Affaires juridiques et constitutionnelles
Motion tendant à autoriser le comité à étudier certaines questions liées à l'ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada et à inviter des témoins--Motion d'amendement--Débat
9 mai 2019
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à propos de l’amendement que la sénatrice Ringuette propose d’apporter à la motion du sénateur Plett concernant SNC‑Lavalin.
De toute évidence, cet amendement est une manœuvre partisane de la part de la sénatrice Ringuette, qui tente ainsi de bloquer toute enquête du Sénat à propos de la corruption libérale. Pendant le scandale SNC-Lavalin, le gouvernement Trudeau a tenté, à de multiples reprises, de faire taire l’opposition et d’empêcher les Canadiens d’obtenir des réponses. Il a mis un terme à l’enquête que menait le Comité de la justice de la Chambre des communes sur les allégations d’ingérence politique touchant l’ancienne procureure générale après avoir entendu seulement quatre des 11 témoins potentiels. Par la suite, le gouvernement Trudeau a tué dans l’œuf l’idée d’une possible enquête du Comité de l’éthique de la Chambre des communes.
Le premier ministre a empêché Jody Wilson-Raybould de raconter toute son histoire parce qu’il a levé seulement une partie du secret professionnel de l’avocat. Il a ensuite menacé le chef de l’opposition officielle, le conservateur Andrew Scheer, de le poursuivre en justice, dans l’espoir que cette manœuvre boiteuse le réduirait, lui aussi, au silence. Ses espoirs ont été déçus.
Avec l’amendement de la sénatrice Ringuette, le pouvoir tentaculaire du cabinet du premier ministre s’immisce une fois de plus au Sénat. Alors que le sénateur Harder continue de vanter le Sénat indépendant, autonome et non partisan mis en place par le gouvernement Trudeau, nous sommes ici témoins de la partisanerie la plus grossière et la plus cynique qui soit. Comment le sénateur Harder peut-il expliquer que nous l’ayons vu remettre à la sénatrice Ringuette une page qui semblait contenir l’amendement du Sénat, ici même à la première rangée du Sénat, la semaine dernière?
Le long bras du gouvernement Trudeau s’est étendu, jusqu’à la banquette voisine, pour remettre à une sénatrice indépendante un amendement visant à torpiller la motion des conservateurs qui demandait une enquête dans cette sordide affaire de corruption impliquant les libéraux.
Lorsqu’un amendement est rédigé à l’avance, le nom du sénateur qui le propose est souvent tapé à la première ligne de la page. Dans ce cas-ci, le nom de la sénatrice Ringuette était écrit à la main sur la ligne laissée vierge dans le haut de la page. Était-ce parce que c’est elle qui avait perdu le tirage à la courte paille dont se sert le Groupe des sénateurs indépendants pour décider qui sera le vassal du jour pour défendre le gouvernement libéral dans l’affaire SNC-Lavalin ou était-ce parce qu’elle est la candidate parfaite pour ce travail? Après tout, elle a été au sein du Parti libéral...
Je voudrais faire un rappel au Règlement. J’aimerais que le discours de la sénatrice soit à propos de la motion, et non des sénateurs indépendants, de la sénatrice Ringuette ou de l’un d’entre nous. Avec votre consentement, je lui demanderais donc de parler de la motion.
Honorables sénateurs, nous accordons une importante marge de manœuvre en ce qui a trait à l’objet. Vous soulevez un bon point, sénatrice Moncion, dans la mesure où nous essayons généralement de nous limiter à la substance de la question que nous débattons. Cela dit, il y a une bonne marge de manœuvre.
Merci, Votre Honneur.
Puisqu’il s’agit de la motion de la sénatrice Ringuette, je précise que la sénatrice Ringuette a été députée provinciale libérale pendant six ans, députée fédérale libérale pendant quatre ans, puis sénatrice libérale pendant 13 ans. Elle a donc fait carrière en tant que politicienne libérale pendant 23 ans avant d’avoir cette épiphanie et de devenir indépendante.
