Le Sénat
Motion concernant le génocide perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïgours et d’autres musulmans turciques--Débat
28 juin 2021
Honorables sénateurs, je suis reconnaissant d’avoir l’occasion de parler de cette motion, qui est controversée pour diverses raisons et qui a suscité de vives émotions. Contrairement à la Chambre des communes, nous tenons un véritable débat sur cette motion, ce qui, à mon avis, est tout à l’honneur de la Chambre de second examen objectif. Bien entendu, il existe divers points de vue, dont certains peuvent en rendre beaucoup mal à l’aise, mais tâchons d’accueillir la diversité d’opinions plutôt que de chercher à l’éliminer.
La motion comporte deux volets. Le premier concerne le sort des Ouïghours dans la région du Xinjiang, et le deuxième demande le boycottage des Jeux olympiques d’hiver de 2022, qui auront lieu en Chine. Je vais commencer par le deuxième, étant donné que les Jeux olympiques constituent une question relativement simple à savoir jusqu’à quel point nous devons permettre à la politique de s’immiscer dans les épreuves sportives. Pour résumer mon point de vue : le moins possible.
En ce qui concerne la question plus épineuse de la région du Xinjiang, je commencerai par dire que le vote sur la motion reflète peu ce que l’on peut penser du sort des Ouïghours. Bien entendu, certains veulent transformer le vote sur cette motion en test pour savoir à qui ils ont affaire. Je comprends ceux qui se sentent forcés de voter en faveur de la motion pour éviter d’être catalogués.
C’est pour cela qu’il n’est pas facile pour moi de faire ce discours, car il risque de déclencher une tempête de dénonciations spontanées et d’étiquettes peu flatteuses de la part de mes « admirateurs ». Je rejette ce genre de raisonnement réducteur et les insinuations sournoises qui l’accompagnent. Il est malheureux que nous vivions une époque où je dois mentionner cela au début d’un discours au Sénat du Canada, mais j’aimerais pouvoir explorer avec vous ce qui me semble être dans l’intérêt supérieur des Canadiens et du Canada. J’espère qu’on pourra en dire autant des autres Canadiens — en particulier ceux d’origine chinoise — qui partagent mon opinion dans une certaine mesure, mais qui ne jouissent pas des mêmes privilèges et protections que moi. Dans ce pays, on observe une tendance inquiétante où les discussions sur la Chine et sur les relations entre le Canada et la Chine prennent une tournure manichéenne, et où les liens que des Canadiens entretiennent avec la Chine suscitent des malaises, des soupçons ou carrément de l’hostilité.
La motion vise essentiellement à qualifier de génocide les actions perpétrées par la Chine contre les Ouïghours au Xinjiang. Je souligne que nous avons déjà adopté une motion demandant au gouvernement d’imposer des sanctions semblables à la loi de Magnitski à des dirigeants chinois responsables de violations des droits de la personne au Xinjiang et que cette motion n’inclut pas l’étiquette de génocide. Vous connaissez déjà mon opinion sur les motions demandant l’application de sanctions semblables à la loi de Magnitski. Cela dit, étant donné que le Sénat désire montrer qu’il faut « agir », une motion défendant une telle approche a déjà été adoptée. La motion actuelle n’ajoute aucune mesure concrète à prendre au sujet de la situation des Ouïghours en Chine; il ne s’agit que d’appliquer un qualificatif en particulier.
Chers collègues, nous avons entendu divers comptes rendus sur ce qui se passe au Xinjiang, la plupart provenant de sources américaines et australiennes. Toutefois, le meilleur ensemble de renseignements sur le Xinjiang vient du Canada, plus précisément de l’Université de la Colombie-Britannique, dans le cadre du projet de documentation sur le Xinjiang. Il est extrêmement important que nous ayons tous accès à une base de connaissances aussi exacte et aussi complète que possible, en particulier lorsqu’il s’agit de se faire une opinion sur des choses qui se passent loin du Canada. Si vous vous intéressez à la question des détentions extrajudiciaires des Ouïghours, des Kazakhs et d’autres groupes ethniques au Xinjiang, le portail de l’Université de la Colombie-Britannique est un excellent point de départ. Le lien URL se trouvera dans le texte de mon discours qui sera bientôt publié sur mon site Web du Sénat.
