Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale
Deuxième lecture--Ajournement du débat
18 avril 2023
Propose que le projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que marraine au Sénat du projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale.
J’aimerais remercier la députée Elizabeth May pour son travail et son leadership dans ce dossier essentiel. Je tiens aussi à remercier l’ancienne députée Lenore Zann, qui avait initialement présenté ce projet de loi à la deuxième session de la 43e législature dans l’autre endroit, quand le projet de loi était connu sous le nom de projet de loi C-230.
Chers collègues, comme vous le savez, nous avons récemment adopté dans cette enceinte une motion d’excuses adressées aux anciens élèves des pensionnats autochtones et à leurs familles, toutes générations confondues. La motion reconnaît le racisme systémique sur lequel notre pays a été bâti, quand les représentants du gouvernement fédéral et de l’Église se sont octroyé le pouvoir unilatéral de retirer les enfants des collectivités des Premières Nations et inuites en les enlevant à leur famille et à leur collectivité.
Je le signale pour rappeler aux sénateurs que le racisme environnemental est un aspect très grave du contexte plus vaste du racisme systémique qui existe au Canada, qu’il s’agisse du racisme systémique au sein du Parlement, du milieu universitaire, du système correctionnel, des services policiers, des institutions de soins de santé ou des organes gouvernementaux d’un bout à l’autre du pays. Le racisme systémique permet à d’autres formes de racisme de prospérer dans ces différents milieux sans qu’aucune question ne se pose parce que le racisme systémique a été normalisé, ce qui a grandement désensibilisé la population générale à son existence et à ses répercussions. Autrement dit, le racisme environnemental n’est pas vécu indépendamment d’autres contextes, et il n’est pas involontaire. Il s’agit de décisions délibérées qui, dans bien des cas, reflètent la création de « zones sacrifiées » — des collectivités qui sont hors de la vue et donc hors de l’esprit du grand public, ce qui semble légitimer, d’une façon ou d’une autre, leur dévastation. C’est ce qu’on appelle le racisme géographique.
La présentation d’excuses n’est que le premier pas vers la conciliation ou la réconciliation en vue de l’établissement d’une nouvelle relation. Il faut plus que des mots pour établir une nouvelle relation significative et transformatrice. Autrement dit, il faut comprendre et relever les problèmes graves de racisme environnemental et y répondre, ce qu’entend accomplir le projet de loi à l’étude. Nous devons d’abord tous examiner ce que nous devons faire individuellement et collectivement pour soutenir cette relation, pour remplir notre rôle de sénateurs et notre rôle de défenseurs de ceux qui ne sont pas représentés à l’autre endroit et des personnes qui sont sans voix et sans pouvoir dans leur propre pays.
Honorables sénateurs, je veux vous parler de l’offrande que nous apportons au Sénat en tant que sénateurs de descendance des Premières Nations, métisse ou inuite non inscrits : l’expérience que nous avons vécue du racisme, de l’exclusion, de l’assimilation, du génocide, de l’iniquité et de l’inégalité, mais aussi nos forces, notre capacité d’accéder à la fois aux connaissances autochtones et occidentales, aux liens d’affinité et de culture entre les communautés, à la propension de nos ancêtres pour les seconds examens objectifs et à la sagesse qui découle d’une vie entière sous l’oppression.
Il convient ici de mentionner tout particulièrement les femmes. Les modes de connaissance et d’existence des femmes autochtones ont été largement sacrifiés, et la violence à l’égard des femmes existe dans tout le pays. Cette situation est en grande partie liée aux causes profondes du racisme environnemental. Il s’agit notamment de la dépossession des terres, de la gouvernance, de la santé, de l’économie et de l’autodétermination. Parallèlement, l’insécurité concernant l’approvisionnement en aliments et en eau potable, l’insuffisance des infrastructures de logement, la violence entre partenaires intimes, les toxicomanies, les violations des droits de la personne, la perte de la biodiversité et la contamination de la terre, de l’eau, de l’air et de nos autres relations ont eu des répercussions négatives sur les femmes et ont augmenté les charges qu’elles doivent assumer.
