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Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Deuxième lecture--Ajournement du débat

3 novembre 2020


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Propose que le projet de loi S-203, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

Au cours des 10 dernières années, les gens ont regardé l’équivalent de 1,2 million d’années de vidéos pornographiques, et 95 % de ces visionnements ont eu lieu sur des sites commerciaux gratuits sans mécanisme de vérification de l’âge. Si on additionne toutes les vidéos regardées chaque année sur les sites pornographiques les plus populaires, comme XVideos, Pornhub, XHamster et YouPorn, on arrive au chiffre astronomique de 350 milliards de vidéos. Par ailleurs, il serait faux de croire que tous ces sites sont établis à l’étranger. Le site le plus populaire, Pornhub, est la propriété de MindGeek, dont les bureaux se trouvent à deux heures de route du Sénat, à Montréal.

On estime à 4,5 millions le nombre de sites pornographiques dans le monde. Mais surtout, le contenu des vidéos pornographiques a considérablement changé. Ces vidéos sont devenues plus hardcores, extrêmes et crues que jamais, en plus d’être souvent violentes et dégradantes pour les femmes qui sont soumises à des traitements humiliants. La pratique la plus populaire est l’asphyxie érotique.

Ces plateformes diffusent également des vidéos d’amateurs dans lesquelles des mineurs sont exploités sexuellement, et dont les participants n’ont pas consenti à leur diffusion. Certes, c’est illégal, mais les sites ne sont pas poursuivis, car ils ne sont pas les auteurs de ces vidéos. Au début d’Internet, ces plateformes, qui sont basées sur le modèle de YouTube, se sont vu accorder beaucoup de liberté au motif que le filtrage des vidéos amateurs constituerait une violation de la liberté d’expression.

C’est le contexte de cette réalité troublante qui m’a amené à réfléchir et m’a poussé à élaborer ce projet de loi. Son titre abrégé est Loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie. Ce projet de loi est très ciblé. Il s’agit de protéger les mineurs, car exposer les enfants à de la pornographie en ligne de plus en plus violente peut nuire à leur santé à un moment où ils grandissent rapidement, et où leur fonctionnement cognitif et comportemental est encore en développement. C’est une question de santé et de sécurité publique qui ne peut plus être ignorée. Je reviendrai sur cet aspect plus tard.

Internet est devenu une partie intégrante de presque tous les aspects de la vie de nos enfants. Étant donné leur utilisation généralisée des téléphones intelligents et des tablettes, les enfants sont exposés à la pornographie pour la première fois à l’âge de 11 ans, en moyenne. Plus de la moitié des enfants canadiens ont accès à la pornographie à partir de leur téléphone intelligent, au lieu d’un ordinateur à la maison, ce qui rend la tâche difficile pour les parents quand vient le temps de surveiller et de contrôler les activités en ligne de leurs enfants. En fait, les enfants peuvent facilement tomber par hasard sur une vidéo de pénétration anale pendant qu’ils naviguent sur le Web.

On estime que 22 % des mineurs qui consomment de la pornographie en Grande-Bretagne sont des enfants de moins de 10 ans. Les sites pornographiques gratuits gagnent leur argent, entre autres, avec des annonces de jeux vidéo de nature sexuelle qui ciblent justement les jeunes. Au Canada, peu d’études ont été faites, mais selon le plus récent sondage effectué, 40 % des garçons à l’école secondaire ont vu de la pornographie en ligne; 28 % recherchent la pornographie en ligne au moins une fois par jour ou par semaine; et 7 % des filles ont déclaré avoir visionné de la pornographie.

Alors pourquoi ces sites Web pour adultes ne filtrent-ils les visites de manière à les interdire aux mineurs, particulièrement les principaux sites qui font des profits exorbitants? C’est ce à quoi nous sommes en droit de nous attendre, étant donné que ces sites existent depuis environ 20 ans et qu’ils ont un système d’autoréglementation. Toutefois, aucune mesure n’a été mise en place parce que ces sites ont peur de perdre une grande partie de leurs utilisateurs. De toute évidence, l’autoréglementation est un échec retentissant. Les sites Web pornographiques demandent simplement aux utilisateurs de cocher une case pour confirmer qu’ils ont 18 ans.

