Peuples autochtones
Motion tendant à autoriser le comité à étudier les effets de la fraude d’identité sur la marginalisation accrue des peuples autochtones--Ajournement du débat
14 février 2023
Conformément au préavis donné le 13 décembre 2022, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la fausse représentation de l’ascendance autochtone, les normes d’auto‑identification inadéquates et les effets profonds que cette fraude d’identité a sur la marginalisation accrue des peuples autochtones, en particulier les femmes autochtones;
Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023.
— Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 96, qui dit ceci :
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la fausse représentation de l’ascendance autochtone, les normes d’auto-identification inadéquates et les effets profonds que cette fraude d’identité a sur la marginalisation accrue des peuples autochtones, en particulier les femmes autochtones [...]
Je tiens à saluer le sénateur Brazeau, qui a présenté, le 20 septembre 2018, la motion no 371 sur la vente de cartes de membre frauduleuses.
Honorables collègues, il est important de dire que je ne suis pas la seule à faire tout ce travail au Sénat, car il s’agit toujours d’un effort collectif pour remédier à un problème, qu’il soit question de réparer les torts du passé ou de combler les lacunes dans les politiques et les lois actuelles. Il est important de préciser que la lutte contre ces injustices est un fardeau qui pèse davantage sur les femmes autochtones et qui est lourd de conséquences pour nombre de personnes ainsi que pour leurs relations. Le travail des femmes autochtones est un effort collectif et il le demeurera toujours, car c’est ainsi que sont les esquiwak.
Je souhaite remercier le Groupement des femmes autochtones et reconnaître le travail qu’il a accompli sur la question du vol et de la fraude d’identité chez les Autochtones. C’est en leur nom que je soumets cette question au Sénat.
Honorables sénateurs, je souhaite d’emblée parler du mot « identité ». Kim TallBear, spécialiste des études et de la technologie autochtones, a analysé les cas de changement de race aux États-Unis et au Canada depuis le début des années 2000, particulièrement en ce qui concerne la recherche et les tests génétiques. Dans l’article « La fraude d’“identité” autochtone n’est pas une distraction, mais la dernière prime sur la tête des Indiens », Kim TallBear affirme que :
Jouer à l’Indien est une pratique de plus en plus courante selon laquelle des personnes non autochtones (le plus souvent, mais pas toujours, des Blancs) revendiquent de manière particulièrement publique leur identité autochtone, parfois pour en tirer un grand profit financier et pour faire avancer leur carrière.
Elle nous met en garde contre l’utilisation du terme « identité ». Elle déclare que « c’est généralement un mot individualiste qui se rapporte à nos corps individuels et aux choses que nous considérons comme la propriété des corps [...] » Peut-être que les bons termes seraient « nos parents, nos proches, notre citoyenneté, notre parenté, et qui nous sommes ou ce que nous devenons ensemble en tant que collectifs ».
Kim TallBear poursuit :
Nous ne voulons pas renforcer l’individualisme qui est à l’origine de prétentions souvent fausses et contribuer à effacer davantage le fait que nous formulons des revendications collectives et que nous affirmons des idées et des responsabilités culturelles et politiques forgées collectivement.
Dans le livre Claiming Anishinaabe : Decolonizing the Human Spirit, ou se réclamer anishinaabe : décoloniser l’esprit humain, l’auteure Lynn Gehl cite Robert Bocock, qui affirme que :
[...] la culture est mieux comprise comme un ensemble de pratiques par lesquelles des significations sont produites, partagées et échangées au sein d’un groupe [...] si les entités et les significations culturelles sont antérieures à notre identité, c’est l’attribution collective de significations à celles-ci qui nous permet d’apprécier ce qu’elles sont et le but qu’elles servent.
Elle poursuit ainsi:
Richard Castillo est d’accord avec cette idée que la culture d’une personne est une source d’orientation et d’action lorsqu’il affirme que les systèmes de signification culturelle fournissent aux humains des fonctions représentatives, constructives, directives et évocatrices.
Honorables sénateurs, pour ma génération, il a fallu vivre au sein d’une communauté pour arriver à ces significations, à ces enseignements et à ces connaissances pratiques, qui sont enseignés par existence axée sur la terre. Aujourd’hui, nous devons trouver comment transmettre le savoir aux générations futures, dont beaucoup sont dépossédées de leur terre, de leur identité et de leur parenté sans que ce soit leur faute.
Comme l’a déclaré le Groupement des femmes autochtones, le préjudice le plus insidieux causé par le « fauxtochtonisme » est celui qu’il inflige aux peuples autochtones qui renouent avec leur culture et leur identité. Les peuples autochtones déplacés ont besoin d’être soutenus et reconnus. Les « fauxtochtones » revendiquent de manière perverse la vulnérabilité et la violence vécues par les peuples autochtones et l’utilisent ensuite à leurs propres fins insensibles et égocentriques.
Dans son ouvrage intitulé Conquest: Sexual Violence and American Indian Genocide, l’auteure Andrea Smith déclare :
Plutôt que d’adopter une stratégie pour se battre afin d’obtenir d’abord la souveraineté et ensuite améliorer le statut des femmes autochtones, comme nombre de militants le proclament, il faut comprendre que les attaques dirigées vers le statut des femmes autochtones sont en soi des attaques contre la souveraineté autochtone.
