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La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

3 décembre 2020


Honorables sénateurs, en tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur les territoires du Traité no 1, les territoires traditionnels des peuples anishnabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés et de la patrie de la nation métisse. Je reconnais également que nous sommes réunis ici aujourd’hui sur les territoires non cédés de la nation algonquine anishnabeg.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-213, qui, pour reprendre les paroles de sa marraine, la sénatrice McCallum, est une « mesure législative modeste, mais puissante et opportune ».

Tout simplement, ce projet de loi exigerait que le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres dépose, pour tout projet de loi, un énoncé public qui indique les effets possibles du projet de loi sur les femmes et les filles au Canada, en particulier les femmes et les filles autochtones.

Comme l’a expliqué la sénatrice McCallum, la mention « en particulier les femmes autochtones » vise à combler les lacunes découlant d’une perspective axée sur un seul type de désavantage en facilitant l’inclusion des personnes qui sont désavantagées à plusieurs égards. Le projet de loi intègre les voix de ces personnes, qui sont les mieux placées pour expliquer les lacunes et les considérations propres à leur situation. Il s’agit des femmes des Premières Nations, inscrites ou non, des Métisses et des Inuites.

Aujourd’hui, je tiens à vous faire part de mes réflexions sur l’utilité du projet de loi. Comme sénateurs, une partie de notre travail consiste à faire entendre dans cette enceinte un large éventail de préoccupations et d’opinions. En effet, cela fait partie de notre travail d’employer les mots du mieux que nous pouvons, cependant, aucun sénateur ne s’imagine que ses mots se transformeront miraculeusement en mesures efficaces.

En pratique, nous savons que les lois et les politiques ne sont que des mots, à moins qu’ils soient concrétisés à l’aide du bon déploiement de ressources financières et humaines qui permettent leur mise en œuvre. L’adoption d’un projet de loi n’est pas une fin en soi. Au mieux, il s’agit d’une amorce en vue d’apporter des changements systémiques.

« Mise en œuvre » n’est qu’un terme, mais il englobe des centaines de décisions et de mesures nécessaires pour concrétiser une idée. Voilà pourquoi les détails contenus dans le projet de loi de la sénatrice McCallum sont importants et pourquoi ils pourraient faire la différence entre des mots que l’on prononce et des mesures concrètes que l’on prend. C’est pourquoi le projet de loi est judicieux à ce stade-ci de notre parcours commun en tant que législateurs, qui tentent de déterminer ce qui doit être fait, puis ce qui doit être inscrit dans une loi ou dans ses règlements afin d’obtenir les résultats escomptés.

Des exigences claires sont fixées dans le projet de loi, et la responsabilité de déposer l’analyse d’impact devant la Chambre où le projet de loi a pris naissance au plus tard deux jours de séance après la date de dépôt du projet de loi repose clairement sur la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres. Ainsi, l’analyse d’impact ne peut pas être une considération secondaire et ne peut pas non plus être tenue secrète en la désignant comme un document du Cabinet, à l’instar de ce qui se fait actuellement.

Par ailleurs, le projet de loi exige aussi qu’une analyse comparative selon les sexes soit entreprise par le ministre pour tous les projets de loi d’initiative parlementaire qui sont renvoyés à un comité de leur Chambre du Parlement respective. Comme l’a expliqué la sénatrice McCallum, le renvoi à un comité indique que le projet de loi progresse bien dans le système parlementaire. Le ministre doit déposer une analyse d’un projet de loi d’initiative parlementaire à la Chambre où le projet de loi a pris naissance au plus tard 10 jours de séance après la date du renvoi du projet de loi au comité.

En outre, dans l’éventualité où des amendements seraient apportés au projet de loi, le ministre doit déposer un énoncé supplémentaire sur l’analyse d’impact de ces amendements et est tenu de publier chaque énoncé sur le site Web de son ministère, afin que les gens qui paient pour tout ce que font les législateurs, les Canadiens, aient accès à ces renseignements.