À ce titre, nous partageons avec vous nos expériences uniques, qui doivent être prises en compte chaque fois que nous prenons la parole. Notre parole découle de notre expérience. J’ai travaillé dans des communautés pendant plus de 40 ans. J’ai vécu avec les populations. J’ai vu la situation de détresse dans laquelle elles vivent, et c’est ce que nous apportons à la discussion. En tant que sénateurs autochtones, lorsque nous partageons notre point de vue sur nos modes d’existence, nos connaissances et notre expérience, nous vous offrons un cadeau. Nous vous disons que le système législatif n’a jamais permis de remédier aux problèmes engendrés dans nos vies et nos communautés par les lois et les politiques coloniales. Pourquoi pensez-vous qu’il y a tant de problèmes dans les communautés autochtones et qu’il y a de plus en plus de procès? Parce que les Autochtones n’ont nulle part où aller. Cette insatisfaction vient de quelque part, et elle vient en grande partie de la législation.
En tant que femmes autochtones, nous devons aussi subir la violence issue de nos dirigeants patriarcaux et coloniaux dans nos communautés. Souvent, nos hommes ont acquis des mentalités leur ayant été inculquées par la colonisation, et on leur fait tenir des propos contredisant la position que nous défendons ici. Les sans voix sont incapables de rivaliser avec les gens instruits, qui ont les privilèges que la classe populaire n’a pas. Nous sommes les défenseurs des sans voix dans cette enceinte, et c’est pour eux que nous travaillons.
Honorables sénateurs, veuillez prendre le temps de comprendre et d’accepter que nous sommes différents de vous par la façon dont nous avons vécu le génocide sur nos terres, dans ce pays, ainsi que par la manière dont nous continuons de vivre selon des « régimes laissés en plan », pour reprendre les mots de l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO. Il s’agit de régimes imposés par la voie législative, parfois par le Sénat.
Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant parler du racisme environnemental, de la façon dont on peut le mettre en évidence et de la façon dont on peut le combattre. C’est le défenseur des droits civils afro-américain Benjamin Chavis qui a inventé le terme « racisme environnemental » en 1982. Voici la description qu’il en a fait :
[...] la discrimination raciale dans les politiques environnementales, l’application des lois et des règlements, le ciblage délibéré des communautés de couleur pour l’implantation d’installations de gestion des déchets toxiques, l’approbation officielle de la présence de poisons et de polluants mortels dans nos communautés, et l’exclusion historique des personnes de couleur dans les hautes sphères des mouvements écologiques.
Lorsque je donnerai des exemples, réfléchissez à la façon d’adopter un processus de réconciliation digne de ce nom qui contribuera à régler ces problèmes.
Chers collègues, j’ai récemment tenté d’inclure cet aspect dans un autre projet de loi, mais le ministre a rejeté l’amendement en faisant valoir que la notion n’avait aucun précédent dans des lois en vigueur et qu’il s’agissait de nouveaux mots. Le racisme environnemental n’est pourtant pas un nouveau concept. Il existe depuis longtemps et il touche de façon disproportionnée les communautés et les peuples des Premières Nations partout au Canada. J’en ai été témoin. Vous êtes nombreux à savoir que j’ai parlé à maintes reprises du racisme environnemental dans l’industrie de l’extraction des ressources naturelles.
Honorables sénateurs, comment la race joue-t-elle un rôle déterminant dans l’exposition aux dangers environnementaux et l’utilisation des terres au sein d’une communauté? Comment l’explique-t-on? Les infrastructures déficientes et de piètre qualité comme c’est le cas dans le domaine du logement, de l’approvisionnement en eau potable, des usines de traitement des eaux usées, des canalisations d’égout et des services d’incendie ainsi que l’impuissance des autorités autochtones à faire respecter les règlements qu’elles adoptent sont autant de problèmes qui contribuent au racisme environnemental.
De plus, ces problèmes ont été étudiés et documentés par des comités du Sénat et de la Chambre des communes. Les deux Chambres en reconnaissent l’existence dans les communautés des Premières Nations au Canada. L’histoire du racisme environnemental au Canada inclut d’autres cas où les gouvernements fédéraux et provinciaux, les municipalités et les grandes entreprises n’ont pas protégé les communautés les plus vulnérables. Comment ces communautés deviennent-elles vulnérables et pourquoi sont-elles maintenues dans cet état? Pourquoi sont-elles réduites à l’impuissance?