Chers collègues, comment est-il possible que la politique d’auto‑identification soit encore en vigueur, laissant ainsi la voie libre aux fauxtochtones, qui continuent injustement à maintenir et à exercer un grand pouvoir et de l’autorité dans les dossiers qui devraient être dirigés par les Autochtones? Cette pratique bénéficie malheureusement du soutien du gouvernement qui affirme qu’« aucune relation ne compte autant que notre relation avec les Autochtones ». Cette auto-identification représente l’un des aspects de la violence intellectuelle inhérente à l’usurpation de l’identité autochtone.
Notre histoire en tant que Premières Nations, Métis, Inuits et esquiwak non inscrits porte sur la création et la célébration de la vie et de l’amour; le respect; le courage; ainsi que sur la compréhension et la célébration de la résilience gagnées au prix de leçons complexes apprises en relation avec la vie, la nature, l’environnement et l’astronomie. Notre histoire devrait être la seule chose dans notre vie qui nous appartient réellement. C’est ce qui nous a reliés à nos ancêtres depuis des siècles, ce qui a été transmis aux nouvelles générations, ce qui nous a maintenus en sécurité et ce qui nous a motivés à élever notre voix pour ceux qui ne sont pas encore là et ceux qui ont été marginalisés et muselés. C’est ce qui nous a poussés à aller vers le changement transformationnel pour reprendre notre pouvoir et notre esprit qui ont été volés par l’Église, le gouvernement, le patriarcat et même ces autres femmes qui s’attribuent délibérément du pouvoir sur la souveraineté de notre histoire, et par le fait même notre héritage, et la déforment.
Chers collègues, tout comme le Groupement des femmes autochtones, je dénonce cette supercherie qu’est le vol de l’identité autochtone. Ses tentacules s’insinuent à tous les niveaux des pouvoirs académiques, politiques et judiciaires. Les institutions coloniales doivent mettre fin à leur mutisme historique et dénoncer cette situation pour ce qu’elle est : un vol légitime. Si ces institutions sont déterminées à parvenir à la réconciliation, elles contribueront à mettre fin au silence qui entoure cette question, elles renonceront à cette pratique et elles reconnaîtront le tort qu’elle cause aux peuples autochtones, et plus particulièrement aux femmes et aux enfants autochtones.
Honorables sénateurs, comme c’est la coutume dans la culture crie, j’aimerais présenter mes parents et mon histoire. Lorsque des Cris se rencontrent, ils demandent : « Qui sont vos parents? » — a winak ke mama equa ke papa? — et « D’où venez-vous? » — tant ke tha ochi? —, car cela leur donne un cadre de référence leur permettant de savoir qui on est et ce qu’on représente.
Mon nom spirituel est Wa Ba Ne Quie, ce qui signifie Femme de l’Aube ou Femme de l’Est. Je viens du clan des Faucons. J’ai reçu mon nom spirituel à l’occasion d’une cérémonie de la « tente tremblante » au cours de laquelle j’ai reçu de la médecine traditionnelle. Ma mère, Marie Adele Thomas, était une Métisse. La famille de sa mère avait fui la région de Selkirk, près de Winnipeg, pour se réfugier à Brochet au début des années 1900, car ses membres craignaient pour leur vie. Les ancêtres de mes arrière‑grands-parents venaient de la France et de l’Écosse et ils ont épousé des ethenewak — des êtres humains — du Canada. Ethenewak est le mot que nous utilisions pour nous désigner avant la Loi sur les Indiens.
Le père de ma mère était originaire de la bande de Cumberland House, en Saskatchewan. Ma mère est décédée en 1957 d’un cancer de la thyroïde. Les souvenirs que j’ai d’elle proviennent des histoires racontées par des membres de la famille et des aînés et on se souvient d’elle comme d’une mère attentionnée et travailleuse qui avait de nombreuses compétences.
J’ai été envoyée au pensionnat trois semaines après son décès et je n’ai pas réussi à surmonter ce traumatisme à ce jour, car j’ai refoulé mes souvenirs de cette période de ma vie. Lorsque ma mère a épousé mon père, elle est devenue une Indienne inscrite et a été définie comme telle par les étrangers, l’église et l’agent des Indiens, une femme fantastique à laquelle les colons accordaient peu ou pas d’importance.
Mon père, Horace McCallum, était un Indien inscrit et il est arrivé à Brochet à l’âge de 16 ans. Sa mère était originaire de la bande de Shoal Lake et son père de la bande de Peter Ballantyne, toutes deux en Saskatchewan. Mon père était un chasseur, un trappeur, un éducateur et un parent seul. Il était déterminé, innovateur, sans peur et observateur.
Lors des premières années, lorsqu’il a commencé à piéger à l’âge de 16 ans, il marchait jusqu’à sa ligne de piégeage par une température de -40 degrés, car il n’avait pas d’attelage de chiens et il tirait le traîneau derrière lui. Il reste, à ce jour, mon plus grand professeur, mentor et modèle. Il n’a jamais laissé le système colonial le définir ni définir sa vie, et j’espère lui rester fidèle et suivre ses traces.