L’équipe de l’Université de la Colombie-Britannique ne nous dit pas si la situation correspond à la définition légale d’un génocide, mais je crois qu’aucune façon d’expliquer ce qui se passe au Xinjiang ne pourrait sembler acceptable aux yeux de la plupart des Canadiens. Même si on acceptait l’explication du gouvernement chinois selon laquelle sa façon de traiter les Ouïghours est bénéfique à la communauté ouïghoure, il a pour objectif d’empêcher des activités terroristes, les camps sont fondamentalement des centres de formation professionnelle et la démolition de mosquées est le résultat du développement et de la modernisation des infrastructures, je crois pouvoir dire sans me tromper que la plupart des Canadiens seraient tout de même horrifiés. Je comprends donc qu’il puisse sembler impossible aux parlementaires de l’autre endroit et à de nombreux sénateurs d’envisager de ne pas appuyer cette motion.
Le fait qu’aucune façon d’expliquer ce qui se passe au Xinjiang ne peut sembler acceptable aux yeux des Canadiens montre autant qui nous sommes que ce que la Chine est. Nos libertés individuelles sont inscrites dans la Charte canadienne des droits et libertés, que nous considérons comme sacrée et qui ne permettrait pas au gouvernement fédéral de procéder à l’arrestation massive de personnes soupçonnées de terrorisme, de forcer des communautés entières à fréquenter des écoles parce qu’il estime que c’est avantageux pour elles, de stériliser des femmes pour qu’elles et la société n’aient pas à assumer le fardeau d’enfants supposément « inférieurs », ou de déménager des villages entiers pour leur offrir tout le confort moderne. Or, nous avons fait toutes ces choses pendant notre brève histoire nationale, plus particulièrement aux Autochtones, mais aussi à des nouveaux immigrants et à des groupes minoritaires jugés indésirables, indignes de confiance ou tout simplement « insuffisamment canadiens ».
Ce n’est pas parce que la Chine n’a pas la même perception que nous des libertés individuelles ou que notre interprétation des libertés, qui se fonde sur la Charte canadienne diffère de la sienne que nous pouvons la sermonner sur la façon dont elle doit se gouverner. À mon avis, de nombreux ressortissants de Chine, ou d’ailleurs, seraient atterrés d’apprendre que c’est au titre de la Charte canadienne que des personnes handicapées souffrant d’un problème de santé irrémédiable et dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible peuvent être admissibles à l’aide médicale à mourir, pour ne donner qu’un exemple d’exceptionnalisme canadien.
Si le but de cette motion est de nous rappeler que la République populaire de Chine est un État autoritaire et intolérant, vous vous fourvoyez : la République populaire de Chine est un État autoritaire et intolérant depuis sa fondation, il y a plus de 70 ans. Sans minimiser aucun des actes répressifs, peut-être même génocidaires, commis contre les Ouïghours ces dernières années, les accusations portées contre le gouvernement chinois — les déplacements forcés, la démolition des maisons et des modes de vie traditionnels, le contrôle coercitif des naissances, la rééducation obligatoire, la suppression des droits individuels — sont aussi anciennes que la République populaire de Chine elle-même. Pourquoi pensez-vous que le gouvernement chinois a récemment annoncé une politique visant à encourager les familles à avoir trois enfants? Parce qu’ils essaient d’inverser la politique désastreuse et souvent brutale de l’enfant unique imposée pendant des décennies à toute la population, en particulier aux Chinois hans.
Peut-être que la motivation derrière cette motion et d’autres motions du genre est de montrer que la République populaire de Chine est un État intolérant et autoritaire et que, après 70 années, il serait temps d’agir. Évidemment, tout cela est lié à la confrontation géopolitique entre les États-Unis et la Chine qui définira au moins la première moitié du présent siècle et qui représente une grave menace pour la planète. La compétition ne concerne pas que l’accès aux marchés et la suprématie militaire et technologique. Il semble bien qu’il s’agisse d’une compétition entre ce que certains considèrent comme des formes légitimes et illégitimes de système de gouvernement, et la Chine fait clairement partie des formes illégitimes. Cette idée revient dans bien des débats au sujet des relations sino-canadiennes, soit qu’il faut entretenir des relations avec les « bons » citoyens chinois, mais pas avec le « méchant » État chinois.
L’argument selon lequel le gouvernement chinois est illégitime part généralement du principe que ce n’est pas une démocratie. Vous pourriez alors être surpris d’apprendre que, dans un sondage récent sur la démocratie dans le monde, 70 % des Chinois qui ont été sondés estiment que leur pays est démocratique, contre 65 % au Canada, 60 % en Inde et seulement 50 % aux États-Unis. À une autre question sur le niveau de démocratie, les sondés chinois ont exprimé être plus satisfaits du statu quo dans leur pays que les sondés canadiens ou américains.