Peut-on cerner quelques-unes des causes profondes du racisme environnemental? Les mauvaises décisions stratégiques, intentionnelles ou non, qui touchent de manière injuste ceux qui sont sans voix; les lois qui ne tiennent pas compte des personnes marginalisées au moyen de mesures comme l’analyse comparative entre les sexes plus; les vides en matière de compétence liés à des questions comme les ressources naturelles, l’eau, la santé et les services de garde d’enfants; le manque de ressources humaines et financières pour contester les décisions d’un gouvernement ou d’une entreprise; la pauvreté; la sujétion au gouvernement par la voie de la Loi sur les Indiens; le non-respect des traités; l’établissement d’activités liées à l’extraction de ressources ou de décharges de déchets toxiques sur des terres peu coûteuses, sans égard pour les populations qui y vivent, créant ainsi des zones sacrifiées.
Honorables sénateurs, maintenant que j’ai nommé quelques-unes des causes profondes, je vais fournir des exemples concrets de racisme environnemental.
La contamination des eaux a une incidence disproportionnée sur les communautés de couleur à faible revenu. Nous sommes tous au courant que des communautés minoritaires n’ont pas d’eau potable. Les eaux contaminées peuvent ruiner la santé d’une collectivité, causant des maladies allant de maladies hydriques au cancer, et empêchant les gens d’assurer leurs soins personnels, comme se laver. Ces gens vivent de l’eau embouteillée que le gouvernement leur fait parvenir. Comment peut-on se laver, cuisiner et nettoyer son espace avec de l’eau embouteillée?
Les problèmes de contamination de l’eau peuvent avoir des conséquences à long terme. Au Manitoba, par exemple, la communauté isolée de la nation crie d’Opaskwayak subit des inondations dues à un barrage hydroélectrique situé sur son territoire, qui met en péril la population d’esturgeons, ainsi qu’au déversement d’eaux usées en amont, jusqu’à Winnipeg, qui a entraîné la prolifération de cyanobactéries, causée par les herbicides et les pesticides. Or, ces cyanobactéries provoquent des éruptions cutanées chez les enfants, la mort de poissons et d’élans dont la population dépend pour sa subsistance, ainsi que l’impossibilité d’avoir un approvisionnement stable en eau potable.
Les cyanobactéries dans les Grands Lacs et dans d’autres lacs de l’Ontario ont été éliminées grâce à des règlements empêchant l’utilisation d’herbicides et de pesticides, ce qui a permis de nettoyer les lacs. Cette situation est toutefois différente, parce qu’on permet à ces algues de se développer. C’est du racisme environnemental.
Un autre exemple est celui des bassins de décantation, qui ont augmenté de 300 % en 20 ans en dépit de la législation qui aurait dû empêcher ce fléau. Nous savons maintenant que ces bassins de décantation fuient, ce qui nuit encore plus à la salubrité de l’eau, à la biodiversité et à la santé des animaux. Les Premières Nations de la région d’Athabasca, en Alberta, luttent activement contre la dévastation de leurs terres par les bassins de décantation. Or, la résolution des problèmes de contamination de l’eau nécessite l’intervention du gouvernement, qui ne s’est pas manifestée.
Le racisme environnemental est également lié à la protection des espèces aquatiques. Nous avons abordé cette question au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. C’est une question qui a d’ailleurs été soulevée à maintes reprises.
Nous constatons également que certaines communautés présentent des taux de pollution atmosphérique extrêmement élevés, comme la zone connue sous le nom de « vallée des produits chimiques » en Ontario, où les données sur la pollution atmosphérique de la Première Nation Aamjiwnaang prévoient des taux de polluants atmosphériques étrangers liés au cancer jusqu’à 44 fois plus élevés que le niveau annuel recommandé. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une pollution atmosphérique élevée contribue à de nombreuses maladies graves, notamment le cancer du poumon, les infections respiratoires, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies pulmonaires et d’autres encore.
L’empoisonnement au plomb est un autre problème que nous constatons. Par exemple, la Première Nation de Grassy Narrows, en Ontario, est aux prises avec l’empoisonnement au mercure de son eau depuis trois générations, résultat de la pollution industrielle des années 1960 et 1970. Ce problème n’est toujours pas résolu aujourd’hui.
