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Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Adoption de la motion d'adoption de l'amendement des Communes et de renonciation à l'amendement du Sénat

20 juin 2023


L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Propose :

Que, en ce qui concerne le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu, le Sénat :

a)accepte les amendements apportés par la Chambre des communes à son amendement 3;

b)n’insiste pas sur son amendement 2, auquel la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’appui de la version amendée du projet de loi C-22, Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées, et afin de demander respectueusement aux sénateurs d’accepter le message de l’autre endroit. Permettez-moi d’abord de remercier le parrain du projet de loi, le sénateur Cotter, de ses efforts inlassables en vue de piloter ce projet de loi jusqu’au fil d’arrivée.

Chers collègues, le projet de loi C-22 nous a été renvoyé plus tôt cette année après que la Chambre des communes l’ait adopté à l’unanimité. Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a tenu plus d’une dizaine de réunions à son sujet, dont sept pour entendre 44 témoins, et a reçu 48 mémoires de voix importantes au sein de la communauté des personnes handicapées. Ces témoignages et ces mémoires ont suggéré des moyens d’améliorer le projet de loi. Après avoir soigneusement examiné le projet de loi, le comité a adopté six amendements, que le Sénat a renvoyés à l’autre endroit.

Au nom du gouvernement, je tiens à remercier les membres du comité de leur travail important et d’avoir offert aux membres de la communauté des personnes handicapées un forum qui leur a permis de partager leurs histoires et leurs points de vue et de faire part de leur expertise sur la fonction et la conception de la prestation d’invalidité.

En réponse au travail accompli par le Sénat, le gouvernement a accepté les amendements nos 1, 4, 5 et 6 tels quels et il s’est respectueusement opposé à l’amendement no 2.

Le gouvernement est d’accord avec l’amendement 1, présenté par la sénatrice Dasko, car il renforce le libellé du préambule du projet de loi. Les membres du comité ont entendu un certain nombre de témoins parler des obstacles supplémentaires auxquels sont confrontés les femmes, les Canadiens racialisés et les Autochtones handicapés. Le fait de reconnaître ces obstacles dans le préambule renforce l’intention du projet de loi.

Le gouvernement souscrit aussi à l’amendement no 4, qui a été présenté par la sénatrice Lankin. Cet amendement modifie l’article 11 du projet de loi, qui définit les facteurs qui devront être pris en considération lorsque le règlement d’application fixera le montant de la future prestation. À l’origine, l’article 11 disait que le seuil officiel de la pauvreté au sens de l’article 2 de la Loi sur la réduction de la pauvreté devait être pris en compte au moment d’établir le montant de la prestation. Cet amendement renforce le texte en ajoutant un certain nombre de facteurs.

Les voici :

b) [les] coûts supplémentaires associés au fait de vivre avec un handicap;

c) [la] difficulté qu’ont les personnes handicapées à gagner un revenu d’emploi;

d) [les] besoins intersectionnels des personnes et des groupes défavorisés;

e) [les] obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.

Cet amendement permettra d’améliorer le processus de rédaction du règlement d’application, qui se fera conjointement avec les représentants des personnes handicapées, et tient compte des témoignages entendus par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

En outre, le gouvernement accepte également l’amendement no 5 proposé par la sénatrice Petitclerc qui vise à clarifier l’intention première des amendements proposés par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes au moment de l’étude qu’il a menée sur le projet de loi. Cet amendement a pour objectif de permettre au gouverneur en conseil de fixer la date de l’entrée en vigueur au plus tard une année après l’obtention de la sanction royale. Ainsi, l’entrée en vigueur pourrait survenir plus tôt, mais pas plus tard que dans un an. Le gouvernement entend toujours développer la réglementation en collaboration avec les groupes de personnes handicapées et rendre cette prestation disponible le plus rapidement possible.

Enfin, le gouvernement accepte l’amendement 6, car il est d’accord :

[...] avec la proposition du Sénat d’apporter toutes les modifications nécessaires au numérotage, aux dispositions et aux renvois résultant des amendements au projet de loi.

Chers collègues, le gouvernement comprend le but de l’amendement no 2, qui vise à éviter que les compagnies d’assurance privées puissent récupérer des sommes. Toutefois, comme on l’a déjà relevé et comme je l’ai dit au comité, le gouvernement doute toujours de la constitutionnalité de ces dispositions, qui feraient en sorte que le gouvernement fédéral réglemente les activités des compagnies d’assurance, alors que cette compétence relève des provinces et des territoires. Le sénateur Cotter, qui a des connaissances juridiques très étendues, abordera cette question plus en profondeur dans ses observations.

Cela dit, le gouvernement et les divers intervenants ont des réserves et se demandent comment les compagnies d’assurance privées réagiront à la création de la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Ces réserves ne sont d’ailleurs pas sans fondement. La ministre de l’Emploi, du Développement de la main‑d’œuvre et de l’Inclusion des personnes en situation de handicap est tout à fait consciente du risque que des sommes puissent être récupérées indûment. Elle s’est d’ailleurs engagée à vérifier auprès des compagnies d’assurance privées, après l’adoption du projet de loi C-22, que la prestation canadienne pour les personnes handicapées est considérée comme un moyen de réduire la pauvreté et qu’elle s’ajoute aux prestations et mécanismes de soutien déjà existants, y compris l’assurance-invalidité privée.

L’objectif du gouvernement est de collaborer avec le secteur de l’assurance privée et d’autres fournisseurs de prestations et de soutiens existants afin d’atteindre l’objectif principal de la prestation d’invalidité du Canada, qui est de réduire la pauvreté et de soutenir la sécurité financière des Canadiens handicapés en âge de travailler.

Je passe maintenant à l’amendement no 3, proposé par la sénatrice McPhedran, et qui concerne le processus d’appel.

Le gouvernement reconnaît que cet amendement contient d’excellents points et qu’il améliore certainement le projet de loi. Par conséquent, le gouvernement propose maintenant de faire fond sur cet amendement et de l’améliorer. Le projet de loi C-22 confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre un règlement concernant les appels. Si on ajoute maintenant l’amendement no 3, le projet de loi prévoirait explicitement un droit d’appel. Pendant le processus parlementaire, de nombreux intervenants ont clairement souligné la nécessité d’inclure un tel droit.

Cet amendement s’inscrit dans le droit fil de l’intention du gouvernement d’offrir un mécanisme d’appel, mais le libellé de l’amendement du Sénat peut être interprété comme suggérant que le droit d’en appeler des décisions serait immédiat.

Évidemment, cela pourrait être interprété comme suggérant que le règlement n’exigerait pas qu’une personne demande d’abord une révision ou un réexamen avant d’interjeter appel. Par conséquent, le gouvernement propose de clarifier le libellé de l’amendement pour qu’il précise les dispositions d’appel.

Par exemple, l’amendement no 3 prévoit deux motifs d’appel précis, ce qui pourrait soulever des doutes quant à la possibilité que d’autres motifs puissent être admis par la réglementation. Le sous‑amendement du gouvernement à l’amendement no 3 clarifie et renforce le libellé en élargissant les motifs possibles pour faire appel au sens de la réglementation. Essentiellement, l’amendement mis à jour rendrait le mécanisme d’appel de la prestation canadienne pour les personnes handicapées plus conforme à celui de la pension de la Sécurité de la vieillesse et de l’assurance‑emploi.

En résumé, chers collègues, la prestation canadienne pour les personnes handicapées a le potentiel d’apporter une aide précieuse aux personnes handicapées en âge de travailler et à leur famille et de réduire la pauvreté au Canada. Nous pouvons tous convenir qu’aucune personne handicapée ne devrait vivre dans la pauvreté au Canada.

Chers collègues, la communauté des personnes handicapées et ses parties prenantes ont consacré énormément de temps, d’énergie et d’émotion au projet de loi C-22.

Ils ont apporté leur expertise en témoignant devant les comités et ont récemment organisé un rassemblement sur la Colline du Parlement pour que ce projet de loi soit adopté rapidement. Ils comptent sur nous à l’approche de la ligne d’arrivée.

Cependant, il n’y a pas que les Canadiens handicapés qui attendent que nous allions de l’avant avec la prestation aujourd’hui. Ce sont leurs familles, leurs amis et leurs défenseurs — des gens qui comprennent leurs difficultés.

La grande majorité des Canadiens s’accordent pour dire que les personnes handicapées en âge de travailler ont besoin de cette prestation. Nous le savons, car, selon un sondage Angus Reid réalisé en 2021, près de 9 Canadiens sur 10 sont favorables à cette prestation. Notre objectif — et le leur — est d’améliorer la vie des personnes handicapées.

C’est pourquoi, chers collègues, je vous exhorte à appuyer le message de l’autre endroit afin que nous puissions rapprocher ce projet de loi de son adoption et, en fin de compte, de la sanction royale. Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Gold?

Le sénateur Gold [ + ]

Oui, bien sûr.

La sénatrice Pate [ + ]

Merci, sénateur Gold, et merci pour vos commentaires.

