Projet de loi sur le commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada
Deuxième lecture--Suite du débat
5 novembre 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-210, parrainé par l’honorable sénatrice Moodie. Ce projet de loi permettra de créer le Bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada.
Des projets de loi similaires ont été présentés au cours des sessions précédentes à l’autre Chambre. Une première version a été déposée en 2012 par l’actuel ministre des Transports, l’honorable Marc Garneau, puis reprise en 2015 par l’ancien ministre de la Justice, l’honorable Irwin Cotler, et finalement, en 2019, une version a été présentée tour à tour par le NPD et les conservateurs. Cela démontre que ce projet de loi jouit d’un appui qui transcende la partisanerie et qu’il pourrait rapidement obtenir l’aval des deux Chambres.
Le projet de loi S-210 vient combler un besoin qui perdure depuis plusieurs décennies. Les jeunes du Canada n’ont pas de porte-parole indépendant pour faire valoir leurs droits et intérêts auprès du Parlement. La participation des jeunes à la vie politique est limitée, ils ne votent pas et ils ne disposent d’aucun mécanisme efficace de plainte en cas d’atteinte à leurs droits.
Près de 30 ans après la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant, nous n’avons toujours pas de commissaire à l’enfance et à la jeunesse, alors que plus des deux tiers des pays de l’OCDE en ont un. Le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies le 13 novembre 1991.
En gardant à l’esprit le temps de parole qui m’est accordé dans cette Chambre, je me permets de résumer simplement les 42 articles de la convention en cinq points. Un, chaque enfant a droit à un niveau de vie suffisant pour permettre son plein développement. Deux, l’intérêt supérieur de l’enfant demeure une considération primordiale dans toutes les décisions. Trois, le jeune a le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant et a droit à ce que son opinion soit considérée. Quatre, le jeune a le droit d’avoir sa propre vie culturelle, de pratiquer sa propre religion et d’employer sa propre langue. Enfin, le Canada a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la convention.
Il y a 13 ans, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a étudié les droits des enfants. Le rapport, intitulé Les enfants : des citoyens sans voix, avait pour principale recommandation la création d’un commissariat fédéral aux enfants. Il est important que le Canada remédie aux inégalités qui touchent les enfants et les jeunes, conformément aux droits conférés par la Charte canadienne des droits et libertés.
Le travail acharné de Cindy Blackstock et de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada fait la preuve que notre pays n’a pas respecté les droits des enfants à une éducation égale.
Regardons ce qui se passe dans les provinces. Je vous amène faire un tour dans ma province. L’imaginaire québécois a été marqué par l’histoire d’Aurore, l’enfant martyre. On pensait que c’était de l’histoire ancienne qui faisait partie du folklore. Les choses ont-elles vraiment évolué?
L’enquête de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), portant sur la violence familiale dans la vie des enfants du Québec, ne pouvait passer sous silence le grand tabou que demeure la maltraitance des enfants.
L’ISQ a produit quatre enquêtes sur la violence familiale entre 1999 et 2019. Encore près d’un parent sur dix trouve aujourd’hui acceptable qu’un parent tape un enfant. Pourtant, l’article 43 du Code criminel canadien permet encore aux parents et aux enseignants d’utiliser la force pour corriger un enfant. Voilà une disposition controversée du droit criminel canadien.
Au cours des dernières décennies, de plus en plus de voix se sont levées pour demander que tout type de châtiment corporel infligé à des enfants ou à des jeunes soit interdit au Canada, ce qui exigerait forcément le retrait de l’article 43.
D’ailleurs, la sénatrice Hervieux-Payette s’était saisie du dossier en présentant plusieurs versions de projets de loi visant à mieux protéger les enfants. Malheureusement, les cycles législatifs et électoraux n’ont pas permis aux efforts de la sénatrice d’aboutir.
Au Québec, le décès d’une fillette de 7 ans à Granby, le 30 avril 2019, a ébranlé toute la population et a soulevé des inquiétudes sur le système de protection de la jeunesse et sur le soutien apporté aux familles en situation de vulnérabilité.
Devant cette tragédie, le gouvernement du Québec s’est engagé à entreprendre une réflexion portant non seulement sur les services de protection de la jeunesse, mais également sur la loi qui les encadre, de même que sur le rôle des tribunaux, des services sociaux et des autres acteurs concernés.