Apparemment, plus les choses changent, plus elles restent pareilles. La sénatrice Ringuette a docilement exécuté cette mission du cabinet du premier ministre visant à bloquer toute enquête sur le scandale de SNC-Lavalin et à mener à bien cette opération de dissimulation par tous les moyens possibles. Qu’on ne vienne pas me dire que cette manœuvre n’était pas motivée par des considérations politiques et qu’elle n’était pas partisane.
Ce que cela confirme, c’est que le long bras du cabinet du premier ministre a de toute évidence rejoint le bureau du sénateur Harder, puis le cœur du soi-disant Groupe des sénateurs indépendants. Quelle indépendance!
Plutôt que d’étendre ce long bras du gouvernement pour remettre son amendement à la sénatrice Ringuette, le sénateur Harder aurait dû donner davantage un coup de main à cette dernière lorsqu’elle était marraine du projet de loi C-58, le projet de loi hautement boiteux du gouvernement Trudeau sur l’accès à l’information. Ce projet de loi était un gâchis qui a nécessité des dizaines d’amendements, y compris un grand nombre d’amendements du gouvernement à l’étape du comité. L’étude article par article a pris six séances. Du jamais vu! Cela signifie 16 heures de délibérations rien que pour l’étude article par article parce que le gouvernement Trudeau et ses agents au Sénat ont été incapables de s’organiser à l’égard de ce projet de loi.
Tout ce temps au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aurait pu être employé de façon plus productive. Sans les six réunions au sujet du projet de loi C-58, nous aurions pu traiter du projet de loi C-337, un projet de loi important sur la formation des juges en ce qui concerne les agressions sexuelles. Encore une fois, l’incompétence du gouvernement Trudeau a retardé ce projet de loi.
L’amendement de la sénatrice Ringuette — ou devrais-je plutôt dire du gouvernement Trudeau — assimile l’affaire du sénateur Mike Duffy au scandale de SNC-Lavalin et montre que le gouvernement Trudeau ne comprend pas le rôle unique du procureur général ni le caractère sacré de l’indépendance du procureur. Je suppose que nous ne devrions pas être surpris que le premier ministre Trudeau ne semble pas comprendre le vrai sens de l’indépendance. Il a démontré à de nombreuses reprises dans cette Chambre qu’il ne comprend pas le concept.
Je suis étonnée que la sénatrice Ringuette ait soulevé l’affaire du sénateur Duffy, qui a été réglée il y a longtemps. Le sénateur Duffy est revenu au Sénat il y a trois ans. Si cet amendement vise à attaquer les sénateurs conservateurs, puis-je rappeler à la sénatrice Ringuette que le sénateur Duffy siège comme membre du caucus du Groupe des sénateurs indépendants, et non du nôtre?
Puisque la sénatrice Ringuette a soulevé la question, je vais mentionner que, dans l’affaire Duffy, le premier ministre Harper a levé entièrement le secret professionnel pour faciliter l’enquête. Le premier ministre Trudeau n’a levé que partiellement le secret professionnel pour Jody Wilson Raybould dans le but de l’empêcher de décrire l’ampleur de la situation. Dans le scandale SNC-Lavalin, à chaque occasion, le gouvernement Trudeau a tenté de cacher la vérité et de couper court aux discussions. L’amendement de la sénatrice Ringuette n’en est qu’un exemple.
Il y a d’autres preuves. Il suffit de regarder le cours des événements ici après que la sénatrice Ringuette a présenté cet amendement pour le sénateur Harder jeudi dernier. Immédiatement, le Groupe des sénateurs indépendants et les sénateurs du gouvernement ont fait front commun et ont présenté une motion pour couper court au débat sur la motion et procéder au vote. Il semble que la façon habituelle de procéder pour le caucus de camouflage est de mettre fin au débat, de faire taire l’opposition et de créer une chambre d’écho pour qu’il puisse écouter seulement...
Sénatrice Batters, excusez-moi. Je viens de dire que nous laissions une certaine latitude dans les débats. Je vous signale que vous ne pouvez pas prêter de motivations malhonnêtes lorsque vous nommez un sénateur ou un groupe. Qualifier un groupe de « groupe de camouflage » est presque un commentaire non parlementaire. Je vous mets simplement en garde contre cela.
