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Projet de loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie

Deuxième lecture--Ajournement du débat

30 novembre 2021


L’honorable Marie-Françoise Mégie

Propose que le projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénatrices et sénateurs, j’interviens à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie.

Le philosophe George Santayana a écrit : «Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. » Il soutient essentiellement que, si notre monde veut progresser, il doit se souvenir de ce qu’il a appris dans le passé. Nous devons donc apprendre de cette pandémie pour ne pas répéter les mêmes erreurs lors d’une autre pandémie ou de l’apparition d’éventuels variants du coronavirus.

Le 11 mars a été choisi comme jour de commémoration, car c’est précisément le 11 mars 2020 que l’Organisation mondiale de la santé a qualifié la COVID-19 de « pandémie ». Comme vous le savez, la mémoire est une faculté qui oublie, et le fait d’instaurer le Jour commémoratif de la pandémie répond à la 27e recommandation du rapport spécial de la protectrice du citoyen du Québec sur la COVID-19 dans les CHSLD, qui a été déposé la semaine dernière.

Cette recommandation se lit comme suit :

Proposer l’instauration d’actes de commémoration annuelle des victimes de la COVID-19 et des personnes qui ont travaillé directement ou indirectement auprès d’elles afin de garder en mémoire ce qu’elles ont traversé dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie, rappelant les pertes et les souffrances vécues par ces personnes durement éprouvées.

La mémoire s’effrite au passage du temps, et c’est normal, d’où la raison d’être du projet de loi S-209.

La protectrice du citoyen a intitulé son rapport Cibler les causes de la crise, agir, se souvenir. Cela m’amène à la question suivante : pourquoi commémorer la pandémie?

J’y vois trois raisons : par devoir de se souvenir, par devoir de s’en sortir et par devoir d’être prêt pour une future pandémie. Le premier devoir est le devoir de mémoire. Au Canada, plusieurs travailleurs de la santé sont décédés des suites de la COVID-19.

La Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers recense d’ailleurs une multitude de cas, dont certains demeurent anonymes aujourd’hui.

J’aimerais parler plus particulièrement de certains d’entre eux parmi les cas recensés, c’est-à-dire de ceux et celles qui ont prêté main-forte durant la pandémie et qui l’ont fait au péril de leur vie.

Le Dr Huy Hao Dao a été le premier travailleur de la santé décédé de la COVID-19 au Québec. Professeur-chercheur au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke, le Dr Dao s’est démarqué en obtenant une bourse des Instituts de recherche en santé du Canada avec un projet de détection des opioïdes afin de « prévenir les surdoses chez les personnes qui consomment seules à la maison ». Il épaulait aussi ses collègues en participant aux enquêtes épidémiologiques qui consistent à déterminer la provenance du coronavirus chez les gens testés quand il a été fauché par la maladie. Il avait 44 ans.

Marcelin François était un père de famille qui était arrivé au Canada par le chemin Roxham tout récemment avec sa femme et ses enfants. Il était opérateur de machinerie dans le textile pendant la semaine et préposé aux bénéficiaires les samedis et les dimanches. Il était « charrié » dans diverses résidences de personnes âgées par son « agence ». Il est mort de la COVID-19 en avril 2020 alors qu’il avait 40 ans. En parlant de lui, M. Yves Boisvert, du journal La Presse, a écrit ce qui suit dans sa chronique :

Il ne figure sur aucune liste officielle, n’étant ni employé de l’État ni syndiqué. Ni rien. Je veux dire : « en attente de statut ». [...]

Entre-temps, on leur a refusé le statut de réfugiés. Quand on se réfugie seulement de la misère, on n’est pas un réfugié au sens de la loi.

Mme Victoria Salvan, qui avait immigré des Philippines dans les années 1980, avait deux enfants et travaillait comme préposée aux bénéficiaires depuis plus de 25 ans. Elle est décédée de la COVID-19. Elle avait 64 ans.

Yassin Dabeh était préposé d’entretien ménager dans un foyer de soins de longue durée à London, en Ontario. Réfugié syrien venu au Canada en 2016 avec toute sa famille, il est mort en janvier 2021 après avoir obtenu un résultat positif à la COVID-19. Il avait 19 ans.

Honorables sénateurs, ces personnes décédées en aidant à soigner ou à sauver la vie de personnes malades de la COVID-19 travaillaient en première ligne. Elles sont appelées « travailleurs essentiels » ou « anges gardiens », expression souvent utilisée par nos politiciens pour les désigner.