Maintenant, si vous avez des doutes sur la source de ce sondage, je peux vous dire qu’il vient d’un organisme s’appelant Alliance of Democracies, qui s’est donné pour mission de promouvoir la démocratie et les marchés libres, et qui est dirigé par l’ancien premier ministre danois et secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen.
Vous vous demandez comment c’est possible alors que la Chine n’organise même pas d’élections pour son gouvernement. Comme les théoriciens politiques nous le rappellent, il existe deux types de légitimité étatique. Il y a la légitimité du système et la légitimité des résultats. En Occident, nous avons tendance à mettre davantage l’accent sur la légitimité du système. Celle-ci porte essentiellement sur la méthode de sélection de nos représentants, ce qui explique pourquoi nous accordons autant d’importance aux élections libres et équitables. Cependant, en pratique, les citoyens confèrent également une légitimité aux gouvernements en fonction des résultats produits par leur gouvernement.
Comme la plupart d’entre vous, j’ai été élevé dans l’orthodoxie voulant que la démocratie du système par l’intermédiaire d’élections libres et équitables offre le meilleur rendement à long terme, car les citoyens peuvent toujours élire un nouveau gouvernement pour remplacer celui qui n’a pas donné un bon rendement et essayer ainsi d’améliorer les résultats en changeant les personnes qui gouvernent. Nous apprenons toutefois à la dure que les élections démocratiques et les changements de gouvernement sur plusieurs décennies n’ont pas toujours produit de meilleurs résultats pour les citoyens dans de nombreuses économies industrialisées. De toute évidence, il y a eu une croissance économique, mais les inégalités de revenus et de richesses ont augmenté, les revenus médians ont stagné et les tensions sociales ont augmenté. C’est la source de ce qu’on considère maintenant comme le problème d’un déficit démocratique dans certaines économies industrialisées occidentales et la montée des dirigeants populistes aux instincts peu libéraux qui bénéficient néanmoins d’un grand soutien au cours des élections démocratiques.
Comprenez-moi bien : je préfère de beaucoup les vicissitudes résultant des choix démocratiques aux certitudes que sécrètent les régimes autoritaires, mais nous ne pouvons prétendre que le pouvoir d’un État ne peut reposer sur autre chose que la légitimité démocratique. Nous ne pouvons pas nier que l’État chinois revendique sa propre forme de légitimité, même si nous ne l’aimons pas.
Quel lien les théories politiques ont-elles avec la motion actuelle? La prémisse de la motion est que nous sommes investis du privilège de critiquer un État intolérant et autoritaire comme la Chine parce que son gouvernement est illégitime. Or, songez un peu aux violations flagrantes des droits de la personne commises par des États qui revendiquent ostensiblement leur libéralisme et leur caractère démocratique. Songez à l’absence de motions les critiquant, et vous verrez ce que je veux dire.
Vous me répondrez peut-être que vous êtes d’accord avec moi et que nous devrions adopter des motions critiquant tous les États responsables de violations des droits de la personne, quel que soit le type de régime. Cependant, chers collègues, permettez-moi de vous demander alors si c’est le rôle du Sénat du Canada de devenir une sorte de tribunal qui juge le reste du monde avec des motions de deux ou trois paragraphes qui ne pourront jamais rendre compte de la complexité d’une situation donnée.
Il y a une raison qui explique pourquoi le Parlement a toujours laissé les questions relatives aux affaires étrangères à la prérogative royale qu’exerce l’organe exécutif. La gestion des relations avec les autres pays, surtout les grandes puissances, est extrêmement complexe, et elle ne se prête pas aux déclarations ponctuelles fondées sur le désir de passer à l’action sans assumer la responsabilité de la gestion. Or, il semble que le Sénat soit de plus en plus enclin à militer pour les enjeux touchant la politique étrangère, comme en font foi les dizaines de projets de loi et de motions qui dictent au gouvernement quoi faire par rapport à des enjeux toujours minimes dans le contexte global des relations bilatérales ou multilatérales.
Ce n’est pas seulement lié au fait que ces mesures sont presque toujours gratuites; il faut aussi tenir compte du fait qu’elles peuvent nuire aux intérêts du Canada en raison de la distraction causée par la motion ou l’action. De plus, nos homologues étrangers risquent d’utiliser ces distractions à notre désavantage, parfois de manière cynique, pour mettre à profit leurs propres positions pour négocier.