Le 30 mai 2019, le Québec a confié ce mandat à une commission spéciale, la Commission Laurent, du nom de la présidente, Mme Régine Laurent. La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse devrait soumettre son rapport et ses recommandations au gouvernement d’ici mars 2021.
Pour réaliser son mandat, la commission examine l’organisation et le financement des services de protection de la jeunesse au sein du réseau de la santé et des services sociaux.
Le 13 octobre dernier, la Direction de la protection de la jeunesse de Montréal (DPJ) lançait un cri d’alarme, car elle vit actuellement une situation critique liée au recrutement de ressources de type familial pour les tout-petits qui ont besoin de protection. Depuis 2011, le nombre de ressources de type familial, communément appelées « familles d’accueil », a chuté de manière dramatique, passant de plus de 900 à moins de 300 ressources.
Voici quelques exemples de petites annonces qui ont été faites par la DPJ pour trouver des familles d’accueil.
Kevin, 4 ans, victime d’abus physiques et présentant un retard de langage, a des suivis médicaux toutes les deux semaines à l’Hôpital Sainte-Justine. Il a besoin de vous pour prendre soin de lui, le temps que ses parents améliorent leur situation. Il a besoin d’un foyer chaleureux et sécurisant ainsi que d’une personne prête à l’accompagner à ses rendez-vous et dans ses moments de détresse.
Sophia, 18 mois, souffrant d’épilepsie et issue d’un milieu négligent, a été accueillie temporairement dans une famille d’accueil qui a déjà des jeunes sous sa responsabilité. Pourtant, la loi dit qu’un enfant a droit au bon placement du premier coup. Aidons Sophia à trouver une maison pour l’accueillir.
Alexia, âgée de 2 jours, est actuellement à l’hôpital en sevrage, car sa maman a consommé des stupéfiants durant sa grossesse. La mère est actuellement en désintoxication. Alexia a besoin de vous pour se faire bercer, rassurer et pour lui apporter les soins nécessaires à sa condition.
C’est pourquoi, chers collègues, nous devons collectivement contribuer à améliorer la prise en charge des enfants en besoin de protection.
La Commission Laurent étudie aussi l’organisation et le mode de fonctionnement des tribunaux en matière de protection de la jeunesse, soit la Cour du Québec, la Chambre de la jeunesse, de même que ses arrimages avec les tribunaux en matière de garde d’enfant, soit la Cour supérieure, pour s’assurer de l’application des principes généraux de la Loi sur la protection de la jeunesse et des droits des enfants.
Qu’en est-il actuellement au Canada? En septembre dernier, le quotidien Le Devoir a fait paraître un article intitulé « L’enfance est en crise au Canada ». Cet article rapportait les résultats de deux rapports, celui de l’UNICEF et celui de l’organisme Les enfants d’abord Canada, préparés conjointement avec l’Université de Calgary. Le rapport de l’UNICEF affirmait qu’avant même l’éclosion de la pandémie de la COVID-19, l’enfance était en crise au Canada, et que la situation sanitaire a provoqué une détérioration des droits des enfants.
Le Canada se classe au bas de l’échelle parmi les pays de l’OCDE, notamment à cause de son taux de mortalité infantile de presque un décès pour 1 000 naissances, d’un taux de suicide élevé et de l’obésité chez les enfants canadiens.
En ce qui concerne le suicide, Statistique Canada note que c’est la deuxième cause de décès chez les jeunes. Bien qu’en 2012 nous ayons adopté ici, au Parlement, un cadre fédéral de prévention du suicide, sept ans plus tard, en septembre 2019, le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes réclamait encore une stratégie nationale du gouvernement fédéral pour lutter contre le suicide chez les jeunes. Selon cet organisme, les informations des divers ordres de gouvernement sont actuellement colligées, mais de manière disparate. Sans données confluées, comment naviguer vers de meilleurs horizons? Un commissariat pourrait étudier la question et nous fournir des recommandations afin de remédier à la deuxième cause de décès chez les jeunes Canadiens.
