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Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Deuxième lecture--Suite du débat

2 décembre 2021


L’honorable Rosemary Moodie [ - ]

Honorables sénateurs, je suis très heureuse de prendre la parole cet après-midi au sujet du projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

Je remercie notre collègue la sénatrice Julie Miville-Dechêne d’avoir proposé cette nouvelle version améliorée du projet de loi. Je la remercie de son engagement à assurer le bien-être de nos enfants et de nos jeunes, et de sa volonté sincère de faire respecter le droit de chaque enfant canadien à une vie saine et heureuse.

C’est d’ailleurs ce sujet, c’est-à-dire les droits des enfants, que je vais aborder d’emblée aujourd’hui, car nous avons non seulement l’obligation morale de protéger nos enfants et d’en prendre soin, mais, en tant que pays signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant, nous sommes aussi tenus de protéger le droit des enfants à la vie, à la survie et au développement. S’il est vrai que cette convention est souvent traitée comme un idéal, nous sommes tenus de la respecter et de la mettre pleinement en œuvre au Canada.

En ce sens, chers collègues, nous avons une obligation spécifique de protéger nos enfants contre les préjudices causés par du contenu en ligne comme la pornographie. En effet, comme l’a expliqué la sénatrice Miville-Dechêne au début de la semaine dans son discours d’ouverture, l’exposition répétée des enfants et des jeunes à la pornographie est un problème de santé publique dont les effets néfastes sont bien connus.

Selon une recherche publiée par le gouvernement de l’Australie — un pays reconnu comme n’ayant pas son pareil pour offrir aux enfants la protection à laquelle ils ont droit —, la consommation de pornographie peut mener à des pratiques sexuelles à risque, renforcer des attitudes favorisant la violence sexuelle et la violence à l’égard des femmes, et avoir un effet négatif sur l’image que les jeunes ont d’eux-mêmes ou déformer leur vision de ce à quoi ressemble une relation intime saine. Par ailleurs, selon l’American Academy of Pediatrics, l’exposition à de la pornographie peut accroître les taux de dépression, d’anxiété et de comportements violents.

À cet égard, au Canada, certaines communautés ressentent bien plus que d’autres les effets de la pornographie. Je vais m’inspirer de notre collègue la sénatrice McCallum, qui nous a invités à nous pencher sur les effets qu’ont les lois sur les femmes autochtones.

Un rapport publié en 2014 par l’Association des femmes autochtones du Canada décrit comment l’exposition à la pornographie peut inciter les jeunes à rechercher le type de rapports sexuels qu’ils voient en ligne et que cette quête favorise la traite de femmes vulnérables — en particulier des Premières Nations — dans le but de produire du contenu sexuellement explicite. Je sais que ma collègue la sénatrice McCallum nous en dira plus à ce sujet lorsqu’elle interviendra au sujet de ce projet de loi.

Honorables sénateurs, je souligne que cette mesure législative vise non seulement à mettre les enfants à l’abri des contenus nuisibles publiés sur Internet mais aussi à faire en sorte que les enfants puissent profiter de tous les aspects positifs de la toile pour apprendre, grandir et s’exprimer en toute sécurité.

En mars dernier, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a publié l’observation générale no 25 sur les droits de l’enfant en relation avec l’environnement numérique.

Au paragraphe 14 de ce document, il est clairement dit ceci :

Les possibilités offertes par l’environnement numérique jouent un rôle de plus en plus critique dans le développement des enfants et peuvent être essentielles pour la vie et la survie des enfants, notamment dans les situations de crise. Les États parties devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les enfants contre les risques qui menacent leur droit à la vie, à la survie et au développement. Les risques liés aux contenus, aux contacts, aux comportements et aux contrats englobent, entre autres les contenus violents, les contenus à caractère sexuel [...]