La semaine dernière, la ministre a parlé d’un plan de travail fédéral-provincial-territorial détaillé au sujet duquel toutes les administrations sont tombées d’accord et qui servira de base aux négociations officielles relatives à la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Comme vous le savez, en l’absence de l’amendement du Sénat interdisant les récupérations de la part des compagnies d’assurance privées, si le gouvernement tient à respecter son engagement visant à éliminer les récupérations, il devra négocier avec 13 administrations différentes non seulement au sujet des interactions entre la prestation canadienne pour les personnes handicapées et les nombreux programmes gouvernementaux, mais aussi de l’ajout d’interdictions visant les récupérations dans les lois provinciales et territoriales sur les assurances.

Allez-vous nous fournir un plan de travail et un échéancier concernant ces négociations fédérales-provinciales-territoriales sur les récupérations, et nous dire quel rôle les personnes handicapées vont jouer dans ce plan de travail et cet échéancier?

Le sénateur Gold [ + ]

Je vous remercie de votre question. Comme vous l’avez souligné, les négociations avec les provinces et les territoires se font avec la participation de la communauté des personnes handicapées. Comme vous l’avez également mentionné, il faut tenir compte d’un grand nombre d’instances gouvernementales et, bien sûr, d’une communauté importante et diversifiée de personnes handicapées.

Le travail est en cours. La ministre a fait part de la bonne foi dont font preuve les provinces et les territoires. Au fur et à mesure que les discussions progresseront, je suis convaincu que les Canadiens seront mis au courant des avancées.

La sénatrice Pate [ + ]

Beaucoup de personnes handicapées et d’organisations ont communiqué avec nous parce qu’elles craignent que ces négociations ne se terminent pas dans les délais prescrits dans le projet de loi. J’aimerais savoir si vous pouvez nous fournir quelque renseignement que ce soit au sujet de l’échéancier, y compris à propos des négociations avec les compagnies d’assurance.

Le sénateur Gold [ + ]

Je n’ai pas cette information, mais la ministre m’assure que les négociations vont bon train et que les parties négocient sérieusement. Le Sénat peut avoir la certitude que le gouvernement, tout comme ses partenaires des provinces et des territoires, a la ferme intention de conclure ces négociations rapidement afin que cette prestation puisse être enfin versée aux millions de Canadiens qui en ont besoin.

L’honorable Donna Dasko [ + ]

Je parlerai aujourd’hui du message que nous a renvoyé la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-22, qui établit la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Ce projet de loi important vise à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées en âge de travailler en leur versant une prestation de soutien.

J’insiste sur le fait que le projet de loi C-22 est une loi-cadre, ce qui signifie que les détails et les différents éléments de la prestation seront définis dans le règlement d’application, après consultation des personnes handicapées, des provinces et des territoires, une fois que le projet de loi sera adopté.

Les témoins entendus par le Comité des affaires sociales, dont Krista Carr, d’Inclusion Canada, nous ont appris que 40 % des personnes handicapées du Canada vivent dans la pauvreté. Le parrain du projet de loi, le sénateur Cotter, nous a aussi appris que 23 % des personnes handicapées en âge de travailler vivent dans la pauvreté. Si on se rappelle qu’en 2021, 7,4 % de la population canadienne en général vivaient dans la pauvreté, on a tôt fait de saisir l’urgence de la situation.

Ce projet de loi a été lu pour la première fois à l’autre endroit il y a un an, le 2 juin 2022, et il a été renvoyé à un comité le 18 octobre de la même année. Au total, neuf amendements ont été adoptés avant que le texte soit renvoyé ici, en février, et que nous le renvoyions nous-mêmes à un comité, le 22 mars.

Quand le Comité des affaires sociales a reçu le projet de loi, plusieurs grandes organisations représentant les personnes handicapées, ainsi que le gouvernement, l’ont exhorté à n’y apporter aucun changement. Une importante campagne de courriels véhiculant le même message fort accompagnait ces demandes.

Pendant les travaux du comité, il est apparu clairement que le projet de loi comportait, en fait, des lacunes et des omissions. Plusieurs fervents militants se sont manifestés pour demander qu’on corrige ces lacunes et ces omissions au moyen d’amendements. Les membres du comité étaient déchirés : devraient-ils apporter des amendements ou non? Les amendements risquaient-ils de retarder le versement des prestations ou même de mettre en péril l’ensemble du projet de loi?

Chers collègues, on nous exhorte souvent à étudier les projets de loi rapidement, ce n’est un secret pour personne. Mais je dois dire que, dans ce cas précis, la pression exercée pour que nous examinions le projet de loi sans le modifier était particulièrement forte.

Les membres du comité ont finalement présenté des amendements, dont six ont été adoptés par le comité. Ces amendements portent sur des questions essentielles. On y précise que la prestation ne peut pas être récupérée par les compagnies d’assurance. On y garantit un mécanisme d’appel. On y établit que, pour évaluer la prestation, il faut tenir compte de quatre facteurs supplémentaires : les coûts supplémentaires associés au fait de vivre avec un handicap; la difficulté, pour les personnes handicapées, d’avoir un revenu de travail; les besoins intersectionnels; et les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Un amendement ajoute au préambule que les personnes vivant avec un handicap peuvent se heurter à des obstacles supplémentaires en raison de leur genre, de leur statut de personne racisée ou autochtone ou d’autres facteurs intersectionnels. Deux amendements portent sur le calendrier et l’entrée en vigueur.

Comme on le sait, le gouvernement et la Chambre ont adopté cinq de ces six amendements.

Je suis très déçue que l’amendement visant à empêcher les compagnies d’assurance de récupérer des sommes n’ait pas été adopté. Je trouvais que c’était un ajout important, mais cet amendement a été rejeté pour une question de compétences que le sénateur Gold vient d’expliquer. Je ne m’y attarderai donc pas trop.

Je suis très contente que les cinq autres amendements aient été acceptés, y compris le sous-amendement relatif au mécanisme d’appel. Selon moi, c’est une très bonne chose.

Avant de terminer, j’aimerais mentionner deux points qui ont particulièrement retenu mon attention dans le débat sur le projet de loi C-22. Dans son discours à l’étape de la troisième lecture, la sénatrice Seidman a attiré notre attention sur l’article 12 du projet de loi C-22, qui prévoit un examen de la loi — après son premier anniversaire, son troisième anniversaire et chaque cinquième anniversaire subséquent — par un comité du Sénat, de la Chambre ou des deux. La sénatrice Seidman a également attiré notre attention sur un article récent de Charlie Feldman, ancien conseiller parlementaire du Sénat, qui a relevé des dispositions de nombreuses lois fédérales qui exigent un examen par le Parlement. Dans son examen de la période allant de janvier 2001 à juin 2021, M. Feldman a trouvé 51 de ces dispositions de ce type, mais il a aussi découvert que de nombreux examens législatifs n’ont jamais eu lieu et que d’autres sont en retard de plusieurs années. Seulement 17 des 51 examens ont donné lieu à un rapport.

Chers collègues, je sais que nous ne sommes pas à la recherche de travail supplémentaire, mais il me semble que le travail essentiel et nécessaire qu’est l’examen législatif des lois n’est pas accompli, et le Parlement doit faire quelque chose à cet égard.

Un deuxième point a retenu mon attention. Il s’agit du commentaire du sénateur Cotter — également à l’étape de la troisième lecture — selon lequel un processus d’appel pourrait être considéré comme une question de justice naturelle dans une mesure législative comme le projet de loi C-22, que l’appel soit énoncé dans la loi ou non. Il s’agit d’une observation extrêmement intéressante et importante, qui m’amène à m’interroger sur les circonstances et les conditions, au gouvernement ou ailleurs, dans lesquelles des procédures d’appel pourraient être mises à la disposition des plaignants au titre de la justice naturelle. Je suis impatiente d’en savoir plus à ce sujet. Ce sont là des considérations pour un autre jour, mais je remercie mes deux collègues pour leurs interventions.

Par-dessus tout, le débat sur le projet de loi C-22 nous a permis de mieux connaître et comprendre certains enjeux bien réels : les besoins et les préoccupations des personnes qui vivent avec un handicap. Je remercie tous les témoins, tous mes collègues du Sénat et les nombreuses personnes qui m’ont contactée pour me faire part de leur point de vue sur le projet de loi dont nous sommes saisis.

Je pense que nous avons fait un très bon travail sur le projet de loi C-22 et que le Sénat peut être fier de sa contribution. Je vous invite à approuver le message. Merci.

L’honorable Rosemary Moodie [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens dans le débat sur le projet de loi C-22. Je remercie d’ailleurs mes collègues de leurs interventions jusqu’à présent.

Je me permets d’abord de dire que je vais voter en faveur du message parce que je respecte la prérogative du gouvernement et, surtout, parce que les personnes handicapées se disent satisfaites de la forme actuelle du projet de loi.

