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Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation

Deuxième lecture--Suite du débat

22 mars 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à propos du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation. Ce projet de loi n’est pas aussi simple que certains le croient. Un membre du comité de transition chargé de conseiller le conseil de réconciliation a demandé aux parlementaires de mettre de côté la politique partisane pour l’examen de ce projet de loi. Cette remarque idiote qui sert à imposer le silence montre à quel point certains Autochtones comprennent mal ce que les leurs ont subi.

Promouvoir la réconciliation ne se résume pas à faire abstraction de notre rôle politique ou à adopter des mesures législatives. Ceux qui, dès leur naissance, sont prisonniers de la Loi sur les Indiens ne jouent pas un rôle; ils forment une entité politique. Les mécanismes oppressifs de la loi ont remodelé nos identités, nos communautés, nos vies et nos esprits, et cette violence sévit encore au sein des Premières Nations. Comprendre et décortiquer les mécanismes complexes du système colonial raciste qui ont façonné l’État canadien est l’affaire de toute une vie. Comme l’a déclaré la Commission de vérité et réconciliation :

Les survivants ont agi avec courage et détermination. Nous ne saurions faire moins. Il est temps de s’engager envers un processus de réconciliation.

Le Sénat a la responsabilité de veiller à ce que ce processus soit applicable et transformateur.

Lorsque j’ai demandé au ministre Miller s’il était prêt à considérer des amendements, il nous a assurés qu’il y était disposé. Comme l’a dit Ken Young, un avocat qui a défendu les Premières Nations, nous avons une seule chance de faire les choses comme il faut. Nous devons veiller à ce que les mesures n’aient pas d’effets négatifs ou n’aillent pas à l’encontre des droits prévus à l’article 35.

Honorables sénateurs, la complexité du projet de loi C-29 réside dans le regroupement de différents peuples qui ont subi les conséquences du colonialisme de différentes façons : les Premières Nations, les Métis, les Inuits et les Indiens non inscrits. Certains se trouvent à différents niveaux de négociation et certains ne sont pas du tout en dialogue avec les gouvernements fédéral et provinciaux, et nous avons tous des problèmes non résolus propres à notre histoire. Les appels à l’action sont basés sur les récits des survivants des pensionnats; ainsi, comment les personnes qui n’ont pas fréquenté les pensionnats ou qui ne sont pas des descendants de victimes des pensionnats pourront-elles considérer que l’interprétation de la réconciliation dans ce projet de loi est basée sur la Commission de vérité et réconciliation? Comme a déclaré David Chartrand, président de la Fédération Métis du Manitoba, « la grande majorité de la Commission de vérité et réconciliation et de ses recommandations visaient la réconciliation avec les Premières Nations ». À ce titre, les Premières Nations devraient constituer 50 % plus 1 des membres du comité.

Dans le livre intitulé Visions of the Heart: Issues Involving Indigenous People in Canada, au chapitre sur la mise en œuvre de la réconciliation, Joyce Green écrit :

[...] il est important de noter que le mandat de la Commission n’incluait pas l’examen des nombreuses écoles de jour établies pour les mêmes objectifs que les pensionnats; la Commission n’a pas non plus permis la prise en compte ou l’indemnisation des nombreux élèves qui étaient des Métis ou des Indiens non inscrits et qui ont fait l’objet des mêmes sévices et des mêmes privations que les élèves ayant le statut d’Indien.

Réunir les quatre groupes autochtones — soit les Premières Nations, les Métis, les Inuits et les Indiens non inscrits, qui comprennent de nombreux survivants de la rafle des années 1960 — en un seul conseil national pour la réconciliation fait du tort à tout le monde. Comme je l’ai dit, chaque groupe a des problèmes différents qui n’ont pas été résolus par le gouvernement fédéral. Tous méritent d’avoir leur propre version de la réconciliation, qui est transformatrice et qui a un sens. Monter les uns contre les autres, comme on le fait dans le projet de loi à l’étude, n’est pas une réconciliation.

Honorables sénateurs, l’alinéa 7b) du projet de loi C-29 prévoit la surveillance des efforts de réconciliation visés par les appels à l’action nos 43 à 94 du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation. Le suivi de multiples appels à l’action est une tâche énorme pour un seul comité réunissant des groupes bien distincts.

Selon l’analyse comparative entre les sexes qu’a effectuée la Bibliothèque du Parlement concernant le projet de loi :

D’autres commissions et enquêtes, y compris celles portant sur des questions liées à divers groupes d’Autochtones, ont recommandé la mise en place de mécanismes d’examen de la mise en œuvre de leurs recommandations. Par exemple, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées [...] a été chargée de « se pencher sur les causes systémiques de toutes les formes de violence [...] à l’égard des femmes et des filles autochtones, et [de] faire rapport à cet égard. » Le rapport définitif de l’enquête nationale, publié en juin 2019, présente 252 appels à la justice. [...] Toutefois, le projet de loi C-29 n’oblige pas le conseil à examiner la mise en œuvre des appels à la justice issus de l’enquête nationale.

