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La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

2 décembre 2020


L’honorable Salma Ataullahjan [ + ]

Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.

Dans ce projet de loi, le gouvernement propose de modifier la loi pour ajouter quatre catégories à la liste de produits chimiques réglementés interdits par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Le projet de loi ajouterait les Novitchoks, des agents neurotoxiques, à la liste des produits chimiques interdits.

Quand la marraine du projet de loi, la sénatrice Coyle, a parlé de ce dernier, elle a signalé que les modifications proposées s’aligneront sur celles apportées l’année dernière à la Convention sur les armes chimiques.

Les modifications proposées à la convention se fondaient sur une initiative conjointe du Canada, des Pays-Bas et des États-Unis visant à interdire cette nouvelle catégorie de produits chimiques réglementés.

La sénatrice Coyle a souligné que le Canada et ses alliés américains et néerlandais ont pris cette initiative principalement en réaction à l’utilisation de cette catégorie de produits chimiques dans une attaque perpétrée contre plusieurs personnes à Salisbury, au Royaume-Uni.

Des agents russes ont été impliqués dans cette attaque. Par ailleurs, les produits chimiques qui auraient été utilisés sont produits par la Fédération de Russie.

Je ne crois pas que quiconque dans cette enceinte — ou d’ailleurs au Parlement du Canada — s’opposerait à la mesure législative dont nous sommes saisis.

Lors de son intervention, la sénatrice Coyle a décrit de façon assez détaillée l’historique de la Convention sur les armes chimiques et, de manière plus générale, la répugnance que la majorité des pays éprouvent à l’égard de l’utilisation de ces armes.

On a débattu, au fil des ans, de la portée de la convention et des armes chimiques qui devraient y être incluses. Toutefois, on n’a jamais remis en question l’importance globale de la convention. En effet, 193 États déclarent y adhérer, notamment la Chine et la Russie.

En 2017, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a elle-même confirmé que la Russie avait détruit 39 967 tonnes métriques d’armes chimiques.

Évidemment, les agents chimiques Novitchok ne faisaient pas partie des armes chimiques détruites par la Russie, car ils n’étaient pas encore visés par la convention. Ainsi, je crois que nous pouvons tous convenir que les dispositions prévues dans cette mesure législative doivent être adoptées.

Je pense toutefois que nous devons être réalistes quant aux résultats que nous pouvons attendre de cette mesure législative. Peut-être que, grâce à ce réalisme, nous pourrons ensuite passer à des actions plus concrètes, parce que le projet de loi ne réglera pas le problème à lui seul.

Selon le gouvernement, le projet de loi dont nous sommes saisis montre ceci :

[...] que le Canada adopte une position ferme pour un monde plus sûr en contrôlant les produits chimiques dangereux en vertu de la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques.

Encore une fois, je suis d’accord pour dire que le projet de loi témoigne d’un sentiment profond. Toutefois, cette mesure à elle seule ne suffira probablement pas à prévenir une autre attaque de la sorte.

Comme la sénatrice Coyle l’a souligné dans le discours qu’elle a prononcé récemment, une figure de proue de l’opposition russe aurait été victime d’une attaque très similaire à celle qui a eu lieu en 2018 au Royaume-Uni.

Cela laisse présager que le respect de ces dispositions est peu probable du côté des États qui décideront tout simplement de ne pas en tenir compte. En outre, une interdiction au Canada serait en soi complètement symbolique.

Les produits chimiques dont il est question dans le projet de loi ne sont évidemment pas produits au Canada. Dans son discours, la sénatrice Coyle a mentionné que la mesure prévue dans le projet de loi « [...] n’impose aucune nouvelle charge au Canada, aux citoyens canadiens ou à l’industrie canadienne ».

Autrement dit, les mesures ne coûteront rien au Canada. C’est peut-être une bonne nouvelle, mais cela signifie également que nous ne devons pas fonder trop d’espoirs quant à ce qu’elles permettront d’accomplir.

Les armes chimiques de cette catégorie sont produites en Russie et, pour l’heure, la Russie n’a aucunement l’intention de changer ses pratiques. D’ailleurs, même si la Russie avait d’abord accepté à contrecœur les modifications à la convention, elle n’y adhère plus.

Je ne vois pas comment l’interdiction proposée pourrait empêcher la Russie ou d’autres pays d’agir comme bon leur semble. Dans l’ensemble, ce qui me préoccupe quant à ce projet de loi est la façon dont le gouvernement prévoit faire l’application des objectifs plus larges du projet de loi.

J’espère que le comité sénatorial qui devra étudier le projet de loi sera en mesure d’obtenir des précisions du gouvernement à ce sujet. On peut bien se donner une image vertueuse au moyen de la législation canadienne si on veut, mais j’ose espérer que l’ensemble des sénateurs veulent des solutions concrètes qui pourraient réellement empêcher de futures attaques.