Je veux prendre quelques secondes pour rappeler l’excellent travail effectué par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, dont je suis membre. Notre présidente, l’honorable sénatrice Omidvar, a mentionné dans son intervention à l’étape du rapport que le comité a entendu 44 témoins et reçu 48 mémoires, 7 suivis et 2 lettres. J’ajouterai qu’une bonne partie de ces témoins sont eux-mêmes des personnes handicapées et qu’ils ont bénéficié des mesures d’adaptation nécessaires pour participer pleinement aux audiences. Bon nombre de ces témoins sont une véritable source d’inspiration; ils ont déployé des trésors d’imagination pour venir ici et se faire entendre. Je tiens à les remercier de leur contribution à notre étude.

Non seulement nous avons étudié ce projet de loi en profondeur, mais bon nombre de membres du comité ont pris sur eux d’en discuter avec des personnes handicapées plusieurs mois avant que le texte nous soit renvoyé, car ils étaient conscients de sa nature historique et de son importance. Nos collègues du comité ont fait une étude attentive et soignée, car ils savent que notre rôle consiste à faire entendre la voix et les priorités des régions tout en exerçant notre bon jugement. C’est ce que nous avons fait.

Nos collègues ont proposé un certain nombre d’amendements, dont certains ont été rejetés, mais dont une bonne part a été acceptée. Ce ne fut pas chose facile. Il fallait du courage pour résister aux fortes pressions internes nous demandant d’adopter le projet de loi tel quel et de renoncer aux amendements que nous estimions justifiés à la lumière des témoignages que nous avions entendus, amendements que le gouvernement a presque tous avalisés. Comme la ministre Qualtrough l’a dit dans le discours qu’elle a prononcé à l’autre endroit le 14 juin, « ces amendements améliorent le projet de loi C-22 dans la mesure où ils le rendent plus clair et plus précis ».

Le projet de loi C-22 va changer la vie de millions de personnes. Sans vouloir faire d’hyperbole, c’est une question de vie ou de mort pour de nombreux Canadiens handicapés. Ce projet de loi constituera un événement historique, non seulement au Canada, mais aussi sur la scène internationale. Notre contribution à sa clarté et à sa précision est absolument essentielle. D’ailleurs, je dirais que c’est exactement la raison d’être de notre institution : veiller à ce que les projets de loi soient clairs et précis pour le bien de tous les Canadiens, y compris et surtout pour ceux qui sont vulnérables et qui ont besoin que nous travaillions en leur nom pour faire entendre leur voix.

Je tiens à féliciter nos collègues du Comité des affaires sociales d’avoir résisté à la pression de ne rien faire et d’avoir fait ce qu’ils savaient être juste malgré la mise en garde maintes fois répétée que cela torpillerait le projet de loi. Chers collègues, dans quelques instants, nous adopterons ce projet de loi pour en faire une loi. Or, ce sera une meilleure loi parce que nous n’avons pas voulu rester les bras croisés et que nous avons choisi de faire notre travail.

Chers collègues, nous avons un rôle privilégié et sacré à jouer dans cette enceinte. Le Sénat a l’obligation et le devoir d’examiner les mesures législatives. L’accomplissement de notre rôle constitutionnel doit toujours être au premier plan. Parfois, cela peut impliquer de diligenter l’examen des projets de loi, mais je pense que, pour l’essentiel, cela signifie que nous devons examiner chaque projet de loi qui nous est soumis avec rigueur et de manière réfléchie, délibérée et minutieuse. Sénateurs, c’est ainsi que nous devons agir, quelles que soient les pressions exercées sur nous pour qu’il en soit autrement.

Le projet de loi C-22 prouve une fois de plus que tous les Canadiens bénéficieront de notre volonté de faire ce qu’on nous demande de faire, soit d’être des législateurs et de jouer notre rôle. Je crois qu’ils l’apprécient à juste titre.

J’aimerais m’adresser aux milliers de Canadiens qui continuent à nous faire part de leurs préoccupations et à nous envoyer des courriels pour nous exhorter à adopter cette mesure législative. Je vous en remercie. J’espère que nous vous avons bien servis. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été déçue par le rejet de l’amendement 2 et je pense qu’il ne devrait pas vous incomber de lutter pour que les récupérations ne se produisent pas. Malheureusement, vous pourriez encore avoir la responsabilité de veiller à ce que vous ayez pleinement accès à une telle prestation aujourd’hui.

Malgré tout, ce que nous avons bien compris, c’est que vous êtes prêts à faire les prochains pas pour que cette prestation ait l’effet escompté. Je joins donc ma voix à la vôtre pour demander au gouvernement de mettre en œuvre ce projet de loi dès qu’il aura reçu la sanction royale et d’entreprendre immédiatement l’élaboration commune de la réglementation. Si des problèmes devaient survenir, ce qui n’est pas impossible, vous constaterez que de nombreux sénateurs vous soutiennent et sont prêts à tout mettre en œuvre pour que la prestation canadienne pour les personnes handicapées porte tous ses fruits.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Chantal Petitclerc [ + ]

Honorables sénateurs, l’essentiel de ce qu’il y avait à dire sur le projet de loi C-22 a déjà été dit, donc je serai brève. Cependant, je souhaitais vraiment prendre la parole aujourd’hui.

Permettez-moi tout d’abord de remercier le sénateur Cotter pour son travail à titre de parrain de ce projet de loi au Sénat, et pour son dévouement envers les personnes handicapées tant au Sénat qu’à l’extérieur du Parlement.

Chers collègues, je me souviens encore aujourd’hui de l’enthousiasme de la communauté des personnes handicapées lorsque, en septembre 2020, la prestation canadienne pour les personnes handicapées a été annoncée dans le discours du Trône. Nous savions alors que celle-ci viserait à réduire la pauvreté, et qu’elle s’inspirerait du Supplément de revenu garanti pour les aînés. Cependant, nous en ignorions le montant et les critères d’admissibilité.

Près de trois ans plus tard, nous ne savons toujours pas qui sera admissible ni combien les personnes admissibles recevront. Cependant, il faut reconnaître que l’enthousiasme et l’espoir constatés en 2020 sont toujours aussi forts et palpables. Ce que j’entends, c’est que la communauté est rassurée par les garanties offertes par les amendements apportés à la Chambre et ici au Sénat.

Permettez-moi de souligner encore une fois le travail exceptionnel de mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui ont jugé que ces amendements, qui ont été acceptés aujourd’hui par la Chambre par l’entremise de cette réponse à notre message, étaient nécessaires.

Je remercie surtout toutes les organisations qui nous ont inspirés et motivés, au moyen de leurs mémoires, témoignages et correspondances, à rendre ce projet de loi meilleur.

Tout compte fait, grâce au travail que nous avons choisi de faire, ce projet de loi a été amélioré et pourra mieux servir.

Grâce au Sénat, le processus d’appel prévoit spécifiquement une procédure portant sur les décisions prises quant à l’admissibilité à la prestation et au montant à recevoir.

Grâce au Sénat, en plus de tenir compte du seuil de pauvreté officiel, la prestation devra considérer plusieurs autres paramètres parmi lesquels se trouvent notamment les coûts supplémentaires associés au fait de vivre avec un handicap et les besoins intersectionnels des personnes et des groupes défavorisés.

Grâce au Sénat, le gouvernement détient désormais les pouvoirs pour prendre les règlements nécessaires pour que les versements puissent commencer dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur du projet de loi.

Il est vrai, cependant, que les craintes de récupération lors de la mise en œuvre de la prestation proposée, en particulier par les assureurs privés, n’ont pas disparu. Le gouvernement a reconnu que ces craintes étaient fondées et a déclaré qu’il était conscient de ce risque. J’essaie d’être rassurée par l’engagement de la ministre de veiller à ce que les préoccupations exprimées lors de l’étude ne se transforment pas en une triste réalité.

Dans un courriel envoyé aux sénateurs du Québec, des organisations québécoises représentant des centaines de milliers de personnes en situation de handicap et leurs familles, parmi lesquelles la Société québécoise de la déficience intellectuelle, la Fédération québécoise de l’autisme et la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec, nous ont transmis le message suivant :

Tous les amendements, sauf un, ont été adoptés, et un amendement a fait l’objet d’un sous-amendement. D’emblée, nous sommes confortables avec la motion de la Chambre. Bien entendu, nous aurions préféré avoir des garanties dans la loi concernant les assurances et le « clawback », mais la motion reste satisfaisante dans l’ensemble.

Des messages venant d’autres organisations nationales, comme la Fondation Rick Hansen, l’Institut national canadien pour les aveugles, Inclusion Canada ou encore le mouvement Le handicap sans pauvreté, vont dans le même sens : il est maintenant temps, après cette étape législative, de passer à la prochaine étape, afin d’améliorer l’insécurité financière dans laquelle vivent des centaines de milliers de Canadiens. Je suis d’accord avec ces organisations.

En guise de conclusion, j’ai été tentée de reprendre l’analogie que ce projet de loi est sur le point de franchir la ligne d’arrivée, mais je me rends compte que ce n’est pas une bonne idée. En réalité, nous ne sommes pas près de la ligne d’arrivée. Le projet de loi C-22 étant une loi-cadre, il serait plus juste de dire que le travail ne fait que commencer.