Pour ce qui est de l’obésité chez les enfants canadiens, le Comité sénatorial des affaires sociales avait déposé au Sénat, en mars 2016, un rapport intitulé L’obésité au Canada. Plus d’un tiers des enfants sont obèses ou souffrent d’embonpoint. Il est difficile de mesurer les actions gouvernementales pour contrer ce fléau. Un commissariat pourrait contribuer à combler ces lacunes.
Les disparités socioéconomiques s’accroissent au Canada. Les statistiques pré-COVID indiquaient que près d’un enfant canadien sur cinq vivait dans la pauvreté. Le rapport préparé conjointement par l’organisme Les enfants d’abord Canada, en collaboration avec l’Université de Calgary, va dans le même sens. Les 10 pires menaces au développement de l’enfant incluent, entre autres, l’insécurité alimentaire, les problèmes de santé mentale, le retard dans la prise des vaccins, les abus physiques et sexuels, le racisme et la discrimination systémique, de même que la pauvreté.
Il est crucial d’investir pour donner une chance égale à tous les enfants et assurer une équité intergénérationnelle.
En conclusion, certains pourraient se demander si c’est au gouvernement fédéral de dépenser l’argent pour créer un commissariat et combien tout cela coûterait. On devrait d’abord comprendre les coûts des séquelles chez les enfants dont les droits sont bafoués : retard de développement, comportement dépressif, anxiété, difficulté et décrochage scolaire, suicide, et j’en passe.
Une étude canadienne datant de 2003 évaluait les coûts sociaux annuels de la maltraitance envers les enfants à près de 16 milliards de dollars. Demanderions-nous aux pompiers de limiter l’usage de l’eau, alors que des feux font rage? Considérant les travaux colossaux que les commissaires parviennent à faire avec si peu de moyens, nous devrions apprécier les précieuses balises que les commissariats fournissent aux gouvernements et aux parlementaires dans le but de réaliser un vivre-ensemble juste et équitable.
Il est plus que temps que les enfants et les jeunes puissent jouir pleinement de leurs droits et qu’un commissariat existe pour rendre justice aux jeunes, même s’ils ne votent pas.
Honorables collègues, étant donné l’appui déjà acquis de la majorité des partis de l’autre Chambre, ne devrions-nous pas suggérer une mesure pour accélérer l’adoption de ce projet de loi, afin de lui assurer une proclamation plus tôt que trop tard?
Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-210, Loi constituant le Bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada.
Tout d’abord, je tiens à préciser que j’adhère totalement à l’intention du projet de loi. Bien sûr, personne ici ne peut nier l’importance de donner une voix forte à tous les enfants et à tous les jeunes du Canada et d’inscrire dans la loi des mesures pour les protéger. Je félicite la sénatrice Moodie qui s’est dévouée avec acharnement à cette cause. Toutefois, chers collègues, avec tout le respect que je vous dois, je ne crois pas que le projet de loi S-210 soit la solution.
Permettez-moi de parler brièvement de ce qui se passe chez les enfants et les jeunes du Nunavut. En septembre 2020, le Représentant de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut a déposé son rapport annuel 2019-2020. Il s’agit d’un rapport accablant qui a exposé au grand jour l’histoire déchirante des difficultés vécues par les enfants et les jeunes d’un Nunavut. Parmi les 38 000 habitants du territoire, un total de 6 438 enfants ont moins de 18 ans et vivent actuellement dans un ménage qui reçoit une aide au revenu. Au Nunavut, 61 % des ménages vivent dans l’insécurité alimentaire, et 560 jeunes reçoivent les services du directeur, ce qui signifie qu’ils sont suivis par les autorités locales de protection de la jeunesse. Le rapport indique également que, parmi ces 560 jeunes, 134 ont été grièvement blessés et 3 sont morts.
Les jeunes ont passé un total cumulatif de 4 304 nuits dans un refuge pour les victimes de violence familiale, et, hélas, 31 % de toutes les personnes qui se suicident sur le territoire ont moins de 20 ans.