L’industrie de la pornographie en ligne est une industrie légale, mais elle ne fonctionne pas conformément à notre consensus en tant que société. La pornographie est censée être réservée aux adultes. La preuve, c’est que l’accès à toute pornographie, à l’exception de celle en ligne, est réglementé par la loi.

Les provinces classifient les films pour protéger les jeunes. Par exemple, au Québec, les longs métrages qui contiennent surtout des scènes à caractère sexuel explicite sont réservés aux adultes. Les salles de cinéma doivent interdire l’accès aux personnes de moins de 18, 16 ou 13 ans. Les détaillants doivent respecter cette classification lorsqu’ils vendent ou louent des vidéos qui contiennent des scènes à caractère sexuel explicite. Les municipalités interdisent aux mineurs l’accès aux boutiques érotiques et aux magazines pornographiques, qui doivent être rangés à une hauteur précise. Cela signifie que les enfants peuvent regarder Pornhub en toute liberté, mais qu’ils ne peuvent pas acheter un magazine Playboy. Quel paradoxe!

Parallèlement, les Nations unies ont lancé un mouvement international pour reconnaître que les enfants ont droit à des informations appropriées sur leur sexualité et la reproduction humaine. C’est essentiel. Dans le cadre de mes fonctions précédentes, j’ai fortement défendu l’importance de l’éducation sexuelle à l’école. Cependant, l’éducation sexuelle n’a rien à voir avec la pornographie. En 2016, l’American College of Pediatricians a émis l’avertissement suivant :

En raison des conséquences préjudiciables pour les enfants, la pornographie ne doit jamais être utilisée pour enseigner la sexualité humaine aux enfants.

Les nombreuses lois sur la pornographie montrent que l’intention des législateurs est de rendre la pornographie inaccessible aux mineurs. Pourquoi devrait-il en être autrement sur Internet?

Qu’en est-il des parents dans tout cela? Le principal argument des opposants à tout contrôle législatif, c’est qu’il s’agit d’une responsabilité parentale et que chaque parent devrait s’assurer d’utiliser des filtres. Toutefois, les filtres proposés ne sont pas à toute épreuve et peuvent être désactivés par des adolescents débrouillards qui trouvent sans difficulté des instructions sur Internet. Encore faut-il être au courant.

Selon une vaste enquête britannique, 75 % des 1 000 parents interrogés croient que leurs enfants ne visionnent pas de pornographie en ligne, alors qu’en réalité, 53 % des enfants disent faire le contraire. Une étude européenne conclut même que les filtres parentaux sont inefficaces pour limiter la consommation de matériel sexuellement explicite par les adolescents. De plus, ces filtres individuels ralentissent le débit de l’Internet, ne bloquent pas suffisamment le matériel explicite ou, au contraire, donnent accès à trop de contenu et empêchent les jeunes de voir du matériel sexuel éducatif.

Pourquoi les parents seraient-ils les seuls responsables, alors que, dans plusieurs autres domaines de santé publique, on demande aux commerçants de vérifier l’âge des clients qui achètent des cigarettes ou de l’alcool? Ces vérifications ne sont pas sans faille, mais elles représentent tout de même un frein.

Dans les faits, les parents demandent de l’aide. Selon une enquête menée par le Centre canadien de protection de l’enfance, 60 % des répondants se disent très inquiets que leurs enfants s’exposent à des images pornographiques ou violentes. En Grande-Bretagne, 83 % des parents interrogés lors d’une vaste enquête ont revendiqué l’établissement d’un solide système de vérification de l’âge.

Le véritable objectif de ce projet de loi, comme le précise l’article 3, est de protéger la santé mentale des jeunes, et, dans une perspective plus large, de protéger les Canadiens — les jeunes et les femmes en particulier — des répercussions néfastes de la pornographie, qui est bel et bien un enjeu de sécurité publique.

Voilà le cœur du projet de loi. Les préjudices causés aux enfants exposés au matériel sexuellement explicite constituent une préoccupation sociale réelle et urgente. La recherche scientifique fait de plus en plus de corrélations inquiétantes entre la consommation de pornographie et la santé ou le comportement des jeunes.

Voici ce que l’on sait. Le visionnement fréquent de pornographie par les adolescents peut mener à une consommation compulsive, créer des attentes irréalistes quant aux pratiques attendues, générer de la peur et de l’anxiété et, enfin, affecter leur estime de soi par le biais d’une altération de la perception qu’ils ont de leur propre corps.