Parler d’une course à relais serait une meilleure analogie. Nous avons fait de notre mieux, et nous devons passer le flambeau avec confiance non seulement au gouvernement, mais surtout aux personnes qui ont le vécu et l’expertise, c’est-à-dire les organismes à qui l’on a promis une participation active dans l’élaboration des règlements. Ces organismes veulent que leur voix soit entendue, en respectant le principe « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ». Nous pouvons compter sur eux, et je suis convaincu qu’ils vont s’acquitter de ce devoir avec passion, compétence et rigueur.

La vraie ligne d’arrivée sera franchie au moment où les premiers chèques seront expédiés aux bénéficiaires — d’ici 2024, nous l’espérons.

Je vous invite donc, chers collègues, à passer le bâton en acceptant cette réponse, comme nous l’avons reçue de la Chambre des communes. Meegwetch. Merci.

Honorables sénateurs, bonjour, tansi.

En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur les territoires du Traité no 1, les territoires traditionnels des Anishinabes, des Cris, des Ojis-Cris, des Dakotas et des Dénés et de la patrie de la nation métisse.

Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe, non cédé et non restitué.

Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-22, Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées, et je remercie la ministre Qualtrough et le Sénateur Cotter, qui parraine le projet de loi au Sénat, d’avoir fait de leur mieux pour que l’étude du projet de loi se rende jusqu’à l’étape actuelle.

Bon nombre de parlementaires savent à quel point ce projet de loi est essentiel. Il est attendu depuis longtemps et il mérite d’être appuyé afin que nous puissions aider les millions de personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté au Canada.

Nous pouvons être fiers de l’étude rigoureuse et approfondie qui a été menée par les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, ainsi que de la confiance que nous ont accordée nos collègues de cette Chambre en appuyant ces amendements grâce auxquels nous sommes maintenant saisis d’une version améliorée du projet de loi C-22 qui inclut cinq des six amendements que nous avons proposés.

Les amendements retenus comprennent le mécanisme d’appel permettant à un demandeur de contester une décision concernant leur admissibilité à la prestation et le montant auquel il a droit. On a aussi retenu la proposition d’élargir la liste de facteurs à considérer aux fins du calcul de la prestation pour y inclure le seuil de la pauvreté au Canada, les coûts associés aux obstacles systémiques à l’emploi, les besoins intersectionnels des demandeurs et les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne qui concerne les personnes handicapées.

Les derniers amendements acceptés prévoient un calendrier de mise en œuvre accéléré pour les prestations en exigeant que tous les règlements commencent à être appliqués en vertu de la loi et qu’ils soient mis en place dans les 12 mois suivant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Ces changements renforcent cette loi‑cadre en garantissant des mécanismes cruciaux de mise en œuvre plutôt que de les soumettre à l’incertitude de règlements encore à rédiger.

Un amendement a été rejeté. Je doute que le sénateur Gold ait eu l’intention de faire comme si je n’existais pas, mais c’est moi qui l’ai proposé au nom d’experts et d’organisations de défense des droits des personnes handicapées. Proposé pour l’alinéa 9c) du projet de loi, cet amendement aurait protégé les bénéficiaires de la prestation canadienne pour les personnes handicapées en empêchant les compagnies d’assurance privées de déduire le montant de la prestation versée aux termes de la loi des paiements effectués dans le cadre de polices d’assurance-invalidité de longue durée.

Les mesures de récupération des compagnies d’assurance privées n’ont pas été abordées par le comité de l’autre endroit, mais elles ont été étudiées de manière approfondie lorsque le projet de loi C-22 a été examiné par le comité des Affaires sociales du Sénat. L’amendement visant à empêcher les riches compagnies d’assurance de récupérer les prestations des personnes handicapées qui sont pauvres a été appuyé par plus de 40 centres d’aide juridique, leaders communautaires, universitaires et groupes de défense des droits des personnes handicapées. Sur la question de sa constitutionnalité, toutes les associations provinciales de juristes aux tribunaux du Canada ont jugé l’amendement comme étant viable en droit.

Par conséquent, nous sommes saisis d’un projet de loi qui permettrait aux compagnies d’assurance privées de récupérer la nouvelle prestation pour les personnes handicapées qui est financée à même les deniers publics, que la ministre Qualtrough la qualifie de prestation sociale ou non.

De nombreux contrats d’assurance privée disposent clairement que l’assureur peut récupérer n’importe quelle prestation gouvernementale, ce qui revient à subventionner les assureurs privés plutôt que de fournir un soutien financier additionnel aux personnes handicapées, comme c’est l’objet du projet de loi.

Chers collègues, les préoccupations concernant la récupération par les acteurs de l’industrie ne sont ni exagérées ni hypothétiques. Il y a déjà récupération des prestations gouvernementales. Par exemple, les prestations au titre de la Sécurité de la vieillesse sont déjà explicitement déduites des prestations d’invalidité de longue durée que versent de nombreuses compagnies d’assurance, et des déductions similaires sont faites sur les indemnités d’assurance versées aux bénéficiaires de l’allocation de personne à charge au titre du Régime de pensions du Canada, ou RPC.

Par surcroît, les tribunaux se sont rangés du côté des assureurs privés. Par exemple, dans un recours collectif présenté en 2008, le tribunal a confirmé la légalité des déductions prélevées sur les prestations d’invalidité de longue durée étant donné l’absence, dans la police d’assurance et dans la loi, de dispositions interdisant une telle pratique. Par conséquent, les assureurs privés se sont empressés de poursuivre certains prestataires handicapés pour pouvoir effectuer ces déductions.

Je signale que dans une affaire mettant en cause la State Farm Mutual Automobile Insurance Company, la compagnie d’assurance de l’appelant a demandé l’autorisation de déduire l’allocation de personne à charge au titre du RPC, en invoquant la décision rendue dans le recours collectif de 2008. De plus, dans l’affaire Brine c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., l’assureur privé a essayé d’obtenir l’autorisation de déduire les prestations du Régime de pensions du Canada et du régime de pensions de la fonction publique touchées par le titulaire de la police de l’indemnité au titre d’une police d’assurance à long terme.

Je n’ai pas le temps d’énumérer les nombreuses autres affaires où les assureurs privés se sont adressés aux tribunaux pour récupérer des paiements versés dans le cadre des politiques relatives à l’invalidité de longue durée, en se fondant sur la prémisse que le souscripteur bénéficiait de prestations publiques. L’amendement rejeté interdisant la récupération de la nouvelle prestation par les assureurs privés aurait fait ce que les tribunaux ont dit qu’il fallait faire pour protéger les prestataires et garantir que les prestations sont versées aux gens à qui elles sont destinées, plutôt que de servir à subventionner les assureurs privés.

Il faut répondre le plus tôt possible à cette préoccupation. Lorsque la compensation des prestations pour personnes à charge du Régime de pensions du Canada a été contestée en 2008, l’industrie s’est appuyée sur le fait que ses primes avaient été ajustées en supposant que cela pouvait compenser les prestations versées dans le cadre de ce régime. Cependant, elle a soutenu que, sans cette compensation, les primes d’assurance augmenteraient indubitablement. Or, l’industrie ne peut pas compter sur un tel ajustement en ce qui concerne la prestation canadienne pour les personnes handicapées, car on n’a pas encore calculé à combien s’élèveront les primes une fois qu’on aura pris en compte la nouvelle prestation.

Des préoccupations ont été soulevées au Comité des affaires sociales et au Sénat à propos de la constitutionnalité d’une disposition qui cible l’industrie de l’assurance. On a fait valoir que réglementer les contrats d’assurance dépasse la compétence du Parlement fédéral. La réalité, c’est qu’une disposition de la sorte n’est pas sans précédent pour les régimes canadiens de prestations. Depuis 40 ans, la Loi sur l’indemnisation des marins marchands, par exemple, protège les bénéficiaires avec une disposition dont le libellé est à peu près identique à celui de l’amendement rejeté. Cette disposition existe depuis 40 ans, honorables sénateurs, et il n’y a eu aucune contestation judiciaire, que ce soit pour des motifs constitutionnels ou autre.

Un autre précédent pertinent se trouve dans le renvoi de 2020 relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, qui se penchait sur la constitutionnalité d’un régime législatif fédéral visant à réglementer des aspects des contrats d’assurance en empêchant les assureurs privés d’exiger la soumission des résultats d’un test génétique comme condition préalable à l’admissibilité à une assurance-maladie. Dans le cadre de son examen du régime législatif, la cour a déterminé que son objectif général n’était pas expressément de réglementer l’industrie de l’assurance, mais plutôt de prévenir la discrimination génétique dans la fourniture de biens et services. Ainsi, les dispositions sur l’industrie de l’assurance qui étaient en cause ne représentaient qu’une partie d’un régime réglementaire plus vaste et étaient nécessaires pour préserver l’objectif de la loi fédérale. Cela vous rappelle-t-il quelque chose?

Sans les mesures protectrices liées aux assurances, l’objectif du régime sera considérablement compromis, ce qui justifie une incursion mineure dans un dossier qui relève traditionnellement de la compétence des provinces.