Par conséquent, ce sur quoi j’aimerais surtout que les ministres et les fonctionnaires nous renseignent, ce sont les mesures pratiques que le Canada prendra pour prévenir des attaques similaires. Par exemple, quelles sont les consultations prévues à ce sujet au cours des prochaines années auprès de nos alliés? Comment prévoyons-nous convaincre d’autres pays, notamment la Russie, qu’il faut contrôler ces agents chimiques? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour imposer des sanctions aux pays qui contreviennent à ces dispositions? Sommes-nous disposés à sacrifier d’autres intérêts pour atteindre les objectifs du projet de loi à l’étude aujourd’hui?

Il est plutôt facile de déclarer que le Canada adopte une position ferme pour un monde plus sûr, comme le prétend le gouvernement. Il est beaucoup plus difficile de mettre en place un plan d’action pour faire en sorte que cela se concrétise.

Ainsi, j’appuie le principe du projet de loi. Toutefois, des questions demeurent et j’espère que l’étude du comité et, subséquemment, de l’autre endroit permettra d’y répondre. Merci.

Bonjour, tansi. En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur les territoires du Traité no 1, les territoires traditionnels des peuples anishnabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés et de la patrie de la nation métisse. De plus, parce que nous avons le privilège d’être aujourd’hui au Sénat du Canada à Ottawa, sur la Colline du Parlement, je reconnais que nous sommes réunis ici sur les territoires non cédés de la nation algonquine anishnabeg.

Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques. D’abord, je remercie la sénatrice Coyle de son leadership à l’égard de ce projet de loi ainsi que du leadership dont elle fait preuve depuis longtemps en matière de consolidation de la paix sur des tribunes dont la portée varie de locale à mondiale.

Comme vient de si bien le décrire la sénatrice Ataullahjan, porte-parole de l’opposition pour ce projet de loi, les modifications qui y sont proposées sont simples, mais cruciales, car elles mettent à jour la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques en supprimant l’ancienne liste des produits chimiques prohibés pour permettre au Canada de suivre plutôt la liste à jour maintenue par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, ou OIAC, désignée à l’article VIII de la convention internationale sur les armes chimiques à titre d’instance chargée de l’application de la convention. Nous pouvons être fiers que le Canada ait été l’un des premiers pays à signer et à ratifier la Convention sur les armes chimiques, qui vise à les éradiquer et à empêcher leur réapparition dans les conflits.

Les armes de destruction massive sont nucléaires, biologiques ou chimiques. Elles jouent un rôle néfaste et causent d’immenses souffrances et des destructions massives. Elles anéantissent des environnements sociaux et physiques, ce qui ruine des vies, des collectivités et des pays. Les armes chimiques sont composées de liquides et de gaz qui étouffent leurs victimes, empoisonnent leur sang, provoquent des cloques sur leur peau ou perturbent leur système nerveux.

Après les guerres mondiales du XXe siècle, les États-nations ont uni leurs efforts pour interdire ces armes insidieuses, mais ce n’est qu’en 1997 que la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, communément appelée la Convention sur les armes chimiques, est entrée en vigueur avec pour mission de créer un monde sans armes chimiques; un monde dans lequel la chimie serait au service de la paix, du progrès et de la prospérité de l’humanité tout entière. Cependant, nous savons que le développement économique et technologique s’accompagne de découvertes qui peuvent être bien plus dangereuses qu’utiles pour le monde.

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques publie, sur son site Web, une liste de produits chimiques toxiques qu’elle garde à jour pour tenir compte des développements et prévenir des événements regrettables. Sa liste avancée peut servir de base à notre Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques et faire en sorte que le Canada se conforme au droit international actuel et que les Canadiens continuent de profiter des bienfaits de la chimie sans que des retards législatifs ne mettent des vies en péril.

Chers collègues, nous pouvons, grâce au projet de loi S-2, modifier la loi actuelle afin d’éviter tout malentendu concernant la possibilité d’obtenir, d’utiliser et d’entreposer certains produits chimiques toxiques. Comme on nous l’a rappelé de façon plus détaillée, des agents neurotoxiques ont été utilisés, il y a deux ans à peine, dans des attentats attribués à la Russie. Une version moins puissante du produit utilisé dans l’attentat mené en Angleterre a été utilisée contre Alexei Navalny, une tête d’affiche de l’opposition en Russie. Selon les explications du professeur Gary Stephens, expert en pharmacologie à l’Université de Reading, l’une des principales raisons qui expliquent la fabrication de ces agents, c’est que les éléments dont ils sont formés ne figurent pas dans la liste des substances interdites.

N’oublions pas que cette liste des armes chimiques interdites est la seule chose qui empêche des pays d’employer comme arme le chlore gazeux, un agent asphyxiant, ou le gaz moutarde, un agent vésicant. Cependant, la vérité, c’est que les seules choses qui nous protègent tous sont une liste d’armes chimiques interdites et notre engagement collectif à ne pas causer d’énormes souffrances. C’est pourquoi, honorables collègues, il est d’une importance capitale que nous apportions les modifications proposées dans le projet de loi S-2 afin que la liste des armes chimiques interdites maintenue et mise à jour par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques l’emporte en cas d’incompatibilité. Ce faisant, nous renouvellerons notre engagement pour le désarmement chimique, et j’espère que nous pourrons ainsi prévenir ne serait-ce que la plus petite erreur concernant les produits chimiques dangereux en territoire canadien.