Honorables sénateurs, que penseriez-vous si je vous disais qu’aujourd’hui j’ai décidé que je serais une femme blanche? Ce pays a dépensé d’énormes quantités d’argent, de temps et d’efforts pour supprimer l’Indienne en moi en essayant d’effacer ma langue, ma culture, mon environnement et ma spiritualité. Il m’a enseigné le péché, les aspects négatifs de l’enfance, de la vie de jeune fille et de la vie de femme, les mots désobligeants de votre langue, comme « sauvage », et le rôle subordonné des femmes. Il a élaboré des politiques et des stratégies pour maintenir les Autochtones dans l’oppression tout en en tirant profit, car le fait de nous opprimer systématiquement permet à d’autres de trouver du travail. Qu’en pensez-vous? M’accepteriez-vous si je devenais Blanche? Serais-je traitée différemment? N’est-ce pas un concept et une proposition ridicules?
Chers collègues, je veux conclure avec un message conjoint de la part du Groupement des femmes autochtones et moi-même.
En langue crie, iskotew signifie « feu dans le cœur d’une femme ». Nous avons été témoins du courage de très nombreuses femmes autochtones qui sont intervenues publiquement pour dénoncer les révélations sur la tromperie et l’usurpation d’identité commises par Mary Ellen Turpel-Lafond. Turpel-Lafond et d’autres personnes comme elle ont, par leurs actions, la capacité d’arrêter et de réduire au silence les avancées concernant la violence coloniale envers les femmes autochtones, avancées défendues par des femmes comme le Groupement des femmes autochtones. Le pouvoir et le prestige désirés, obtenus et affichés publiquement par ceux qui usurpent l’identité autochtone ont réduit au silence de nombreuses personnes. Par la suite, ils ont injustement laissé aux femmes autochtones le soin de faire le travail nécessaire pour contrer les conséquences du vol, le chagrin et l’impuissance qu’ils ont contribué à créer. Il incombe maintenant aux femmes autochtones de relever le défi consistant à tenir les institutions coloniales responsables d’avoir permis et protégé ceux qui pratiquent sciemment et avec préméditation l’usurpation d’identité.
Chaque fois qu’une femme autochtone se lève, elle allume un feu et élève les personnes oubliées, maltraitées et réduites au silence. Eden Fineday, Cindy Blackstock, la vice-chef Aly Bear, Audra Simpson et bien d’autres sont des exemples de iskotew. Ce dont on ne parle pas souvent, c’est de la pression exercée sur les femmes autochtones en privé pour qu’elles se taisent : Ka we the aya me — ne parle pas. Même le fait d’empêcher la parole est une menace — un acte de violence. Qu’elles soient dans une relation violente ou qu’elles combattent la violence systémique, les femmes autochtones ont toujours été confrontées à la pression de se taire. Ka ke to — n’émets pas un son. Pourtant, nous persistons. C’est ainsi que la guérison et le changement transformateur se produisent en temps réel. Nous vous demandons donc humblement de partager votre amour et votre soutien pour les femmes autochtones qui s’expriment, car elles ont mené des batailles silencieuses que nous ne voyons pas et ont surmonté une pression croissante cachée du public. Lorsque nous voyons du courage, nous devons l’honorer. Cette idée correspond aux traditions de nombreuses nations autochtones de l’Île de la Tortue, qui consistent à honorer le guerrier et à exécuter la danse de la victoire lorsque le courage vainc la peur. Parce que c’est ce dont vous êtes témoins aujourd’hui et ce dont vous serez témoins dans les jours à venir : le courage qui vainc la peur. Kinanâskomitin. Merci.
J’ai une question pour la sénatrice McCallum.
Le temps de parole de la sénatrice McCallum est écoulé. Elle devra demander plus de temps si vous voulez lui poser une question.
Sénatrice McCallum, souhaitez-vous demander cinq minutes de plus pour répondre à une question?
Oui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Sénatrice McCallum, vers la fin de votre discours, vous avez parlé du dilemme du leadership au sein des institutions colonialistes. Je suis consciente, comme le sont beaucoup de sénateurs, que vous êtes la chancelière d’une université au Manitoba. Je me demande comment vous arrivez à concilier vos deux rôles. Est-ce un conflit constant? Bien sûr, les universités sont un des lieux où l’on voit beaucoup des cas dont vous avez parlé ce soir.
Je vous remercie de votre question. J’ai dû décider de quelle façon je souhaitais travailler sur la question du vol d’identité et de la fraude d’identité. J’ai décidé d’y travailler en tant que sénatrice. J’ai donc dit à l’université, au conseil d’administration et au Sénat de l’université que je ne participerais pas à leurs travaux portant sur une politique relative au vol d’identité et à la fraude d’identité.
Ils élaborent cette politique par eux-mêmes et n’en discutent pas devant moi. Ils s’en occupent, avec d’autres universités. Ils travaillent avec l’Université du Manitoba.