L’un des facteurs de complexité du projet de loi C-29 est lié à la forme que prendra la réconciliation individuelle et collective dans le cas des personnes qui ont été touchées par les pensionnats, qui seront en majorité des membres des Premières Nations. Dans ce contexte, quelle forme prendra la réconciliation pour les différents groupes de Métis et pour les Indiens non inscrits, notamment les survivants de la rafle des années 1960? Comment le comité pourra-t-il prendre des décisions au sujet des démarches de réconciliation si on n’a pas détaillé ces divers parcours historiques et leurs répercussions?

Honorables sénateurs, parmi les éléments d’incertitude qui entourent le projet de loi C-29, il convient de mentionner le terme « réconciliation » lui-même. Différents groupes donnent un sens différent au terme « réconciliation »; le fait qu’il ne soit pas défini dans le projet de loi posera problème. Dans le livre The Sleeping Giant Awakens: Genocide, Indian Residential Schools and the Challenge of Conciliation, l’auteur, David B. MacDonald, dit ceci :

[...] la notion de réconciliation suppose la nécessité de réexaminer un moment où les relations entre les peuples autochtones et les colons étaient productives, saines et respectueuses. Le contexte qui convient le mieux au terme réconciliation est peut-être celui des relations au sein des peuples autochtones, puisque différentes facettes du colonialisme ont grandement affaibli des familles et des collectivités, ce qui a entraîné différentes formes de violence latérale et des traumatismes intergénérationnels en plus de perturber des relations millénaires entre les peuples et les animaux, les plantes, les eaux et les terres.

Dans un effort de clarté, rappelons que la Commission de vérité et réconciliation définit le terme « réconciliation » de la façon suivante :

Il s’agit de réparer les erreurs du passé d’une manière qui vient à bout des conflits et établit une relation saine et respectueuse entre les peuples, et pour l’avenir. C’est dans ce contexte que la Commission de vérité et réconciliation du Canada a abordé la question de la réconciliation.

On peut ensuite lire ceci, un peu plus loin dans le rapport :

[...] il faut prendre conscience du passé, reconnaître les torts qui ont été causés, expier les causes et agir pour changer les comportements.

On peut aussi lire dans ce même rapport : « Quand on lui a demandé, compte tenu de l’histoire des pensionnats, ce que pouvait faire le Canada pour s’améliorer? », la survivante Victoria Grant‑Boucher a déclaré :

Je raconte mon histoire [...] pour éduquer le grand public canadien [...] [pour qu’il] comprenne le vol d’identité, [...] l’incidence qu’il a sur les gens, sur l’individu, sur la famille, sur la communauté [...] Je crois que le Canadien non autochtone doit comprendre qu’une personne des Premières Nations a une culture [...] Et je pense que nous, les Autochtones, on aurait tellement de choses à partager si vous nous donniez juste la chance de récupérer nos connaissances [...] Et je prends très au sérieux ce que disent les aînés [...] que nous devons nous guérir nous-mêmes. Nous devons nous guérir les uns les autres. Et pour guérir lui-même, le Canada doit nous permettre de guérir d’abord, pour que nous puissions contribuer ensuite. C’est ce que veut dire la réconciliation pour moi.

« Nous permettre de guérir d’abord, pour que nous puissions contribuer ensuite », est une affirmation qui a du poids. La guérison est nécessaire sur le plan individuel. Elle l’est aussi sur le plan collectif. Ces deux aspects sont essentiels pour réaliser des progrès en matière de conciliation au sein des institutions et cela nécessitera diverses mesures concrètes. La réconciliation nécessite « de véritables changements sociaux, politiques et économiques. »

Chers collègues, lorsqu’on considère la guérison individuelle qui doit s’opérer, il faut reconnaître que le chemin emprunté pour parvenir à cette guérison variera d’une personne à l’autre, et qu’il sera également très différent pour les hommes et pour les femmes. Comme l’écrit Joyce Green dans l’article Enacting Reconciliation, qui porte sur le processus de réconciliation :

La colonisation était genrée. Ainsi, ses conséquences ont été différentes pour les hommes et les femmes, ce qui fait que la réconciliation doit elle-même être genrée. L’Association des femmes autochtones du Canada écrit ceci : « La violation continue des droits des femmes autochtones au moyen de la sujétion, de la marginalisation et de la violence systémiques est un héritage du colonialisme au Canada. » L’association souligne que les femmes autochtones vivent aussi des « injustices sexospécifiques qui prennent la forme de la marginalisation, de la dépossession et de la violence dans leurs propres communautés, ainsi que dans la société canadienne plus large ». Ces injustices sont intergénérationnelles et sont le résultat du colonialisme et de l’expérience des pensionnats. [...] La véracité de cette affirmation est confirmée par le nombre de femmes autochtones portées disparues ou assassinées.

Aucune réconciliation ne sera possible tant qu’on ne s’attaquera pas à la violence fondée sur le genre à l’endroit des femmes et des filles.