En adoptant le projet de loi S-2, nous renforcerons nos mesures contre les armes chimiques. Aujourd’hui, j’aimerais profiter de cette occasion pour nous amener à porter notre regard au-delà des menaces que posent les armes chimiques. Je vous exhorte à suivre l’autre étape tout à fait logique qui consiste à lutter contre la prolifération des armes nucléaires en les interdisant, de la même façon que nous sommes prêts à imposer une interdiction avec ce projet de loi et cette liste des armes chimiques interdites.

La tour de la Paix, qui se trouve de l’autre côté de la rue, est l’un des joyaux du Parlement. Elle est dédiée à tous les Canadiens tués en temps de guerre et consacrée à la cause de la paix pour laquelle certains de nos concitoyens sont morts ou ont souffert. Cette tour est un symbole des principes et des hautes aspirations des Canadiens. En tolérant la prolifération des armes chimiques ou nucléaires, nous tournons en dérision ces aspirations. Les armes nucléaires sont tout simplement les armes les plus dangereuses sur la planète. Elles peuvent tuer des millions de personnes et détruire tout ce dont les humains ont besoin pour vivre.

Nous savons que l’année 2020, qui se termine bientôt, a été une année unique en son genre. Paradoxalement, elle s’est aussi caractérisée par des événements marquants, comme le 75e anniversaire de la fondation de l’ONU, la structure décisionnelle mondiale qui a engendré ces traités. Toutefois, c’est aussi le 75e anniversaire d’un événement dont on souhaite moins se souvenir, peut-être à cause de notre honte collective inconsciente. En effet, il y a 75 ans, les premières bombes atomiques ont été larguées sur les habitants d’Hiroshima et de Nagasaki, ce qui a précipité la fin officielle de la Seconde Guerre mondiale.

Ce triste anniversaire n’est pas seulement une occasion de se souvenir d’une tragédie passée, mais aussi de réfléchir à la menace omniprésente que nous n’avons pas tenté réellement de neutraliser. La vérité, c’est que les campagnes de peur, les décisions malavisées et les erreurs de chefs d’État irresponsables ou déséquilibrés peuvent tous nous mener à la destruction nucléaire. Le désarmement est le meilleur moyen de se protéger contre cette menace terrible pour l’humanité entière.

Peu importe les difficultés qui se présenteront, un massacre nucléaire ne sera jamais considéré comme héroïque ou juste. Le fait de rester les bras croisés devant la prolifération des armes nucléaires indique un manque de leadership — une attitude irresponsable par rapport à la race humaine. Ce n’est pas représentatif de ce que sont les Canadiens.

Le Canada a parfois été une force progressiste dans le dossier de la non-prolifération des armes nucléaires. Je parle en particulier des années où l’ancien premier ministre Pierre Trudeau a parcouru le monde pour négocier avec des chefs d’État, y compris au sein de l’OTAN, afin qu’ils adoptent une approche différente en ce qui concerne les armes nucléaires, une approche qui rejette la notion selon laquelle elles sont inévitables.

Nous avons été absents. Le Canada n’était littéralement pas présent là où le nouveau Traité sur l’interdiction des armes nucléaires des Nations unies a été rédigé, puisque cela a eu lieu au siège des Nations unies à l’été 2017. Certains soutiennent que nous disposons déjà du Traité international sur la non-prolifération des armes nucléaires et se demandent pourquoi le nouveau Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est nécessaire. Remarquez la différence dans les titres. Le traité actuel parle de « non‑prolifération » alors que le nouveau traité parle d’« interdiction », ce qui représente le changement logique à opérer pour arriver à un monde sans armes nucléaires.

En terminant, chers collègues, nous savons tous que la guerre est en soi une monstruosité et que les armes chimiques et nucléaires la rendent encore plus épouvantable et destructrice. En acceptant les armes chimiques et nucléaires, on accepte l’anéantissement inéluctable de la vie sur Terre. Les armes de destruction massive, qu’elles soient chimiques ou nucléaires, sont toujours injustifiables. En s’enfermant dans le mutisme et en ne s’engageant pas, comment le Canada peut-il être à la hauteur de sa réputation internationale de défenseur des droits de la personne qui militerait pour le contrôle des armements et qui possèderait une expertise en la matière?

Honorables sénateurs, joignez-vous à moi pour appuyer le projet de loi S-2 et pour exhorter le Canada à signer et à ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Ce projet de loi et ce traité sont intimement liés et visent la protection de l’humanité et de notre mère la Terre.

Merci, meegwetch.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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