À cet égard, je suis d’accord avec le sénateur Harder. Cette motion et d’autres motions semblables ne contribuent pas à régler certains des problèmes les plus pressants dans la relation du Canada avec la Chine à l’heure actuelle, surtout pour ce qui est des efforts pour faire libérer Michael Spavor et Michael Kovrig, qui croupissent dans une prison chinoise depuis trop longtemps.
Est-ce que cela signifie que nous ne devrions rien dire à propos de la condition des Ouïghours? Non. Nous devons trouver des solutions pour dialoguer avec les Chinois concernant la situation au Xinjiang. Toutefois, je ne crois pas qu’une motion du Sénat visant à qualifier des actions soit la bonne manière de faire les choses.
Permettez-moi de vous raconter comment j’ai abordé la question avec certains interlocuteurs. J’ai eu une telle interaction très récemment. Voici ce que je dis à nos amis chinois : « Nous entendons des nouvelles très troublantes sur la situation des Ouïghours au Xinjiang, soit que leurs droits religieux et culturels sont réprimés, qu’ils sont envoyés dans des centres de formation contre leur gré, que leurs dirigeants font l’objet d’intimidation et d’abus et que leur existence en tant que peuple est menacée. Nous comprenons que vos gestes sont motivés par la lutte contre le terrorisme, le désir de fournir des compétences professionnelles aux minorités, la nécessité de moderniser les infrastructures et d’améliorer le niveau de vie, et le souhait d’avoir une plus grande cohésion nationale. Nous comprenons parce que le Canada a avancé les mêmes arguments pour justifier le traitement qu’il a réservé aux peuples autochtones du pays et aux groupes minoritaires qui sont arrivés ici en tant qu’immigrants. Pendant plus de 140 ans, nous avons eu un système de pensionnats pour les enfants autochtones qui cherchait à assimiler les peuples autochtones dans la société dominante, apparemment pour leur propre bien, mais cela n’a pas fonctionné. »
« Qui plus est, nous en sommes venus à comprendre que la politique d’assimilation des peuples autochtones était non seulement inefficace, mais qu’elle était aussi moralement répréhensible. Les séquelles des pensionnats autochtones sont un traumatisme individuel et communautaire qui prendra des générations à guérir. »
« Nous avons formé la Commission de vérité et réconciliation en 2008 pour tenter de mieux comprendre les erreurs du passé et les façons d’y remédier. Les conclusions de la commission ont été publiées en 2015, et nous avons commencé à donner suite à ses recommandations. »
Voici ce que je dis à mes amis chinois : « Beaucoup de Canadiens ne peuvent pas entendre les nouvelles à propos des Ouïghours, même la version que propose le gouvernement chinois de ce qui se passe au Xinjiang, sans penser aux conséquences désastreuses de notre programme expérimental de pensionnats pour les enfants autochtones. »
Lorsque nous comparons ces situations en tant que Canadiens, nous disons en fait à nos amis chinois que nous ne voudrions pas qu’ils commettent les mêmes erreurs que nous. Ce n’est pas parce que nous nous sentons moralement supérieurs, ni parce que nous connaissons la solution aux problèmes qu’ils tentent de régler, ni parce que nous cherchons à mettre la Chine dans l’embarras. Nous sommes motivés par la douleur que nous ressentons devant ce qui s’est passé dans notre propre pays, et nous savons que nous pouvons apprendre les uns des autres et éviter de refaire les mêmes erreurs.
Chaque pays évolue dans un contexte historique, culturel et politique qui lui est propre, mais nous croyons qu’il existe des valeurs universelles qu’il faut respecter et des leçons que différents États peuvent mettre en commun. En ce qui concerne la façon de traiter les peuples autochtones et les minorités, la répression et l’assimilation forcée ne peuvent que créer des problèmes durables pour l’ensemble de la société.
Les Canadiens débattent toujours de ces problèmes à long terme de notre société, et il est impossible de ne pas exprimer nos préoccupations à propos de ce que l’on entend sur la région du Xinjiang. Nous le faisons, parce que nous reconnaissons l’humanité que nous partageons avec les Ouïghours et tous les peuples de la Chine, et parce que nous souhaitons que la Chine réussisse en tant que nation multiethnique.