Par contre, d’autres travailleurs, comme les gardiens de sécurité, font partie d’un groupe anonyme et sont moins considérés comme des « anges gardiens », et ils n’ont pas reçu le même traitement pour ce qui est de leur dossier d’immigration. Il importe de noter que ceux et celles qui occupent ces emplois sont très souvent des personnes racialisées. Nous les retrouvons sur la ligne de front, aux entrées des magasins, des hôpitaux, des centres des soins de longue durée et des cliniques de dépistage de la COVID-19. Ils prennent soin de faire respecter les consignes sanitaires pour protéger la population et contenir le virus. Certaines de ces personnes se font agresser verbalement et même parfois physiquement, alors qu’elles s’efforcent de nous garder en sécurité.

Nous pensons aussi aux camionneurs et aux livreurs, qui font partie d’un secteur qui a connu une demande accrue avec la livraison à domicile. Ils sont, trop souvent, mal payés et peu reconnus.

En plus des travailleurs, notre devoir de mémoire s’étend aussi aux personnes âgées qui ont été la cible du virus dans les résidences pour aînés privées et publiques, ainsi que dans les centres de soins de longue durée. Ces aînés sont décédés souvent loin de leurs proches, qui n’ont pas pu les accompagner jusqu’à leur dernier souffle de vie.

Avec les chiffres actuels de la COVID-19 au Canada, on peut présumer que tout le monde a connu quelqu’un qui est décédé de ce virus. Plusieurs personnes de mon bureau ont aussi perdu récemment des proches, soit une mère, un grand-père, une grand-mère ou un oncle, des suites de cette maladie.

Plus près de nous, dans cette enceinte, la sénatrice Josée Forest-Niesing, notre regrettée collègue, a combattu la COVID avant de retourner chez elle. J’aimerais transmettre mes condoléances à sa famille et à son personnel.

Cette pandémie a empêché d’accomplir les rituels entourant le deuil. De trop nombreux deuils n’ont pas été vécus. Ce processus de deuil, laissé en plan par plusieurs, prendra du temps à guérir.

Notre deuxième devoir est de nous sortir de cette pandémie. Avec l’arrivée soudaine de nouveaux variants, comme les variants Delta et Omicron, nous pouvons observer à quel point notre quotidien peut continuer à nous éloigner de la normalité. Tant que nous ne parviendrons pas à immuniser une très vaste majorité des personnes sur la planète, il sera assez difficile de s’en sortir.

Devant les nouvelles préoccupations liées aux variants, nous constatons que nous ne sortirons de cette pandémie que d’une seule manière : tous ensemble. On doit assurer l’accessibilité à la vaccination dans tous les pays. Cela nous permettra de combattre les variants, de restreindre leur transmission et de réduire les taux d’hospitalisation et de décès.

Enfin, notre troisième devoir est de tirer des leçons de notre expérience actuelle pour être mieux préparés dans l’éventualité d’une prochaine pandémie.

La pandémie de 1918, celle de la grippe espagnole, a fauché la vie de 50 millions de personnes dans le monde. Cette pandémie a mené à la création du ministère de la Santé au Canada. Il s’agit d’un exemple de mesures qui ont permis d’assurer une meilleure santé pour la population au pays. Des leçons devront être tirées de la pandémie de COVID-19, pour nous permettre justement de mettre en place des mesures ou de modifier les structures actuelles pour sauver plus de vies et garder les gens en bonne santé.

Honorables sénateurs, j’ai opté pour l’approche législative en présentant ce projet de loi. Je tenais à ce que le sujet chemine dans les deux Chambres et que cela nous permette d’arriver rapidement à un consensus afin de désigner le 11 mars comme la Journée de commémoration de la pandémie.

En conclusion, vous connaissez la devise du Québec, qui nous vient de l’architecte de l’Assemblée nationale, Eugène-Étienne Taché : « Je me souviens ». Cette devise est bien d’actualité. Pour reprendre les mots de l’ancien ministre québécois Thomas Chapais :

Cette devise n’a que trois mots : « Je me souviens », mais ces trois mots, dans leur simple laconisme, valent le plus éloquent discours. Oui, nous nous souvenons. Nous nous souvenons du passé et de ses leçons, du passé et de ses malheurs, du passé et de ses gloires.

Je garde l’espoir, pour les générations d’aujourd’hui et de demain, que le 11 mars devienne un moment pour réfléchir aux impacts de la pandémie, ainsi qu’à la manière de gérer les pandémies et de les prévenir, et pour se souvenir des personnes qui nous ont soignés et protégés et de toutes celles qui sont décédées. Je vous remercie.

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