La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
2 novembre 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre). J’aimerais remercier la sénatrice Gerba, la marraine de ce très important projet de loi.
Chers collègues, j’aimerais d’abord répéter une partie de son discours, car cela en vaut la peine. Voici ce que la sénatrice Gerba a déclaré :
Chers collègues, le projet de loi C-282 vise la sauvegarde du dispositif de la gestion de l’offre. Il est d’une grande simplicité. En modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, il sanctuarise ce dispositif en l’incluant dans les responsabilités du ministre. Pour ce faire, il ajoute, à l’article 10 de la loi, la gestion de l’offre à la liste des directives dont le ministre doit tenir compte dans la conduite des affaires extérieures du Canada, notamment lors de la négociation d’accords de libre-échange. Le ministre responsable du commerce international devra alors s’abstenir de porter atteinte à la gestion de l’offre et celle-ci ne pourra plus constituer une monnaie d’échange. En étant ainsi extraite des négociations internationales, la gestion de l’offre sera préservée et pérennisée.
La gestion de l’offre dans le secteur des produits laitiers, des œufs et de la volaille est un sujet polarisant au Canada et à l’étranger. Qu’est-ce qui divise autant les partisans et les détracteurs de ce régime? Dans l’article « “Milk is Milk”: Marketing Milk in Ontario and the Origins of Supply Management », qui a été publié en 2017, Jodey Nurse-Gupta analyse les dissensions que la création de la Commission ontarienne de commercialisation du lait a suscitées parmi les acteurs de cette industrie afin de mieux comprendre pourquoi certains jugeaient équitable et rationnel le projet de la commission, tandis que d’autres estimaient que ses politiques restreignaient leur liberté et nuisaient à la rationalisation de l’industrie laitière de l’Ontario.
Avant la création de la commission, l’offre excédentaire chronique de lait maintenait les prix à un niveau excessivement bas. Les dissensions entre les producteurs laitiers provenaient des usages différents auxquels le lait produit était destiné : certains produisent du lait de consommation, d’autres du lait qui sert à la fabrication du fromage; d’autres séparent eux-mêmes la crème qui sert à la fabrication du beurre; d’autres enfin fournissent du lait industriel qui sert à la fabrication de divers produits, comme le lait en poudre et le lait concentré. Quand le prix du lait était faible, ces différences entraînaient des conflits entre les producteurs. La Commission ontarienne de commercialisation du lait a été créée en 1965 afin que tous les producteurs obtiennent un seul et même prix pour leur lait et que ce prix soit équitable.
La réaction à la mise en commun du lait a été accueillie avec colère par les producteurs pour qui l’industrie laitière avaient été jusque là avantageuse, mais qui étaient maintenant été forcés de participer à ce qu’ils ont qualifié de :
[...] rien de plus qu’une ponction socialiste de l’argent versé à certains producteurs, afin que d’autres puissent être payés pour leur lait [...]
William Macpherson, directeur des finances de la Commission ontarienne de commercialisation du lait, a répondu :
[...] il ne fait aucun doute que nous prenons aux riches et que nous donnons aux pauvres. C’est notre raison d’être [...]
[...] du lait, c’est du lait, et il mérite un prix fondé sur l’ensemble du marché.
D’autres avaient des réserves au sujet d’un système de production et de commercialisation contrôlées qui ne permettait pas à chacun d’agir de façon indépendante sur le marché. Les offices de commercialisation en général ont été critiqués pour leur ingérence dans les lois de l’offre et de la demande et dans la participation forcée des producteurs. Par définition, un office de commercialisation est un système de coopération obligatoire. Les offices de commercialisation exigent que tous les producteurs d’un produit donné dans une région donnée soient tenus par la loi de respecter les règles d’un plan de commercialisation, qui est habituellement approuvé par la majorité des producteurs du produit. L’objectif principal était de maintenir ou d’augmenter, de stabiliser et d’égaliser le revenu des producteurs.
Honorables sénateurs, le lait n’est pas le seul produit soumis à la gestion de l’offre au Canada — les œufs et la volaille y sont également soumis —, mais l’industrie laitière est la plus critiquée parce qu’elle offre d’importants débouchés aux pays exportateurs de produits laitiers, comme les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et les pays de l’Union européenne.
Ces dernières années, les producteurs laitiers du reste du monde ont eu du mal à obtenir un prix pour leur lait qui couvrait leurs coûts de production. Si on ajoute à cela l’asymétrie du pouvoir entre les producteurs et les transformateurs ou les supermarchés, on obtient un marché instable. Cette situation contraste avec le système canadien, qui permet de réduire les surplus chroniques de lait et de fournir un revenu stable aux agriculteurs, ce qui laisse penser que la stabilité dont jouit l’industrie canadienne permettra à la gestion de l’offre de survivre aux demandes visant à l’éliminer.
