Affaires sociales, sciences et technologie
Adoption de la motion tendant à autoriser le comité à étudier le Cadre fédéral de prévention du suicide
28 avril 2022
Honorables sénateurs, en trois ans, c’est la troisième fois que je prends la parole au sujet de la prévention du suicide pour des raisons liées à ce que j’ai vécu personnellement il y a quelques années. Lorsque nous traitons de la prévention du suicide et de la santé mentale, nous devons faire preuve d’ouverture, de transparence et d’honnêteté si nous voulons réellement changer les choses.
Il y a plusieurs années, j’éprouvais des problèmes et j’ai suivi une thérapie. Les personnes qui participent à ce genre de thérapie sont surtout des ex-détenus et des hommes qui s’y présentent volontairement pour obtenir de l’aide. J’ai rapidement appris que le taux de réussite des centres provinciaux où les hommes peuvent obtenir de l’aide est d’environ 2 %. Ce n’est pas très élevé.
À mon arrivée au centre, on avait su que j’allais me présenter là pour avoir de l’aide et on a déroulé le tapis rouge. Or, je ne voulais pas d’un tapis rouge. Les hommes et les femmes qui vont à de tels endroits ont besoin d’aide; ils souffrent. Dans mon cas, c’était parce que j’avais presque atteint le fond du baril. Je voulais y demeurer. Comme vous pouvez le constater, cela n’a pas été facile, mais aujourd’hui, je suis ici.
Selon mon expérience personnelle avec ces thérapies, beaucoup de personnes qui souffrent, qui envisagent le suicide ou qui se sont suicidées ont des points en commun. Je ne suis pas un expert, mais cela a beaucoup à voir avec deux choses. Je n’ai pas fait d’études dans ce domaine, mais grâce aux relations humaines que j’ai établies avec les autres participants à ces thérapies, les gens souffraient et avaient l’impression d’être incompris. Ce sont les points communs que j’ai observés chez ceux qui envisageaient le suicide.
Après avoir été à ces endroits et avoir lentement commencé à me sentir mieux, tant sur le plan physique que mental, j’ai voulu redonner au suivant, mais à l’époque je ne savais pas comment je pouvais le faire. Il y a beaucoup de suicides parmi les Autochtones au Canada, et ils passent souvent inaperçus. Maintenant, en 2022, nous savons ce que le système des pensionnats a fait aux Autochtones génération après génération. Il a brisé des personnes, des familles et des nations. Des gens souffrent encore aujourd’hui. Même si nous obtenons des excuses à gauche et à droite, cela ne change rien au fait que le gouvernement du Canada et d’autres ont fait du mal aux peuples autochtones.
Les Autochtones n’ont pas accès aux services dont ils ont désespérément besoin. Nous parlons souvent de réconciliation, mais qu’en est-il de la réparation? Je sais qu’un gouvernement antérieur avait présenté des excuses aux survivants des pensionnats autochtones et je sais que certaines choses sont faites, mais tant que les gouvernements fédéral et provinciaux n’offriront pas de concert les services dont les peuples des Premières Nations et les Autochtones ont besoin partout au Canada, comment pourrons-nous arriver à la réconciliation? Faudra-t-il attendre encore 20 ans? Nous parlerons encore de problèmes de santé mentale et de prévention du suicide chez les Autochtones et les Canadiens en général dans 20 ans.
C’est pour cette raison que, en décembre 2019, j’ai présenté une motion sur la santé mentale qui mettait l’accent sur les jeunes hommes, les garçons et les Autochtones. Pourquoi ai-je présenté cette motion en 2019? C’était ma façon de donner en retour, mais ce n’était pas la seule raison. Mon bureau a mené des recherches et les conclusions étaient bien simples. Nous avions demandé à tous les gouvernements provinciaux et territoriaux de nous indiquer ce qu’ils avaient fait en matière de prévention du suicide. Vous vous en souviendrez, le rapport avait été communiqué à tous les sénateurs.
Nous avions constaté que les jeunes femmes et les filles avaient accès à davantage de services dans les provinces et les territoires comparativement aux garçons et aux jeunes hommes, alors que 75 % des suicides au Canada sont commis par des hommes. Les hommes ont besoin de services.
Je suis le premier, mais loin d’être le seul, à affirmer que ces thérapies ne valent pas grand-chose. Les chiffres ne sont que des chiffres et les faits ne sont que des faits. Le taux de réussite est de 2 %, et je vous dirai que j’ai eu l’impression d’avoir perdu mon temps pendant mes six mois de thérapie. J’ai des choses à dire sur la manière d’améliorer ces thérapies et d’offrir plus de services aux jeunes garçons et aux hommes.
S’il existait des services pour les jeunes garçons et les hommes, il y aurait peut-être moins d’hommes qui consomment des substances et de l’alcool. Il y aurait peut-être moins de problèmes de gestion de la colère. Il y aurait peut-être moins de démêlés avec la justice. Les hommes se trouveraient peut-être moins souvent dans des relations abusives. Cependant, ces programmes ne sont pas nécessairement offerts aux jeunes garçons et aux hommes partout au pays.
