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La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
19 novembre 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-213, parrainé par la sénatrice McCallum. Ce projet de loi modifie la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres afin d’exiger que la ministre examine les effets possibles des projets de loi sur les femmes et qu’elle en fasse rapport au Parlement. Ce ministère s’appelait auparavant Condition féminine Canada.
À mon avis, l’analyse comparative entre les sexes plus devrait être une exigence. L’ACS+ indique les effets possibles qu’un projet de loi aurait sur les femmes, en particulier les femmes autochtones, mais aussi sur d’autres parties de la population. Réitérant l’objectif premier, qui est de promouvoir l’équité entre tous afin de pouvoir atteindre une égalité de fait dans notre société, le projet de loi S-213 nous forcera à réfléchir au rôle crucial que jouent la culture autochtone et le genre dans l’élaboration des politiques et leur application.
Les femmes sont touchées plus durement que les hommes par les effets négatifs des politiques et des mesures législatives. Ces jours-ci, la question qui court, c’est : qui va garder les enfants à la maison si on ferme les écoles durant la pandémie? Si on recule d’un siècle, on constate que le droit de vote n’a été accordé qu’à certaines femmes au Canada il y a plus de 100 ans, mais, pour certaines femmes autochtones, ce droit s’est concrétisé progressivement seulement au cours des années 1960.
Les biais sexistes ont traversé le temps. Je vais vous faire faire une brève incursion dans le monde médical et scientifique pour vous en présenter quelques-uns. Lorsque Christophe Colomb a accosté de ce côté de l’Atlantique, de l’autre côté, Léonard de Vinci dessinait l’Homme de Vitruve, illustration de la vision mécanique de la médecine, qui considérait alors le corps de l’homme blanc comme le point de référence. Ce biais sexué, mesuré et ethnocentrique s’est transmis de génération en génération et d’une science à l’autre.
Bien que l’objectif de départ de l’architecte de l’Homme de Vitruve ait été d’imiter la nature, les hommes de science ont omis, durant des siècles, d’incorporer dans la science la diversité de cette nature. Cette croyance persiste dans les principaux biais que l’on observe encore en médecine.
La Dre Alyson McGregor, dans un livre intitulé Sex Matters, publié en 2020, et en 2014 dans un Ted Talk, soulignait que 80 % des rappels de médicament étaient liés à des effets secondaires qui affectent les femmes. D’ailleurs, on a découvert que certains médicaments sont métabolisés plus lentement chez les femmes que chez les hommes. Voici un exemple plus précis : dans le cas du zolpidem, un hypnotique qui aide au sommeil, la Food and Drug Administration des États-Unis soulignait en 2013 que la dose recommandée était deux fois trop puissante pour les femmes, soit pour 50 % de la population. Des données cliniques avaient démontré la différence dans le métabolisme de ce médicament entre les hommes et les femmes. Ainsi, pendant près de 20 ans, la population était en danger, car certaines femmes conduisaient tout à fait involontairement avec les facultés affaiblies, car elles prenaient un dosage adapté aux hommes. Fait rare, la FDA a recommandé une posologie différenciée selon le sexe.
Voilà un autre exemple en ce qui concerne l’alcool : l’enzyme responsable de son métabolisme est moins actif chez la femme que chez l’homme. Donc, l’élimination de l’alcool se fait plus lentement chez les femmes. La notion de consommation varie grandement selon le sexe, l’ethnie, l’âge et l’état de santé. Par exemple, près de 50 % des Asiatiques présentent un variant génique de cet enzyme qui les rend incapables de métaboliser l’alcool. Cette particularité génétique les expose à de graves conséquences pour leur santé.
Prenons un autre exemple, celui des crises cardiaques. Les symptômes typiques de la douleur à la poitrine et à l’épaule gauche sont courants chez les hommes, tandis que chez les femmes, les symptômes sont plutôt des douleurs à l’estomac, des nausées et des vomissements, qui s’apparentent davantage aux symptômes d’une indigestion. Ceci fait en sorte que, souvent, les maladies cardiaques sont sous-diagnostiquées et sous-traitées chez les femmes. Selon la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada, les femmes d’origine autochtone sont plus susceptibles de subir un AVC et sont deux fois plus à risque d’en mourir que les femmes non autochtones. Elles sont plus à risque de souffrir d’hypertension artérielle et de diabète, deux facteurs de risque de l’AVC.
Comme vous venez de l’entendre, on retrouve ce genre de biais même en médecine, mais c’est grâce à la recherche que ces constats ont été faits. Plus la recherche sera inclusive, plus la science médicale continuera d’évoluer en ce sens.
Aujourd’hui, la pandémie de COVID-19 a aussi mis en relief les questions de genre et leurs impacts plus importants sur les femmes noires et autochtones. J’ai été à l’épicentre de la COVID pour le constater, aux côtés d’associations professionnelles en santé. Il serait intéressant que le comité spécial du Sénat sur la COVID-19 puisse examiner en détail les témoignages pour comprendre les multiples conséquences environnementales, financières, sanitaires et autres sur les communautés. D’ailleurs, lundi dernier, j’ai participé à une remise de médaille avec le député de Bourassa, à Montréal-Nord. L’ensemble des lauréats étaient des chefs d’équipe, des femmes impliquées dans le combat contre la COVID. Ce n’est pas un hasard si le fardeau de la pandémie repose sur les épaules des femmes, et plus particulièrement sur des femmes issues de la diversité.