Pendant l’appel d’une heure précédant le vote sur l’ajournement, le Globe and Mail a publié un article qui révélait que le cabinet du premier ministre Trudeau approuvait sa liste de candidats à la fonction de sénateur indépendant au moyen d’une base de données interne du Parti libéral. Le Sénat a ajourné très peu de temps après la parution de cet article. Encore une fois, honorables sénateurs, nous démontrons que le principe de Sénat indépendant du gouvernement Trudeau n’est que poudre aux yeux.
Le cabinet du premier ministre a le bras long et il a réussi à intervenir, comme d’habitude, pour brouiller les pistes et retarder les choses. Une chose est claire, cependant, honorables sénateurs : les sénateurs supposément indépendants nommés par M. Trudeau proviennent des rangs des donateurs libéraux, des membres du Club Laurier du Parti libéral, des anciens candidats libéraux, des anciens élus libéraux, des anciens dirigeants de circonscription et des membres de la Fondation Trudeau. Je suppose que c’est parce que la diversité fait notre force.
À présent, le leader du gouvernement Trudeau au Sénat laisse paraître certaines choses. Jeudi dernier, le sénateur Harder essayait de trouver dans cette enceinte un indépendant pour l’aider à faire ce que le gouvernement Trudeau demandait et voir à ce que la motion du sénateur Plett n’aille pas plus loin. La sénatrice Ringuette, qui compte parmi les membres du Groupe des sénateurs indépendants les plus fidèles aux libéraux, a répondu à l’appel.
Honorables sénateurs, les Canadiens ne veulent pas qu’on leur jette de la poudre aux yeux. Franchement, ils méritent mieux. Les Canadiens veulent savoir si le gouvernement Trudeau tente de leur cacher la vérité. Les Canadiens veulent savoir si le premier ministre et ses principaux collaborateurs ont tenté de contourner la règle de droit en exerçant des pressions sur l’indépendance de l’ancienne procureure générale. Les Canadiens veulent savoir si les gens à qui ils font confiance pour agir en tant que gardiens de notre démocratie constitutionnelle et qui tiennent les rênes du pouvoir politique sont dignes de l’honneur qui leur a été conféré. Honorables sénateurs, comme moi, vous avez droit à vos opinions, mais, dans cette Chambre de second examen objectif, nous, les sénateurs, avons l’obligation envers les Canadiens de mener une enquête totale et complète sur l’affaire SNC et de leur fournir des réponses.
Nous ne pouvons pas permettre que la vérité soit obscurcie par des tactiques de diversion, comme des controverses d’un lointain passé, ou par la décision d’empêcher des comités de mener des études ou de modifier l’étude proposée afin qu’elle soit axée sur des questions qui n’ont rien à avoir avec l’enjeu qui nous occupe. L’amendement proposé par la sénatrice Ringuette n’est rien de plus qu’une autre façon pour le gouvernement Trudeau de camoufler cette affaire.
Pour un groupe qui semble vouloir faire du Sénat un lieu de débat, il est intéressant que certains sénateurs s’intéressent si peu au scandale SNC-Lavalin, le plus grand scandale à frapper la politique canadienne depuis des décennies. Lorsque je retourne en Saskatchewan, des Canadiens de ma ville, Regina, m’approchent pour me demander des réponses concernant l’enquête du gouvernement Trudeau sur SNC-Lavalin. Je sais que des Canadiens d’autres régions partagent aussi ces préoccupations.
Comment se fait-il alors que les sénateurs nommés par Justin Trudeau en sont inconscients? Ne parlent-ils pas aux Canadiens de leur région? Les Canadiens demandent des réponses. Ils veulent pouvoir examiner les faits par eux-mêmes.
Nous avons l’occasion de leur en donner la possibilité. C’est pourquoi je vous demande de vous joindre à moi pour voter contre l’amendement et pour la motion du sénateur Plett visant à renvoyer la question au Comité sénatorial des affaires juridiques. Les Canadiens méritent mieux. Merci.
