Projet de loi sur le Mois national de l'immigration
Deuxième lecture--Suite du débat
1 octobre 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-286 de ma collègue la sénatrice Amina Gerba, visant à créer un Mois national de l’immigration au Canada.
On dit souvent que le Canada est un pays d’immigration, ce qui est certainement vrai lorsque l’on constate la diversité de notre population d’un océan à l’autre.
La création de ce Mois national de l’immigration permettrait de souligner les contributions importantes des immigrants dans notre histoire, qu’elles soient passées ou récentes.
Cependant, je souhaiterais aussi que cette célébration devienne une période de réflexion sur les enjeux aujourd’hui cruciaux que pose l’immigration. Il y a un siècle, quand notre pays était bien jeune, on ne pouvait pas partir de Mexico ou de Casablanca pour atterrir quelques heures plus tard à Montréal ou à Toronto. Il y a un siècle, on ne parlait pas de réfugiés climatiques; on ne parlait pas de narco-États ni des violences systématiques subies par les femmes dans de nombreux pays.
Chez nous, l’immigration s’est souvent faite par vagues : vague britannique, vague chinoise ou japonaise, vague italienne. Cependant, ces vagues s’accompagnaient souvent de marées hautes ou basses. À marée haute, on acceptait beaucoup de Chinois parce qu’on avait besoin de main-d’œuvre, mais si on trouvait qu’ils étaient trop nombreux, on leur imposait des coûts d’immigration astronomiques. Les immigrants chinois ont fait l’objet d’une discrimination honteuse.
Beaucoup de juifs voulaient fuir l’Allemagne ou l’Autriche juste avant la Seconde Guerre mondiale, mais on refusait que les bateaux qui les transportaient puissent accoster dans nos ports. C’était une honte aussi.
Par contre, quand la Russie a envahi la Hongrie, nous avons ouvert nos portes aux Hongrois. Quand les réfugiés de la mer vietnamiens étaient condamnés à l’enfer, nous leur avons ouvert nos bras. Depuis deux ans, nous accueillons des milliers d’Ukrainiens.
Depuis la création du Canada, il y a toujours eu des gens qui ont cru que les immigrants étaient trop ou pas assez nombreux. Au Québec, nous avons connu une histoire un peu différente.
Entre 1840 et 1930, un million de francophones, en grande majorité du Québec, ont émigré aux États-Unis, surtout en Nouvelle-Angleterre. Au début, c’étaient des fermiers qui n’arrivaient plus à survivre. Cependant, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, ce sont les Américains qui sont venus chez nous recruter de la main-d’œuvre pour leur industrie textile. Ils avaient besoin de bras.
Cela n’a pas empêché le Ku Klux Klan de s’opposer à cette immigration catholique et francophone. Des milliers de membres du KKK sont allés jusqu’à manifester à Washington, cagoulés et portant des flambeaux pour protester contre ceux qu’on appelait les « Chinois des États de l’Est ». Aujourd’hui, on estime que les descendants de ces Franco-Américains sont plus nombreux aux États-Unis que les francophones au Québec.
Revenons à aujourd’hui. Le gouvernement québécois actuel trouve qu’il y a trop d’immigrants, de demandeurs d’asile, d’étudiants internationaux, bref trop d’étrangers sur son territoire. Ces nouveaux venus sont malheureusement devenus les boucs émissaires de tout ce qui va mal dans la province.
Le discours répété et martelé du gouvernement du Québec à propos des maux de l’immigration m’inquiète profondément. Risque-t-on ainsi de diminuer l’ouverture des Québécois envers les nouveaux venus? Les immigrants sont-ils vraiment responsables de la crise du logement et du débordement des services sociaux et médicaux, comme on l’entend souvent? C’est sans doute un facteur parmi d’autres, mais certainement pas le seul.
Oui, le gouvernement fédéral a fixé des seuils trop élevés en matière d’immigration, mais le Québec contrôle également une partie des leviers, notamment l’immigration temporaire. L’éditorialiste Marie-Andrée Chouinard, du quotidien Devoir, juge qu’il y a une certaine mauvaise foi dans le discours du gouvernement caquiste. Je la cite :
[…] le Québec a beau plaider aujourd’hui l’urgence nationale et faire porter le poids de plusieurs maux aux nouveaux arrivants, il ne faut pas reculer bien loin dans le temps pour constater qu’il a lui-même contribué au problème, puis a sciemment choisi d’en ignorer les incidences.
L’utilisation d’arguments identitaires est encore plus dommageable. Les demandeurs d’asile et les immigrants temporaires menaceraient, nous dit-on, la langue française au Québec. Vraiment? A-t-on des chiffres qui appuient cette affirmation? Croit-on vraiment que les milliers de travailleurs temporaires répartis dans les fermes du Québec pour ramasser nos récoltes, nos légumes, donc que cette main-d’œuvre agricole menace notre langue?
Parmi les menaces plus évidentes chez les jeunes francophones, n’y aurait-il pas d’abord l’omniprésence d’Internet et des médias sociaux, d’un monde virtuel très anglophone?
Ne vous méprenez pas : je pense qu’il faut faire une promotion incessante et positive de notre langue, mais pas sur le dos des nouveaux arrivants, qui vivent déjà des conditions de précarité et de déracinement.
Le nationalisme québécois n’a pas toujours été porteur d’un discours clivant sur l’immigration. J’ai encore un souvenir marquant de la main tendue du député péquiste Gérald Godin aux communautés culturelles dans les années 1970. Il allait à leur rencontre, il était inclusif et attentif. Il a influencé la vision du Parti québécois à l’époque.
Soyons réalistes. Il est évident qu’au Québec comme ailleurs au Canada, on a besoin d’immigrants et de travailleurs temporaires. Les deux grands journaux du Québec, le Journal de Montréal et La Presse, ont publié des reportages au mois d’août sur les Latino-Américains qui, dans plusieurs petites villes du Québec, assurent la survie de certaines entreprises, lancent eux-mêmes de nouveaux commerces et représentent une relance démographique plus que nécessaire. C’est vrai, les femmes québécoises ne font pas beaucoup d’enfants. À Thetford Mines, qui n’est pas une grande ville, on compte même maintenant une ligue internationale de soccer. Les joueurs sont des travailleurs temporaires qui jouent les samedis et qui représentent leur pays d’origine, que ce soit la Colombie, le Mexique, le Guatemala, le Sénégal ou le Cameroun. Ce sont de belles histoires d’intégration.
Si notre traitement des dossiers des nouveaux venus était plus rapide, plus efficace, que ce soit par les fonctionnaires fédéraux et provinciaux ou par les commissaires, nous n’en serions peut-être pas là. Bref, le monde change rapidement et notre position vis-à-vis de l’immigration doit évoluer aussi rapidement, non pas selon les idéologies des partis politiques, mais plutôt avec un grand pragmatisme. Je pense également que ce débat délicat demande du doigté, de la mesure et de bienveillance, et il en manque cruellement.
Je fais partie de celles et ceux qui croient que le Canada doit demeurer un pays généreux. N’oublions jamais qu’il faut avant tout considérer une Iranienne, une Afghane, un Soudanais ou un Colombien comme un être humain qui souhaite venir s’établir chez nous pour améliorer son sort ou celui de sa famille. Il faut se poser cette question : que ferions-nous si nous avions une famille et qu’il n’y avait pas d’avenir pour eux dans notre pays, soit à cause de la pauvreté, de la désertification ou d’autres conditions intenables? Cela devrait être notre boussole dans tout ce débat. Merci.