Certains symptômes de dépression sont liés à la consommation de pornographie par les mineurs. Les jeunes qui en visionnent sont susceptibles d’affaiblir leur niveau d’intégration sociale. De plus, il y a un lien entre le fait de visionner de la pornographie et un rendement scolaire plus faible. Alors que le cerveau des adolescents se trouve à une étape unique de son développement, l’exposition à la pornographie peut compromettre l’inhibition et le contrôle de soi et risque d’augmenter l’impulsivité.

Que retiennent les jeunes, les garçons en particulier, de ce qu’ils voient? La consommation répétée de pornographie par les adolescents renforce les stéréotypes de genre et perpétue les croyances sexistes et l’objectivation des femmes. Tout cela augmente les probabilités de percevoir les femmes comme des objets sexuels, qui sont ainsi réduites aux parties de leur corps, dont la finalité serait la satisfaction du désir des hommes.

Selon une étude américaine qui a duré trois ans, les adolescents qui consomment de la pornographie violente sont six fois plus susceptibles d’être sexuellement agressifs que ceux qui consomment de la pornographie non violente ou qui n’en consomment pas du tout. D’autres études ont démontré que les relations sexuelles sans protection telles que représentées dans la pornographie peuvent influencer les jeunes à avoir des rapports sexuels non protégés.

Il est important de noter que la relation directe de cause à effet entre la pornographie et la violence sexuelle n’a pas été démontrée scientifiquement. Toutefois, il existe des liens alarmants entre les deux phénomènes qui ont été clairement établis dans la littérature.

Cela dit, la recherche est assez étoffée pour affirmer que la pornographie constitue bel et bien un facteur de risque pour les mineurs. Voici un extrait du plus vaste examen scientifique jamais effectué. Il a été réalisé à la demande du gouvernement de l’Australie :

[...] la pornographie la plus répandue, la plus populaire et la plus accessible véhicule des messages et des comportements extrêmement problématiques sur le sexe, le genre, le pouvoir et le plaisir. Plus particulièrement, les gestes d’agression physique (p. ex. frapper, étouffer, bâillonner l’autre ou lui tirer les cheveux) et d’agression verbale (injurier l’autre), qui visent majoritairement des femmes et sont surtout le fait d’hommes [...] sont omniprésents dans le contenu pornographique [...] Qui plus est, ces agressions se conjuguent souvent à des rapports sexuels non réciproques [...] où le consentement est tenu pour acquis au lieu d’être négocié.

Au total, 37 % des scènes de pornographie qu’on trouve en ligne mettent en scène des actes de violence contre une ou des femmes. Cette vision dénaturée de la sexualité a de quoi traumatiser les enfants.

Selon le respecté Centre canadien de protection de l’enfance :

La pornographie entre adultes n’est pas seulement néfaste pour le développement cérébral des enfants, elle peut aussi les préparer à d’éventuelles agressions sexuelles et normaliser l’activité sexuelle dans leur esprit.

Le pédiatre Jean-François Chicoine, de l’Hôpital Sainte-Justine, a observé ce qui suit dans sa pratique, et je le cite :

Trop jeune, trop souvent, trop intensivement, l’exposition à la pornographie est toujours une blessure, mais chez certains enfants c’est une réelle cassure qui brise leur estime de soi et leur rapport avec les autres, et pour toujours. Dans le cerveau des enfants, l’exposition à la pornographie est une intrusion qui dérange, rend anxieux ou fait faire des cauchemars, pire, la porno fait image, elle créée une distorsion de la pensée et des attentes sur le monde [...]

D’ailleurs, l’Association des pédiatres du Québec et la Société canadienne de pédiatrie ont appuyé ce projet de loi sans hésitation.

Je vais maintenant donner quelques définitions. L’expression « matériel sexuellement explicite » fait référence, dans le Code criminel, à la représentation d’une activité sexuelle explicite, où la caractéristique dominante est de montrer les seins, les organes génitaux ou la région anale, tout cela dans un but sexuel.

