilités ou si un sénateur qui n’est pas membre d’un comité possède des connaissances particulières sur une question examinée par ce comité, [l’article 12-5] du Règlement offre la possibilité de tenir compte de ces circonstances.

En 2009, un rapport du Comité du Règlement a confirmé que, dans la pratique, l’actuel article 12-5 est appliqué de la façon suivante en ce qui concerne les remplacements temporaires :

[L]e sénateur qui ne peut participer aux travaux de son comité, que ce soit pour une réunion ou une période plus longue, est remplacé par un autre sénateur. Ensuite, lorsque le membre original peut revenir, il remplace son remplaçant — restaurant ainsi la composition originale du comité.

Par ailleurs, à l’autre endroit, la Chambre des communes, on ne peut apporter des modifications permanentes aux comités permanents que si la Chambre des communes en décide ainsi, comme on l’a vu lorsque la députée Leona Alleslev a quitté le Parti libéral pour se joindre au Parti conservateur. Des motions du comité de la Chambre qui correspond à notre comité de sélection doivent être adoptées à la Chambre des communes, et une motion d’adoption est requise à la Chambre des communes pour que le rapport en question soit adopté.

C’est aussi le cas au Sénat d’Australie et à la Chambre des communes du Royaume-Uni. Pour sa part, le Règlement de la Chambre des lords ne parle pas du retrait d’un membre d’un comité. Un remplacement requiert une motion adoptée par la Chambre des lords.

On ne s’étonnera probablement pas que, lorsque le Sénat a voté pour la suspension de l’article 12-2(3) du Règlement le 28 octobre 2020, l’ancien Président du Sénat, le sénateur Housakos, a voté pour conserver la pratique de Westminster fondée sur la durée des nominations.

Il ne fait aucun doute que l’article 12-5 a déjà été utilisé, par le passé, pour faire respecter la discipline du parti. Je trouve toutefois étrange d’entendre des sénateurs invoquer cet élément dans le Sénat actuel, du moins dans les groupes qui affirment que leurs membres sont libres de voter à leur guise et que le groupe ne prendra aucune mesure en vue d’arriver à un certain résultat, et où il n’y a pas de whip. On pourrait donc s’attendre à ce que les dirigeants de ces groupes n’aient pas recours à l’article 12-5 pour forcer le remplacement d’un sénateur, particulièrement si c’est pour atteindre un résultat précis, par exemple pour qu’il n’y ait pas d’amendement à l’étape de l’étude en comité.

La décision que nous prenons aujourd’hui influencera grandement la direction que prendra la réforme du Sénat, honorables collègues, car les changements proposés sont rétrogrades.

L’an dernier, notre ancien collègue, Murray Sinclair, nous a rappelé son idéal, celui d’un Sénat qui serait le conseil des anciens du Canada. Il a dit ceci :

Nous pouvons adopter une culture et une structure institutionnelle qui ressemblent davantage à un cercle de personnes indépendantes et nous éloigner des factions hiérarchiques [...]

En conclusion, je crois que l’adoption de ce rapport serait un mauvais service à rendre à l’indépendance individuelle, aux comités, au Sénat et à la réforme que nous tentons de réaliser, enfin, pour ceux qui y croient.

Honorables sénateurs, je vous exhorte respectueusement à voter contre ce rapport.

Merci. Meegwetch.

Haut de page