Ces exemples concrets montrent la viabilité d’une disposition comme celle que proposait l’amendement rejeté concernant l’interdiction de l’application de déductions par les assureurs privés dans le cadre de la loi sur la prestation pour les personnes handicapées. Il est bien précisé dans le projet de loi que cette prestation est conçue de façon à être une prestation supplémentaire pour les personnes admissibles.

L’objectif d’une mesure législative qui instaure une prestation supplémentaire pour les personnes admissibles est compromis si les assureurs privés peuvent récupérer une somme équivalente au titre de leurs polices, parce que, en pratique, le prestataire se retrouve avec le même montant qu’il recevait avant l’instauration de la prestation. Sans cette protection de nature technique, le projet de loi à l’étude équivaudrait à indemniser les assureurs privés sans que les prestataires ciblés profitent réellement du montant de la prestation.

L’objectif fondamental du projet de loi est de sortir les personnes handicapées de la pauvreté. La promesse de la ministre Qualtrough à cet égard sera rendue risible, alors que les personnes handicapées ont désespérément besoin de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et qu’elles sont en droit de la recevoir. En rejetant l’amendement qui empêcherait les assureurs privés de récupérer le montant de la prestation, le gouvernement Trudeau a pris la décision de priver certaines personnes admissibles du plein montant qui leur avait été promis.

Le temps nous dira combien d’assureurs privés exploiteront cette échappatoire et peut-être que, un jour, le Parlement aura de nouveau l’occasion de rendre justice aux prestataires qui sont pour l’instant laissés à la merci du service juridique d’assureurs privés riches et puissants.

Il ne faut cependant pas se leurrer : le coût réel devra être assumé par les bénéficiaires pauvres et handicapés, qui se retrouveront en difficulté parce que ce gouvernement a choisi de ne pas les protéger. Ils en pâtiront, et ce sont eux qui en assumeront le coût.

La semaine dernière, la sénatrice Pate et moi-même avons reçu une lettre de M. Duncan Young, dont le niveau de vie est déterminé en grande partie par un assureur privé. C’est avec sa permission que je vous fais part de ce qu’il a écrit :

Je ne fais pas partie des nombreux bénévoles altruistes qui défendent les intérêts des personnes handicapées. Je ne suis pas non plus un militant ou un lobbyiste au service d’une personne ou d’un groupe de personnes handicapées. Je ne suis qu’un travailleur canadien ordinaire de 55 ans qui aime son emploi, et qui compte bien pouvoir continuer à l’exercer aussi longtemps qu’il le pourra. Du moins, c’était le cas avant...

Il y a 3 ans, j’ai reçu un diagnostic d’ataxie spinocérébelleuse 3 (SCA3), une maladie neurologique héréditaire extrêmement rare qui provoque l’atrophie du cervelet, et qui annéantit les capacités motrices d’une personne, l’empêchant de marcher, de parler, d’avaler, de contrôler sa vessie, etc.

Il s’agit d’une maladie progressive, il n’existe aucun traitement connu qui en freine la progression, et cette maladie est incurable. Il est à noter que, chez les personnes atteintes, les symptômes apparaissent généralement entre l’âge de 40 et de 55 ans : cela signifie que la plupart des gens, comme moi, profitent d’une vie bien remplie et sont encore dans la fleur de l’âge, lorsque, tout à coup, leur cerveau ne permet plus à leurs jambes de faire les mouvements nécessaires pour courir et attraper l’autobus ou à leurs doigts de rester immobiles assez longtemps pour attacher les petits boutons d’une chemise.

Soyons clairs. Si cet amendement n’est pas inscrit dans la loi telle qu’elle est rédigée actuellement, la création de la prestation ne me donnera pas un sou. Selon le contrat avec mon fournisseur d’assurance-invalidité de longue durée, la totalité de la prestation sera assujettie à la récupération. Bref, les seuls bénéficiaires de la prestation seront les actionnaires d’une compagnie d’assurance cotée en bourse. Pendant ce temps, je continuerai à glisser sous le seuil de pauvreté. Ces deux points ne sont pas des conjectures : ce sont des faits quantitatifs.

Vous savez donc maintenant exactement et de manière incontestable et détaillée ce que l’adoption du projet de loi C-22 sans cet amendement signifiera pour moi et toutes les personnes handicapées qui se trouvent dans une situation semblable à la mienne : rien du tout.

Je suis vraiment désolée pour M. Young, mais à ce stade-ci, nous devons espérer que la ministre Qualtrough et le gouvernement pourront changer cela d’une manière ou d’une autre en s’employant à convaincre les provinces et les territoires d’interdire, dans leur champ de compétence, la récupération de la prestation canadienne pour les personnes handicapées par les assurances privées. La communauté des personnes handicapées ne devrait pas être laissée, encore une fois, à militer toute seule pour obtenir cette interdiction.

Honorables sénateurs, nos savons tous que la prestation pour personnes handicapées se fait attendre depuis trop longtemps, et que des gens en ont désespérément besoin. La communauté des personnes handicapées du Canada milite pour obtenir un soutien du revenu plus robuste et plus fiable depuis bien plus longtemps que le temps qui a été consacré à l’étude du projet de loi par le Parlement.

Je remercie les dirigeants communautaires et les défenseurs des droits des personnes handicapées pour leurs nombreux et précieux commentaires et contributions, tant au comité qu’à d’autres occasions, dans le cadre de l’élaboration du projet de loi. Compte tenu du temps dont je dispose, je ne peux en nommer que quelques‑uns. Je remercie David Lepofsky, Robert Lattanzio, Steven Muller et Hart Schwartz pour leur expertise juridique et pour avoir porté la question des récupérations à notre attention dans le cadre de leur témoignage devant le Comité des affaires sociales. Pour le bien des personnes admissibles qui risquent de ne jamais recevoir un seul dollar de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, j’espère ardemment que ces experts resteront des contributeurs essentiels aux consultations promises par la ministre au sujet de cette loi-cadre.

Adoptons ce projet de loi avant de partir pour l’été. Merci, meegwetch.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Honorables sénateurs, la ministre Qualtrough a qualifié le projet de loi C-22 d’occasion sans précédent de sortir les personnes handicapées de la pauvreté, et elle avait bien raison. Malgré ce pas de géant, le message de l’autre endroit pourrait faire de ce texte une coquille vide pour les Canadiens qui comptent sur une assurance-invalidité à long terme pour vivre.

L’amendement du Sénat qui interdisait aux assureurs de récupérer la prestation canadienne pour les personnes handicapées aurait empêché que les investissements collectifs des Canadiens dans le bien-être des plus marginalisés finissent dans les coffres des compagnies d’assurance. Notre amendement rangeait la population canadienne du côté des personnes handicapées et non des riches sociétés. Le rejet de cet amendement soulève une question : dans l’intérêt de qui le gouvernement agit-il?

Les compagnies d’assurance oseront-elles réclamer l’argent appartenant aux personnes handicapées qui comptent sur leur police pour subvenir à des besoins essentiels comme la nourriture et le logement? La réponse est oui, comme l’ont reconnu la ministre Qualtrough et le parrain du projet de loi au Sénat.

Comme vient de le souligner la sénatrice McPhedran, la quasi‑totalité des polices collectives et une bonne partie des polices individuelles d’assurance-invalidité permettent aux assureurs de déduire de leurs versements les sommes que les assurés reçoivent dans le cadre d’un programme gouvernemental. L’exemple donné par la sénatrice McPhedran, selon lequel les assureurs peuvent déduire les prestations du Régime de pensions du Canada des paiements versés aux personnes handicapées, y compris la portion du Programme de prestations d’invalidité du RPC réservée aux enfants à charge de ces dernières, a sincèrement de quoi nous indigner.

Les défenseurs des droits des personnes handicapées ont travaillé assidûment pour dénoncer la situation. Imaginez à quel point il serait plus facile d’éradiquer la pauvreté chez les enfants si cet argent se rendait jusqu’aux personnes handicapées.

Des Canadiens qui font partie des millions de personnes touchées par les politiques de ce genre ont communiqué avec nous. Un homme de la classe ouvrière nous a écrit pour nous remercier et nous exhorter à persister. Il souffre d’une maladie dégénérative héréditaire qui s’est manifestée assez tard dans sa vie et l’a rendu invalide. Il a été contraint de quitter son emploi. Il a besoin de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et devrait y être admissible, mais il risque de ne pas recevoir un seul cent de plus à cause des dispositions de récupération. Sans l’amendement du Sénat, il est possible que chaque dollar que lui procure la prestation lui soit retiré et aille plutôt dans les poches d’une riche entreprise.

Hier, sa fille a subi des tests pour déterminer si elle a hérité de la même maladie que lui et peut donc s’attendre au même sort.

Certaines personnes pourraient voir leur situation empirer si le processus de demande de prestations est inaccessible. En effet, les compagnies d’assurance peuvent réduire les versements d’assurance quand une personne est admissible à une prestation, même si elle ne la demande pas.