Honorables sénateurs, voilà comment j’aborde cette question. J’accepte que, pour beaucoup d’entre vous, ce qui arrive aujourd’hui ou ce qui s’est produit il y a des décennies au Canada n’a rien à voir avec la question à savoir s’il faut qualifier de génocide le traitement que subissent les Ouïghours dans la région du Xinjiang. Je respecte ce point de vue, mais j’espère que vous prendrez en considération qu’une motion qui appose une étiquette, comme celle-ci, ne constitue pas la seule façon de répondre aux préoccupations légitimes et sincères des Canadiens à propos des nouvelles émanant de la Chine occidentale.
Le simple fait qu’il existe une autre solution devrait vous inciter à voter contre cette motion. Si vous votez contre cette motion, ce n’est pas que vous faites fi des droits de la personne dans la région du Xinjiang, mais parce que vous souhaitez faire quelque chose à cet égard.
Merci.
J’aimerais exercer mon droit de réplique définitive sur la motion, s’il n’y a pas de questions.
Il y a encore des sénateurs qui souhaitent participer au débat.
Honorables sénateurs, j’interviens pour parler de la motion no 79.
J’apprécie les discours qui ont été prononcés sur cette motion à leur juste valeur. Je ne remets pas en question les inquiétudes qui motivent sa présentation, mais par mon intervention, ce soir, je souhaite exprimer mon opposition à cette motion.
Il est évident que le monde s’inquiète énormément de la situation dans laquelle se trouvent les Ouïghours et les musulmans d’origine turque dans la province du Xinjiang, en Chine. Ce que l’on nous a rapporté, que ce soit les témoignages de personnes ou, bien sûr, en particulier, le dernier rapport d’Amnistie internationale, est très préoccupant. Cela dit, des conseils internationaux et des gouvernements débattent actuellement du bien-fondé de l’utilisation du mot génocide, aux termes de la Convention de 1948 sur le génocide, pour décrire la situation.
Comme beaucoup d’entre vous, je m’intéresse beaucoup aux droits de l’homme. Dans ma vie antérieure, j’ai souvent participé au développement d’instruments internationaux dans la sphère multilatérale et tenté d’exercer des pressions dans ce domaine.
Honorables collègues, la semaine dernière, vous avez sans doute appris les nouvelles concernant la Commission des droits de l’homme des Nations unies, à Genève. Le Canada s’est joint à ses amis et alliés pour réclamer que les Nations unies mènent une enquête exhaustive sur le terrain au sujet des violations des droits de la personne dans la province du Xinjiang. La Chine et ses alliés — des parangons des droits de la personne comme la Russie, l’Iran, la République démocratique populaire de Corée et la Syrie — ont réclamé la tenue d’une enquête sur le traitement que le Canada réserve aux peuples autochtones. Les deux situations ne sont évidemment pas comparables. Malgré son histoire tumultueuse, le Canada a tenu des commissions d’enquête, a présenté des excuses, a mis sur pied la Commission de vérité et réconciliation et a amorcé une période de réflexion et d’enquête qui se poursuivra.
Le premier ministre actuel et le précédent se sont penchés sur cette question. L’ancien premier ministre Harper a présenté des excuses au sujet des pensionnats autochtones en juin 2008, et les ambassadeurs du Canada aux Nations unies, soit Bob Rae, à New York, et Leslie Norton, à Genève, ont également traité de ce dossier.
En 2017, le discours du premier ministre Trudeau à l’Assemblée générale des Nations unies a porté uniquement sur la réconciliation. Le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, James Anaya, a produit un rapport en 2014. Je ne peux pas parler de la discussion qu’il y a eu au Cabinet à l’époque, mais j’étais présent. On a pris cela au sérieux.
J’ai déjà pris la parole au sujet des motions portant sur la politique étrangère qui sont présentées au Sénat. De façon générale, elles sont courtes et vont droit au but, comme c’est le cas de la motion actuelle. Elles peuvent demander directement à un gouvernement étranger de prendre des mesures par rapport à une situation en particulier ou de modifier un comportement donné. Elles peuvent viser à enjoindre au gouvernement du Canada d’agir dans un dossier problématique en travaillant directement avec un gouvernement étranger ou en prenant des mesures contre celui-ci, souvent en consultation avec des alliés. C’est ce que fait la motion no 79.
Cela dit, d’abord et avant tout, les motions sur la politique étrangère visent à attirer l’attention. C’est ce que fait cette motion, tout comme le faisait la motion semblable de l’autre endroit le 22 février. Elle a fait beaucoup de bruit dans les médias et les médias sociaux, mais elle n’a pas eu d’incidence tangible.