Chers collègues, il existe au Canada de nombreuses situations et de nombreux incidents environnementaux uniques qui correspondent au racisme environnemental, notamment le manque d’eau courante, car il y a dans certaines communautés des Premières Nations dans le Nord de l’Ontario des jeunes d’une vingtaine d’années qui n’ont jamais eu le privilège d’avoir l’eau courante de toute leur vie.
Un autre exemple est celui des puits de pétrole abandonnés et de leur menace permanente de pollution, un problème qui n’a toujours pas été traité de manière adéquate malgré la reconnaissance de ses effets délétères.
L’agriculture intensive est un autre exemple. La Première Nation de Swan Lake, au Manitoba, est principalement victime de l’agriculture intensive et de la monoculture. Le lac de la communauté est considéré comme mort et ne constitue plus une source de nourriture viable. La fragmentation et l’utilisation des terres environnantes ont également contribué au déclin de la flore, y compris des plantes médicinales.
Les lois ont fragmenté les populations, chassant des gens d’une partie de leur territoire. Les exemples de racisme environnemental dans le Nord comprennent les communautés et les territoires visés par des inondations prévues et des déplacements forcés, l’accès déficient à l’eau potable, le manque de consultation concernant la manipulation du niveau d’eau des barrages hydroélectriques, les chantiers de construction et sites d’extraction minière désaffectés, la violence résultant des camps de travail et des accords de partenariat sur l’eau insuffisants, les revendications territoriales non résolues, la pénurie de services Internet, le repeuplement, la fusion forcée des Premières Nations en bandes, le manque d’accès aux soins de santé ainsi que la consultation systématiquement inadéquate ou inexistante dans tout ce qui nous touche.
J’aimerais également citer l’exemple de Rooster Town, au Manitoba, où vivaient des Métis ruraux qui s’y étaient établis pour trouver du travail dans l’économie urbaine et construire leur maison tout en gardant la culture et la communauté métisses au cœur de leur vie.
Rooster Town s’est développée, sans services municipaux, à Winnipeg. En 1951, la Ville de Winnipeg a commencé à encourager le développement de la banlieue dans ce secteur, qui s’appelle aujourd’hui Grant Park. Pour expulser les familles de Rooster Town, la Ville et les médias ont rapporté des faussetés ancrées dans des stéréotypes racistes, nuisibles et humiliants à l’endroit de la communauté métisse. En 1960, les dernières maisons de Rooster Town ont été détruites au bulldozer.
Honorables sénateurs, il existe d’innombrables autres exemples de racisme environnemental au Canada. Je sais que certains de nos collègues en parleront.
Honorables sénateurs, vous constaterez que, dans le projet de loi C-226, il n’y a pas de définition du terme « racisme environnemental ». Même si la définition originale a été donnée au début de mon intervention, la situation au Canada est unique en raison de l’histoire des traités, de la population autochtone hétérogène du pays, de l’adoption de la Loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi que de l’obligation de consultation et d’accommodement. Par conséquent, même si une définition n’est pas requise, comme nous l’avons vu lors de l’adoption du projet de loi par la Chambre des communes, toute définition devrait refléter l’expérience canadienne.
La stratégie nationale au cœur de ce projet de loi est essentielle pour promouvoir des changements efficaces qui permettront de faire respecter la justice environnementale, non seulement pour les Premières Nations, les Métis, les Inuits et les Autochtones non inscrits, mais aussi pour tous les Canadiens qui souffrent de ce problème insidieux.
Honorables sénateurs, choisissons la voie honorable afin de mettre fin à la morbidité et à la mortalité prématurées qu’on continue d’observer chez les Autochtones du Canada à cause du racisme environnemental. Ceux qui ont le moins contribué à la dégradation de l’environnement sont souvent ceux qui sont le plus susceptibles d’en ressentir le plus durement les effets.
Comme l’a déclaré la sous-secrétaire générale Ilze Brands Kehris du Haut-Commissariat aux droits de l’homme :
Malheureusement, des pratiques néfastes persistantes, des mesures insuffisantes et l’inaction des gouvernements et d’autres détenteurs d’obligation en matière de protection de l’environnement menacent les progrès nécessaires à la protection de l’environnement pour tous.
Chers collègues, l’élimination du racisme environnemental protégera les personnes vulnérables, les environnements vulnérables et les générations à venir. Nous avons tous le droit à un environnement sain. Employons-nous à faire respecter ce droit en appuyant le projet de loi C-226. Kinanâskomitin. Merci.