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Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation

Troisième lecture--Débat

8 novembre 2023


L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, je suis heureux de parler brièvement du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation. Je tiens à dire qu’il a été très difficile d’examiner ce projet de loi. Bien qu’il constitue une réponse directe à l’appel à l’action no 53, je crois qu’il est important d’expliquer un peu le contexte.

Revenons aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, et rappelons qu’ils sont le fruit de trois années de travail intense de notre ancien collègue l’honorable Murray Sinclair. Les appels à l’action ont été publiés en 2015. Le 8 décembre 2015, le premier ministre Trudeau a déclaré ceci :

Aucune relation n’est plus importante pour moi — et pour le Canada — que celle que nous entretenons avec les Premières Nations, la Nation métisse et les Inuits.

Depuis lors, en décembre 2016, le gouvernement a établi des mécanismes bilatéraux permanents avec un investissement initial de 88,6 millions de dollars dans les budgets de 2017 et de 2018. Il a organisé des tables rondes où les représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits pouvaient faire part de leurs priorités directement au gouvernement fédéral. Il s’agit d’une évolution depuis les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne s’est révélé être un outil très efficace pour cerner les priorités propres aux Inuits et y travailler. À ce jour, cette table ronde a littéralement obtenu des centaines de millions de dollars pour des enjeux importants, comme la construction de logements et d’autres infrastructures essentielles et l’élimination de la tuberculose. Elle a également aidé à obtenir des excuses pour des torts historiques comme l’abattage des chiens.

Chers collègues, nous sommes sur le point d’inscrire dans la loi un mécanisme qui, de l’avis de certaines personnes, n’est plus nécessaire parce qu’il y a déjà divers mécanismes de reddition de comptes en place, les Premières Nations, les Inuits et les Métis entretenant un lien direct avec le gouvernement. De plus, il y a un ministère — Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada — qui se concentre sur ces importants efforts. Il était très important pour les Inuits que le travail de ce conseil ne diminue en rien le bon travail qui se fait par l’entremise des tables du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. C’est pourquoi j’étais heureux que le comité appuie l’adoption de mon amendement, présenté en consultation avec l’Inuit Tapiriit Kanatami. Cet amendement a clairement fait en sorte que les mandats du conseil et du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne demeurent distincts.

Toutefois, les amendements n’ont pas permis de répondre à toutes les préoccupations des Inuits. Les Inuits se sont notamment inquiétés du fait qu’il n’y a pas de spécificité inuite dans le projet de loi. Même si je peux comprendre dans une certaine mesure qu’il ne peut y avoir de terminologie propre aux Inuits dans un projet de loi panautochtone, il demeure important de garder les préoccupations des Inuits à l’esprit. C’est pourquoi je souhaite aborder brièvement ce sujet.

Par exemple, il est important de veiller à ce que le personnel du conseil soit capable de travailler avec des aînés inuits ne parlant que l’inuktut. Une autre importante préoccupation porte sur le manque de représentation des femmes inuites. Même si le projet de loi accorde un siège au conseil à l’Association des femmes autochtones du Canada, ou AFAC, l’organisme Pauktuutit Inuit Women of Canada n’en a pas obtenu. L’AFAC a répété à maintes reprises qu’elle représente les femmes inuites, mais Gerri Sharpe, présidente de Pauktuutit Inuit Women of Canada, m’a dit pas plus tard qu’aujourd’hui que c’est son organisme qui représente vraiment les femmes et les filles inuites, et qu’il le fait de manière très efficace depuis des décennies. En effet, l’organisme célébrera son 40e anniversaire l’an prochain.

Pourquoi cette distinction est-elle si importante? C’est parce que certains craignent réellement que la composition du conseil entraîne un déséquilibre et que les dossiers des Premières Nations prennent le haut du pavé. Ce conseil est censé être panautochtone et faire rapport sur les progrès de la réconciliation. Il doit donc être véritablement panautochtone, ce qui signifie que les Inuits doivent bénéficier d’une représentation adéquate.

