Le Sénat
Motion tendant à demander au gouvernement de sensibiliser la population à l’ampleur de l’esclavage des temps modernes et à la traite de personnes et de désigner le 22e jour de février de chaque année la Journée nationale de sensibilisation à la traite de personnes--Ajournement du débat
18 mars 2019
Conformément au préavis donné le 20 février 2019, propose :
Que le Sénat demande au gouvernement de sensibiliser la population à l’ampleur de l’esclavage des temps modernes au Canada et à l’étranger et à prendre des mesures pour combattre la traite de personnes;
Que le Sénat demande également au gouvernement de désigner le 22e jour de février de chaque année la Journée nationale de sensibilisation à la traite de personnes, pour coïncider avec l’anniversaire de la déclaration unanime de la Chambre des communes adoptée le 22 février 2007 de condamner la traite de personnes et l’esclavage sous toutes ses formes.
— Honorables sénateurs, la présente motion est présentée au nom du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes. Une motion semblable a récemment été présentée à l’autre endroit.
Le groupe a été lancé en avril dernier et ses membres comprennent des représentants du Parti libéral, du Parti conservateur, du NPD et du Parti vert de l’autre endroit, ainsi que du Groupe des sénateurs indépendants.
Les activités du groupe sont également soutenues par un partenariat avec l’International Justice and Human Rights Clinic de la faculté de droit Peter A. Allard de l’Université de la Colombie-Britannique.
Nos priorités sont les suivantes : veiller à ce que le Canada fasse tout en son pouvoir pour protéger les populations civiles et les prémunir contre l’esclavage moderne, pour accroître le nombre de poursuites contre les trafiquants et pour établir des partenariats avec différents organismes; accroître la communication d’informations et d’analyses aux parlementaires au sujet de l’esclavage moderne; favoriser la compréhension de l’importance des approches à long terme en matière de prévention de l’esclavage; entreprendre un dialogue et une collaboration avec des organismes de la société civile qui ont aussi ces préoccupations et avec d’autres Parlements.
Honorables collègues, nous souhaitons faire en sorte que le Canada soit un pays où on n’exploite pas les êtres humains et où l’esclavage des temps modernes n’existe pas; nous reconnaissons également l’immense valeur des partenariats solides pour lutter contre ce fléau insidieux de notre société. Notre groupe vous demande donc d’appuyer cette motion pour que l’on puisse désigner le 22 février comme Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes.
Wela’lioq. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir pour appuyer la motion visant à désigner le 22 février comme Journée nationale de sensibilisation à la traite des personnes. Je remercie de cette initiative le sénateur Christmas et le groupe parlementaire multipartite pour la fin de l’esclavage des temps modernes et de la traite des personnes, groupe dont je suis fière d’être parmi les membres fondateurs.
Il n’y a aucun doute que la traite des personnes est un problème crucial. Nous devons adresser ce phénomène à travers le monde, mais aussi au Canada. Nous devons prendre conscience des situations vulnérables et d’exploitation de certains membres de nos communautés. L’exploitation sexuelle et la traite des personnes ne sont pas isolées. Le Canada n’est certainement pas épargné.
La traite des enfants, c’est-à-dire la vente par des adultes à d’autres adultes de l’accès au corps d’un enfant, est bien documentée à Winnipeg, où j’habite. Ma collègue Diane Redsky, la directrice générale de Ma Mawi, l’un des plus grands organismes autochtones au Canada, a témoigné avoir à plusieurs occasions rescapé des enfants autochtones des mains de trafiquants. La police de Winnipeg a maintes fois confirmé que la plupart des victimes de la traite sont des enfants autochtones.
En 2018, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a publié un rapport mondial sur la traite de personnes, soulignant que, entre 2011 et 2016, il y avait eu une augmentation de près de 40 p. 100 dans le nombre de victimes de la traite des personnes décelées dans le monde. De plus, un constat important ressort du rapport : les pays qui ont amélioré leurs mesures de lutte contre la traite ont signalé un plus grand nombre de victimes. Voilà qui montre clairement que pour prendre des décisions fondées sur des données probantes afin de lutter contre la traite, nous devons avoir des données crédibles sur l’ampleur des activités. Nous devons agir pour concrétiser notre engagement et mettre en œuvre des stratégies de lutte contre la traite plus efficaces.