Dans le matériel sexuellement explicite, on retrouve une catégorie appelée « matériel obscène », dont la production et la publication sont strictement prohibées dans le Code criminel. On juge obscène le matériel, et je cite :

[...] dont une caractéristique dominante est l’exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l’un ou plusieurs des sujets suivants, savoir: le crime, l’horreur, la cruauté et la violence.

Dans la perspective de réprimer les effets préjudiciables sur la santé des enfants, le projet de loi S-203 propose de restreindre leur accès à l’ensemble du matériel sexuellement explicite disponible en ligne à des fins commerciales. Plus encore, l’exposition au matériel obscène interdit par le Code criminel comporte des effets dont les dangers ont fait l’objet de mises en garde alarmantes dans la jurisprudence. Exposer les mineurs à ce genre de contenu est donc d’autant plus répréhensible. Par conséquent, conformément à l’article 8 du projet de loi, le tribunal devra considérer comme une circonstance aggravante le fait qu’un site pornographique commercial n’a pas vérifié l’âge des mineurs et leur a ainsi donné accès à du matériel obscène.

J’aimerais citer là-dessus l’opinion du juge Gonthier, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Butler :

Le matériel obscène avilit la sexualité. Il engendre l’humiliation des femmes et parfois la violence à leur endroit. C’est plus qu’une simple question de goût.

À l’article 4, donc, le projet de loi criminalise le fait de rendre accessible à un mineur du matériel sexuellement explicite sur Internet à des fins commerciales. Une première infraction est passible d’amendes maximales variant entre 10 000 $ et 250 000 $, selon qu’il s’agit d’un individu ou d’une entreprise. Des peines plus lourdes sont prévues en cas de récidive.

Toutefois, pour ceux qui s’inquiètent des risques de censure de matériel éducatif ou artistique, je tiens à préciser ceci : il y a une exception explicite dans le projet de loi à ce propos. L’éducation sexuelle, que ce soit sur Internet ou ailleurs, est nécessaire. Le corps nu et la sexualité ont toujours inspiré les artistes, mais je le répète : cela n’a rien à voir avec la pornographie. Au paragraphe 2 de l’article 7, il est expressément prévu que le matériel sexuellement explicite ayant un but légitime lié à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts n’est pas visé par les interdictions prévues dans le projet de loi. Donc, il n’est pas question ici de censure.

En outre, en vertu du paragraphe 7(1), l’accusé aura un moyen de défense s’il a mis en place un système efficace de vérification de l’âge prévu par le règlement qui accompagnera la loi.

Nous y voilà; comment donc vérifier l’âge des clients avant qu’ils consultent un site? Les avancées technologiques permettent aujourd’hui de vérifier l’âge des consommateurs en ligne de manière sécuritaire.

Sur d’autres sites Internet de vente, la vérification de l’âge des consommateurs est déjà obligatoire. Pour les jeux en ligne, il y a des contrôles d’identité en amont, qui se font généralement par carte de crédit. Pour l’achat d’alcool sur Internet, le client qui récupère les bouteilles se fait demander son âge. À travers le monde, toute une industrie privée de vérification de l’âge s’est développée.

Étant donné que la technologie évolue sans cesse, il est plus prudent d’établir par règlement les modalités de vérification de l’âge. C’est pour cela que vous ne retrouverez pas ces modalités dans le projet de loi. D’emblée, les experts s’entendent pour que ces vérifications doivent être effectuées non pas par des sites pornos, mais par des compagnies tierces, spécialisées dans le domaine. Cette précaution est essentielle pour éviter que des sites pornos puissent avoir accès aux données personnelles de leurs clients. Une grande étanchéité est nécessaire.

La compagnie britannique Yoti nous a expliqué qu’elle vérifie l’âge à l’aide d’un détecteur du caractère vivant du demandeur et de cartes d’identité. Les données sont ensuite cryptées. Ce sont des processus qui prennent de trois à cinq minutes, et l’internaute se voit remettre un jeton d’âge certifié dans son fureteur qui ne comprend aucune donnée d’identité autre que celle indiquant que son propriétaire a 18 ans ou plus. Les services tiers autorisés par le gouvernement à faire ces vérifications de l’âge seraient tenus de respecter des normes de sécurité des données.

L’honorable Pierrette Ringuette (Son Honneur la Présidente suppléante) [ + ]

Avez-vous une question, sénatrice Frum?