Le système de gestion de l’offre tel qu’il existe aujourd’hui s’est transformé au fil des décennies. Les piliers fondamentaux du système, soit le contrôle des importations, la fixation des prix par les producteurs et la régulation de la production, ont été établis dans les années 1960 et 1970 sous la direction des offices provinciaux de commercialisation, avec une coordination nationale. La sénatrice Gerba a parlé de ces piliers avec éloquence dans son discours. La création de l’Office de commercialisation du lait de l’Ontario a été un catalyseur important du développement de la gestion de l’offre à l’échelle nationale.
Honorables sénateurs, il y a eu des conflits à propos de l’intervention sur le marché. Certains ont considéré les plans de la commission de commercialisation comme des mesures rationnelles et justes; d’autres ont vivement critiqué la commission en l’accusant d’avoir porté atteinte à leur liberté. Parmi ceux qui appuyaient la Commission ontarienne de commercialisation du lait, on retrouvait la majorité des producteurs laitiers de la province qui étaient en grande difficulté financière, les représentants agricoles qui avaient été témoins de l’iniquité et de l’instabilité découlant des politiques laitières antérieures ainsi que des politiciens et des bureaucrates très conscients des coûts sociaux et économiques d’une surproduction chronique. Ils reconnaissaient la nécessité de contrôler la production de lait et d’établir une échelle de prix juste pour les producteurs laitiers afin de créer un certain équilibre dans ce secteur historiquement instable.
Parmi les opposants, on retrouvait les producteurs de lait de consommation, car ils croyaient qu’ils allaient perdre leurs parts du marché au profit d’autres producteurs laitiers dans le cadre du nouveau système, les transformateurs laitiers qui résistaient à toute ingérence dans leur capacité de négocier le lait au plus bas prix possible, et les consommateurs à qui les médias d’information annonçaient qu’ils allaient être forcés de payer plus cher pour le lait et les autres produits laitiers. Les opposants à la commercialisation contrôlée alléguaient aussi que ce type de système appuie les petits exploitants agricoles au détriment des exploitations modernes, efficientes et à plus grande échelle.
Les opposants donnaient du poids à l’idée que les politiques de la Commission ontarienne de commercialisation du lait étaient peu judicieuses, car elles désignaient de telles mesures de réglementation comme non démocratiques et contraires au système de marché libre. La Commission ontarienne de commercialisation du lait et ses défenseurs ont soutenu les nouvelles politiques en insistant sur le fait qu’elles lançaient un processus visant à rendre l’industrie plus rationnelle et plus stable, ce qu’elle n’avait jamais été auparavant.
Pourquoi le système de gestion de l’offre a-t-il été créé? Pourquoi a-t-il été maintenu malgré la prolifération des politiques néolibérales qui dominent le discours sur le commerce agricole international?
Chers collègues, les offices de commercialisation sont devenus populaires au Canada après la Première Guerre mondiale parce que la Commission canadienne du blé a stabilisé le prix des céréales pendant la guerre. Ce qui a incité les agriculteurs et le gouvernement à opter pour la gestion de l’offre, c’est la recherche de la paix dans l’industrie, le besoin d’y maintenir des prix raisonnables qui ne sont pas assujettis aux fluctuations imprévisibles des marchés ainsi qu’un certain désir d’équité.
En 1929, pendant la Grande Dépression, les agriculteurs ont cherché à obtenir des ajustements relativement à la commercialisation afin de résister à la diminution des revenus. Cela a mené à l’adoption de deux lois, en 1927 et en 1929. Bien qu’elles aient ensuite été abrogées par la Cour suprême du Canada en 1931, elles ont encouragé les agriculteurs à se regrouper et à réclamer à leurs gouvernements un régime de commercialisation ordonnée.
Entre 1929 et 1934, le revenu des fermes ontariennes a chuté de plus de 40 %. Les producteurs laitiers ont été durement touchés quand les transformateurs laitiers ont perdu d’importants contrats d’exportation vers la Grande-Bretagne pour des produits comme le fromage, et le prix du lait sur le marché intérieur a chuté à cause des « guerres du lait » entre les transformateurs et les distributeurs de lait qui se faisaient concurrence.
La guerre des prix a mené à un prix plus bas pour le lait, ce qui a profité aux consommateurs mais a dévasté les producteurs. Ceux-ci ont prié le gouvernement d’adopter une loi qui donnerait aux agriculteurs un pouvoir de négociation accru afin qu’ils puissent obtenir « une juste part du dollar du consommateur ».
