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Le revenu de base garanti

Interpellation--Suite du débat

25 juin 2020


Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui en remerciant de nouveau la sénatrice Pate et la sénatrice Lankin de leur leadership dans la promotion de la mise en place d’un revenu de base ou minimum garanti pour les Canadiens.

C’est avec plaisir que je me prononce dans cette Chambre en accordant mon appui à cette initiative non seulement en tant qu’activiste moi-même, mais également pour partager les idées de mes conseillers jeunesse, qui ont mis sur pied certains plaidoyers afin d’appuyer la démarche des sénateurs sur ce sujet important.

Le lancement de cette interpellation au Sénat permet à un grand nombre d’entre nous d’aborder un programme très important sous des angles un peu différents. Cette mesure obtient le soutien de sénateurs de différents groupes.

J’aimerais remercier la sénatrice Miville-Dechêne de sa contribution à cette discussion juste avant la pandémie de COVID-19, qui nous a forcés à cesser nos activités pendant un certain temps. J’aimerais également rappeler en commençant aux sénateurs et à nos collègues de l’autre endroit de lire la lettre qui a été envoyée au premier ministre et au Cabinet le 21 avril dernier, pendant la pandémie, pour recommander l’instauration d’un revenu minimum de base au Canada, à un niveau suffisant pour assurer la subsistance. J’invite aussi les Canadiens à prendre connaissance de cette lettre.

Chers collègues, il est plutôt rare que plus de la moitié des sénateurs du Canada, plus de 50, fassent une telle déclaration publique en faveur d’une politique qui pourrait marquer un tournant dans les programmes nationaux. Cela me rappelle la création de notre régime d’assurance-maladie après la Deuxième Guerre mondiale.

S’inspirant des sénateurs, certaines de mes conseillères jeunesse du Conseil canadien des jeunes féministes — qui sont également membres du Basic Income Canada Youth Network — ont coordonné la rédaction d’une lettre de soutien qui a été envoyée au premier ministre et au Cabinet le 5 mai pour leur faire part des raisons pour lesquelles, selon les jeunes, un revenu de base garanti est nécessaire au Canada. Cette deuxième lettre a été signée par des jeunes leaders, des organismes pour la jeunesse et des chercheurs des quatre coins du pays, qui représentent plus d’un million de personnes, principalement des jeunes Canadiens.

Il suffit de citer quelques statistiques pour se rendre compte de la réalité de la pauvreté au Canada. Près de cinq millions de Canadiens vivent dans la pauvreté; un cinquième des mères seules vivent sous le seuil de la pauvreté; et une famille racialisée sur cinq vit dans la pauvreté, comparativement à une famille blanche sur 20.

Il est encore plus important de souligner l’impact humain de la pauvreté sur les Canadiens pauvres, leur famille et leur collectivité.

J’aimerais citer dans cette enceinte le témoignage de Canadiens pauvres qui a été présenté par l’organisme Canada sans pauvreté lors d’une récente réunion parlementaire.

Leila, d’Ottawa, a écrit ce qui suit :

[...] Qu’est-ce que la pauvreté? C’est le stress, l’isolement et un mauvais état de santé; c’est inacceptable.

Laura, d’Hamilton, a souligné ceci :

[...] la pauvreté peut simplement prendre la forme d’un manque de nourriture. Mais c’est aussi plus que cela. C’est une façon de déterminer [...] sa valeur [...] par rapport [...] aux autres. La pauvreté, c’est se demander si on fait partie de la société et quelle place on occupe dans celle-ci [...]

Wayne, d’Halifax, a expliqué ce qui suit :

Quand on vit dans la pauvreté, on perd des possibilités. Je n’en reviens pas quand des gens disent que le Canada est un pays rempli de possibilités. La réalité, c’est que tous n’ont pas accès à ces possibilités.

Les Canadiens vivant dans la pauvreté perdent la possibilité d’avoir un accès garanti à la nourriture, à un logement, à des soins de santé adéquats et à l’éducation. Ce peut être le fait de vivre dans une maison bondée ou d’utiliser la moitié de son revenu mensuel, ou plus pour le loyer, ou encore de savoir que les hommes qui vivent dans la pauvreté sont susceptibles de mourir quatre ans plus tôt que les hommes faisant partie des 20 % les plus riches de la population.

Nous savons que le niveau de revenu est directement lié à la santé. Sur la page Web de l’Agence de la santé publique du Canada, le premier facteur déterminant de la santé est le revenu et le statut social d’une personne.

Dans un article sur les conséquences de la pauvreté sur la santé des Canadiens, Dennis Raphael de l’école de gestion et de politique de la santé de l’Université York a souligné ce qui suit :

[...] les personnes vivant dans les 20 % des quartiers les plus pauvres [sont] plus susceptibles de mourir d’une maladie mortelle que les personnes plus aisées. On parle notamment des cancers, des maladies cardiaques, du diabète et des maladies respiratoires [...]