L’honorable Linda Frum [ + ]

Oui, j’en ai une.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Miville-Dechêne, acceptez-vous de répondre à une question?

Certainement.

La sénatrice Frum [ + ]

Tout d’abord, sénatrice Miville-Dechêne, je vous remercie de l’excellent travail que vous avez accompli dans ce dossier. En tant que porte-parole de l’opposition pour le projet de loi, je vous félicite d’avoir présenté un projet de loi sur cette question très importante. Les répercussions sociales dont vous venez de parler avec brio sont bien réelles et très graves.

Toutefois, ma question pour vous est la suivante : dans le projet de loi, vous indiquez que c’est le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui devrait en être responsable. Pourquoi n’avez-vous pas choisi le ministre du Patrimoine, qui est responsable de protéger les enfants contre l’exploitation, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, qui supervise la mise en œuvre de la Loi sur la radiodiffusion et de la Loi sur les télécommunications, voire le ministre de la Santé? Y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous avez choisi le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile?

Je l’ai choisi parce que le projet de loi a une incidence sur la sécurité publique, non seulement pour les enfants, mais aussi pour les femmes. Compte tenu de son pouvoir de faire enquête, il semblait être le mieux placé pour évaluer si des sites pornos doivent être fermés, qu’ils soient à l’étranger ou de petite taille ou qu’ils ne diffusent pas le matériel adéquat pour les trouver. Nous estimons qu’il s’agit du ministre le plus compétent pour intervenir, mais, de toute évidence, nous pouvons en discuter.

La sénatrice Frum [ + ]

Merci.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Avez-vous une question, sénateur Housakos?

L’honorable Leo Housakos [ + ]

Oui, j’ai une question à poser à la sénatrice.

Sénatrice Miville-Dechêne, je vous félicite de votre projet de loi. Je ne peux pas croire qu’il y ait des gens qui s’y opposent ou qui ne le trouvent pas intéressant. Votre objectif est très noble.

Cependant, j’ai quelques préoccupations. Comme tout le monde le sait, depuis des années, Internet est devenu un outil très puissant qui doit être surveillé de près. C’est un outil fort utile à la société; malheureusement, en même temps, le Web international est aussi utilisé par des forces qui font des choses illégales, des choses qui font mal, tout particulièrement à la jeunesse, dans ce cas-là.

Pouvez-vous expliquer davantage, à l’intention de gens comme moi — peut-être que je ne suis pas assez à l’aise avec les nouvelles technologies —, comment notre gouvernement pourrait réussir là où plusieurs autres gouvernements dans le monde ont échoué, à savoir mettre un terme aux activités illicites ou illégales sur Internet? Je pense que nous n’en sommes pas encore rendus là, même si nous sommes en mesure de respecter la confidentialité des données de nos citoyens et d’assurer tous les autres aspects relatifs à leur sécurité et à leur protection. Merci.

Sénateur Housakos, merci de votre question. En fait, vous en soulevez deux. Il est certain que c’est très difficile pour l’instant, sans législation, de rendre criminellement responsables les sites pornographiques où on trouve des cas d’exploitation sexuelle de mineurs ou des questions de non-consentement. Dans ses lettres de mandat, le ministre Guilbeault a la tâche de s’attaquer à cette question et de donner 24 heures aux sites pornographiques pour retirer le matériel illégal. C’est une première chose.

Cependant, pour ma part, ce que je veux, c’est que les moins de 18 ans n’aient pas accès à ce matériel. Selon moi, cela peut se faire, car la technologie progresse. Cette technologie dont je vous parle existe, qui consiste à faire une vérification de l’âge en recueillant le moins possible d’information privée. Donc, on est en mesure maintenant de dire que c’est possible, et que ce seront les sites pornographiques qui devront payer pour que ces intermédiaires, ces compagnies indépendantes, vérifient l’âge des utilisateurs d’une façon qui respecte le plus possible leurs renseignements privés. Vous le savez, il y a maintenant des compagnies qui cryptent l’information. Ces compagnies, bien entendu, doivent être certifiées par le gouvernement pour veiller à ce que ce ne soit pas les sites pornographiques qui recueilleront des renseignements personnels sur leurs clients. Tout cela peut se faire maintenant en quelques minutes.

