Projet de loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d'approvisionnement
Deuxième lecture--Suite du débat
9 décembre 2021
Je vais conclure rapidement. Il y a 24 heures, je vous ai parlé de ce projet de loi et je vous rappelle son nom. Il s’agit de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement. En deux mots, on veut obliger les grandes compagnies dont le siège social se situe au Canada à faire rapport, une fois par an, sur les risques liés au travail forcé et au travail des enfants dans leur chaîne d’approvisionnement, et ce, pour tenter, à terme, de diminuer ces risques, d’assurer une plus grande transparence et de donner davantage d’outils aux consommateurs pour faire leurs choix.
J’en étais à la conclusion. Pour conclure, je dirais que le projet de loi S-211 vise à faire une contribution modeste à un objectif plus vaste et s’inscrivant à plus long terme, soit l’alignement de nos activités commerciales et économiques sur les impératifs de la durabilité sociale et environnementale.
Le Canada a pris de nombreux engagements sur la scène internationale, mais nous ne les avons pas encore traduits dans notre législation nationale. Je le répète : nous sommes en retard.
Le Canada est une société riche, libre, moderne et elle respecte en principe la défense des droits de la personne. Si nous sommes incapables d’agir avec force pour limiter les pratiques d’esclavage moderne dans nos chaînes d’approvisionnement, nous risquons de perdre la stature morale que nous chérissons et de passer pour des hypocrites. Ce n’est pas ce que je souhaite.
Ce n’est pas non plus ce que souhaitent certaines de nos plus grandes entreprises. Je pense notamment à Canadian Tire, une entreprise qui a implanté des mécanismes très robustes de vérification de ses fournisseurs étrangers depuis quelques années.
D’autres entreprises donnent l’exemple, comme la compagnie canadienne de vêtements de sport Lululemon, mais aussi Adidas, Gap inc. et d’autres, selon un classement publié par KnowTheChain.
À l’heure actuelle, des entreprises responsables comme Canadian Tire et Lululemon sont désavantagées par rapport à des concurrents sans scrupules, qui peuvent parfois payer moins cher pour des produits fabriqués dans des conditions inhumaines. En mettant ces pratiques en lumière et en les décourageant le plus possible, le projet de loi S-211 favoriserait une concurrence plus honnête, qui ne se joue pas sur le dos d’esclaves. Nous cesserions ainsi de pénaliser, par notre inaction, les nombreuses entreprises qui veulent bien faire.
Ce faisant, le Canada rattraperait aussi son retard par rapport à ses pairs et profiterait d’une occasion d’agir conformément à ses valeurs.
Chers collègues, je vous soumets donc humblement que le projet de loi S-211 mérite d’être étudié en comité. Évidemment, je suis prête à répondre à vos questions, si vous arrivez à vous souvenir de tout le discours que j’ai livré il y a 24 heures.
Merci, sénatrice Miville-Dechêne. Vous avez milité efficacement contre le travail des enfants, et je vous remercie d’avoir fait la distinction entre le travail des enfants et le travail forcé dans le projet de loi. Ce sont deux problèmes odieux, mais ils sont différents. Ma question porte sur le travail des enfants.
Lorsque nous comprimons la chaîne d’approvisionnement afin que les consommateurs décident d’acheter des produits éthiques, cela a pour effet de priver des enfants dans d’autres pays de leur seul moyen de survie, qui consiste à travailler dans ces usines. Lorsque ces emplois sont supprimés, je sais qu’ils se tournent vers la drogue, le crime et la prostitution. Il se peut même qu’ils se tournent vers la vente de leurs organes sur le marché libre. Je le sais, car je l’ai vu.
Lorsque le projet de loi sera renvoyé au comité, serait-il possible d’envisager de compléter cette mesure par d’autres mesures d’aide au développement afin que les enfants puissent bénéficier d’une éducation et de soins santé garantis lorsqu’ils ne seront plus en mesure de travailler?
Il s’agit d’une très bonne question, sénatrice Omidvar. Évidemment, comme je l’ai dit plusieurs fois, ce projet de loi n’est qu’une première étape. Il est totalement vrai qu’un enfant qui travaille dans une usine ou dans une manufacture quelque part dans les pays moins favorisés peut nourrir toute une famille.
