Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans
Troisième lecture
10 mai 2022
Honorables sénateurs, en tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je suis sur le territoire du Traité no 1, le territoire traditionnel des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés et de la patrie de la nation métisse.
Je souligne que le Parlement du Canada est situé sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe et que de nombreuses personnes d’un peu partout sur l’île de la Tortue se joignent à nous aujourd’hui, qu’elles soient situées sur des terres cédées ou non cédées des peuples autochtones du Canada.
Chers collègues, je prends la parole pour appuyer le projet de loi de la sénatrice McCallum, le projet de loi S-219, et je vous remercie de me donner la parole à ce stade-ci du processus.
Il s’agit d’une étape inspirante sur le chemin long, essentiel et parfois incertain de la réconciliation entre les nations à l’intérieur des frontières du pays. Grâce à ce projet de loi, il y aura plus de place pour le respect, la compréhension et l’apprentissage de la culture et du patrimoine autochtones, en particulier la jupe à rubans, qui est une création des femmes autochtones chérie par la tradition et les cérémonies autochtones.
Aujourd’hui, j’ai l’honneur de porter ma jupe à rubans, un cadeau d’une femme sage de ma connaissance, qui m’a également offert la plume d’aigle que j’ai portée pour la première fois dans cette enceinte, lors de mon assermentation — il s’agit de l’indomptable Leslie Spillett, directrice générale fondatrice de Ka Ni Kanichihk, qui signifie « ceux qui dirigent ».
Il y a quelques jours, nous avons accueilli dans cette enceinte la famille endeuillée de la bien-aimée sénatrice Josée Forest-Niesing. Plus tard dans l’après-midi, nous avons entendu la sœur de Josée raconter comment elle, la mère de Josée et des amis ont terminé la jupe à rubans que Josée avait commencée.
La sénatrice Forest-Niesing nous avait dit être inspirée par ce projet de loi, façonné, dans les mots de la sénatrice McCallum, « pour transformer un incident malheureux en vecteur de changement grâce à la compréhension et à la sensibilisation. ».
Nous connaissons tous l’histoire d’Isabella Kulak, une élève autochtone de 10 ans qui avait si hâte de porter sa jupe à rubans, un cadeau de sa tante, à la « journée de tenues habillées » de son école, et qui a finalement été humiliée; on lui a dit qu’elle aurait dû porter une tenue achetée en magasin comme les autres élèves.
Le mépris envers la jupe à rubans d’Isabella peut sembler inoffensif ou peu important quand on le compare aux formes violentes de racisme et d’oppression souvent infligées aux peuples autochtones, mais il illustre la discrimination et les préjugés insidieux que les Autochtones — et souvent les femmes et les filles — subissent depuis des générations. La sénatrice McCallum nous a aidés à mieux comprendre les répercussions de cet événement sur Isabella, et elle nous a fait connaître la nécessité de sensibiliser, d’écouter respectueusement et de faire des efforts plus importants envers une vraie réconciliation.
Permettez-moi d’ajouter quelques observations personnelles.
Agnes Woodward, membre de la Première Nation de Kawacatoose, en Saskatchewan, confectionne de magnifiques jupes à rubans, et sa description de leur objectif ne les rend que plus poignantes et plus puissantes :
La jupe est avant tout une question de représentation, c’est‑à‑dire de la façon dont les femmes autochtones choisissent de se représenter [...] cela est particulièrement important aujourd’hui, car on les a réduites au silence.
Les jupes à rubans sont traditionnellement portées par les femmes et les filles lors de cérémonies autochtones, mais elles peuvent aussi avoir une valeur symbolique, par exemple pour sensibiliser la population à la situation des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées.
Abigail Echo-Hawk, une chercheuse en santé publique, issue de la nation pawnee, a confectionné une robe à rubans à partir de housses mortuaires pour attirer l’attention sur les effets disproportionnés de la COVID dans les collectivités autochtones. Elle y a brodé son mantra personnel, « Je suis la manifestation physique de la résilience de mes ancêtres », pour souligner ses liens avec le passé et l’avenir. Mme Echo-Hawk dit qu’elle coud animée par un sentiment d’amour :
Chaque ruban est une prière. Chaque point est une prière et un message d’amour et de dévouement à ces personnes. Pendant qu’on coud, il ne faut pas puiser dans la colère ni dans l’amertume.
Mme Woodward a fait les manchettes en juin 2021 lors de la cérémonie d’assermentation de la secrétaire à l’Intérieur des États-Unis Deb Haaland, la première personne autochtone à occuper ce poste. Elle a porté une magnifique jupe de Mme Woodward, qui est ornée de tiges de maïs, d’étoiles et de papillons et qui a eu droit à une couverture médiatique.
