Peuples autochtones
Motion tendant à autoriser le comité à étudier les effets de la fraude d’identité sur la marginalisation accrue des peuples autochtones--Suite du débat
6 février 2024
Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénateur Housakos et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion no 96, qui a été proposée l’année dernière par la sénatrice McCallum. La motion demande à ce que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones examine la question de la fausse représentation de l’ascendance et de l’identité autochtones.
Je remercie la sénatrice McCallum d’avoir porté cette question à l’attention du Sénat, et je suis reconnaissante de pouvoir m’exprimer à ce sujet, en particulier du point de vue des Métis.
Dans l’ensemble, les connaissances des Canadiens sur la diversité des Premières Nations ainsi que sur la culture et l’histoire des Métis et des Inuits ne sont pas ce qu’elles devraient être. La situation s’améliore, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Comme beaucoup de Métis, je suis particulièrement sensible aux lacunes et aux malentendus qui existent au sujet de l’identité métisse. C’est pourquoi, si vous me le permettez, j’ai préparé quelques remarques à ce sujet de nature en partie universitaire, en partie personnelle. J’espère que vous les trouverez intéressantes et utiles lorsque nous serons saisis de questions concernant les Métis et leurs communautés.
Selon le Rupertsland Institute, nommé d’après la terre d’origine des Métis, :
Les Métis sont l’un des trois peuples autochtones distincts du Canada reconnus par la Constitution canadienne de 1982. Pendant la période de la traite des fourrures (1670-1870), les Métis sont réputés pour être farouchement indépendants et pour avoir joué un rôle déterminant dans le développement de l’Ouest du Canada.
Le mot Métis vient du terme latin « miscere » (mélanger) et a été utilisé à l’origine pour décrire les enfants de femmes autochtones et d’hommes français [...]
Chers collègues, c’est ainsi que les Canadiens voient les Métis. Ils croient à tort que, lorsque certains de nos ancêtres sont autochtones, cela fait de nous des Métis. Souvent, les gens qui commencent à récupérer leur ascendance autochtone disent être des Métis — selon l’ancienne notion de sang mêlé — sans comprendre que la signification du mot a grandement évolué au cours des 200 dernières années.
Le fait est que si une personne découvre que son arrière-grand-mère était une Crie, par exemple, elle doit prendre contact avec les membres cris de sa famille, trouver la communauté à laquelle elle appartenait et apprendre ce que cela signifie d’être cri de ce point de vue géographique.
Revendiquer l’identité métisse sans comprendre l’histoire du peuple et de la nation métisse est malheureux et trompeur.
Certains le font dans le but de tromper tandis que pour d’autres, il s’agit d’une erreur commise de bonne foi, mais dans tous les cas, cela peut être blessant et préjudiciable.
Dans son histoire complète du peuple métis, Jean Teillet a écrit que l’identité métisse est liée à l’histoire et aux récits métis. Comme elle le dit :
Seuls les descendants de ceux qui ont vécu ces récits à l’intérieur des limites géographiques de leur terre natale sont des Métis historiques.
Le Rupertsland Institute décrit ainsi la culture métisse d’origine :
[...] une fusion d’influences françaises, anglaises, écossaises et indiennes, [qui] a pris racine et s’est épanouie à la fin des années 1800. Les Métis ont développé une langue unique, le michif, qui utilise à la fois des noms indiens et des verbes anglais ou français. Les violoneux métis combinaient les gigues et les reels dans leurs formes uniques de danse et de musique. Les femmes métisses créaient des vêtements décorés de façon complexe, notamment des ceintures tissées, des fourreaux de fusils brodés, des bonnets en peau de cerf, des sacs à pipe piqués et perlés, ainsi que la capote, un manteau de style européen fabriqué à partir de couvertures en pointes de la baie d’Hudson. La vente de ces articles contribuait souvent au revenu de la famille métisse.
Les Métis ont développé des technologies pour le transport des marchandises, telles que la charrette de la rivière Rouge et la barge d’York, et étaient connus pour élire des conseils chargés d’organiser des chasses au bison très fructueuses. À partir de la viande de bison, les Métis fournissaient au commerce des fourrures du pemmican, un remarquable aliment donnant de l’énergie qui, dans une large mesure, est à l’origine de la première traversée du continent nord-américain et des explorations de l’extrême nord-ouest. En 1816, les Métis avaient contesté le monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur le commerce des fourrures et commencé à développer une conscience politique et un sens collectif de la communauté et de l’appartenance à une nation.
Je note que l’institut parle de la première traversée européenne du continent nord-américain. Le fait est que, bien que la culture métisse s’inspire d’une combinaison d’influences — comme c’est le cas pour de nombreuses cultures —, elle s’est développée pour devenir quelque chose de tout à fait particulier.
Les Métis ont établi des communautés prospères et autonomes à travers le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta. Lawrence J. Barkwell les énumère et les décrit dans son rapport de 2016 intitulé Métis Homeland: Its Settlements and Communities.