Beaucoup d’hommes apprennent à un très jeune âge à cacher leurs émotions, à s’endurcir, à accepter leur situation et à ne pas se plaindre. Pour certains d’entre nous qui suivons ces leçons, cela signifie que plus nous gardons de choses à l’intérieur, plus nous explosons lorsque les choses tournent mal.
Je suis le premier à admettre que je n’avais pas les outils nécessaires. J’ai rencontré différents psychiatres. J’ai eu de mauvaises expériences. J’ai eu une bonne expérience. Tout se fait au cas par cas.
Mais cette motion n’a jamais été vraiment débattue parce qu’ensuite la COVID est arrivée. En novembre 2020, j’ai dû présenter de nouveau cette motion. Si vous vous rappelez, je vous ai également demandé de l’aide, chers collègues. En particulier, je suis allé voir le sénateur Kutcher — parce que nous sommes saisis de sa motion aujourd’hui — et je lui ai demandé son aide parce qu’il est un spécialiste. Le sénateur Kutcher m’a dit qu’il allait m’aider, que lui et son personnel allaient rester en contact avec mon bureau. Malheureusement, je n’ai jamais eu de nouvelles du sénateur Kutcher.
Je veux donner un peu de contexte. Je ne prends pas la parole aujourd’hui pour pointer du doigt ni dénoncer qui que ce soit, mais j’ai été un peu surpris par la présentation de cette motion, car j’ai appris son existence environ une semaine avant sa présentation. En fait, j’ai appris par d’autres collègues autochtones que le sénateur Kutcher allait la présenter. Cela m’a pris par surprise parce que pendant deux ans, j’ai eu une motion qui, comme je l’ai mentionné, n’a pas été débattue correctement à cause d’éléments extérieurs, et pendant cette période, je n’ai pas eu de nouvelles du sénateur Kutcher. Et maintenant, le sénateur Kutcher a décidé de présenter cette motion.
Je le répète, ce n’est pas une question de rancœur, pas plus que ce n’est une question de m’attribuer le mérite. Ce n’est pas une question d’ego, parce qu’en ce qui me concerne, j’ai casé mon ego en janvier 2016 quand j’ai fait une tentative de suicide. Mon ego y est resté.
Quand on parle de prévention du suicide, beaucoup de gens, moi y compris — j’étais souffrant, j’avais honte de demander de l’aide. Quand j’ai prononcé mes discours en 2019 et en 2020, j’étais fier parce que c’était ma façon non seulement de guérir, mais d’essayer d’apporter une contribution, car j’avais blessé beaucoup de personnes sur mon parcours.
C’est pourquoi cette motion m’a pris par surprise. Je sais que la sénatrice Batters et le sénateur Patterson ont abordé le sujet, et je suis d’accord avec leurs préoccupations. J’ai moi-même des préoccupations. Je sais que le sénateur Kutcher est un expert et je le respecte. Cependant, je dois avouer, chers collègues, qu’il y a des gens qui pensent que les Autochtones n’ont pas leur place au Sénat. Je l’ai entendu auparavant. Il y a des gens qui croient que les Autochtones ont seulement des connaissances ou de l’expertise sur les enjeux des Autochtones. C’est pourquoi j’ai été quelque peu blessé et surpris.
De toute évidence, le sénateur Kutcher a le droit de présenter ce qu’il désire. J’ai toutefois été un peu surpris. Je suis resté assis pendant un instant, et je me suis dit que si on ne reconnaît pas que j’ai, moi qui suis une personne autochtone, peut-être pas une expertise mais certainement et malheureusement de l’expérience avec cet enjeu, et qu’on n’a pas entendu mon appel ou qu’on n’en a pas tenu compte, je dirais que cela va à l’encontre de ce qu’on prêche quand on parle de santé mentale et de demander de l’aide.
Je vais appuyer la motion. J’espère que le sénateur Kutcher et le comité travailleront avec moi car, en tant que personne autochtone, je tends toujours la main. Ma main est toujours ouverte. Mon cœur est ouvert. Mon esprit est ouvert et clair. Ce n’est pas pour m’attribuer le mérite de quelque chose que je souhaite travailler sur ces enjeux. Je veux apprendre et je veux aider si je le peux.
Sénateur Kutcher, cela fait aussi partie de la réconciliation. Vous avez consacré votre vie entière à cet enjeu; vous avez votre expertise, j’ai une expérience personnelle. Par exemple, quand on parle de prévention du suicide, certaines personnes disent que si on élimine des armes à feu, il y aura moins de suicides. C’est vrai, mais ce n’est qu’une des façons d’interpréter les statistiques. On sait en effet que plusieurs des policiers qui se suicident utilisent leur arme à feu.
