
Le Code criminel
Deuxième lecture--Suite du débat
30 mars 2023
Je prends la parole pour appuyer le principe du projet de loi S-251, présenté par le sénateur Kutcher.
À première vue, il s’agit d’un projet de loi très simple, très court et très facile à appuyer à propos de l’usage de la force raisonnable pour corriger un enfant. Qui d’entre nous, dans cette Chambre, est favorable à une quelconque forme de violence envers les enfants? Personne, évidemment.
De plus, qui pourrait s’opposer à envoyer un message clair, ne serait-ce que symbolique, quant à notre détermination à enrayer toute forme de maltraitance, d’abus et de traumatisme chez les enfants canadiens? Encore une fois, personne.
Par ailleurs, ce sujet touche la plupart d’entre nous personnellement, que ce soit comme ancien enfant ou comme parent.
Comme plusieurs personnes de ma génération, j’ai moi-même subi des corrections physiques quand j’étais jeune. J’ai un souvenir vif de la première fessée que j’ai reçue de ma mère à l’âge de 7 ou 8 ans quand nous vivions en France. Toutefois, ce qui était pire, c’était les punitions à l’école. À cette époque, à l’école primaire à Paris, les punitions étaient un outil fréquemment utilisé pour mater les enfants. Je me souviens de camarades de classe qui ont reçu une fessée devant tout le monde et d’autres à qui la maîtresse faisait faire le tour de la classe en les tenant par l’oreille. C’était le comble de l’humiliation pour les élèves.
Quand je suis revenue au Québec dans les années 1970, les mœurs n’étaient plus les mêmes, du moins à l’école. Contrairement à la sage et patiente sénatrice que je suis devenue, j’étais une adolescente rebelle. J’ai d’ailleurs un vif souvenir d’une gifle magistrale que ma mère m’avait donnée après que je l’ai insultée. Disons que cela n’avait pas amélioré nos relations.
J’ajoute que bien que je garde ces corrections en mémoire, elles n’ont pas occasionné de traumatisme durable. En fait, comme sans doute bien d’autres enfants, j’ai été davantage atteinte par les cris et les reproches dans ma famille. Les gifles heurtent sur le coup, mais les mots peuvent blesser à long terme. Or, je doute que l’État puisse un jour légiférer sur ce qu’un parent peut dire ou non à ses enfants.
Le projet de loi S-251 propose d’éliminer l’exception prévue à l’article 43 du Code criminel, qui permet notamment à un parent « [d’]employer la force pour corriger [...] un enfant [...] pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances. »
Bien que je sois en faveur du principe du projet de loi, je soulève quand même trois objections ou difficultés qui méritent réflexion.
La première est une question politique qui revient dans plusieurs de nos débats : jusqu’où le gouvernement peut-il réglementer des comportements privés? Bien sûr, personne ne doute que le gouvernement puisse criminaliser la violence contre les enfants, comme il le fait pour toute personne, et en particulier pour les plus vulnérables.
Quand il est question de « force [qui] ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances », toutefois, on entre aussi sur le terrain de l’éducation, de la discipline et de la discrétion dans l’exercice de l’autorité parentale. Il est clair que l’État peut et doit protéger les enfants contre la violence, mais il peut et doit aussi respecter le jugement des parents.
Il convient aussi de garder à l’esprit que l’exception prévue à l’article 43 est déjà très limitée. Voici des extraits d’une lettre que le ministre de la Justice, M. Lametti, a adressée à Heidi Illingworth, ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, en mars 2021 :
La question de savoir si l’article 43 devrait être abrogé soulève des opinions divergentes et bien arrêtées à travers le Canada. [...]
Comme vous le savez sans doute, les voies de fait sont définies au sens large dans le droit pénal canadien de façon à comprendre tout emploi non consensuel de la force contre autrui. Cette définition s’étend également aux attouchements non consensuels qui n’entraînent ni lésions ni marques physiques. Toutefois, l’article 43 du Code criminel offre une défense restreinte contre la responsabilité criminelle dont peuvent se prévaloir les parents, les personnes qui les remplacent ou les enseignants dans les cas d’utilisation non consensuelle d’une force raisonnable contre un enfant. [...]