À cet égard, honorables collègues, sans vouloir modifier davantage ce projet de loi, j’aimerais lancer un défi à l’Association des femmes autochtones du Canada, défi que l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada accueillerait favorablement, qui serait de tendre la main à cette organisation et de travailler plus étroitement avec elle au sein du conseil de réconciliation.

Merci. Qujannamiik.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation. Je tiens à remercier la sénatrice Audette d’avoir parrainé le projet de loi et le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d’avoir fait preuve de diligence et de respect dans ses travaux.

Chers collègues, il est impossible de résumer en un seul discours l’histoire des Premières Nations sous l’angle de la conciliation. La nécessité d’être sélective m’amène à me concentrer sur des aspects bien précis de la vie des Premières Nations, à commencer par la période précédant l’arrivée des Européens, afin de montrer leur histoire d’indépendance, puis de montrer la structure du transfert intentionnel des responsabilités qui caractérise l’autodétermination des Premières Nations.

Les répercussions en chaîne des traumatismes et des ruptures dans nos vies causées par les politiques et les lois coloniales ont servi à renforcer et à légitimer les stéréotypes racistes à l’égard des Premières Nations. Nos histoires sur les pensionnats ont été racontées pour remettre en question les histoires qui renforçaient le genre de racisme naturalisé qui est omniprésent dans la société canadienne. Nous, parlementaires, devons prendre la responsabilité de favoriser, de maintenir et d’établir des relations entre les non-Autochtones et les Autochtones.

Je terminerai par un amendement.

Chers collègues, dans le livre intitulé 1491 : Nouvelles révélations sur les Amériques avant Christophe Colomb, l’auteur Charles C. Mann écrit :

[…] les chercheurs ont fait des découvertes fascinantes sur les 15 000 premières années de l’histoire américaine […], qui cadrent bien avec les principaux arguments exposés dans l’ouvrage, à savoir que les sociétés amérindiennes étaient plus grandes, plus anciennes et plus évoluées qu’on ne le pensait, et qu’elles avaient une incidence plus importante sur l’environnement qu’on ne le croyait.

Dans l’ouvrage intitulé La destruction des Indiens des Plaines : Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone, l’auteur James Daschuk affirme :

Les populations qui habitaient les Plaines canadiennes avant l’arrivée des Européens […] ne constituaient pas des petites bandes nomades, mais de grandes communautés bien organisées et structurées selon des liens « tribaux »; elles comptaient parfois jusqu’à 1 000 personnes travaillant collectivement et pouvaient ainsi atteindre « un niveau quasi industriel d’exploitation des ressources ». Forts de leur nombre, ces groupes menaient les hardes sur des distances considérables pour ensuite les abattre et les dépecer à leur guise; ils produisaient ainsi d’importants surplus alimentaires qu’ils pouvaient conserver pour utilisation ultérieure ou échanger, très souvent contre du maïs ou d’autres produits agricoles. Ces surplus leur permettaient par ailleurs de s’investir dans des activités non alimentaires, notamment l’implantation d’institutions officielles […]

Durant le petit âge glaciaire entre 1275 et 1300 après Jésus‑Christ :

[…] c’est en définitive la manière dont les collectivités réagissent […] qui détermine leur survie ou leur extinction. Au Groenland, le maintien obstiné de pratiques agricoles européennes mal adaptées au contexte a sonné le glas pour les Scandinaves; pendant ce temps, leurs voisins autochtones modifiaient leurs stratégies de subsistance dans tout l’Arctique et assuraient leur survie à long terme en s’adaptant aux rigueurs climatiques.

Honorables sénateurs, après 500 ans de contact et d’interaction soutenus, la vie des membres des Premières Nations et leurs relations avec le gouvernement se retrouvent dans un état déplorable de désordre et de désespoir attribuable à l’homme. Les politiques et les lois du gouvernement ont délibérément nui à la viabilité des communautés autochtones pour assouvir son désir éternel d’assimiler les Premières Nations et de s’approprier leur territoire.

Malgré ce qu’on raconte dans les livres d’histoire, jamais notre peuple n’a été physiquement faible par nature. L’incidence de l’arrivée de maladies épidémiques a été exacerbée par le système des réserves nouvellement imposé.