Comment diable pouvons-nous soutenir ce genre d’aubaine pour les compagnies d’assurance? Voulons-nous vraiment augmenter la marge de profit des compagnies tout en laissant des personnes handicapées dans une situation encore pire que celle qu’elles vivaient avant l’adoption du projet de loi C-22, puisqu’elles risqueraient de recevoir des sommes moindres de leur assureur? Le gouvernement n’a certainement pas l’intention d’enrichir les riches compagnies d’assurance aux dépens des personnes handicapées et des contribuables. Pourquoi alors a-t-il rejeté l’amendement du Sénat qui vise à empêcher une telle injustice?

Le gouvernement dit craindre d’empiéter sur les compétences constitutionnelles des provinces et des territoires. Il propose de négocier avec chaque province et territoire pour modifier leurs lois respectives en matière d’assurance, d’attendre que ces modifications législatives soient apportées, puis de négocier individuellement avec un grand nombre de compagnies d’assurance qui ne sont pas visées par les mesures législatives en question. Cela s’ajoute aux négociations déjà importantes prévues avec chaque province et territoire pour empêcher la récupération des prestations des gouvernements provinciaux et territoriaux.

Nous devrions tous nous inquiéter du fait qu’il n’y a pas de façon réaliste d’y parvenir dans les délais serrés pour l’entrée en vigueur de la prestation. De plus, d’innombrables experts ont fourni des preuves convaincantes que l’amendement proposé par le Sénat est bel et bien constitutionnel.

Plutôt que de répéter l’argument que la sénatrice McPhedran a déjà exposé avec compétence, j’ajouterai deux points.

Premièrement, comme la sénatrice McPhedran, j’ai consulté des experts constitutionnels qui m’ont fourni des arguments convaincants en faveur de la constitutionnalité de cet amendement sur la base de la doctrine de la compétence accessoire ou du caractère nécessairement accessoire. Cette doctrine permet qu’une disposition située à l’intérieur d’un régime législatif plus large soit considérée comme valide à deux conditions. La première condition est que ce régime législatif doit relever d’une compétence fédérale valide. Je ne crois pas que quiconque ait remis en question la validité du projet de loi C-22. Il s’agit d’un exercice du pouvoir fédéral de dépenser et peut-être des pouvoirs fédéraux relatifs à la paix, à l’ordre et à la bonne gouvernance. La deuxième condition est que, même si l’interdiction de la récupération par les assureurs privés peut être invalide si elle est considérée isolément, elle peut quand même être valide si elle a un lien nécessaire avec le régime qui l’englobe. Dans le cas présent, sans l’amendement du Sénat, la prestation risque de devenir une subvention du gouvernement aux yeux des compagnies d’assurance privées. Cette position pourrait n’avoir aucune conséquence ou, pire encore, elle pourrait entraîner des conséquences négatives pour bon nombre de personnes handicapées, par exemple la perte de prestations provinciales supplémentaires, comme l’assurance-médicaments et ainsi de suite.

Si cette disposition n’est pas nécessaire au régime prévu par le projet de loi C-22, je ne vois pas ce qui pourrait l’être.

Deuxièmement, comme vous vous en souvenez peut-être, le Sénat a déjà amendé un projet de loi du gouvernement sur l’isolement cellulaire en se fondant sur les témoignages d’experts juridiques qui estimaient que la mesure était anticonstitutionnelle. Ce vote a eu lieu il y a quatre ans aujourd’hui. Le gouvernement a rejeté les amendements du Sénat, et le précédent représentant du gouvernement au Sénat s’est expliqué ainsi dans cette enceinte :

Ni moi ni qui que ce soit ici ne peut substituer ses conclusions à celles des juges qui pourraient être appelés un jour à évaluer la disposition [...]

S’il y a une chose que nous savons, c’est qu’en droit constitutionnel, rien n’est immuable, en particulier dans des cas hypothétiques [...]

[...] l’instance appropriée pour régler les questions de façon définitive est l’appareil judiciaire. Il s’agit d’un environnement unique où chaque litigant a le droit procédural garanti d’établir le bien-fondé de son argumentation devant un décideur impartial au moyen d’un dossier de preuve complet.

Je me demande pourquoi le gouvernement ne suit pas ce conseil cette fois-ci. J’espère que ce n’est pas simplement parce que la question de la constitutionnalité concerne un amendement du Sénat plutôt qu’un projet de loi du gouvernement.

Il existe des arguments raisonnables à l’appui de la constitutionnalité de l’amendement. Sachant que le projet de loi, sans cet amendement, se résume à une promesse creuse pour un nombre important de personnes handicapées, pourquoi le gouvernement n’accepte-t-il pas l’amendement en attendant de voir si les compagnies d’assurance osent en contester la constitutionnalité en cour?

Il y a quatre ans, le gouvernement a déclaré que les tribunaux étaient le forum approprié pour examiner les préoccupations constitutionnelles relatives à sa loi sur l’isolement cellulaire. Depuis, les obstacles auxquels sont confrontées les personnes ayant le moins de capital politique, juridique et économique lorsqu’elles tentent de défendre leurs droits les ont jusqu’à présent empêché faire entendre leurs voix dans les tribunaux de manière significative. Imaginez-vous en train d’essayer de trouver une assistance juridique et de monter un dossier judiciaire complexe depuis une cellule de prison, ou encore lorsque vous êtes dans la rue, lorsque vous souffrez ou lorsque vous essayez de trouver un moyen de vous nourrir et de mettre votre famille à l’abri.

En outre, le gouvernement fédéral pourrait dresser d’autres obstacles aux procédures. Pour ce qui est de la législation sur l’isolement cellulaire, le gouvernement avait des dossiers en instance devant la Cour suprême du Canada, et cela aurait pu donner à la Cour l’occasion de se prononcer sur leur constitutionnalité. Au lieu de cela, le gouvernement a abandonné les appels. Ceux qui cherchent à contester le projet de loi doivent maintenant repartir à zéro, ce qui signifie qu’il faudra passer au travers de plusieurs audiences et appels coûteux, chronophages et épuisants sur le plan personnel, avant de pouvoir espérer soumettre à nouveau cette question à la Cour suprême du Canada.

Avec le projet de loi C-22, le représentant du gouvernement a inversé le scénario, mais le projet de loi favorise également les mieux nantis. Les personnes handicapées marginalisées et démunies se retrouvent ainsi injustement contraintes de saisir les tribunaux pour obtenir l’aide que le gouvernement s’est engagé à leur fournir. Pourquoi exactement le gouvernement choisit-il de nuire — une fois de plus — aux plus défavorisés?

Pour comprendre ce que la décision du gouvernement signifie très concrètement, il suffit de se pencher sur une affaire de droits des personnes handicapées plaidée par Vince Calderhead, un avocat de renommée internationale spécialisé dans les droits de la personne. Lors de son témoignage sur le projet de loi C-22 devant le Comité des affaires sociales, il a décrit une affaire qui a débuté il y a 11 ans. Il a fallu une décennie de contestations judiciaires pour que les juges déterminent que le gouvernement de la Nouvelle‑Écosse avait fait preuve de discrimination à l’égard de ses clients handicapés, dont deux ont souffert de façon irrémédiable et sont décédés, de sorte qu’ils ne bénéficieront jamais de la victoire juridique. Sans l’amendement de récupération du Sénat, combien d’années les personnes handicapées devront-elles attendre avant d’intenter une poursuite similaire? Combien de temps devront-elles endurer la pauvreté? Combien d’entre elles mourront entre-temps?

La question à se poser est la suivante : si quelqu’un doit supporter le fardeau de la contestation du projet de loi gouvernemental, est-ce que ce devrait être une compagnie d’assurance privée disposant de ressources financières et juridiques abondantes, ou est-ce que ce devrait être une personne handicapée, qui est suffisamment appauvrie pour être admissible à la prestation canadienne pour les personnes handicapées, mais qui n’est pas en mesure d’en bénéficier? Il s’agit d’une question urgente qui touche des personnes réelles — des personnes handicapées vivant dans la pauvreté — et non d’un simple dilemme juridique abstrait.

Voulons-nous ouvrir la voie aux compagnies d’assurance pour qu’elles utilisent à leur avantage la prestation canadienne pour les personnes handicapées ou lancer une bouée de sauvetage aux personnes abandonnées à la misère, qui doivent franchir des obstacles insurmontables pour faire valoir leurs droits à l’égalité qui sont garantis par la Charte?

Je ne tiens pas ces propos à la légère. Je suis terriblement consciente de l’urgence de fournir de l’aide aux personnes handicapées aux prises avec la pauvreté. Si l’on fait bien les choses, la prestation canadienne pour les personnes handicapées permettra à ces personnes d’avoir l’essentiel, soit de la nourriture, un toit, des soins et de l’équipement médical. Elle permettra aussi de donner un caractère tangible aux droits de la personne. Je pense surtout à l’article 15, le droit à l’égalité, et l’article 7, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, que le Canada garantit à tous au moyen de la Charte.