En 2004, la Cour suprême du Canada (CSC) a jugé que l’article 43 était conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Elle a également établi des lignes directrices restreignant considérablement l’application de cette défense à une force corrective raisonnable de nature transitoire et insignifiante. En outre, la décision de la CSC prévoit que les enseignants ne peuvent en aucun cas employer la force pour infliger une punition physique. [...]
Il existe plusieurs modèles et approches en matière d’éducation des enfants. Je ne crois pas qu’on puisse ramener cette grande et complexe aventure humaine à une science exacte où il existe des réponses définitives et universelles applicables à toute situation. Pour cette raison, nous devons faire attention de ne pas cibler des approches parentales qui peuvent nous déplaire, mais qui ne méritent pas nécessairement d’être criminalisées.
Dans la même veine, je note qu’il existe non seulement des différences entre les personnes et les familles, mais parfois aussi entre les cultures. La manière d’éduquer les enfants, le rôle de l’autorité et de la discipline et les approches parentales sont des notions souvent associées à notre histoire personnelle ou à celle d’une culture. En fait, les cultures et le contexte familial ont aussi une influence sur la perception et l’impact des corrections physiques sur les enfants.
Encore une fois, je réitère qu’il n’est pas question ici de permettre les abus, la maltraitance ou la violence envers les enfants de quelque façon que ce soit, mais il ne faudrait pas non plus que, retirant l’exemption étroite prévue à l’article 43 du Code criminel, nous nous trouvions à cibler de manière disproportionnée des Canadiens issus de cultures minoritaires. Il est possible que certaines approches parentales ne soient pas celles que nous privilégions personnellement. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles sont criminelles.
Enfin, je souligne une situation quelque peu paradoxale. De nombreuses personnes qui appuient le projet de loi affirment que nous n’avons pas à craindre que d’innombrables nouvelles poursuites soient intentées contre des parents si nous supprimons l’exemption prévue à l’article 43. En effet, même si la suppression de l’exemption fait techniquement de tout attouchement non consensuel d’un enfant par ses parents une infraction criminelle, tout le monde est conscient qu’il s’agit là d’une situation absurde. C’est pourquoi les partisans du projet de loi soutiennent que si nous supprimons l’exemption prévue à l’article 43, une nouvelle série de moyens de défense et d’exemptions prévus par la common law s’appliquerait, y compris une exception pour les infractions bénignes, des règles sur la nécessité, le consentement implicite et autres.
Allons-nous donc vraiment juste supprimer une exemption explicite, codifiée et interprétée de manière étroite et la remplacer par de nombreuses exemptions vagues et non codifiées qui permettraient d’atteindre le même objectif? À certains égards, on pourrait dire qu’on nous demande de rendre le Code criminel moins pragmatique et moins réaliste, ce qui obligera les tribunaux à trouver de nouvelles solutions de rechange. Autrement dit, le changement que nous envisageons pourrait être plus symbolique que substantiel.
Cela dit, je reconnais qu’il existe un mouvement mondial visant à supprimer ces exemptions limitées, même si cela signifie qu’il faut en élaborer de nouvelles pour les remplacer.
En 2022, 65 pays avaient interdit les châtiments corporels. Même en France, l’article 371-1 du Code civil a été modifié en 2019.
L’article dit ceci : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
Si les Français peuvent prendre un engagement de la sorte, peut‑être que nous le pouvons aussi.
La société évolue et il est normal que nous adaptions nos lois à cette évolution. Parfois, il faut mettre les lois à jour afin de refléter la réalité que nous vivons et, parfois, afin de refléter nos aspirations. Ce n’est pas parce que les choses se font d’une certaine façon depuis toujours qu’elles ne peuvent pas changer.
Je crois que les lois ont un rôle à jouer pour ce qui est de donner le ton et que nous devons avoir confiance en la capacité des institutions de se comporter raisonnablement. Merci.
Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?
Oui.
Vous avez parlé du secteur de l’éducation; plusieurs professeurs sont venus nous parler de l’importance de la nuance qui doit être apportée à cet article par rapport au système de l’éducation. On sait qu’il arrive parfois que des enfants doivent être restreints, si l’on veut, parce qu’ils sont extrêmement violents et qu’ils perdent le contrôle de leurs émotions.