Vous avez raison de dire que tout cela est en train de changer rapidement. Toutefois, d’après les consultations que j’ai menées, en Grande-Bretagne et en Australie, il est possible d’aller de l’avant. En fait, on n’a pas d’autre choix, parce que, avec les fameux filtres parentaux, les sites pornographiques nous disent que c’est la responsabilité des parents. Les parents ne savent pas toujours que les enfants naviguent sur ces sites. Ils peuvent le faire depuis le téléphone de quelqu’un d’autre. C’est très difficile à superviser, et c’est leur donner une trop grande responsabilité.

Oui, il faut agir, et je ne comprends pas pourquoi notre gouvernement n’a pas encore agi. Il faut dire que c’est en effet un domaine controversé, et trop de gens ont tendance à croire que c’est un enjeu purement conservateur. De mon point de vue, c’est un enjeu qui peut rassembler les partis, parce qu’il est question de protéger les enfants. Pour ma part, je viens du mouvement féministe, dans lequel beaucoup de féministes s’inquiètent énormément de l’impact grandissant de la pornographie quant à l’image qu’elle donne des femmes. Or, plus les garçons et les filles commencent à voir cette pornographie à un jeune âge, plus leur cerveau est imprégné de cette perception qui n’a rien d’égalitaire.

Donc, on peut, de différents points de vue, arriver à un consensus sur le fait qu’il faut absolument protéger les enfants contre ce qui est littéralement du lavage de cerveau et qui peut vraiment les abîmer — pas toujours, mais c’est un facteur de risque.

L’honorable René Cormier [ + ]

Ma question s’adresse à la sénatrice Miville-Dechêne. Merci beaucoup, sénatrice, de porter à notre attention cet enjeu si important. Effectivement, l’accessibilité de la pornographie est de plus en plus grande pour les citoyens de tous les âges, à travers des sites pornographiques commerciaux, mais aussi sur l’ensemble des médias sociaux de façon gratuite. Or, si la pornographie, comme vous le dites si bien, participe à l’avilissement des femmes, mes recherches démontrent aussi que cette pornographie participe souvent à l’humiliation de nombreux jeunes hommes homosexuels, membres de la communauté LGBTQ. C’est un sujet très important et complexe.

Ma question va un peu dans le même sens que celle du sénateur Housakos : puisque l’accès à la pornographie est si facile à obtenir dans l’ensemble des médias sociaux, pourquoi avez-vous uniquement ciblé, dans votre projet de loi, les sites pornographiques commerciaux et non pas l’ensemble des médias sociaux? Peut-être que c’est une question complexe, mais je vous la pose.

Sénateur Cormier, je vous remercie de cette excellente question. En effet, j’ai dû faire des choix difficiles. Je porte un projet de loi privé. Le fait de s’attaquer aux sites pornographiques commerciaux permet d’avoir une meilleure définition et de dire que nous allons utiliser le Code criminel pour pénaliser les sites pornographiques qui ne s’y conforment pas. Cependant, quand on en vient à essayer de policer les médias sociaux dans leur ensemble, où on trouve effectivement des agresseurs, mais aussi des jeunes qui partagent des images pornographiques, il est beaucoup plus difficile de trouver une solution unique à ces problèmes. Vous savez que, avec le sexting, par exemple, beaucoup de policiers disent maintenant que ce n’est pas une bonne idée de criminaliser les enfants, même s’il est indiqué dans le Code criminel que le sexting peut être une action criminelle. Donc, il est beaucoup plus complexe et difficile de le faire pour l’ensemble des médias sociaux.

La Grande-Bretagne s’est engagée dans cette voie en présentant un livre blanc sur tous les dommages que sont susceptibles de subir les mineurs à travers les médias sociaux. Il y a non seulement la pornographie, mais aussi l’incitation au suicide et d’autres grands maux qui surviennent par les médias sociaux. Je pensais que, dans le cas d’un projet de loi privé, que je porte avec mon excellente équipe — Mylène Alloto et To-Yen Tran, qui m’ont aidée depuis des mois dans le cadre de ce dossier —, il était suffisant de s’attaquer à 4,5 millions de sites pornographiques commerciaux, car ils ont un but commercial, et c’est pour cette raison qu’on peut mieux les cibler.