La ministre Qualtrough a reconnu que les inégalités actuelles existent parce que nos systèmes, nos lois, nos politiques et nos programmes n’ont pas été conçus pour les personnes handicapées ni en collaboration avec elles. Dans le cadre de nos débats sur l’aide médicale à mourir, nous avons constaté que l’exclusion systémique et la pauvreté sont plus souvent cause de souffrance que le fait d’avoir un handicap. Lorsque l’aide médicale à mourir a été élargie, le gouvernement a promis de faire preuve de vigilance pour veiller à ce que personne ne soit forcé de choisir la mort faute de recevoir le soutien essentiel pour vivre sans souffrance. À ce jour, le gouvernement ne respecte pas sa promesse. Comme l’a récemment souligné Sarah Jama, députée provinciale de l’Ontario, des personnes handicapées de sa collectivité demandent l’aide médicale à mourir parce qu’elles n’ont pas les moyens de se nourrir.

Comme j’ai vécu et travaillé avec des personnes handicapées, je sais à quelle énorme tâche elles sont prêtes à s’atteler pour demander des comptes au gouvernement et à quel point il est injuste de leur refiler encore la responsabilité de lutter pour des droits liés à la Charte que la plupart d’entre nous tiennent pour acquis. Nous sommes nombreux à être extrêmement préoccupés par le fait que certaines des personnes handicapées les plus marginalisées du Canada vont maintenant passer des années à essayer de corriger nos erreurs.

Quelle marque voulons-nous que le Sénat laisse au sujet du projet de loi C-22? Chaque jour, des personnes handicapées communiquent avec nous, nous exhortant à faire preuve de bravoure et à faire ce qui est juste. C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré le juge en chef de la Cour suprême du Canada la semaine dernière à l’occasion d’une cérémonie d’assermentation de nouveaux avocats, dont plusieurs ont déjà travaillé sur ce dossier dans nos bureaux. Le juge en chef Wagner nous a rappelé de faire preuve de bravoure et de courage et de défendre ce qui est juste lorsque les autres ne le font pas. Voilà des propos que l’on peut appliquer dans la vie comme dans les lois, chers collègues.

Chi-meegwetch, merci.

L’honorable Wanda Thomas Bernard [ + ]

Sénatrice Pate, à l’autre endroit, le gouvernement est d’avis que si l’interdiction de la récupération par les compagnies d’assurance, interdiction proposée dans un amendement du Sénat, était incluse dans le projet de loi C-22 et contestée devant les tribunaux, il en résulterait :

[u]ne grande incertitude [...], ce qui pourrait avoir une incidence sur le processus réglementaire ainsi que des répercussions sur le versement des prestations, qui risquerait d’être retardé.

Ce type de contestation judiciaire pourrait créer une incertitude quant au droit des assureurs de récupérer la prestation, mais il est difficile de comprendre pourquoi elle créerait de l’incertitude quant aux points que le gouvernement devrait régler pour élaborer la réglementation et procéder au le versement de la prestation, à savoir, qui y est admissible, quel doit en être le montant et quel processus de demande il faut mettre en place.

Sénatrice Pate, avez-vous des raisons de croire que le versement de la prestation serait retardé s’il y avait une contestation judiciaire de l’amendement concernant les assureurs privés qu’a proposé le Sénat?

La sénatrice Pate [ + ]

Pour autant que je sache — et certainement d’après l’examen des témoignages — aucune compagnie d’assurance n’a indiqué avoir l’intention de récupérer cette prestation. Aucune province n’a indiqué ne pas être disposée à protéger cette prestation.

L’honorable Brent Cotter [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens au sujet du message concernant le projet de loi C-22. Nous sommes sur le point de réaliser quelque chose de très important pour des dizaines de milliers de Canadiens handicapés. Nous en sommes arrivés à ce point-ci grâce au leadership de la ministre Qualtrough, à la détermination des personnes handicapées et des défenseurs de leur cause partout au Canada, ainsi qu’à l’engagement de tous les députés qui siègent à l’autre endroit, des membres du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie et de tous les sénateurs. D’ailleurs, les interventions des sénateurs aujourd’hui le confirment.

Je vous exhorte à accepter le message tel quel, sans modification, pour que ce projet de loi puisse recevoir la sanction royale.

Premièrement, pour mettre les choses en contexte, je parlerai uniquement de la partie du message annonçant le rejet de l’amendement du Sénat qui proposait l’interdiction d’une disposition de récupération dans les contrats d’assurance — amendement que j’appellerai « amendement de non-récupération ». À mon avis, les autres amendements sont judicieux. L’amendement de non-récupération le serait aussi s’il n’enfreignait pas la Constitution, et c’est précisément ce dont je vais parler.

De nombreux témoins et sénateurs ont exprimé des préoccupations sérieuses et légitimes concernant une possible récupération des prestations d’assurance. Je reconnais que ces préoccupations sont légitimes et fondées et je les partage toutes. Malheureusement, pour les raisons que je vais énoncer, il s’agit d’un problème que le Parlement fédéral ne peut pas régler par voie législative. S’il en était autrement, je serais partant pour légiférer.

Le but de mes observations est de vous donner l’assurance que nous prenons la bonne décision en adoptant le message dont nous sommes saisis dans sa forme actuelle. Je tiens d’ailleurs à souligner et à saluer les déclarations des sénateurs qui appuient sans réserve la disposition de non-récupération, mais qui ont indiqué qu’ils voteront quand même en faveur du projet de loi dans sa forme actuelle.

Vous avez déjà entendu les arguments qui ont été avancés au comité et au Sénat pour justifier l’adoption de cette disposition. Je vais maintenant prendre le temps d’expliquer les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas l’appuyer, non seulement pour que l’on tienne compte des avis divergents, mais aussi pour indiquer clairement pourquoi cette disposition constitue malheureusement une forme d’ingérence inconstitutionnelle dans les champs de compétence des provinces.

Je vais maintenant parler de la Constitution du Canada, et je m’excuse si j’ai l’air de donner une leçon. C’est un point important à souligner, même si la disposition en question est modeste.

Nous savons que la Constitution constitue la loi suprême du Canada. Elle nous confère des pouvoirs et, d’une certaine manière, nous impose des contraintes. Le fédéralisme représente l’une de ces contraintes. Comme vous le savez, au Canada, le pouvoir législatif est divisé en deux catégories : le pouvoir fédéral, ou les rubriques de compétence fédérale, qui sont presque toutes énumérés à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, et le pouvoir provincial, ou les rubriques de compétence provinciale, qui figurent à l’article 92. La principale compétence provinciale pertinente pour notre discussion concerne la propriété et les droits civils dans la province, ce qui est universellement compris comme incluant la réglementation des contrats dans la province — d’ailleurs, en passant, pratiquement tous les aspects du secteur de l’assurance ont été jugés par notre plus haut tribunal comme relevant de la compétence provinciale.

Nous ne pensons pas beaucoup à cet élément, mais tout ce que nous faisons au Parlement du Canada doit se situer dans un domaine ou un autre de la compétence fédérale. Ainsi, s’il s’agit d’une question liée à l’article 91, Ottawa a toute la latitude pour réglementer. S’il s’agit d’une question liée à l’article 92, ce sont les provinces qui gouvernent.

Je vais donner deux exemples de pouvoirs prévus à l’article 91 que vous connaissez bien : je commencerai par les banques et les opérations bancaires. Dans cette rubrique de compétence, il revient à Ottawa d’établir les règles. La réglementation des contrats qui relèvent de cette rubrique de compétence est incluse — les contrats concernant les banques, le salaire minimum dans ce secteur et les normes d’emploi des employés des banques.

Le deuxième exemple que je donnerai est le droit pénal. Si un acte est vraiment criminel, Ottawa peut l’interdire, y compris en ce qui concerne les contrats. D’ailleurs, nous le ferons cette semaine en criminalisant l’octroi de prêts à un taux d’intérêt supérieur à une certaine limite — il s’agit de contrats pour consentir des prêts. C’est en vertu de la rubrique de compétence sur le droit pénal que nous pouvons le faire.

Ensuite, il y a le pouvoir de dépenser. Le fédéral a un tel pouvoir, qui ne se trouve pas à l’article 91. Ce pouvoir est fondé sur l’idée qu’Ottawa détient des actifs — dans ce cas-ci, de l’argent — et qu’il peut les utiliser comme il le souhaite. C’est vrai à l’intérieur de certaines limites, que je vais expliquer. Il s’agit d’une autorité fédérale puissante, mais limitée.

Personne ne remet en question le fait que cette mesure législative relève du pouvoir de dépenser du fédéral et exclusivement de ce pouvoir. Ce qu’il faut déterminer, c’est si la disposition de non‑récupération est constitutionnelle dans l’exercice du pouvoir de dépenser.

En passant, je devrais préciser que, malgré l’observation de la sénatrice Pate au sujet des dispositions accessoires, les pouvoirs accessoires ne s’appliquent pas au pouvoir de dépenser, et ce, pour des raisons évidentes que je vais présenter.