Je suis convaincu que les mesures en matière de politique étrangère relèvent de la prérogative royale. Les motions sur la politique étrangère ont été remises en question au Sénat au moyen de recours au Règlement. Je me rappelle une motion en 2007 qui demandait à la Chine de lancer des négociations directes avec le dalaï-lama sur l’avenir du Tibet. Le Président de l’époque, Noël Kinsella, avait jugé la motion recevable. Il ne s’est pas passé grand-chose par la suite.
En vertu de la prérogative royale, le pouvoir exécutif, le Cabinet, peut prendre des décisions souveraines en matière de politique étrangère en fonction des meilleurs renseignements et des meilleures analyses provenant du réseau de missions du Canada partout dans le monde, de la fonction publique et des services de renseignement, y compris de nos alliés. Nous n’avons tout simplement pas accès à cette information au Sénat. J’aimerais parfois faire encore partie des gens qui y ont accès.
La motion de l’autre endroit a été adoptée à l’unanimité le 22 février et le ministre des Affaires étrangères s’est abstenu de voter, au nom de l’ensemble du gouvernement. Malgré tout, à mon avis, dans l’intervalle, le gouvernement a accepté la volonté de la Chambre dans ses mesures diplomatiques avec la Chine, autant bilatérales que multilatérales, en particulier en ce qui a trait à la situation de la population ouïghoure au Xinjiang.
J’aimerais parler de quelques motions adoptées par des Parlements étrangers et de la façon dont leur contenu a été élaboré.
Aux Pays-Bas, la motion fait référence au génocide qui cible la minorité ouïghoure en Chine, mais il n’est pas fait mention du gouvernement de la Chine. La motion à l’étude est beaucoup plus précise.
En Belgique, la motion parle d’un risque grave de génocide.
Aux États-Unis, la résolution du Sénat no 131 reconnaît ce que l’administration précédente et l’actuelle administration ont dit au sujet du génocide, plus particulièrement par l’entremise de l’ex-secrétaire d’État Pompeo et de l’actuel secrétaire d’État Blinken, mais, dans sa partie importante, la résolution condamne les atrocités commises à l’endroit des groupes ouïghours et d’origine turque, demande à l’administration de dénoncer ces atrocités, demande qu’on exige du secrétaire général de l’ONU qu’il adopte une position plus proactive, fait référence aux droits de la personne en tant qu’élément à prendre en compte dans toutes les relations bilatérales avec la Chine entretenues par les agences américaines, demande une enquête sur les violations des droits de la personne dans le cadre du système onusien, exige la collecte de preuves et leur transfert à un tribunal compétent et invite tous les partenaires et les alliés des États-Unis à utiliser des stratégies similaires pour la tenue d’une enquête internationale advenant que les autorités chinoises refusent de collaborer pour l’enquête de l’ONU.
La volonté de la Chambre est également évidente dans les efforts du Canada pour collaborer avec des partenaires internationaux et mener la charge au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à Genève, pour demander à la Chine d’autoriser un accès « significatif et sans entrave » pour la tenue d’une enquête sur les rapports prétendument crédibles au sujet des violations à grande échelle des droits de la personne de la minorité musulmane dans la province du Xinjiang, en Chine. Cet accès sans entrave doit être accordé à la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, l’ex-présidente chilienne Michelle Bachelet. De nombreux pays, y compris nos alliés de longue date comme les pays du G7, la Suède, les Pays-Bas, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, appuient cette initiative.
Récemment, lors du sommet à Cornwall, les dirigeants du G7 ont publié un communiqué demandant directement à la Chine de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales au Xinjiang et faisant également référence à la situation à Hong Kong. Les dirigeants ont également approuvé le communiqué de leurs ministres des Affaires étrangères publié le 5 mai, à Londres, qui contenait davantage de précisions sur le travail forcé et la stérilisation forcée, ainsi qu’une demande d’accès sans entrave à la province pour la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
Et, évidemment, c’est là que la convention sur le génocide pourrait intervenir.
La déclaration contre la détention arbitraire, menée par le Canada, a été approuvée, et 63 pays l’ont maintenant signée. Nous devons penser aux deux Michael et aux autres, chers collègues, ainsi qu’aux ressortissants d’autres pays.