Au paragraphe 15, il est précisé :

L’utilisation d’appareils numériques ne devrait pas être nocive [...] Les États parties devraient accorder une attention particulière aux effets de la technologie dans les premières années de la vie, lorsque la plasticité du cerveau est maximale et que l’environnement social, en particulier les relations avec les parents et les personnes qui s’occupent des enfants, est déterminant pour ce qui est d’orienter le développement cognitif, émotionnel et social des enfants. Au cours des premières années de la vie, il peut être nécessaire de prendre des précautions, en fonction de la conception, de l’objectif et des utilisations des technologies.

Honorables sénateurs, cela signifie qu’il n’y a pas uniquement un incitatif négatif mais aussi un incitatif positif. En protégeant les enfants et les jeunes de l’exposition à la pornographie, on fera d’Internet un outil plus sûr. Dans un monde où la taille et la complexité d’Internet augmentent de jour en jour, cet enjeu devrait être prioritaire pour les parlementaires que nous sommes.

De plus, l’observation générale no 25 formulée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies soutient clairement l’objectif du projet de loi. Le paragraphe 24 dit très clairement que les États parties devraient veiller à ce que leurs lois et politiques nationales relatives aux droits de l’enfant traitent de l’environnement numérique, et que les États devraient « mettre en œuvre des réglementations, des codes professionnels, des normes de conception et des plans d’action en conséquence, lesquels devraient tous être régulièrement évalués et mis à jour ».

On peut aussi lire ce qui suit au paragraphe 54 :

Les États parties devraient protéger les enfants contre les contenus nocifs et douteux et veiller à ce que les entreprises concernées et les autres fournisseurs de contenus numériques élaborent et appliquent des directives permettant aux enfants d’accéder en toute sécurité à des contenus diversifiés, en reconnaissant le droit de l’enfant à l’information et son droit à la liberté d’expression, tout en protégeant les enfants contre les matériels nocifs, conformément à leurs droits et au développement de leurs capacités.

Tout cela signifie, chers collègues, que si nous comptons adopter une approche fondée sur les droits pour aborder la question des jeunes et de l’exposition au matériel explicite en ligne, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a établi des attentes claires. Selon celles-ci, les pays qui sont résolus à respecter et à protéger les droits de l’enfant auront, à cette fin, des lois, des règlements et d’autres politiques conçus pour être évolutifs, puisque l’environnement numérique est en constante évolution.

En effet, c’est le genre d’approche que nous devrions adopter à l’égard de toutes nos délibérations. C’est une approche judicieuse et essentielle qui nous permet de réfléchir aux répercussions de ces mesures sur les enfants dans notre société et de déterminer de quelle façon elles contribuent à protéger les droits que notre pays s’est engagé à défendre.

C’est particulièrement important quand on sait qu’il n’y a pas d’intervenant fédéral à Ottawa pour demander des comptes sur la protection des enfants, comme c’est le cas dans bon nombre de provinces et de territoires ainsi que dans plusieurs pays comme le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France, la Suède et la Pologne. Personne n’a pour unique tâche de se pencher sur les droits des enfants, de faire entendre leur voix et de défendre les dossiers prioritaires pour eux. D’ici à ce que cela change, nous avons, comme parlementaires, la responsabilité individuelle et collective de faire de notre mieux pour combler cette lacune. À cet égard, le projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne contribuerait de façon importante à répondre aux besoins des enfants et des jeunes.

Honorables collègues, au Canada, des milliers d’enfants et de jeunes sont exposés tous les jours à la pornographie, et ils doivent ou devront composer avec certains effets que la pornographie peut avoir sur l’esprit des jeunes. Nous n’avons pas agi pour les protéger, d’où l’importance de ce projet de loi. Nous avons l’occasion d’offrir aux enfants une protection que nous n’avons pas su leur offrir pendant longtemps et de protéger leur droit de vivre, de survivre et de se développer.