Honorables sénateurs, nous devons aussi examiner le projet de loi C-29 dans le contexte de la récente adoption, au Sénat, d’une loi fédérale visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Dans son ouvrage Pathways of Reconciliation, l’autrice Sheryl Lighfoot écrit :

[...] selon la Commission de vérité et réconciliation, la réconciliation était si étroitement liée à la Déclaration des Nations unies qu’il est maintenant tout simplement impossible d’appuyer cette commission sans appuyer du même coup la mise en œuvre complète de la Déclaration des Nations unies.

Elle poursuit :

En tant qu’outil prescriptif, les 46 articles de la Déclaration des Nations unies visent à guider les actions de l’État dans ses relations avec les peuples autochtones. Ils sont fondés sur la justice et servent de cadre de reconnaissance et de respect mutuels, avec comme objectif fondamental l’autodétermination des peuples autochtones.

Mme Lightfoot cite S. James Anaya, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui a formulé les suggestions suivantes au sujet de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones :

Tout d’abord, les fonctionnaires de l’État ainsi que les dirigeants autochtones devraient recevoir une formation sur la Déclaration et les instruments internationaux connexes, ainsi que sur les mesures pratiques de mise en œuvre de la Déclaration.

Cette formation doit être obligatoire pour les membres du comité faisant partie du conseil. James Anaya poursuit :

En outre, les États devraient procéder à un examen approfondi de leurs lois et de leurs programmes administratifs existants afin de déterminer s’ils sont incompatibles avec la Déclaration [...] Sur la base de cet examen, les réformes juridiques et programmatiques nécessaires devraient être élaborées et mises en œuvre en consultation avec les peuples autochtones.

Les États doivent s’engager à consacrer d’importantes ressources humaines et financières aux mesures nécessaires à la mise en œuvre de la Déclaration. Ces ressources seront généralement essentielles à la délimitation ou à la restitution des terres autochtones, à l’élaboration de programmes éducatifs adaptés à la culture, au soutien aux institutions autochtones d’autogouvernance et à bien d’autres mesures envisagées par la Déclaration.

Sheryl Lightfoot conclut :

Comme l’indique le Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, « [l]e fait d’examiner la Déclaration afin d’identifier les répercussions qu’elle pourrait avoir sur les lois, politiques et comportements de l’État pourrait également permettre au Canada de proposer une vision plus globale de la réconciliation ».

Chers collègues, la Commission de vérité et réconciliation a estimé que la réconciliation et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones étaient des variables étroitement liées. Si nous sommes fiers d’avoir adopté collectivement la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, pourquoi continuons-nous à adopter un projet de loi qui va à l’encontre de ses principes et, par conséquent, de la réconciliation elle-même?

Honorables sénateurs, pour que le projet de loi favorise réellement la réconciliation, il faut y apporter des modifications. Sous le titre Mission et attributions, l’article 7a) devrait être modifié comme suit : « élabore et met en œuvre un plan d’action national pluriannuel pour faire progresser la réconciliation en s’appuyant sur le cadre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. »

L’absence de garantie de financement soulève de profondes questions. Le projet de loi comporte de grands problèmes, et l’approche qu’il adopte n’est pas propice à la réconciliation. Je vous exhorte à réfléchir à ces questions lors de l’examen du projet de loi. Kinanâskomitin. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénateur Brazeau, voulez-vous participer au débat?

L’honorable Patrick Brazeau [ + ]

J’ai une question à poser.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Je regrette, le temps de parole de la sénatrice McCallum est écoulé.

Sénatrice McCallum, un sénateur souhaite poser une question. Voulez-vous demander cinq minutes de plus?

Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Le sénateur Brazeau [ + ]

Ma question porte sur la composition de cette organisation. De toute évidence, le gouvernement a décidé d’exclure une organisation autochtone du nom de Congrès des peuples autochtones.

La Constitution nous fournit la définition des peuples autochtones du Canada. L’expression s’entend notamment — sans toutefois s’y limiter — des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Cependant, à ma connaissance, depuis 1969 et 1971, il y a eu près de cinq organisations nationales financées par le gouvernement fédéral. Étant donné que nous parlons de réconciliation, savez-vous pourquoi une organisation a été expressément et délibérément exclue? J’aimerais savoir si vous êtes au courant de la raison de cette exclusion.

Je vous remercie de votre question. Non, je ne suis pas au courant. J’ai fait quelques vérifications et j’ai constaté que l’organisation a déjà été incluse. C’est ce que j’ai vu dans le rapport final. Elle a été retirée par le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. J’ignore les raisons de cette exclusion. C’est toutefois une question qui doit être étudiée par le comité sénatorial.

Lorsque le projet de loi sera renvoyé au comité, j’exhorte les sénateurs à ne pas précipiter son étude. Nous devons prévoir au moins deux ou trois semaines de discussions parce que j’inviterai environ 10 personnes à témoigner. Il y a tant de points de vue à entendre. Les Canadiens doivent être informés des problèmes dans ce projet de loi, et nous nous devons de lui rendre justice. Merci.

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