Comme l’écrit l’auteur James William Daschuk :

En particulier, au mépris complet des obligations qui lui incombent en vertu des traités, le gouvernement canadien utilise la nourriture, non comme outil pour résorber la crise humanitaire, mais comme arme pour mater la population indienne et laisser le champ libre à ses propres projets de développement et d’expansion [...] Très vite, le gouvernement se sert de la crise alimentaire qui frappe les populations autochtones pour étouffer leurs velléités de protestation, construire au plus vite le chemin de fer et ouvrir l’Ouest aux agriculteurs [...] Ainsi, les Dakotas, qui ne vivent pas du bison et n’ont pas signé de traité, conservent un état de santé relativement satisfaisant. Ce constat montre bien que ce ne sont pas des phénomènes biologiques qui ont déchaîné cette vaste épidémie tuberculeuse, mais plutôt la malnutrition persistante et l’incapacité du Dominion, ou son refus, de s’acquitter des obligations qui étaient les siennes en vertu des traités [...]

En 1883, de nombreux témoignages et rapports signalent des aliments avariés et des morts suspectes dans les réserves. Par ailleurs, la réglementation gouvernementale limite au strict minimum vital les livraisons de produits alimentaires aux réserves. Elle exacerbe ainsi l’incidence de la tuberculose et engendre d’horribles aberrations : tandis que la malnutrition sévit dans les réserves, les vivres pourrissent dans les entrepôts.

[...] Les infrastructures permettant maintenant la colonisation de l’Ouest à grande échelle ainsi que l’implantation du capitalisme agricole, les Autochtones n’intéressent plus ni les autorités ni l’opinion publique. Le châtiment s’abat par ailleurs sur les bandes que le gouvernement a jugées les plus hostiles pendant l’insurrection [de 1885] : suppression de leurs rations alimentaires; confiscation de leurs armes et de leurs chevaux. Imposé pour contrôler les déplacements des populations signataires, l’infâme système des laissez-passer transforme les réserves en centres d’incarcération à ciel ouvert [...]

[…] Avec le système des pensionnats, maintenant largement reconnu comme une honte nationale, la tuberculose, la malnutrition, la maltraitance et les agressions s’enracinent et prolifèrent dans un cadre institutionnel qui perdurera presque jusqu’à la fin du 20e siècle. Il incombe […] aux Canadiens et Canadiennes de notre 21e siècle […] de prendre la pleine mesure du très lourd tribut que l’État du Canada a imposé à sa population autochtone au moment […] où il ouvrait toutes grandes les portes du pays à nos ancêtres immigrants pour modeler le territoire aux exigences de l’économie mondiale de la fin du 19e siècle.

Le premier signe physique d’un système institutionnel inférieur aux normes est l’augmentation du nombre de malades dans une population. La santé, en tant que mesure de l’expérience humaine, ne peut pas être prise en considération indépendamment des forces sociales, politiques et économiques qui façonnent l’expérience des Premières Nations au cours de la colonisation et du colonialisme.

Chers collègues, le déni colossal des droits de la personne et les sévices infligés pendant des siècles avaient pour but d’obtenir les terres des Premières Nations. Mark Cronlund Anderson et Carmen L. Robertson, les auteurs du livre Seeing Red disent ceci :

L’idée que les Autochtones voulaient céder leurs terres, en dépit de l’impérialisme, n’a aucun sens à moins d’épouser une idéologie coloniale qui appuie le vol des terres par l’empire. Pourquoi quelqu’un renoncerait-il librement à d’immenses territoires traditionnels en échange d’un statut inférieur sur de petits territoires à faible rendement?

Honorables sénateurs, dans la majorité des cas, c’est-à-dire entre 92 et 96 %, les témoignages de la Commission de vérité et réconciliation sont basés sur les témoignages des Premières Nations qui découlent de l’histoire que je viens de mentionner. Nous devons reconnaître que les expériences vécues par les Inuits et les Métis sont différentes de celles vécues par les Premières Nations et que, par conséquent, les solutions et les gestes de réconciliation à poser seront différents. Les traumatismes vécus par les Métis, les survivants de la rafle des années 1960, les enfants pris en charge, les Indiens non inscrits et ceux qui vivent en dehors d’une réserve demeurent largement inconnus. Il leur faudra aussi des solutions uniques et des gestes de réconciliation.