La pauvreté nuit à la santé mentale ainsi qu’à la santé physique. C’est la conclusion d’une étude britannique concernant les répercussions de la pauvreté sur la santé mentale.

La pauvreté augmente le risque de développer des maladies mentales, notamment la schizophrénie, la dépression, l’anxiété et la toxicomanie.

L’étude constate également ceci :

Vivre dans la pauvreté pendant la petite enfance est associé à l’adaptation génétique, phénomène où la personne emploie une stratégie à court terme pour supporter l’environnement de développement stressant. À long terme, cette stratégie nuit à la santé. La personne est plus susceptible de développer plus tard des maladies cardiaques et certains cancers.

Un revenu minimal garanti permettrait d’offrir plus efficacement et plus respectueusement les ressources dont les Canadiens ont besoin pour sortir de la pauvreté que ne le permet l’ensemble disparate des programmes actuels d’aide sociale. Il n’est pas nécessaire de continuer d’appliquer le modèle où des fonctionnaires agissent comme la police de l’aide sociale, un modèle qui oblige les Canadiens vivant sous le seuil de la pauvreté à prouver qu’ils sont pauvres et à subir la stigmatisation liée à l’aide sociale. Un revenu de base constituerait un remède plus efficace à la pauvreté puisque la personne bénéficierait d’une source de revenu stable sans se faire juger et que ce serait facile à administrer.

Le concept d’un revenu de base n’est pas nouveau. Comme l’a dit la sénatrice Pate quand elle a présenté cette interpellation, c’est en 1971 que le rapport Croll a recommandé d’offrir un revenu minimal garanti comme première étape dans la lutte contre la pauvreté au Canada.

De 1975 à 1978, un projet pilote a offert un revenu de base aux habitants de Dauphin, pas très loin de l’endroit où j’ai grandi, au Manitoba. En 1975, l’Ontario a créé un programme de transferts inconditionnels afin de sortir les aînés de la pauvreté. Ce modèle a ensuite été repris par le gouvernement fédéral et il existe encore aujourd’hui. Il s’agit du Supplément de revenu garanti.

En 2017, l’Ontario a lancé le projet pilote conçu par l’ex-sénateur Hugh Segal, qui a d’ailleurs consacré de nombreuses années à ce sujet, souvent en collaboration avec le sénateur Art Eggleton, qui est aujourd’hui à la retraite.

Je dois féliciter l’autre endroit pour la Stratégie nationale de réduction de la pauvreté qu’il a lancée en 2018. Si cette stratégie a officialisé dans la loi les cibles de réduction de la pauvreté que la société doit atteindre, elle ne prévoit toutefois pas de revenu minimal pour les Canadiens qui en auraient besoin. Voilà qui représente bien le dilemme qui s’offre à nous dans notre quête d’éradication de la pauvreté — car aucune personne le moindrement honnête ne peut affirmer que le Canada est incapable d’éradiquer la pauvreté. S’il y a un pays sur cette planète qui a les ressources et les moyens pour y parvenir, c’est bien le Canada.

Nous pouvons choisir de ne rien faire et d’accepter les programmes condescendants d’aide sociale tels qu’on les connaît présentement, ou nous pouvons donner suite à plus de 50 ans d’études, de rapport et de témoignages et admettre l’efficacité des programmes de revenu de subsistance garanti.

Nous nous sommes généralement entendus, dans la société, sur l’avantage d’offrir un soutien financier aux personnes économiquement vulnérables. Les principes d’économie et d’éthique reconnaissent l’utilité d’appuyer ceux et celles qui n’ont pas les moyens de se nourrir ou de se loger. Nous avons adopté l’idée d’une aide au revenu pour les Canadiens. Nous avons déjà un ensemble disparate de mesures d’aide au revenu dans les provinces et les territoires.

La pandémie a mis en évidence l’insuffisance du régime fédéral d’assurance-chômage. Nous avons constaté la rapidité impressionnante avec laquelle l’Agence du revenu du Canada a su envoyer la Prestation canadienne d’urgence aux gens qui en avaient tant besoin.

Un revenu de subsistance garanti, un revenu minimum de base, représente potentiellement changement de paradigme en réduction de la pauvreté le plus important et le plus efficace depuis l’élargissement de l’État-providence moderne. Il nous faut un système efficace et transparent qui respecte fondamentalement la dignité de tous les Canadiens, et pas seulement parce que c’est la bonne chose à faire. Tâchons de nous diriger vers un avenir plus équitable qui donne à tous les Canadiens l’occasion d’échapper à la pauvreté, ce qui aura pour effet concret de renforcer notre démocratie.

Merci. Meegwetch.

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