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DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS — La Journée internationale de la non-prostitution

5 octobre 2023


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Honorables sénateurs, aujourd’hui, 5 octobre, le monde marque la Journée internationale de la non-prostitution, soulignée par tous ceux et celles qui croient que, dans la plupart des cas, les travailleuses du sexe sont victimes d’exploitation sexuelle.

Le 18 septembre dernier, la Cour supérieure de l’Ontario a tacitement souscrit à cette vision en confirmant la constitutionnalité de la loi fédérale sur la prostitution, qui criminalise les clients, mais pas les travailleuses du sexe. Le tribunal écrit notamment ce qui suit dans son jugement :

[…] un régime législatif soigneusement élaboré qui interdit l’exploitation, l’aspect le plus néfaste du commerce du sexe, tout en protégeant les travailleuses du sexe contre toute poursuite.

Le juge ajoute ce qui suit :

Même lorsqu’une travailleuse du sexe s’est lancée dans le commerce du sexe par choix, il existe une possibilité importante qu’elle soit soumise au contrôle d’un exploiteur ou d’un trafiquant.

Je sais que ce jugement ne mettra pas fin aux débats entre les partisans de la décriminalisation, pour qui la prostitution est un travail comme un autre, et ceux qui croient, au contraire, qu’en criminalisant les clients, on peut réduire la demande et donc l’exploitation des femmes.

Au-delà de cette bataille idéologique, parmi celles qu’on entend moins, il y a les survivantes. Je veux rendre hommage ici à l’une d’elles, Tricia Murray, qui a partagé son récit poignant avec les députés ce midi sur la Colline, à l’invitation de la Coalition pour l’égalité des femmes dont la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle ou CLES et le London Abused Women’s Centre font partie. Voici, dans ses mots, l’enfer vécu par Tricia Murray.

Je me souviens encore comme si c’était hier de cette longue nuit du mois de février 2020, quand j’ai cru que j’allais mourir sous son joug après de multiples agressions. À ce moment-là, mourir serait la délivrance. Mais la peur que ta vie s’arrête, seule dans un condo, laisse de lourdes traces.

Pendant plusieurs mois, j’ai fait en moyenne 10 clients par jour. Cela représente des centaines de clients-abuseurs, qui ont abusé de la vulnérabilité d’une jeune femme. Des hommes de pouvoir, des pères de famille, des hommes mariés, d’autres en vacances et certains en séjour pour le travail.

Ils me payaient, donc ces abuseurs faisaient ce qu’ils voulaient avec moi. Selon eux, ils avaient le droit.

Mon cerveau et mon corps se souviennent d’eux. Je suis marquée à vie par toute la violence vécue durant de longues nuits qui sont devenues de longs mois.

J’ai été exploitée ici, tout près, dans des hôtels et des Airbnb, à Gatineau et à Ottawa, à quelques rues seulement de ce Parlement devant lequel je vous parle. Tous ensemble, nous avons un rôle à jouer afin que personne n’ait à revivre les atrocités que j’ai vécues.

Tricia Murray s’en est sortie. Des femmes généreuses l’ont épaulée. Elle a repris sa vie en main, son proxénète a été condamné. Elle a même été candidate à une élection. Vous avez toute mon admiration, madame Murray.

Merci.

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