Pour conclure, je veux affirmer que j’appuie ce projet de loi de tout mon cœur. J’espère qu’il sera adopté très rapidement au Sénat, afin d’être renvoyé à l’autre endroit pour obtenir l’accord des députés. Je suggère néanmoins que cette fois-ci, nos délibérations se fassent différemment. D’une manière ou d’une autre, nous devons inviter les enfants et les jeunes du Canada à fournir des commentaires étoffés et significatifs sur ce projet de loi, qu’ils soient d’accord ou pas avec ses intentions. Autrement dit, soit nous présumons de ce qu’ils veulent, soit nous les invitons à s’exprimer eux-mêmes. Je suis convaincue que leurs voix ne pourront que donner de la force à ce projet de loi.

J’espère aussi que ce projet de loi ne constitue que le point de départ de nos discussions sur l’importance de la préservation des droits et du bien-être de nos enfants dans le monde numérique.

Il y a beaucoup à faire, non seulement pour mettre en place des règles appropriées, mais aussi pour donner des outils aux parents qui cherchent à protéger leurs enfants et leurs jeunes, ainsi que pour lutter contre la haine en ligne et contre la désinformation sous toutes ses formes.

Je conclus en rappelant à mes collègues que lorsque nous prenons le temps de penser à nos enfants, nous nous acquittons d’une tâche qui se trouve au cœur de notre rôle de législateur. Nous réfléchissons à l’avenir, à nos perspectives économiques, à notre bien-être social, à la cohésion nationale et à notre rôle de leadership sur la scène internationale. Toutes ces questions sont entre leurs mains. En protégeant leurs droits et en assurant leur bien-être, nous plaçons le Canada en bonne voie de devenir la magnifique société forte et inclusive que nous souhaitons bâtir.

Meegwetch et merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne

La sénatrice Moodie accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Moodie [ - ]

Bien sûr, merci.

D’abord, je vous remercie de votre discours. Merci beaucoup de votre soutien et de l’idée de consulter les enfants. C’est une idée très intéressante, mais je veux vous poser une question en votre qualité de pédiatre.

Tout au long de mes recherches, on m’a dit de faire preuve de prudence. Aucune corrélation directe n’a été établie; nous n’avons que des liens entre l’exposition à la pornographie et les préjudices. On ne peut donc pas parler de recherches solides, ce qui complique l’analyse des préjudices d’un point de vue scientifique.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Personnellement, je crois qu’il faut appliquer un principe de précaution parce que nous parlons d’enfants. Par ailleurs, comment pouvons-nous mener des recherches solides sans exposer des enfants à du matériel pornographique? Ce serait évidemment inacceptable du point de vue éthique. Nous ne pouvons donc pas avoir de recherches très solides sur cet aspect en particulier. Je vous remercie d’essayer de me donner des éléments de réponse.

La sénatrice Moodie [ - ]

Vous me posez une question difficile, car, comme vous le dites, aucune approche en matière de recherche n’établit explicitement de lien de cause à effet.

Je dirai néanmoins ceci : il existe des modèles de substitution qui montrent comment le cerveau des enfants se développe en réponse à divers éléments déclencheurs négatifs. Nous avons de vastes connaissances sur les milieux toxiques, l’exposition toxique récurrente des enfants dès leur jeune âge et les effets à long terme.

Mon collègue le sénateur Kutcher sera peut-être en mesure de proposer d’autres modèles au sujet du développement du cerveau et des modèles de comportement des enfants qui sont exposés à des stimuli négatifs à répétition.

Cela étant dit, j’oserais déduire que, bien que nous ne puissions pas exposer intentionnellement des enfants à des stimuli néfastes comme l’exposition récurrente à de la pornographie et à du matériel sexuellement explicite, nous disposons en fait de modèles de substitution qui portent à croire qu’on observerait des comportements et des résultats semblables. C’est le mieux que nous pouvons faire. Je sais que cette approche est imparfaite, mais il existe de nombreux exemples qui démontrent qu’en modifiant ce à quoi les enfants sont exposés, on peut modifier les résultats observés.

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