Deuxièmement, il existe ce qu’on appelle des « mesures de remédiation », et c’est peut-être un aspect dont nous pourrions discuter au comité ou un élément auquel nous pourrions réfléchir. Il s’agit de mesures qui obligent les entreprises, une fois que le problème est découvert, une fois que l’on constate qu’un enfant y travaille, à ne pas simplement renvoyer l’enfant en disant qu’on ne veut plus de lui. Il y a des programmes de bourses qui sont accordées à l’enfant pour que ce dernier puisse retourner à l’école à temps plein, tout en gagnant un petit revenu pour la famille, ce qui lui permet de continuer.
Il existe toutes sortes de mesures de remédiation, et il est clair que la clé se trouve là. Quand on commence à faire ces enquêtes, l’idée n’est pas non plus d’exclure immédiatement de notre chaîne d’approvisionnement des entreprises où l’on détecte des problèmes, mais de leur donner une chance de s’améliorer. On sait que le fait de mettre de côté une entreprise ou de l’enlever de la chaîne peut aussi supprimer des milliers d’emplois pour des adultes et des enfants. Oui, effectivement, les entreprises doivent en faire plus. Il y a aussi un filet de sécurité qu’on doit assurer autour de ces entreprises. Évidemment, les OBNL peuvent aider, mais la solution au travail forcé et au travail des enfants, c’est évidemment d’accorder davantage d’aide internationale de la part de pays riches comme le Canada. Il faut viser un objectif, celui de l’éducation, car c’est l’éducation qui peut changer des vies à moyen terme. Cette mesure isolée ne peut qu’entamer une conversation dans les entreprises. Je n’ai pas la prétention de régler cet énorme problème qu’est le travail des enfants. En effet, on parle de 150 millions d’enfants qui travaillent et de 73 millions d’enfants qui travaillent dans des conditions dangereuses et difficiles. Ce ne sont pas tous les enfants qui travaillent dans des conditions de travail forcé, comme ceux qui travaillent dans les mines, mais on parle tout de même d’un grand nombre d’êtres humains.
Sénatrice Miville-Dechêne, je pense aux nombreuses familles d’agriculteurs du pays qui embauchent de jeunes membres de la famille et d’autres personnes pour certaines activités, par exemple pour ramasser des roches et des branches ou pour être au sommet d’un élévateur de balles quand la chaleur bat des records dans les granges, des activités que je voyais parfois comme une punition cruelle et inhumaine quand j’étais jeune. Votre projet de loi propose un âge minimal pour travailler. Aura-t-il des répercussions négatives sur les activités agricoles et les familles d’agriculteurs du Canada?
Monsieur le sénateur, je réponds par un non catégorique à la question précise que vous posez.
Un travail ardu n’est pas la même chose qu’un esclavage moderne ou un travail forcé. Quelqu’un peut travailler dur sans qu’il s’agisse d’esclavage moderne. Quant à la définition de « travail forcé », elle suppose des contraintes. Il peut s’agir, par exemple, d’une servitude pour dettes ou du fait qu’on a confisqué au travailleur ses pièces d’identité. Il y a aussi une part d’exploitation, de toute évidence. La définition est différente de celle de « dur labeur », et ce type de travail est accompli sur les chantiers de construction et à de nombreux endroits au Canada.
Les sénateurs savent que le travail des enfants au Canada relève des provinces et que celles-ci appliquent des règles différentes à cet égard. En général, une personne qui n’a pas encore 18 ans fait l’objet de restrictions. Elle peut travailler avant l’âge de 18 ans à condition qu’elle aille à l’école et que son travail ne nuise pas à son éducation. Au Canada, des lois s’appliquent déjà aux enfants, et elles ne seront pas touchées par le projet de loi.
Maintenant, pour répondre à votre question, non, je ne crois pas que les fermes familiales seront touchées. Si vous examinez le projet de loi, vous constaterez qu’il vise les grandes entreprises. Je vais lire la définition de ce dont il est question pour que vous constatiez qu’il n’est pas question des fermes familiales ordinaires.
Les entités couvertes possèdent des actifs d’une valeur d’au moins 20 millions de dollars, ont généré des revenus d’au moins 40 millions de dollars ou emploient en moyenne au moins 250 employés. Il ne s’agit pas d’une ferme familiale. Toutefois, il pourrait s’agir d’une entreprise agricole qui, par exemple, importe et transforme des tomates. Une entreprise suffisamment grande pourrait être touchée, mais pas une ferme familiale.
Merci.