Passons à une autre question au sujet du projet de loi. Au Sénat, nous avons entendu des inquiétudes réfléchies au sujet des nouvelles responsabilités qu’il engendre pour le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres. On se demande si celles-ci sont nécessaires ou si elles sont redondantes, compte tenu du fait que le paragraphe 4.2(1) de la Loi sur le ministère de la Justice exige déjà que le ministre vérifie si une des dispositions d’un projet de loi est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et fasse rapport de toute incompatibilité à la Chambre des communes dans les meilleurs délais.

Honorables collègues, depuis plus de 35 ans, j’ai l’honneur de porter cette petite épinglette en forme de flocon de neige qui indique mon appartenance à l’Ordre du Canada en raison de ma participation au vaste mouvement social qui s’est produit au pays et qui a mené à l’établissement et au renforcement des droits à l’égalité garantis par la Charte et inscrits dans la Constitution. Je souhaite faire part de mes observations sur les raisons pour lesquelles les modifications à la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres qui sont proposées dans le projet de loi S-213 sont en réalité tout à fait compatibles avec les exigences de la Loi sur le ministère de la Justice. En tant que cofondatrice du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, je vous rappelle que, depuis plus de 30 ans, cet organisme est intervenu plus souvent que n’importe quel autre organisme au Canada pour défendre le droit à l’égalité des femmes devant les tribunaux. La dure réalité, c’est que, malgré les protections garanties par la Charte qui ont été durement gagnées il y a des dizaines d’années, les causes portant sur le droit à l’égalité des femmes ont été plus souvent perdues que gagnées.

Je vous rappelle également que, même si l’article 25, qui porte sur les droits des Autochtones, est inscrit dans la partie de la Constitution qui comprend la Charte, les décisions des tribunaux portant sur les droits des Autochtones et des femmes autochtones s’appuient plutôt sur l’article 35, qui ne fait pas partie de la Charte, et notamment sur le paragraphe 35(4), qui mentionne plus précisément les droits des femmes autochtones.

Les énoncés concernant la Charte, comme l’exige la Loi sur le ministère de la Justice, sont une bonne chose — comprenez-moi bien —, mais ils se concentrent sur les droits garantis par la Charte. Malheureusement, je dois dire que la Charte n’a pas servi à défendre les femmes et les filles, notamment les femmes et les filles autochtones, autant que ceux d’entre nous qui ont contribué à la rédaction de l’article 28 — l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes qui devait renforcer l’article 15 sur les droits à l’égalité — le pensaient sincèrement alors que nous étions plongés dans cet exercice constitutionnel.

En revanche, une étude d’impact aux termes du projet de loi S-213, qu’il intègre une analyse au regard de la Charte ou non, exige que le ministre directement responsable des femmes et de l’égalité des genres au Canada se concentre sur les effets attendus de la mesure législative proposée sur la vie des femmes et des filles, en particulier des femmes et des filles autochtones, et qu’il en fasse rapport publiquement. C’est le genre de précision qui est nécessaire pour garantir que les femmes et les filles ne sont pas oubliées dans l’analyse générale de la mesure législative, ce que représente un énoncé concernant la Charte qui est exigé par la Loi sur le ministère de la Justice.

Chers collègues, le projet de loi S-213 n’est pas redondant. C’est une amélioration essentielle à la méthodologie nécessaire à une mise en œuvre efficace et concrète qui va au-delà des mots.

J’aimerais maintenant parler d’une autre question soulevée à propos de ce projet de loi, soit le fait qu’il ne définit pas précisément quel outil analytique doit être utilisé dans la préparation du rapport que la ministre sera tenue de produire. À mon avis, le projet de loi établit le juste équilibre nécessaire à sa mise en œuvre entre donner carte blanche aux fonctionnaires et fournir un cadre suffisamment détaillé pour guider la ministre et les fonctionnaires du ministère dans la production de renseignements utiles et pertinents.

Voilà peut-être une autre leçon que nous avons apprise dans cette pandémie de COVID-19 : nous sommes en mesure de travailler en personne et par téléconférence au Sénat parce que nous avons eu la flexibilité et la volonté d’appliquer les outils que les experts ont pu nous donner pour travailler. Lorsqu’une loi est trop détaillée et inflexible, cela mène à de longues journées frustrantes ou à l’abandon complet de tâches. Voilà pourquoi, chers collègues, il est important de laisser les experts du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres déterminer les meilleurs outils pour procéder à une analyse appropriée de l’incidence des projets de loi. C’est leur travail d’analyser nos projets de loi au moyen des outils d’analyse de l’incidence les plus récents et les meilleurs. Nous ne voulons pas imposer aux experts des outils précis qui deviendront inutiles, érigeant par le fait même un obstacle supplémentaire à l’égalité des genres au Canada.