L’honorable Paula Simons [ + ]

Avant toute chose, sénatrice Miville-Dechêne, je tiens à vous remercier d’avoir prononcé ce discours passionné et provocateur. Vous avez expliqué avec beaucoup d’éloquence les dommages sociaux liés à l’exposition des jeunes à la pornographie, ce qui m’apparaît essentiel. Nous sommes conscients qu’Internet permet de diffuser des contenus à toute vitesse et qu’il ne sera jamais possible de créer une barrière parfaite. Il faut toutefois amorcer cette conversation et je vous remercie de l’avoir fait.

Ma question est semblable à celle du sénateur Housakos. Mes préoccupations concernent ce que vous avez dit à propos des logiciels de reconnaissance faciale, notamment. Comment peut-on arriver à un juste équilibre, c’est-à-dire trouver une façon de prouver l’âge des jeunes sans empiéter sur la vie privée — décidément très privée — des adultes qui choisissent de consommer de la pornographie, un droit protégé par la Constitution? Comment peut-on protéger à la fois les jeunes et les choix sexuels très privés des adultes?

C’est une très bonne question. Autant la technologie a donné des ailes à ces entreprises pornographiques qui font beaucoup de profits, autant elle peut nous aider à le faire. Il est vrai que la reconnaissance faciale est une technologie très controversée qui ne permet pas, notamment, de connaître l’âge exact de la personne, seulement d’en avoir une estimation. Justement, cette question me tracassait énormément. C’est pour cela que j’ai parlé à des vérificateurs d’âge et, en particulier, à un spécialiste de Grande-Bretagne qui s’est occupé de cette question pendant deux ans. Il m’a dit que la technologie existe pour le faire de façon sécuritaire.

Vous savez sans doute que, quand on fait une vérification de l’âge, l’information peut être cryptée. On peut obtenir seulement une parcelle de l’information sur son fureteur. Nous allons vers l’identité numérique, qui signifie essentiellement que l’on peut avoir ses propres données sur son téléphone cellulaire et en partager quelques-unes, selon son choix, avec une compagnie qui vérifie l’âge. Donc, la seule donnée qui sera accessible au site pornographique, c’est ce jeton qui dit : « J’ai plus de 18 ans », pas le nom ni l’adresse. Ces questions, je ne peux pas les nier, mais elles existent pour n’importe quelle vérification. Quand vous allez sur un site de jeu en ligne, on vérifie votre carte de crédit. Equifax vérifie votre carte de crédit. Equifax a tous vos renseignements personnels, comme votre date de naissance, votre nom, etc. Tous ces renseignements circulent déjà. Donc, si l’on prétend que, parce qu’il s’agit de pornographie, on ne pourrait pas faire la vérification de l’âge alors qu’on fait cette même vérification pour le jeu en ligne et l’achat d’alcool, cela signifierait qu’on parle de deux poids, deux mesures, étant donné les dangers de la pornographie.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Je tiens moi aussi à féliciter la sénatrice Miville-Dechêne pour cette initiative, pour son analyse approfondie de la question et pour la solution qu’elle propose. Sénatrice Miville-Dechêne, j’ai remarqué avec intérêt que vous avez parlé d’autres pays et de ce qu’ils font puisque nous pouvons en tirer beaucoup de leçons. J’ai remarqué que, dans votre discours, vous avez dit quelques mots sur la création, en Australie, d’un commissariat à la sécurité qui est chargé de se pencher sur ces questions et d’intervenir. Comme vous le savez bien, notre collègue la sénatrice Moodie a présenté le projet de loi S-210, qui vise à créer le poste de commissaire à l’enfance. Pourriez-vous nous dire si vous pensez que le commissaire à l’enfance aurait un rôle complémentaire à jouer dans ce domaine, au-delà de ce qui est prévu dans votre projet de loi?

Certainement. Lorsque la sénatrice Moodie a présenté son projet de loi, je me souviens de m’être fait la réflexion que nos deux dossiers se rejoignaient.

En Australie, les enfants relèvent de l’eSafety Commissioner. Il s’agit d’un commissaire dont le mandat est plus ciblé, mais cela ne signifie pas qu’un commissaire à l’enfance au Canada ne pourrait pas intervenir. Cependant, je pense qu’un projet de loi est essentiel parce que les administrateurs de sites Web, c’est-à-dire de sites pornographiques, doivent savoir que s’ils ne limitent pas l’âge des enfants...