Selon Statistique Canada, les cas de traite des personnes au Canada sont à la hausse depuis 2010. Dans plus de la moitié de ces cas, une autre infraction est commise. Il s’agit généralement de prostitution. Parmi les 865 victimes de traite des personnes enregistrées de 2009 à 2016, 95 p. 100 sont des femmes et des filles, 72 p. 100 d’entre elles sont âgées de moins de 25 ans, et 26 p. 100 sont âgées de moins de 18 ans et sont donc des enfants.
À la suite de sa visite au Canada en avril 2018, la rapporteuse spéciale des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les femmes, ses causes et conséquences a déclaré qu’il fallait se pencher sérieusement sur le problème de la traite des personne au Canada. Elle a souligné le manque généralisé de données sur la traite des personne au pays, y compris sur la traite dans un but d’exploitation sexuelle. La rapporteuse spéciale a également signalé que les femmes et les filles autochtones sont particulièrement à risque de devenir victimes de traite des personnes.
Dans son rapport d’enquête sur la Commission des services policiers de Thunder Bay, publié il y a quelques temps, le sénateur Sinclair souligne cette préoccupation par rapport au sort des femmes et des filles autochtones. Thunder Bay, importante plaque tournante des transports en Ontario et ville portuaire donnant sur le lac Supérieur, continue d’être un lieu où se pratique la traite des personnes. Le rapport indique que les filles autochtones dont on fait la traite à des fins d’exploitation sexuelle sont âgées de 14 ans en moyenne. Certaines n’ont pas plus que 10 ans.
Honorables sénateurs, ce ne sont pas des chiffres en l’air. Il s’agit d’êtres humains en chair et en os. Or, si nous ne faisons rien, c’est comme si la société, et nous par le fait même, considérait que leur vie ne vaut absolument rien.
Nous devons faire du 22 février la Journée nationale de sensibilisation à la traite de personnes. Ce faisant, nous créerons un mécanisme récurrent permettant de rappeler à tous les Canadiens, nous y compris, que nous ne pouvons pas — que nous ne devons pas — faire comme si le terrible fléau qu’est la traite des personnes n’existait pas, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde.
Je vous remercie. Meegwetch.
Souhaitez-vous participer au débat, sénatrice Martin?
Non, Votre Honneur. En fait, je voulais simplement revenir sur l’importance de cette motion. Je voulais aussi remercier le sénateur Christmas et la sénatrice McPhedran. Je demande l’ajournement...
Je regrette, sénatrice Martin, mais avant de demander l’ajournement, je crois que quelqu’un d’autre souhaite prendre la parole.
Veuillez m’excuser. Je croyais que c’était tout.
Je vois qu’il est tard. Je vais tenter d’être brève.
Je prends la parole pour appuyer la motion no 439, demandant au gouvernement de sensibiliser la population à l’ampleur de l’esclavage des temps modernes et à la traite des personnes.
Il est difficile de croire qu’aujourd’hui, en 2019, on puisse encore tolérer des formes d’esclavage sur notre planète. Le terme « esclavage » est souvent perçu, à tort, comme un phénomène du passé aujourd’hui disparu. L’esclavage à grande échelle des Africains nous habite encore et nourrit la littérature.
Dans le bouleversant ouvrage de Véronique Olmi, intitulé Bakhita, qui est basé sur une histoire véridique, l’héroïne naît au Darfour en 1869. Elle est traînée au Soudan, un haut lieu du trafic d’esclaves. Elle a sept ans quand ses deux ravisseurs la vendent à des maîtres qui battent et insultent leurs proies. En voici un extrait :
Alors le ravisseur prend son menton dans sa main, il la force à ouvrir la bouche et à montrer ses dents. On lui lance un bâton pour qu’elle coure et le ramène, au début elle ne comprend pas. Elle ne va pas le chercher. On la gifle et on recommence. Elle court. L’homme crache quand elle tombe. Ses jambes ne la portent plus [...] Elle ne comprend pas ce qu’elle doit faire. Elle est affolée. Elle ne sait pas ce qu’ils veulent. On l’inspecte. Partout. Ça lui fait mal [...]