Pourtant, le Canada continue de réunir tous les peuples autochtones en une seule entité très stéréotypée. Lorsqu’on parle des peuples autochtones comme s’ils formaient un groupe relativement homogène, avec une série de problèmes communs qui requièrent un ensemble uniforme de solutions, il y a de nombreux pièges. L’approche s’appliquant à l’ensemble des Autochtones que préconise le projet de loi C-29 risque de nuire à tous les peuples autochtones. Nous verrons bien ce qui se passera.

Chers collègues, dans une mesure législative, le contexte est crucial. Nous avons la responsabilité de nous demander, en tant que parlementaires, si nous allons nous asseoir sur nos lauriers et traiter la réconciliation avec les Métis et les Inuits de la même manière que celle avec les Premières Nations.

Dans son ouvrage intitulé Unequal Relations: A Critical Introduction to Race, Ethnic, and Aboriginal Dynamics in Canada, Augie Fleras explique ce qui suit :

Le terme « autochtone » renvoie aux premiers occupants du pays. Ce statut de premiers parmi leurs pairs accorde aux Premières Nations la légitimité de faire valoir leurs droits contre l’État canadien en vertu d’une compétence inhérente [...] Le mot « premier » peut aussi être utilisé de façons moins flatteuses. Les peuples autochtones sont « premiers » dans les domaines sociaux qui ont une valeur négative (taux de chômage, de sous-scolarisation, de suicide et de morbidité), mais ils sont derniers dans ceux qui comptent le plus [...] Ils sont aussi « premiers » en ce qui concerne la publicité globale — elle reflète en grande partie l’opinion populaire selon laquelle les peuples autochtones sont « des peuples problématiques » qui « ont des problèmes » ou qui « causent des problèmes » qui sont coûteux ou dérangeants. Une partie de cette couverture médiatique est sympathique, mais une grande partie reflète de l’indifférence ou de l’ignorance à divers degrés. La majeure partie de la couverture est inadéquate, ne donnant qu’un aperçu fugace de réalités changeantes. La propagation de mésinformation est malheureuse.

L’auteur poursuit :

Les problèmes complexes et épineux associés au processus de reconstruction ne devraient jamais être sous-estimés. Les demandes autochtones sont fondées sur le principe de nation plutôt que sur l’intégration sociale, et il y a beaucoup à gagner à voir les efforts autochtones pour reconstituer les éléments de leur nationalité par la restauration des communautés et des valeurs culturelles autochtones, ainsi que par l’autodétermination et la réappropriation territoriale [...]

Comme l’a fait remarquer Dave Courchene, ancien président de la Fraternité des Indiens du Manitoba, en 1970 :

Un siècle de soumission, de servitude, de protectionnisme et de paternalisme a créé pour les Indiens des barrières psychologiques qui sont bien plus difficiles à surmonter que les problèmes de pauvreté économique et sociale.

Honorables sénateurs, pour conclure, j’aimerais signaler que le préambule de ce projet de loi comporte une inexactitude qu’il conviendrait de corriger. Plus précisément, la première ligne indique ce qui suit :

[...] que, depuis des temps immémoriaux, les Autochtones se sont épanouis sur leur territoire et en ont assuré la gestion et la gouvernance [...]

Nous savons qu’une approche panautochtone de ce libellé suppose que les trois groupes autochtones sont concernés par cette déclaration. En réalité, seuls les Premières Nations et les Inuits vivent sur ces terres depuis des temps immémoriaux, les Métis étant issus de l’union de femmes des Premières Nations et d’hommes européens.

Ce projet de loi ne peut pas commencer par une fausseté. C’est pourquoi je demande que nous corrigions cette inexactitude en remplaçant le terme « Autochtones » par les mots « Premières Nations et les Inuits ».

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