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Miville-Dechêne, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Certainement, mais je ne veux pas retarder la Chambre.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Si les sénateurs ont une objection, ils peuvent dire « non ». Vous pouvez continuer.

Je vais continuer en français. Il faut absolument adopter un projet de loi pour stopper ces sites pornographiques qui, désormais, sans faire la vérification de l’âge, peuvent être tenus criminellement responsables. C’est là que se trouve le changement. Jusqu’à maintenant, ces sites avaient une immunité complète, ce qui est incompréhensible. Cela s’explique par le fait que, aux débuts d’Internet, on a choisi d’autoriser une grande liberté, parce qu’on ne voulait absolument pas brimer la liberté d’expression. Cependant, la liberté d’expression ayant trait à des sites comme YouTube, où l’on présente des chanteurs, n’est pas la même que la liberté d’expression totale d’un site pornographique qui ne contrôle pas l’accès qu’il donne à des mineurs. Il n’est pas question d’empêcher les adultes de consulter des sites pornos, mais il est primordial d’empêcher les mineurs de le faire. Cette industrie a pris des proportions incroyables sans que les lois suivent le rythme. Un commissaire à l’enfance peut sans doute contribuer à cet effort.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Est-ce qu’il y a d’autres questions? La sénatrice Lankin ne posera pas sa question aujourd’hui.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

Votre Honneur, je ne cherche pas à invoquer le Règlement, mais plutôt à apporter une précision avant de demander l’ajournement. Puis-je le faire?

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Je vous en prie.

La sénatrice Martin [ + ]

C’est une question que j’avais posée pendant la répétition de la séance hybride. C’est notre première journée aujourd’hui. Je pense que le moment serait bien choisi pour apporter des précisions, car dans un débat comme celui d’aujourd’hui, où la sénatrice Miville-Dechêne est la marraine et a 45 minutes et qu’il y a un certain temps peut-être pour les questions, les leaders ont un temps de parole illimité. Les personnes qui lèvent la main ou se lèvent à la Chambre vont toutes pouvoir poser des questions, mais il va y avoir des cas où il y aura peu de temps pour le débat, donc la personne à qui vous choisissez de donner la parole en premier peut faire une différence sur le temps de parole que nous avons.

Pour la liste des personnes qui participent à distance, on peut lever la main très rapidement avec un simple clic, avant même que l’intervenant ait terminé, tandis que, sur place, nous devons attendre que l’allocution soit terminée. La question que j’ai pour vous, Votre Honneur — et pour Son Honneur et toutes les autres personnes qui prennent le fauteuil — est que va-t-il se passer dans un débat, comme aujourd’hui, quand on a des sénateurs qui doivent attendre que l’allocution soit terminée pour se lever alors que ceux qui sont à distance n’ont qu’à cliquer pour lever la main?

Toutes les questions sont importantes, mais dans certains débats, le choix des premiers intervenants est important. Les personnes sur place ont un désavantage en ce sens qu’elles doivent attendre que la personne qui a la parole ait terminé. J’aimerais avoir des précisions à ce sujet.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Merci, sénatrice Martin.

Pour ma part, j’ai devant moi un écran qui m’indique quelles personnes veulent poser des questions ou intervenir dans le débat. En même temps, je vois toutes les personnes sur place. Ce n’est pas très compliqué et, à moins de problèmes techniques du côté des participants à distance, je pense que les choses fonctionnent comme il se doit jusqu’ici.

La sénatrice Martin [ + ]

Merci, Votre Honneur. Je ne dis pas que vous êtes injuste ou que nos collègues qui participent à distance sont avantagés d’une façon ou d’une autre. Je signale simplement que les sénateurs qui sont sur place doivent attendre que l’allocution soit terminée pour se lever, et que les choses sont plus faciles pour les sénateurs participant à distance. Tout comme les votes se tiennent d’abord dans cette enceinte, je me demande si nous pourrions avoir des précisions sur la marche à suivre qui sera adoptée à cet égard. Pour certains débats, l’ordre d’intervention pourrait influencer la question posée par le prochain intervenant et, peut-être, le nombre de questions posées.

C’est une question dont on devra discuter longuement en coulisse, mais je pensais que je la soulèverais dès la première journée, avant la tenue du prochain débat.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Merci, sénatrice Martin.

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