Ce passage décrit avec retenue la violence que subissent trop de gens au quotidien. Depuis, les formes d’esclavagisme ont peut-être un peu changé, mais la violence est toujours aussi réelle. Aujourd’hui, ce qu’on appelle l’esclavage moderne comprend le travail forcé, le trafic sexuel et les mariages forcés. Ces phénomènes touchent particulièrement les filles — comme l’a dit ma collègue — et les femmes qui sont encore, à travers la planète, victimes d’inégalités et de discrimination.
On estime que 4,8 millions de personnes, presque exclusivement des filles et des femmes, sont victimes d’exploitation sexuelle forcée, et que 15 millions de personnes — encore là, surtout des filles — ont subi un mariage forcé. Une grande partie de ces formes d’exploitation se déroulent loin de nous, dans des pays où de petites filles sont mariées — ou plutôt vendues — à des hommes beaucoup plus âgés. Elles vivent des grossesses précoces qui donnent lieu à des complications horribles, comme les fistules. Toutefois, il ne faut pas croire que le Canada est épargné. À ce sujet, il y a à peine un mois, 43 Mexicains réduits à l’esclavage ont été libérés par la police de la région de Barrie, en Ontario. Ces hommes étaient contraints à faire des ménages sous la férule de leurs trafiquants pour 50 $ par mois.
À une époque où le débat sur la prostitution est souvent réduit à une question de choix individuels et de liberté des femmes, il est nécessaire de se rappeler que la frontière entre ce que l’on appelle le travail du sexe et l’exploitation sexuelle n’est pas toujours évidente. J’ai participé à la recherche et à la rédaction d’un avis du Conseil du statut de la femme du Québec intitulé La prostitution : il est temps d’agir. Voici un extrait du témoignage d’une Montréalaise, Marie, 25 ans, qui est sous l’emprise d’un proxénète violent qui l’oblige à lui remettre tous ses revenus, l’isole de sa famille et contrôle tous ses mouvements. Cela aussi, c’est une forme d’esclavage.
Écoutons-la.
Il checkait toute, pas le droit de tourner la tête, pas le droit de parler à qui je veux. J’allais danser tous les soirs. J’me faisais violer trois fois par semaine au bar où je dansais, fallait que je l’appelle sur son cellulaire toutes les 30 minutes, que je lui dise ce que j’avais fait, combien de clients et de danseuses il y avait dans la salle. Il calculait dans sa tête combien je devais rapporter d’argent à la fin de la soirée. Si j’rapportais pas assez, je mangeais une volée. Un jour, il m’a cassé deux dents. Il aimait m’étrangler jusqu’à ce que je perde connaissance.
Il est difficile d’imaginer que la traite des femmes et des filles existe bel et bien au Canada. De plus, elle touche de façon disproportionnée les Autochtones. Au Québec, des séries télévisées et des arrestations de proxénètes ont mis en lumière ce phénomène clandestin, où de jeunes filles tombent sous l’emprise de gangs de rue qui les déprogramment par des viols à répétition, qui les enferment et, surtout, les transportent loin de leur milieu, dans d’autres provinces comme Ontario et l’Alberta, afin de tirer le maximum d’elles en les faisant passer de client en client. L’ampleur du phénomène est difficile à mesurer, et des députés de l’Assemblée nationale du Québec proposent de tenir une commission parlementaire pour dresser un état des lieux.
Les lois sont essentielles. Malheureusement, un des outils visant à mieux prévenir l’exploitation et la traite des personnes, le projet de loi C-38 modifiant le Code criminel, est bloqué à l’étape de la première lecture à la Chambre des communes depuis deux ans, et je crains que nous ne puissions l’étudier au Sénat avant les élections. Il n’est pas trop tard pour que le nouveau ministre de la Justice le remette sur les rails. Autrement, ce sera une occasion manquée. Merci.