En 1934, le Milk Control Board a été établi :
[...] pour « mettre un peu d’ordre dans le chaos » qu’était devenue l’industrie laitière. Le Milk Control Board avait le pouvoir de « se pencher sur toutes les questions relatives à la production, à l’approvisionnement, à la transformation, à la manutention, à la distribution ou à la vente de lait ».
Dans les pays dotés d’une industrie laitière de grande valeur, beaucoup de gouvernements ont conservé, après la guerre, davantage de contrôle sur le secteur laitier qu’ils n’en avaient avant, et ils ont adopté de nouvelles lois pour encadrer la production et le commerce des produits laitiers.
Pendant l’après-guerre, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche ont tous adopté des lois qui instauraient certaines mesures de soutien du secteur laitier, y compris des restrictions relatives aux importations, des subventions à l’exportation, des régimes de péréquation et des mesures de soutien des prix.
Dans les années 1940 et 1950, les exportations de produits laitiers ont diminué malgré l’augmentation de la production. Mme Nurse‑Gupta a dit :
Les producteurs laitiers et leurs représentants ont maintenu qu’un contrôle accru de la commercialisation était nécessaire pour stabiliser l’industrie et assurer une tarification équitable des produits agricoles. Les critiques ont toutefois insisté sur le fait que les agriculteurs devaient « s’aider eux-mêmes », notamment en devenant des producteurs modernes et efficaces.
Honorables sénateurs, les surplus de produits laitiers ont continué à peser sur l’industrie dans les années 1960. Les subventions fédérales accordées aux produits laitiers d’exportation comme le beurre, le fromage, le lait condensé et le lait en poudre ont entraîné une surproduction.
Le problème qui devait être résolu était celui de la répartition artificielle des responsabilités entre le gouvernement fédéral et les provinces parce qu’on avait jugé que le lait de consommation était une question nationale, même si d’autres produits laitiers relevaient du domaine des exportations et du commerce international.
Bien que les transformateurs laitiers aient profité de l’offre excédentaire de lait en raison de la baisse des prix, de nombreux agriculteurs et dirigeants agricoles ont réalisé que les rapports de force asymétriques qui existaient entre les producteurs et les transformateurs dans l’industrie laitière signifiaient que les agriculteurs étaient des preneurs de prix qui n’étaient guère capables de négocier individuellement des conditions équitables. Alors que les détracteurs des régimes de commercialisation les qualifiaient de dictatoriaux et de socialistes, les partisans de ces régimes tenaient un discours de lutte contre l’exploitation et l’injustice pour défendre une plus grande réglementation dans l’industrie.
L’Office de commercialisation du lait de l’Ontario a pu établir la première coopérative laitière dans le Nord de l’Ontario, à laquelle participaient 342 agriculteurs des districts de Nipissing, Sudbury et Manitoulin. Cette coopérative a servi de banc d’essai avant que l’office ne mette en place une coopérative laitière pour les producteurs de lait de consommation dans le Sud de l’Ontario, en 1968. La coopérative laitière s’est avérée efficace pour augmenter les revenus des producteurs de lait et la réaction des agriculteurs de la région a été généralement favorable.
Voici ce qu’en dit l’auteure de l’article « Milk is Milk » :
La gestion de l’offre était, et continue d’être, un sujet polarisant, parce qu’elle remet en question des éléments des politiques néolibérales qui sont au cœur du discours sur le commerce international.
De plus en plus, les universitaires et les décideurs politiques reconnaissent que :
[les politiques néolibérales] n’ont pas pu garantir aux producteurs un rendement solide et durable et elles ont eu de graves conséquences sur le bien-être des animaux, l’environnement, les travailleurs agricoles, la sécurité et la souveraineté alimentaires.
Dans un article publié en 2014 et intitulé « Crying Over Spilt Milk: The History of Dairy Supply Management and Its Role in Recent Trade Negotiations »...
Sénatrice McCallum, je regrette de vous interrompre, mais les 15 minutes sont écoulées.
Puis-je avoir deux minutes de plus?
Lui accordez-vous deux minutes de plus, honorables sénateurs?
Merci.
Bruce Muirhead indique ceci :
Jusqu’à présent, les gouvernements canadiens se sont engagés à maintenir le système [...] et le perdre serait une tragédie. Il a bien servi les producteurs laitiers, les consommateurs et les transformateurs au fil des ans en permettant une production laitière sûre et économique dans un monde où cela est de plus en plus difficile à garantir.
Honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer ce projet de loi.
Kinanâskomitinâwâw.
Merci.