La coopération internationale est importante. En juillet 2006, j’ai eu l’honneur d’être le haut fonctionnaire qui a accompagné le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, à sa première rencontre avec l’ancien président George W. Bush dans le bureau ovale à Washington. Au cours de sa rencontre avec le président, à laquelle j’ai assisté, M. Harper a soulevé le cas de Huseyin Celil, un citoyen canadien d’origine ouïghoure qui était incarcéré en Chine. Le premier ministre a demandé l’appui des États-Unis pour sa libération. J’ai ensuite rendu compte de la réunion à mon sous-ministre, qui, soit dit en passant, est notre collègue au Sénat, et nous nous sommes lancés dans une initiative mondiale visant à recueillir le soutien de nos amis pour faire pression en faveur de la libération de M. Celil. Nous avons beaucoup travaillé sur cette question, mais en vain, malgré nos efforts soutenus.
D’après mon expérience plus récente, la question de la Chine a été abordée à chaque sommet du G7 auquel j’ai participé en tant que représentant personnel, que ce soit avec M. Harper ou M. Trudeau.
Les droits de l’homme ont également fait l’objet d’un dialogue entre la Chine et nos six derniers premiers ministres. Cela a été consigné par écrit.
C’est aussi de la diplomatie, chers collègues, et il n’en a pas été autrement il y a deux semaines lors du sommet du G7 au Royaume-Uni, et ce sujet sera également à l’ordre du jour l’année prochaine lorsque les dirigeants se réuniront en Allemagne.
Ce n’est pas une coïncidence si le premier ministre Trudeau a eu une réunion avec le premier ministre australien Scott Morrison. Je suis sûr qu’ils n’ont pas discuté de Vegemite et de sirop d’érable en parlant de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. Ils ont parlé de nos relations respectives et tendues avec la République populaire de Chine.
En passant, le Sénat australien a choisi de ne pas adopter la motion qui mentionnait que le traitement des Ouïghours constituait un crime de génocide.
Lors des réunions du G7, il n’a pas été question de déplacer les Jeux olympiques. Plusieurs pays ont suggéré un boycott diplomatique des Jeux olympiques ou une réduction des commandites, sans faire pression sur le Comité international olympique — qui ne sera pas non plus en mesure de les déplacer — ni pénaliser les athlètes.
Des motions suggérant une intervention diplomatique ont été présentées aux États-Unis et au Royaume-Uni. Seul le Canada a adopté une motion visant à demander au Comité international olympique de déplacer les Jeux olympiques.
À mon avis, c’est plutôt extrême de demander au Comité international olympique de déplacer les Jeux olympiques. D’autres mesures pourraient être prises.
J’aimerais juste faire une brève observation sur la loi de Magnitski. Elle a été soulevée dans le cadre de la dernière motion concernant la sénatrice de Lima aux Philippines. Cela semble être une position par défaut du Sénat. Si nous ne pouvons pas obtenir quelque chose à l’échelle internationale, faisons appel à la loi de Magnitski. Le Canada n’a jamais mis en œuvre de son propre chef les mesures prévues dans la loi de Magnitski. Ce n’est pas mentionné dans la motion. Je le sais. Cependant, je veux simplement souligner que le gouvernement dispose de nombreux outils et qu’une motion mieux formulée aurait pu permettre de demander au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour appuyer les enquêtes et collaborer avec ses alliés pour faire avancer les choses.
De plus, sans la pandémie, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international aurait été en mesure d’étudier toutes les complexités de la relation avec la Chine et l’aurait probablement fait, ce que l’autre endroit semble incapable de faire. Ces complexités comprennent les droits de la personne, la mer de Chine méridionale, Hong Kong, Taïwan, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, qui a traversé plusieurs gouvernements récemment, et le projet La Ceinture et La Route. C’était effectivement l’intention du comité directeur. Cependant, comme tout le monde le sait, nous étions restreints aux affaires du gouvernement et nous avons fait du bon travail sur les aspects internationaux de la pandémie. À mon avis, c’est le bon travail que le Sénat peut entreprendre.
Les complexités d’une relation bilatérale tendue, comme celle entre la Chine et le Canada actuellement, ne peuvent être résumées en quelques paragraphes qui font office de diplomatie parlementaire du mégaphone en copiant une motion de l’autre endroit qui remonte à près de quatre mois et qui n’a eu aucune incidence notable, si ce n’est de susciter la colère du gouvernement chinois, ce que l’adoption de la présente motion fera probablement aussi.
Les dénonciations très publiques que nous faisons ne feront que renforcer l’opinion de la Chine à notre égard : elle nous considère comme des adversaires. Si c’est ce que nous voulons faire, soit. Toutefois, si c’est le peuple chinois qui peut changer le comportement de ce pays et que nous souhaitons l’influencer, je pense que ce n’est pas la bonne façon de procéder.