Revenons au projet de loi que nous étudions. J’aimerais vous brosser un tableau évolutif de l’analyse sexospécifique à l’échelle fédérale. En 1995, la déclaration de Beijing, avec ses 361 mesures, dont une quarantaine portent sur l’analyse sexospécifique, devait remédier avant l’an 2000 aux nombreuses iniquités à l’endroit des femmes. En réponse à cette déclaration, le gouvernement du Canada a élaboré le Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes. Ce plan devait mettre en œuvre l’ACS dans tous les ministères et organismes fédéraux.
En avril 2005, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a déposé un rapport qui soulignait le manque d’uniformité dans l’application de l’ACS par les ministères. Au printemps 2009, le rapport de la vérificatrice générale du Canada comportait un chapitre sur l’ACS, dans lequel on découvrait que son application variait encore considérablement d’un ministère à l’autre. En 2015, six ans plus tard, le nouveau rapport du vérificateur général réitérait que les ministères n’avaient toujours pas effectué l’ACS+ de façon adéquate.
Aujourd’hui, en 2020, le projet de loi S-213 répondrait, mais partiellement seulement, à la conclusion du vérificateur général. Je vous invite, honorables sénateurs, ainsi que vos équipes, à visionner les microleçons sur l’ACS+, qui sont disponibles sur le site de Condition féminine Canada.
Sans vouloir vous donner un cours magistral, voici les sept grandes étapes proposées dans l’application de l’ACS+.
La première étape consiste à cerner l’enjeu. Il faut d’abord déterminer le contexte du projet de loi et les questions à examiner en matière d’égalité des sexes et de la diversité.
La deuxième étape est de remettre en question nos a priori. Nous avons toutes et tous des idées préconçues. Demandons-nous toujours comment elles affectent nos prises de décisions.
La troisième étape consiste à rassembler les faits et à mener des recherches et des consultations. Toutes les données qu’on utilise devraient être ventilées selon le sexe et inclure d’autres facteurs identitaires qui se recoupent, comme l’origine ethnique, l’âge et les incapacités. Notre travail législatif devrait utiliser l’ACS+ dans son processus d’élaboration et de consultation. Le fait de consulter le grand public et de généraliser nos résultats ne suffit pas. En comité, nous devons recueillir des points de vue multiples, venant d’horizons divers, pour approfondir notre analyse. N’oublions pas que les difficultés d’accessibilité et la situation socioéconomique peuvent nuire à la participation des gens au processus de consultation. Pensez, par exemple, à l’accessibilité à Internet, à la connaissance des outils informatiques ou même au fait de posséder ces outils.
La quatrième étape consiste à formuler des options et des recommandations. Comme pour la posologie d’une ordonnance médicale, on doit expliquer les mesures que nous suggérons pour améliorer les projets que nous étudions. Si nous constatons qu’un projet de loi pourrait devenir une source d’obstacle pour une partie de la population, cela signifie qu’il nécessite des amendements. Nos mots ont des impacts, et nous devons les choisir avec grand soin.
La cinquième étape consiste à surveiller et à évaluer. Afin que l’analyse puisse refléter adéquatement les inégalités, nous devons identifier les groupes auxquels l’initiative législative pourrait profiter ou nuire.
La sixième étape est de bien communiquer. Nous devons adapter le message politique en fonction des auditoires ciblés, en favorisant la diversité et en utilisant des exemples, de même qu’un langage et des symboles inclusifs. Ne perpétuons pas de stéréotypes dans nos messages.
La septième étape consiste à consigner, parce que les données et analyses sur lesquelles nous basons nos recommandations doivent être diversifiées et documentées.
Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi S-213, présenté par la sénatrice McCallum, afin qu’il soit étudié en comité le plus tôt possible. Il est grand temps que nous examinions les effets possibles des projets de loi sur les femmes. L’ACS+ devrait devenir une exigence légale pour garantir que les prochains gouvernements l’appliqueront lorsqu’ils rédigeront, débattront et adopteront des mesures législatives. Nos lois deviendront ainsi plus équitables, et nous nous rapprocherons de nos engagements internationaux.
Bien que les analyses sexospécifiques ne soient pas encore chose courante, chers collègues, vous pouvez demander à la Bibliothèque du Parlement d’effectuer une ACS+ de n’importe quel projet de loi de façon systématique. Notre bureau en a fait la demande pour le projet de loi S-213. À la suite de cette analyse, deux éléments importants ont été relevés. Premièrement, le fait que le projet de loi mette l’accent sur l’analyse des impacts potentiels sur les femmes et les femmes autochtones pourrait, par inadvertance, exclure les impacts potentiels sur d’autres groupes de personnes, par exemple sur les personnes ne s’identifiant pas comme des femmes ou présentant d’autres facteurs identitaires. Deuxièmement, le projet de loi S-213 ne semble pas préconiser une méthode analytique.
J’espère que ces dernières informations seront utiles lors de l’étude du projet de loi S-213 en comité. Je vous remercie.