Honorables sénateurs, une telle situation aurait pu être un exemple typique de dénigrement des aptitudes d’une femme en commentant ce qu’elle portait, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Cette jupe a attiré l’attention, et le message en est devenu un de pouvoir et de valeur.
Mme Woodward a ajouté ce qui suit :
Aujourd’hui, la jupe à rubans me rappelle que j’ai un pouvoir et que j’ai la responsabilité d’enseigner aux futures générations qu’elles ont leur place ici et qu’elles ont le droit de se tailler la place qu’elles désirent [...] L’idée est d’exorciser la honte qui m’a affligée toute ma jeunesse.
La sénatrice McCallum a parlé avec grandes éloquence et sagesse du concept d’« espaces sécuritaires », c’est-à-dire l’idée de créer des lieux sûrs où les personnes, en particulier les jeunes, peuvent grandir, apprendre, poser des questions et analyser des sujets importants d’une manière éducative et favorable.
La Journée nationale de la jupe à rubans est un exemple de ce genre d’espace sécuritaire étant donné que le but est de célébrer l’identité, l’autonomie, la dignité recouvrée et la représentation ainsi que de remettre en question les façons dépassées de voir les choses, de défier les stéréotypes et les préjudices profondément ancrés, de se réconcilier et de retourner à nos valeurs.
Dans un article publié dans Girlhood Studies : An Interdisciplinary Journal, Kari Dawn Wuttunee de la nation crie Red Pheasant et de l’Association des femmes autochtones du Canada, Jennifer Altenberg, enseignante de la langue mitchif en Saskatchewan, et Sarah Flicker, de l’Université York, ont étudié la jupe à rubans en tant que manifestation d’une résurgence culturelle. Elles ont constaté que l’acte de confectionner une jupe à rubans crée un lien intergénérationnel entre les femmes autochtones, mobilisant les jeunes et les moins jeunes afin de reconquérir les enseignements, de résister à la violence coloniale et fondée sur le sexe, et de réimaginer leur avenir collectif. Apprendre sur l’importance historique et culturelle de la jupe à rubans renforce le lien entre les filles ainsi que leur lien avec leur culture et leur communauté. Porter la jupe à rubans est devenu un acte de résistance, de résilience et d’autodétermination incarnées.
Ces constats renvoient directement au concept d’espaces sécuritaires positifs dont les jeunes ont besoin et qu’ils méritent. Il est important que ces espaces ne se limitent pas aux personnes qui s’identifient traditionnellement à la jupe à rubans. Ils peuvent englober toutes les personnes qui cherchent à revaloriser leur identité et leur fierté culturelle au moyen de costumes traditionnels, de coutumes et d’autres traditions.
La jupe à rubans est un symbole poignant de l’effacement du passé, du racisme et des attitudes coloniales. C’est un symbole intersectionnel de la façon dont la race, le sexe et l’égalité ont été pervertis par les moyens coloniaux de discrimination. Elle peut être un catalyseur de changement.
À présent, au Kamsack Comprehensive Institute, l’école où Isabella Kulak a été humiliée pour avoir porté sa jupe à rubans lors d’une journée de tenues habillées, on célèbre maintenant la Journée de la jupe à rubans le 4 janvier. Cette année, plus de 100 élèves et membres du personnel ont porté des jupes, dont beaucoup ont été fabriquées à l’école dans le cadre des tout nouveaux cours de fabrication de jupes, de perlage et de tambours qui ont été introduits pour répondre positivement à l’appel d’Isabella à la réconciliation, à la sensibilisation et à la guérison.
Honorables sénateurs, beaucoup d’entre nous terminent leurs discours par un « merci » en plusieurs langues, y compris meegwetch, mais souvent, la sénatrice McCallum dit — tout comme l’a dit aujourd’hui la sénatrice Pate — chi-meegwetch. Un jour, la sénatrice McCallum m’a expliqué que cela signifie « merci », mais avec un sens supplémentaire qui est à peu près le suivant : merci, avec l’intention de faire avancer les choses dans le bon sens.
La sénatrice McCallum nous a demandé de nous joindre à elle non seulement pour appuyer ce projet de loi, mais aussi pour soutenir la jeune Isabella et l’aider dans ses efforts pour promouvoir l’autonomie, l’identité, la dignité inhérente, l’affirmation positive de son identité culturelle et la réconciliation.
Au nom d’Isabella, et dans l’espoir que cette initiative contribue à bâtir un avenir aussi magnifique que ces jupes à rubans, je me permets de demander, avec votre appui, la mise aux voix de ce projet de loi. Chi-meegwetch.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénatrice McCallum, avec l’appui de l’honorable sénatrice Pate, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)