Le rapport traite ensuite de la représentation des jeunes dans le système de justice et des taux d’absentéisme, qui se situent tous autour de 60 %, mais il souligne également les énormes lacunes dans la collecte de données sur les enfants et les jeunes. Il suit les progrès dans la mise en œuvre des recommandations passées et en formule de nouvelles. Jane Bates, la représentante de l’enfance et la jeunesse, a dit ceci :
Les trois éléments les plus frappants portés à mon attention ont été que les fonctionnaires du gouvernement du Nunavut ne sont pas tenus responsables de leurs décisions ou de leurs actions; qu’en s’abstenant de reconnaître et de combattre la maltraitance subie par les enfants, on la tolère; et que l’attitude complaisante voulant que « c’est comme ça que ça se passe dans le Nord » fait en sorte que les mesures ne sont pas prises pour s’attaquer aux problèmes émergents.
Honorables sénateurs, je vous dis ceci non seulement pour souligner les réalités tragiques et les difficultés des enfants et des jeunes du Nunavut, mais également pour souligner la façon dont le bureau du Représentant de l’enfance et de la jeunesse au Nunavut fait déjà le travail que propose le projet de loi qui nous occupe.
Lorsque j’ai communiqué avec le bureau de Mme Bates, la semaine dernière, j’ai été déçu d’apprendre qu’elle n’avait pas encore reçu de copie du projet de loi, situation à laquelle j’ai remédié. Pour moi, cela met en évidence le manque de consultation dans le cadre du projet de loi et soulève des préoccupations quant à la coordination entre le travail du bureau du commissaire proposé et les défenseurs actuels des enfants et des jeunes aux gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones. Ces questions de compétence et de consultation ressemblent à celles qui ont été soulevées lors du débat sur la Loi sur les langues autochtones et la loi relative aux enfants autochtones pris en charge.
En effet, l’Assemblée des Premières Nations déclare clairement que les projets de loi concernant les peuples autochtones ne doivent pas être élaborés unilatéralement. Dans le mémoire qu’elle a présenté au Comité des peuples autochtones le 2 avril 2019, dans le cadre de l’étude du comité sur la nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones, l’Assemblée des Premières Nations déclare ceci :
Il est essentiel que les processus devant définir les termes d’une relation d’égal à égal reflètent d’emblée cette égalité. Cela met en lumière la nécessité d’une conception concertée dès le départ, qui reflète toutes les perspectives, et de mécanismes qui respectent les structures décisionnelles propres à chaque partie.
Malgré cela, le projet de loi n’a pas bénéficié d’une consultation adéquate, et ce, parce que les ressources d’un sénateur individuel sont limitées, je le comprends bien.
Je trouve aussi troublant que le projet de loi propose que le commissaire soit nommé après une période de consultation avec les leaders du Sénat et de la Chambre des communes. Puisque le mandat du commissaire comprend cinq alinéas qui mentionnent spécifiquement les enfants et les jeunes inuits, métis et de Premières Nations, il me semble que les Autochtones devraient avoir leur mot à dire pendant le processus de sélection. C’est particulièrement important puisque le commissaire aurait, en vertu de l’alinéa 17(5)a), le pouvoir de « pénétrer dans tout lieu de garde ou de résidence pour enfants ou jeunes qui est contrôlé ou exploité par le gouvernement du Canada » et, selon l’alinéa 7(5)b), celui d’« entrer directement en contact, en privé, avec les enfants et jeunes qui s’y trouvent ».
Dans le cas des enfants qui sont pris en charge, comment les dispositions que je viens de mentionner seront-elles coordonnées avec celles de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, adoptée l’an dernier? Comment ce projet de loi sera-t-il coordonné avec les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents? Le commissaire pourrait-il entrer librement en contact avec les jeunes détenus? Le projet de loi ne contient aucune disposition de coordination au sujet de ces deux lois.
Je rejette aussi — toujours très respectueusement — l’affirmation suivante, tirée du préambule :
[Q]ue les enfants et les jeunes qui relèvent de la compétence fédérale — tels que les enfants et les jeunes inuits, métis et des premières nations — ne peuvent pas se prévaloir des régimes provinciaux et territoriaux de protection des droits de la personne […]
À mon avis, cela dresse un portrait incomplet des protections actuelles accordées à l’enfance et à la jeunesse. Par exemple, assurément, tous les enfants sont assujettis à la Charte des droits et libertés et, au Nunavut, tous les enfants, y compris les enfants inuits, sont protégés en vertu de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, tandis que la représentante de l’enfance et de la jeunesse est régie par la Loi sur le représentant de l’enfance et de la jeunesse.