Au comité et dans cette enceinte, trois arguments ont été avancés pour justifier la constitutionnalité de la disposition de non‑récupération. Tous ces arguments sont complètement erronés. Le premier fait référence à la Loi sur l’indemnisation des marins marchands. Cette loi fédérale contient une disposition de non‑récupération semblable, qui n’a jamais été contestée sur le plan constitutionnel. Or, si cette disposition n’a pas été contestée, c’est parce qu’elle ne s’inscrit pas dans l’exercice du pouvoir de dépenser d’Ottawa. En effet, elle n’a rien à voir avec le pouvoir de dépenser. La disposition relève de l’article 91, ou plus précisément de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Il suffit de lire un peu ce projet de loi pour s’en rendre compte. De surcroît, tout comme le gouvernement fédéral peut exercer son pouvoir dans le secteur bancaire, il peut mettre en place toute la réglementation dans ce secteur, y compris celle relative aux contrats.

Le deuxième argument selon lequel Ottawa peut réglementer les contrats est la décision de la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité de la Loi sur la non-discrimination génétique, en ce qui concerne les contrats, qui a été confirmée par la cour. Cependant, à la lecture des détails de cette affaire, on s’aperçoit, dans ce contexte — dans le cadre de l’exemple qu’a cité la sénatrice McPhedran, à savoir l’obligation de certains employés de se soumettre à des tests génétiques —, qu’Ottawa a invalidé ces contrats en les déclarant illégaux. Or, si le fait de conclure de tels contrats constitue légitimement un crime, Ottawa a le pouvoir de les réglementer — c’est-à-dire de les interdire —, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le droit pénal.

En effet, si la cour n’avait pas statué qu’Ottawa devait exercer son pouvoir en vertu du droit pénal dans ces circonstances, ces dispositions auraient profondément porté atteinte à la propriété et aux droits civils, ce qui serait contraire à la Constitution.

De plus, il importe de souligner que ce n’est pas parce qu’Ottawa peut réglementer ou interdire des contrats dans un domaine particulier que ce pouvoir peut s’appliquer à un autre domaine et, notamment, au pouvoir de dépenser, et ce, malheureusement, pour de très bonnes raisons.

Le troisième argument concernant le pouvoir de dépenser était une citation d’un éminent professeur, aujourd’hui décédé, M. Peter Hogg, principale sommité canadienne en matière de droit constitutionnel. Voici ce qu’il a dit au sujet du pouvoir de dépenser :

[...] le Parlement [...] peut dépenser ou prêter ses fonds à n’importe quel gouvernement, institution ou particulier et à n’importe quelle fin, et [...] il peut assortir ses subventions ou ses prêts de n’importe quelles conditions [...]

Le professeur Hogg en avait plus à dire au sujet du pouvoir de dépenser et il explique ensuite quelles sont les limites de ce pouvoir.

Le professeur Hogg ajoute :

Il y a, à mon avis, une distinction entre la réglementation obligatoire...

 — c’est-à-dire, une disposition de non-récupération —

... qui ne peut évidemment s’exercer que par une loi édictée dans les limites de la compétence législative, et les dépenses, les prêts et les contrats, qui n’imposent pas d’obligations aux destinataires [...] Il n’existe pas de raisons impérieuses de confiner le fait de dépenser ou de prêter de l’argent ou de conclure des contrats aux limites de la compétence législative...

 — c’est-à-dire que le gouvernement d’Ottawa peut faire ce qu’il veut de ses dépenses, et c’est d’ailleurs ce qu’il fait, comme vous le savez —

... car, dans ces fonctions, le gouvernement n’est pas censé exercer un pouvoir législatif particulier sur ses sujets.

C’est donc dire que les gens sont libres de prendre l’argent ou non. Le pouvoir législatif n’entre pas en ligne de compte.

Cela signifie que lorsqu’Ottawa dépense son argent, il peut le faire dans des domaines de compétence provinciale et imposer les conditions qu’il souhaite au bénéficiaire des fonds, mais il ne peut pas utiliser son pouvoir législatif pour imposer des obligations à qui que ce soit d’autre, des obligations qui relèvent de la compétence provinciale. Pour m’en assurer, j’ai lu toutes les affaires citées par le professeur Hogg, et elles le confirment toutes.

Bref, Ottawa peut imposer des conditions aux bénéficiaires de l’argent, mais il ne peut pas en faire plus. La situation est comparable à celle d’un pipeline dans lequel l’argent peut circuler. Ottawa peut ajouter des conditions au versement des fonds. Si les conditions ne sont pas respectées, il peut arrêter de verser des fonds ou exiger qu’on lui rembourse de l’argent, mais il ne peut pas légiférer en dehors des parois du pipeline.

Permettez-moi de vous donner un exemple de l’utilisation la plus importante du pouvoir de dépenser au Canada et un exemple convaincant de ses limites : le financement des soins de santé. Ottawa transfère des milliards de dollars aux provinces pour appuyer la prestation de l’assurance-maladie dans le cadre des compétences provinciales. Il le fait en exerçant son pouvoir de dépenser et en imposant des conditions à ce transfert. Vous les connaissez bien, surtout les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé.

L’une des préoccupations les plus évidentes d’Ottawa, c’est qu’on ne veut pas que les médecins imposent à leurs patients une surfacturation pour les services assurés par l’assurance-maladie. Vous l’avez entendu dire un million de fois. Si, comme on le prétend, le pouvoir de dépenser du fédéral est pratiquement illimité, la façon la plus évidente de parvenir à l’objectif voulu serait qu’Ottawa transfère l’argent et légifère ensuite, tout simplement, pour interdire aux médecins de faire de la surfacturation. J’espère que vous pouvez voir le parallèle.

Toutefois, Ottawa ne fait pas cela. Selon l’une des conditions du transfert en matière de santé, les médecins ne sont pas autorisés à faire de la surfacturation, mais cette obligation est imposée par les provinces. L’interdiction de la surfacturation dans toutes les provinces du pays est imposée par des lois provinciales. Ce n’est pas parce qu’Ottawa ne voudrait pas s’en occuper — il aimerait vraiment le faire —, mais parce que la Constitution le lui interdit. Il en va de même pour la disposition de non-récupération. Ce serait formidable de poser ce geste, mais nous ne le pouvons pas. Le simple fait qu’une idée soit bonne ne la rend pas constitutionnelle. L’article 91 ne prévoit pas de champ de compétence pour les « bonnes idées ».

Il s’agit d’une petite disposition, certes, mais l’enjeu constitutionnel en question est franchement immense. Si Ottawa pouvait se servir de son pouvoir de dépenser pour s’ingérer dans des domaines de compétence provinciale et affecter de l’argent où il le souhaite quand il le souhaite, comme le voudraient les défenseurs de cette disposition, ce serait véritablement destructeur pour le fédéralisme.

Le sénateur Plett a parlé il y a quelque temps de l’attention que nous devons accorder aux intérêts régionaux. Je vous invite à vous concentrer un instant sur les intérêts provinciaux et sur notre devoir de respecter les compétences provinciales sur lesquelles reposent ces intérêts.

Il y aura probablement des litiges si cette disposition est mise en œuvre, et voici un dilemme embarrassant et tragique : il faudrait que les provinces, même celles qui sont favorables aux intentions de la disposition, se joignent aux compagnies d’assurance pour éviter une expansion sans précédent du pouvoir de dépenser dans les domaines de compétence provinciale.

Que cela nous plaise ou non — et cela ne me plaît pas —, la disposition de non-récupération porte le germe d’une énorme querelle constitutionnelle qu’Ottawa perdrait certainement, sans parler de la détérioration des relations fédérales-provinciales qui s’ensuivrait au moment même où la coopération fédérale-provinciale est tout à fait cruciale pour le versement de la prestation.

Certains ont laissé entendre que la disposition de non-récupération a été rejetée — à deux reprises — par le gouvernement et 314 députés par égard pour l’industrie de l’assurance. Je vous invite à voir les choses autrement. En fait, c’est une expression de respect pour la compétence provinciale qui est en jeu ici et une déclaration qui accorde de l’importance aux provinces et qui leur signale notre désir de collaborer avec elles, plutôt que de nous opposer à leurs intérêts.

Avec cette approche, il est beaucoup plus probable, comme on l’a mentionné plus tôt, que les provinces exercent leur propre compétence pour protéger la prestation en interdisant la récupération des primes d’assurances. De même, il y a de meilleures chances d’en arriver à la conclusion de protocoles avec l’industrie interdisant la récupération de la prestation pour les personnes handicapées.

Je ne me réjouis pas de ce résultat. Comme tout le monde, je suis préoccupé par les histoires que nous avons entendues tous les deux, mais il y a des limites à ce que nous pouvons faire. En fait, nous avons l’obligation de respecter ces limites, que cela nous plaise ou non.

J’espère et j’ai confiance que vous puiserez un certain réconfort en sachant que, en adoptant le message tel que nous l’avons reçu, nous faisons la bonne chose, car nous avons maintenant l’occasion de mettre en vigueur le projet de loi, avec ses excellents avantages pour les Canadiens qui les méritent le plus.

Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

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