Ainsi, pourquoi devrions-nous répéter cela maintenant et devenir le seul Parlement bicaméral au monde où les Chambres haute et basse adoptent la même motion, alors que les enjeux sont tellement importants actuellement ainsi qu’à moyen et à long terme pour le Canada? Nous ne pouvons pas oublier les deux Michael et les autres Canadiens incarcérés. Je pense que le point a déjà été soulevé, mais il est peu probable qu’agacer de nouveau la Chine change quoi que ce soit.
En œuvrant de façon déterminée à l’international avec nos amis et nos alliés, nous espérons avoir plus de chance de faire changer la situation évidemment troublante des minorités ouïghoure et musulmane d’origine turque en Chine. C’est ce que nous faisons. Je crois que c’est le genre de travail que le Sénat se doit d’entreprendre.
Chers collègues, un bon diplomate doit soupeser ses mots avec soin, et je crois que la diplomatie parlementaire ou les motions proposées au Sénat doivent avoir cette même caractéristique. La politique étrangère ne saurait être binaire. Elle n’est constituée que de zones grises. Cette motion, à mon avis, ne permettra pas de faire avancer le dossier sensible de la situation en Chine occidentale ni ne contribuera à résoudre ou à alléger la situation déjà tendue et complexe que nous avons actuellement. Pour ces raisons, je n’appuie pas la motion. Merci.
La sénatrice McPhedran a la parole. Avez-vous une question?
Oui, s’il vous plaît, si nous avons le temps.
Oui, il reste un peu plus d’une minute.
Sénateur Boehm, je me demande si vous pourriez nous expliquer brièvement ce que les sénateurs pourraient faire en dehors de cette motion.
Je vous remercie, sénatrice McPhedran, pour cette bonne question. Je pense que j’y ai répondu en indiquant que nous pourrions étudier la question en comité, ce serait plus approprié. Nous pourrions consulter des témoins et des spécialistes, notamment nos ambassadeurs, et avoir des échanges assez riches avant de renvoyer la question au Sénat. Merci.
Honorables sénatrices et sénateurs, je prends brièvement la parole sur la motion no 79. Tout d’abord, je remercie le sénateur Housakos et la sénatrice McPhedran d’avoir attiré l’attention du Sénat sur des actes troublants commis par le gouvernement de la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours. Le texte de la motion proposée reprend celui de la motion qui a été adoptée par les députés de la Chambre des Communes le 22 février 2021, sans la participation des membres du Cabinet et des secrétaires parlementaires.
Il reste que, depuis le moment où cette motion a été adoptée, certains événements importants se sont produits. Tout d’abord, l’administration Biden a nuancé sa position. De plus, le gouvernement du Canada a réagi à la motion et a tout récemment adopté certaines positions, notamment en mettant de l’avant, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, une déclaration commune appuyée par 43 autres pays, dont les États-Unis, où l’on peut lire ce qui suit :
Nous sommes gravement préoccupés par la situation des droits de la personne dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang. Des rapports crédibles indiquent que plus d’un million de personnes ont été arbitrairement détenues dans le Xinjiang et qu’il existe une surveillance généralisée ciblant de manière disproportionnée les Ouïghours et les membres d’autres minorités, ainsi que des restrictions aux libertés fondamentales et à la culture ouïgoure. Il existe également des rapports faisant état de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, de stérilisation forcée, de violence sexuelle et fondée sur le genre et de séparation forcée des enfants de leurs parents par les autorités.
Nous...
— on parle ici des 44 pays en question, à l’initiative du Canada —
... demandons instamment à la Chine d’autoriser un accès immédiat, significatif et sans entrave au Xinjiang pour les observateurs indépendants, y compris la Haute-Commissaire, et de mettre en œuvre de toute urgence les 8 recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale relatives au Xinjiang, notamment en mettant fin à la détention arbitraire des Ouïghours et des membres d’autres minorités musulmanes.
Enfin, le Comité international olympique a indiqué qu’il était impossible de déplacer les Jeux olympiques d’hiver de 2022 dans une autre ville à l’extérieur de la Chine.
Le chef de la direction du Comité olympique canadien, David Shoemaker, a déclaré qu’une relocalisation des Jeux olympiques de Pékin en 2022 serait « pratiquement impossible ».
Dans ce nouveau contexte, je crois qu’il serait utile d’amender la motion pour qu’elle reflète la nouvelle réalité telle qu’elle est maintenant traduite par l’action du gouvernement et la position du Comité international olympique.