Je vous exhorte à réfléchir aux milliers de Canadiennes qui tentent d’atteindre leurs objectifs personnels et professionnels et qui, en dépit de nos garanties constitutionnelles d’égalité, gagnent toujours moins que les hommes et se heurtent à plus d’obstacles que bien des hommes au Canada. Pensez à toutes les façons dont nous pouvons tenir compte de leur bien-être et du bien-être de leur famille en mettant en œuvre le projet de loi S-213. Nous honorerons ainsi notre promesse aux Canadiennes tout en faisant un effort véritable pour nous réconcilier avec les femmes autochtones.

Grâce à ce projet de loi, nous lutterons contre la discrimination, le racisme et les facteurs d’oppression qui nuisent aux femmes et aux filles canadiennes, ce qui, par extension, nuit à l’économie canadienne, à notre société et à notre démocratie.

Selon les rapports annuels de Statistique Canada pour 2019, près de 80 % des travailleurs de la santé étaient des femmes. Dans les secteurs de l’éducation, du droit et des services sociaux, communautaires et gouvernementaux, on comptait plus de 70 % de femmes. Dans le secteur des affaires, de la finance et de l’administration au Canada, près de 70 % des postes étaient occupés par des femmes. Parmi ceux qu’on considère comme des travailleurs essentiels, bon nombre sont des femmes et, depuis des mois, nous leur rendons hommage par nos paroles ou par des gestes, comme mettre des cœurs dans les fenêtres ou frapper sur des casseroles dans la cour à 18 h. Le projet de loi à l’étude nous donne désormais l’occasion, en tant que législateurs, de faire plus que de leur envoyer des remerciements sur Twitter ou de faire des déclarations au Sénat.

Les femmes sont majoritaires dans des secteurs cruciaux de la productivité au Canada et l’économie du pays ne pourrait pas survivre sans leur contribution. Le tissu social du pays est lié au travail essentiel accompli par les femmes dans les sphères personnelles et publiques. Dans ses explications concernant l’énoncé économique qu’elle a présenté, la première femme à être ministre des Finances au Canada a dit qu’il s’agissait d’un énoncé féministe. Nous avons entendu de nouvelles expressions comme « récession au féminin » plutôt que simplement « récession » ou « reprise au féminin » plutôt que « reprise » tout court. L’utilisation de ces expressions doit nous faire réfléchir et mener à des mesures concrètes concernant le bien-être des femmes lorsque nous élaborons des lois. C’est que, chers collègues, sans les femmes, le tissu social du pays s’effriterait et la démocratie s’écroulerait.

J’aimerais également vous rappeler, en pensant à la perte que sera pour nous le prochain départ du sénateur Sinclair, que le Canada s’est engagé à se réconcilier et à renouveler sa relation avec les peuples autochtones en misant sur la reconnaissance des droits, du respect, de la coopération et du partenariat. Dans de nombreuses communautés autochtones, le leadership était traditionnellement partagé de façon égale entre les hommes et les femmes. Les notions de leadership fondé sur le patriarcat ont été instaurées grâce au travail des missionnaires européens, aux nouvelles formes de relations commerciales, aux institutions occidentales de gouvernance et à l’État. Avant l’arrivée des Européens, de nombreuses femmes autochtones étaient des dirigeantes influentes et respectées de leurs communautés. Même s’il y a aujourd’hui de nombreuses dirigeantes autochtones exceptionnelles, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées montre incontestablement que les femmes et les filles autochtones sont les personnes les plus vulnérables au Canada.

Nous avons été témoins de la précieuse contribution des femmes. Oui, le projet de loi S-213 est une mesure législative modeste, mais forte, et elle arrive à point nommé. J’espère que vous vous joindrez à moi pour l’appuyer.

Merci, meegwetch.

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