En cas de confusion due au chevauchement des compétences fédérales, provinciales, territoriales et autochtones, le principe de Jordan doit s’appliquer. Services aux Autochtones Canada donne l’explication suivante :
Le principe de Jordan vise à permettre à tous les enfants des Premières Nations vivant au Canada d’avoir accès aux produits, aux services et au soutien nécessaires au moment opportun. Le financement permet de combler toutes sortes de besoins en matière de santé, de services sociaux et d’éducation, notamment les besoins uniques que pourraient avoir les enfants et les jeunes LGBTQQIA et bispirituels des Premières Nations et ceux qui ont des handicaps physiques.
De plus, sur la question des protections provinciales ou territoriales, l’Association du Barreau canadien explique qu’il existe :
[...] diverses lois provinciales concernant la protection de l’enfance, le droit de la famille, les problèmes de santé et de propriété ainsi que les testaments et les successions stipulent expressément que les enfants, les familles, les territoires et les conseils de bande autochtones doivent être pris en considération de façon distincte lors de l’application du droit canadien à des situations relatives aux Autochtones. Les droits issus des traités et les ententes sur les revendications territoriales sont également applicables au règlement des litiges qui mettent en cause des enfants autochtones. Il y a une distinction juridique et économique entre les Autochtones qui vivent dans les réserves et qui vivent hors réserve, de même qu’entre ceux qui possèdent un statut reconnu et ceux qui n’en possèdent pas.
Cependant, la lacune la plus importante que j’ai cernée dans ce projet de loi est probablement l’absence de recommandation royale. J’ai questionné la sénatrice Moodie à ce sujet plus tôt dans la session. Si on ne peut pas demander les fonds nécessaires au Canada, je vois mal comment on peut appliquer les mesures de ce projet de loi.
La question de la rémunération est brièvement mentionnée à l’article 10, et les paragraphes 15(2) et 15(3) portent sur le traitement, les frais ainsi que le régime de pension et les autres avantages qui seraient accordés à la personne qui occuperait le poste de commissaire adjoint qu’on propose de créer. Je crois comprendre que la sénatrice Moodie a voulu résoudre le problème avec le paragraphe 38(2), qui dit ceci :
Le décret visé au paragraphe (1) ne peut être pris que si le gouverneur général a recommandé l’affectation de crédits pour l’application de la présente loi et que le Parlement a affecté ces crédits.
Cela dit, il manque aussi au projet de loi les structures et les mesures de reddition de comptes qui doivent accompagner toute charge publique fédérale. Il n’est pas ici question de simplement créer deux postes au sein d’un ministère ou d’un organisme quelconque, mais bien de créer un commissariat autonome qui fera rapport de manière indépendante de ses constatations au Parlement et au grand public.
Je propose donc de revenir en arrière et de voir ce qui s’est passé avec le dernier bureau du genre à avoir été créé, c’est-à-dire le Bureau du commissaire aux langues autochtones. La Loi sur les langues autochtones a reçu la sanction royale le 21 juin 2019. Ses articles 12 à 44 portent sur la création du bureau du commissaire. Ils confèrent notamment à ce dernier le pouvoir d’embaucher du personnel et d’acheter de l’équipement de bureau. Il y est aussi question de vérifications financières, d’états financiers et de balises pour éviter les malversations. Or, toutes ces choses sont absentes du projet de loi S-210, chers collègues.
N’allez pas croire que je ne veux pas qu’on protège les jeunes, honorables sénateurs. J’estime toutefois que ce projet de loi ne réussit pas à atteindre l’objectif qu’il est censé atteindre. Malheureusement, les ressources dont disposent les cabinets des sénateurs ne sont pas suffisantes pour permettre à l’un d’eux de mener à lui seul d’aussi vastes consultations. La création d’un commissaire fédéral à l’enfance et à la jeunesse devra se faire de manière concertée entre le fédéral, les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones, et le futur commissariat devra opérer selon des balises et un cadre bien définis. Une telle démarche suppose aussi une certaine harmonisation avec les lois en vigueur.