Je ne sais pas si vous avez un commentaire à faire sur ces restrictions qui semblent préoccuper le secteur de l’éducation.
D’après ce que je comprends de l’histoire de ce genre de projet de loi — parce que ce n’est pas la première fois que cet article du Code criminel est mis en cause —, le secteur de l’éducation a toujours réagi en disant : « Parfois, on a besoin d’aller jusque-là. »
Je comprends que la Cour suprême a déjà dit que les professeurs et les enseignants avaient très peu de marge de manœuvre pour intervenir. Cependant, dans cette situation comme dans celle de parents, la question de restreindre un enfant pour qu’il ne se blesse pas est quelque chose qui vient me chercher. Il est très difficile de légiférer de façon absolue et générale sur des êtres humains.
Vous avez tous vu vos enfants faire des crises — j’appelle cela la « crise du bacon » —, et parfois, on manque de moyens. Cependant, à mon avis, il ne faut pas confondre le fait de calmer un enfant, même de façon maladroite, et le fait d’employer une force non raisonnable.
C’est une bonne question. En lisant sur cette question, je me rends bien compte que ce n’est pas si simple. Oui, nous avons un article qui parle de force raisonnable. En 2023, c’est symboliquement très difficile d’utiliser ces mots-là, car on voit toujours la pire situation. Cependant, si on supprime cet article, qu’est-ce que cela signifie? Allons-nous devoir développer une jurisprudence pour déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas? Il y aura toujours des situations qui seront un peu grises.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Comme vous le savez, modifier la loi pour soutenir le projet de loi et tous les principes qu’il contient constitue la partie la plus facile.
Il faut changer les mentalités. Avec les parents et leurs enfants, ce n’est pas si facile. Dans chaque culture, ce n’est pas si facile.
Le plus grand défi sera d’éduquer les parents pour qu’ils traitent leurs enfants différemment de ce qu’ils ont été amenés à faire. Quand j’étais jeune, mes parents considéraient que les châtiments corporels étaient normaux. Ce n’est que bien plus tard qu’ils ont réalisé que ce n’était pas la bonne façon de procéder. Peut-être que cela n’a pas amélioré mon comportement — je n’en suis pas sûr — ou peut-être que cela m’a rendu plus délinquant. La réalité, c’est que mes parents ont changé, et je leur en suis reconnaissant. Dans ma famille nombreuse de 10 personnes, nous avons grandi en sachant que nous ne pouvions pas traiter nos enfants de cette manière. Je suis reconnaissant aujourd’hui que ma fille ait grandi sans jamais avoir subi de châtiment corporel.
La question la plus importante que je me pose, c’est de savoir comment changer les mentalités des familles, sachant que certaines considèrent qu’il s’agit d’un moyen fondamental d’élever leurs enfants comme elles l’entendent. Ce n’est pas chose facile. Certains sont guidés par l’Évangile, d’autres par leur propre expérience familiale. Je sais que ce n’est pas juste, mais j’ai pensé que je devais vous poser cette question.
La question est l’essence même du problème. Les lois peuvent faire une partie du travail, et elles représentent un signal, un symbole. La société change à son rythme. Vous l’avez dit vous-même : parfois, il s’agit d’une question de génération, parfois de culture, mais la vision de la punition corporelle n’est certes pas la même dans toutes les familles. Comment peut-on faire cela?
Évidemment, cela fait aussi partie de l’enseignement à l’école. Je sais qu’au Québec, on est en train de développer de nouveaux cours sur ces questions civiques. Il n’y a pas de solution magique. Vous me posez une question extrêmement difficile. Il reste que, à un moment donné, les enfants se parlent entre eux, et il peut y avoir toutes sortes d’influences qui font qu’ils se rendent compte qu’une situation n’est pas normale. Ils en parlent aux amis et à la psychologue, et les parents eux-mêmes cheminent. On n’est plus en 1960, comme quand je vivais en France. Les choses ont beaucoup changé.
Je voulais montrer que je suis d’accord avec le principe du projet de loi, mais que, de toute évidence, celui-ci ne réglera pas l’ensemble des questions sociales qui gravitent autour de cela.