C’est à la rivière Rouge et dans ces communautés métisses que s’est formée et forgée l’identité unique des Métis, avec une langue, des vêtements, un art et un mode de vie qui sont distincts, tout en étant liés à la fois à la culture des colons et à celle des Premières Nations.
Surtout, ils ont développé un sens aigu de l’indépendance et un engagement envers l’autodétermination qui caractérise encore aujourd’hui les communautés métisses.
Cependant, si la culture passée et actuelle constitue un élément essentiel de l’identité métisse, elle ne dit pas tout.
Pour les peuples autochtones, l’identité revêt également un caractère très politique et peut inclure l’exigence d’une appartenance officielle à une nation et d’une preuve d’ascendance, ce qui est au cœur de la question que la sénatrice McCallum demande au Sénat d’étudier, à savoir les revendications frauduleuses d’identité autochtone.
En septembre 2002, le Railliement national des Métis a adopté la définition suivante du terme Métis :
« Métis » désigne une personne qui s’identifie comme étant métisse, qui est distincte des autres Autochtones, dont les ancêtres faisaient partie de la nation métisse historique et qui est acceptée par la nation métisse.
Il faut cependant décortiquer cette définition pour bien la comprendre :
« Nation métisse historique » désigne les Autochtones connus dans les années 1800 comme étant des Métis qui vivaient dans la patrie de la nation métisse historique.
« Patrie de la nation métisse historique » désigne les terres du centre-ouest de l’Amérique du Nord utilisées et occupées comme territoire traditionnel des Métis ainsi reconnus à l’époque.
« Nation métisse » désigne les Autochtones descendant de la nation métisse historique qui comprend maintenant tous les membres de la nation métisse et qui est un des « peuples autochtones du Canada », conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
« Distincte des autres Autochtones » signifie distincte à des fins culturelles et par rapport au statut de nation. Cela signifie qu’une personne ne peut pas détenir en même temps un statut de Métis, de membre d’une bande des Premières Nations et d’Indien visé par un traité.
En Alberta, pour devenir membre de la nation métisse de l’Alberta, il faut non seulement répondre à la définition de nation du Ralliement national des Métis, mais aussi fournir les documents suivants : une généalogie complète décrivant clairement votre ascendance métisse remontant au milieu des années 1800, un certificat de naissance détaillé, une pièce d’identité valide avec photo et une preuve de résidence permanente en Alberta pendant au moins 90 jours consécutifs.
Il convient de noter qu’il existe différents organismes qui représentent le peuple métis. En Alberta, par exemple, il y a la nation métisse de l’Alberta et le Conseil général des établissements métis, qui représente des Métis ayant une base territoriale. Pour éviter la simplification à outrance, je ne tenterai pas d’expliquer ces distinctions dans un court laps de temps, mais, en un mot, l’identité métisse n’est pas quelque chose que l’on peut revendiquer simplement en faisant quelques déclarations vagues sur l’existence d’un ancêtre autochtone. C’est plutôt quelque chose de très précis.
Permettez-moi, à titre d’exemple, de raconter l’histoire de ma propre famille métisse installée sur cette vaste et belle terre métisse, de Montréal à Saint-Paul-des-Métis, en Alberta. Selon Jean Teillet, le Nord-Ouest — qui regroupe toutes les terres à l’ouest et au nord de Montréal — est notre patrie métisse originelle, connue à l’époque sous le nom de « Terre de Rupert ».
C’est à Montréal que mon ancêtre François Fournaise est arrivé de Toulouse, en France, vers 1725. D’abord soldat, il a ensuite été voyageur pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Son petit-fils Joseph Lafournaise s’est installé à Saint-Boniface et a épousé une femme autochtone prénommée Suzanne en 1830. Ils ont ensuite déménagé à la rivière Rouge. Leur fils, mon arrière-arrière-grand-père Jean-Baptiste Lafournaise dit Laboucane, a déménagé sa famille de la rivière Rouge à White Plains, au Manitoba. Toutes ces collectivités sont des collectivités métisses.
Selon le Musée des Métis en ligne :
En 1878, six frères de la famille Laboucane quittent White Horse Plain au Manitoba et se dirigent vers l’ouest en direction de la rivière Battle (Alberta). Ils sont accompagnés par des membres des familles St-Germain et Poitras. Trois frères Laboucane, c’est-à-dire Jean Baptiste, Gabriel et Elzear, s’installent au nord du passage de la rivière, et les trois autres, appelés Jérôme, Pierre et Guillaume, au sud.
Ces familles d’entrepreneurs métis ont établi une voie commerciale pour le transport de marchandises dans les fameuses charrettes de la rivière Rouge, tout en élevant du bétail et des chevaux. La collectivité, en Alberta, a été officiellement connue sous le nom de colonie de LaBoucane pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’elle soit rebaptisée Duhamel, et on peut encore y voir un panneau sur lequel figure l’ancien nom de colonie de LaBoucane.