Je souscris tout à fait à l’objectif que la sénatrice Moodie souhaite atteindre avec son projet de loi. J’espère que mes observations auront été utiles, que ce soit pour améliorer le texte lui-même ou pour explorer d’autres avenues. Je demeure toutefois persuadé que ce genre d’initiative doit venir du gouvernement. Le gouvernement fédéral est le seul à disposer des ressources nécessaires pour combler les lacunes qu’on trouve dans ce projet de loi. J’invite donc le gouvernement à présenter une mesure législative qui répondrait aux préoccupations de la sénatrice Moodie. Quant à cette dernière, je l’invite à employer toute l’énergie et l’enthousiasme dont elle est capable pour convaincre un député, idéalement des banquettes ministérielles, d’en devenir le parrain.
Je vous remercie, honorables sénateurs.
Sénatrice Moodie, vous avez une question?
Le sénateur Patterson accepte-t-il de répondre à une question?
Acceptez-vous de répondre à une question?
Oui.
Merci de vos observations, sénateur Patterson. Je suis au courant du rapport du Représentant des enfants et des jeunes du Nunavut et de la terrible situation des enfants là-bas, et laissez-moi vous dire que les enfants du Nunavut sont chanceux d’avoir un représentant tel que vous.
J’ai une observation et une question. Je conviens qu’il s’agit d’une chose que le gouvernement doit ultimement appuyer et aurait probablement dû entreprendre. Toutefois, le travail que j’ai accompli afin de comprendre la manière dont il faut présenter ce dossier, à la fois pour attirer l’attention sur celui-ci et pousser le gouvernement à agir, m’a convaincue que c’était la meilleure façon de procéder, car le gouvernement n’a manifesté aucun intérêt lorsque je l’ai approché.
Comme vous, certains ont invoqué la recommandation royale, ce qui nous a permis de découvrir la disposition d’entrée en vigueur qui permet d’adopter un projet dans les deux Chambres. L’utilisation de cette disposition n’est pas une idée nouvelle. Les anciens sénateurs Grafstein, Peterson, Gill, Mitchell, de même que la sénatrice McCoy, y ont eu recours. En fait, le sénateur Mitchell a utilisé cette disposition récemment pour le projet de loi S-229. Il est parvenu à faire adopter sa mesure législative en l’intégrant à un projet de loi d’initiative ministérielle.
Nous avons aussi constaté que, lorsque la disposition d’entrée en vigueur est remise en question au moyen d’un recours au Règlement, que ce soit au Sénat ou à l’autre endroit, elle est toujours jugée recevable. Elle prépare le terrain pour que la Couronne recommande ces fonds, sans que celle-ci y soit obligée.
C’est la voie qui a été choisie, et elle n’est pas facile. Cela dit, il ne fait aucun doute qu’il valait la peine de mener la bataille compte tenu de l’inaction du gouvernement et de la priorité que nous devons accorder aux enfants.
Malgré vos préoccupations, que je prendrai le temps d’examiner attentivement, êtes-vous d’avis que le projet de loi repose sur un principe valable et qu’il devrait être renvoyé au comité, là où les questions que vous avez soulevées et d’autres encore pourraient être discutées et réglées?
Merci de votre question, madame la sénatrice Moodie.
Le projet de loi repose-t-il sur un principe valable, selon moi? Je pense que si le principe est d’accroître la protection des jeunes, alors je dirais que oui, c’est valable. Je pense même l’avoir mentionné d’entrée de jeu. Je souscris certainement à l’intention du projet de loi.
Ce qui m’inquiète, c’est que nous consacrerons énormément de temps et d’énergie à peaufiner le projet de loi, mais n’arriverons pas à le mettre en œuvre tant que le gouvernement ne s’engagera pas à l’appuyer. Il doit nous signaler son appui dès maintenant ou lorsque le projet de loi sera renvoyé à la Chambre des communes, s’il est adopté par le Sénat.
Tâchons d’obtenir l’engagement du gouvernement pour un projet louable. Madame la sénatrice Moodie, il y a d’autres moyens de s’y prendre, notamment avec des enquêtes et des motions. Je suis persuadé que nous y serions tous très favorables. Je suis également préoccupé par le fait que les vastes consultations auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure et qui, à mon avis, sont surtout nécessaires auprès des communautés autochtones, constituent une tâche colossale pour un bureau de sénateur.
Je suis désolée, monsieur le sénateur Patterson, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?
Non, merci.