À propos du suicide autochtone, signalons tout d’abord qu’il n’y avait pas de suicides commis chez les Autochtones avant l’arrivée de l’homme blanc. Je dis « l’homme blanc » et ma mère était blanche. J’espère donc que je n’offense personne en disant cela. Le suicide autochtone n’est pas nécessairement commis à l’aide d’une arme à feu. On utilise d’autres méthodes. Il n’y a donc pas de solution unique pour régler le problème. Il faut vraiment procéder au cas par cas. Il n’existe pas de recette unique pour remédier à la situation. C’est pourquoi nous devons travailler de concert.
Pensons à l’autre endroit. Depuis combien de temps y discute-t-on de l’établissement d’un numéro à trois chiffres pour les personnes en détresse? La question ne devrait pas être partisane. Je sais que c’est un conservateur qui a proposé l’idée. Une des lignes de prévention du suicide a pour numéro le 833-456-4566. Facile à retenir, n’est-ce pas? L’établissement d’une ligne téléphonique d’urgence à trois chiffres pour les gens avec un problème de santé mentale ou d’une ligne de prévention du suicide a fait l’objet d’une motion adoptée à l’unanimité à l’autre endroit en novembre 2020, je crois, et nous n’y sommes pas encore. Nous n’avons toujours pas de numéro à trois chiffres. La question ne peut donc pas être partisane.
Comme je l’ai dit, je ne veux pas dénigrer qui que ce soit, mais, sans vouloir parler de moi, cela montre que les Autochtones peuvent apporter au Parlement une contribution qui va au-delà des questions autochtones. À l’avenir, j’espère que vous collaborerez avec moi, parce que je suis impatient de travailler avec vous, sénateur Kutcher, et avec le comité pour que nous fassions les choses correctement et que nous apportions un changement véritable — véritable et qui va au-delà des mots. Kitschimegwetch de votre écoute.
Sénateur Brazeau, votre temps de parole est écoulé, mais je vois que la sénatrice McCallum souhaite poser une question. Voudriez-vous demander cinq minutes de plus?
Je serai toujours prêt à répondre à une question de mon honorable collègue la sénatrice Mary Jane McCallum.
Honorables sénateurs, accordez-vous cinq minutes de plus?
Je vous remercie d’accepter de répondre à la question, sénateur Brazeau. Compte tenu des circonstances très particulières qui touchent les peuples autochtones du Canada lorsqu’il est question du suicide et des mesures de prévention qui doivent être prises à cet égard, convenez-vous que le comité devrait comprendre qu’il faut faire appel à des Autochtones qui ont acquis des connaissances autochtones traditionnelles et qui ont suivi une formation... Eh bien, certains ont suivi une formation, mais il s’agit surtout de décoloniser les thérapies en santé mentale, et je connais bien des gens qui répondent à ce critère. Croyez-vous qu’ils ont un rôle important à jouer pour mieux faire comprendre les problèmes auxquels les Autochtones doivent faire face?
Je vous remercie infiniment de votre question.
Je suis tout à fait d’accord. Comme je l’ai dit, il n’y a pas et il ne peut y avoir qu’une seule solution. Il faut intervenir au cas par cas. Il y a certains points en commun, évidemment. Dans la communauté du lac Barrière, juste au Nord de ma communauté, Kitigan Zibi, un jeune s’est suicidé en août dernier. Deux mois après ce suicide, 12 membres de la communauté du lac Barrière — j’ai bien dit 12 — ont tenté de se suicider.
Il n’existe pas de recette magique permettant de faire la lumière sur cette question. Existe-t-il vraiment des experts en prévention du suicide? Je ne sais pas. Existe-t-il vraiment un expert qui peut tout régler avec sa baguette magique? Non. Il existe des pratiques traditionnelles de guérison, mais comme pour tout le reste, il faut des ressources. Les gens ne travaillent pas gratuitement, et les Autochtones non plus.
Il leur faut de telles ressources pour poursuivre le travail qu’ils ont déjà commencé, et j’espère qu’une grande partie des travaux du comité sera consacrée à cet aspect, parce que nous savons que des Autochtones se suicident. Ils sont surreprésentés lorsqu’il s’agit de suicide. Réglons ce problème. Nous savons que 75 % des suicides sont commis par des hommes. Il faut réduire ce nombre. C’est facile à comprendre.
Il nous faut des experts autochtones avec leurs propres programmes et leurs propres processus de guérison, de thérapie, qui peuvent venir jeter de la lumière et partager leurs connaissances à l’avenir avec des professionnels de la santé non autochtones qui, je suis désolé de le dire, n’ont pas le monopole des idées. Voilà pourquoi les peuples autochtones de même que les experts et les professionnels non autochtones doivent travailler ensemble sur cette question. Nous n’arriverons pas à prévenir tous les suicides, parce que personne n’a de baguette magique.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence.)