Dans son rapport de 2016, Lawrence Barkwell indique ceci :
Avec l’arrivée des colons dans la région, en 1896, un certain nombre de familles de la colonie de LaBoucane se sont réinstallées dans la nouvelle colonie de Saint-Paul-des-Métis, au nord de la rivière Saskatchewan [...]
Selon l’ouvrage intitulé Restoring the History of St. Paul des Métis, publié en 2020, « [e]n 1898, la prospère famille LaBoucane a commencé à s’installer à Saint-Paul-des-Métis avec son bétail et son équipement agricole ».
Honorables sénateurs, j’ai apporté mes reçus. C’est ce qu’on doit faire quand on revendique le statut de Métis.
À tous points de vue, St-Paul-des-Métis était une collectivité dynamique et florissante. Bon nombre des colons métis avaient de grands troupeaux de bovins et de chevaux ainsi que d’autres biens. En 1904, on y comptait 80 familles et 600 habitants.
L’histoire subséquente de Saint-Paul-des-Métis est malheureuse. Elle comprend la trahison d’un prêtre catholique, bien que les familles métisses fussent de fervents catholiques; des lois racistes concernant la propriété foncière commune sur la « réserve des Métis », comme on la désignait à l’époque; et la construction du chemin de fer, qui a soudainement rendu les terres beaucoup plus attrayantes et qui a fait passer la localité dans la catégorie des municipalités, les Métis étant désormais considérés comme des squatteurs. On leur a dit de partir, et le prêtre s’est efforcé d’attirer des colons catholiques blancs francophones pour peupler la nouvelle ville de Saint-Paul.
Cette véritable histoire de Saint-Paul-des-Métis n’est racontée maintenant que grâce aux efforts d’un groupe appelé Réconciliation Saint-Paul. Je leur suis très reconnaissante de leur travail. Comme nous commençons enfin à le comprendre, reconnaître notre passé et en tenir compte est une condition préalable à la construction d’un avenir meilleur.
Malgré les expulsions, ma famille est restée à Saint-Paul. Mon arrière-grand-père Alfred, mon grand-père Paul, mon père Terry et moi-même y sommes tous nés. Je suis fière d’appartenir à une nation métisse qui a des racines des Premières Nations et européennes, mais qui s’est forgé une identité distincte grâce à une histoire, une géographie et une culture distinctes.
Honorables sénateurs, l’histoire du peuple métis dans sa patrie, c’est notamment l’histoire de la famille Lafournaise dit Laboucane. C’est mon histoire. En même temps, elle fait partie de l’histoire de notre pays, qui appartient à chacun d’entre nous. J’espère que vous et tous les Canadiens vous sentez liés à l’histoire et à la culture des Métis. Je vous invite à en profiter et à les chérir. J’invite aussi les Canadiens à les respecter, c’est-à-dire, entre autres, à ne pas les revendiquer si elles ne sont pas vraiment les leurs.
Une fois encore, je remercie la sénatrice McCallum d’avoir présenté la motion et de m’avoir permis de faire ces remarques.
Honorables sénateurs, j’ajouterai une chose : j’ai beaucoup de chance, car la cousine de mon père, Barbara, a rédigé toute cette histoire et m’a donné un vaste arbre généalogique. En lisant le livre de Jean Teillet intitulé The North-West Is Our Mother, j’ai pu retracer l’histoire de ma famille. C’était un véritable cadeau de préparer ce discours, sénatrice McCallum, parce que j’ai pu baigner un peu dans cette histoire.
Cependant, beaucoup de jeunes sont issus des services de protection de l’enfance. Ils n’ont pas de Barbara dans leur vie ni la capacité de découvrir qui ils sont. Je dois féliciter la Métis Nation of Alberta, qui s’occupe de la généalogie de beaucoup de ces enfants afin qu’ils puissent se réapproprier leur histoire métisse. Si nous réalisons cette étude — et je pense que c’est une bonne idée de le faire —, nous devons veiller à penser à tous ces enfants qui n’ont pas de liens avec leur famille ni d’arbre généalogique sur lequel s’appuyer. Nous devons veiller à ce qu’ils ne soient pas victimes d’une fraude d’identité parce qu’ils ne savent pas qui ils sont. Je vous remercie de votre attention, honorables sénateurs. Hiy hiy.
Merci. Accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
Je voulais vous demander si vous saviez le nombre de communautés qui sont apparues presque du jour au lendemain et qui prétendent être métisses. Je le souligne parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un vol à l’échelle individuelle, mais d’un vol de communauté. Par exemple, la nation Cherokee comptait trois communautés. Aujourd’hui, il y en a 200. Je veux seulement avoir une idée de l’ampleur du problème.
Je vous remercie de la question. Je n’ai pas les chiffres. À mon avis, ce serait assurément un sujet à étudier en comité. Je suis d’accord avec vous : découvrir la vérité dans tout ce dossier — l’histoire est à la fois orale et écrite; ce serait possible — serait une entreprise utile.