Sénatrice Batters, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
Madame la sénatrice Batters, vous perpétuez le mythe que le Parti conservateur a tenté de mettre dans la tête des Canadiens et que les médias ont cru. Vous prétendez qu’il est inhabituel pour le cabinet du premier ministre de vérifier la base de données financières du parti pour voir si une personne a donné de l’argent à ce dernier. Effectivement, aussitôt que quelqu’un est nommé au Sénat, quelqu’un en face — peut-être pas dans votre groupe, mais, à Ottawa — s’installe devant un ordinateur afin d’examiner la liste de donateurs d’Élections Canada pour voir si le candidat A ou le candidat B a déjà donné de l’argent au Parti libéral du Canada. C’est ce qui se passe.
Dans mon ancienne vie, lorsque les conservateurs faisaient des nominations, je vérifiais si les personnes nommées avaient fait des dons au Parti conservateur. Bien franchement, le cabinet du premier ministre — Dieu merci, il a bien fait les choses — a vérifié pour voir si des gens avaient donné de l’argent au Parti libéral du Canada parce qu’il fallait qu’il le sache.
Lorsque j’ai été nommé au Sénat, le caucus conservateur a confié à l’un de ses membres la tâche de vérifier si j’étais vraiment admissible à devenir sénateur parce que je travaillais à Ottawa et que mon lieu de résidence était en Nouvelle-Écosse. Je le sais parce que, des années plus tard, le sénateur en question m’a parlé de cette mission qui lui avait été confiée. C’est ça, la politique.
N’êtes-vous pas d’accord avec moi pour dire que, chaque fois qu’on nomme quelqu’un au Sénat, quelqu’un s’occupe de faire des vérifications à son sujet pour le Parti conservateur?
Sénateur Mercer, étant donné votre longue histoire politique au sein du Parti libéral du Canada, vous savez très bien que la différence entre ce qui se passe maintenant et ce qui s’est passé avant — sous des gouvernements partisans qui ont nommé des gens qui devaient rendre des comptes à un premier ministre et qui étaient partisans —, c’est que, avant, c’était prévisible. On s’attendant à ce que des libéraux nomment des libéraux, que des conservateurs nomment des conservateurs et d’autres, car d’autres étaient également nommés par ces gouvernements.
La différence, c’est que lorsque vous consultez les bases de données d’Élections Canada, comme je l’ai dit dans certaines de mes questions récentes, les renseignements sont du domaine public, et ils devraient d’ailleurs être vérifiés.
Cependant, nous avons ici un premier ministre libéral qui est censé nommer des sénateurs indépendants et non partisans, comme le gouvernement se plaît à nous le répéter. Comment se fait-il que, tout à coup, il doive consulter la base de données du Parti libéral pour savoir si les personnes ont des pancartes du parti sur leur pelouse, si elles ont fait des dons inférieurs à 200 $, si elles ont leur carte de membre ou si elles sont des militantes connues? Toutes ces choses ne sont pas accessibles au public, et il n’y a là évidemment rien d’anormal. Évidemment, le gouvernement découvrirait ce qui est véritablement accessible au public afin de pouvoir répondre aux questions plus tard.
Cependant, en ce qui concerne la base de données du Parti libéral, cela va beaucoup plus loin. Le gouvernement a dit qu’il souhaitait nommer des sénateurs indépendants et non partisans, mais il vérifie toujours la base de données du Parti libéral. Voilà la différence.
Honorables sénateurs, je tiens à participer à cette discussion qui m’apparaît importante. Tout d’abord, l’amendement que propose la sénatrice Ringuette répond aux préoccupations que m’inspire la motion du sénateur Plett, surtout en ce qui concerne la portée étroite de la motion.
La sénatrice Ringuette propose d’élargir l’enquête afin d’explorer les liens entre les trois branches de gouvernement. C’est un changement important, qui correspond bien, selon moi, au cadre non partisan de la motion initiale. Nous pourrions ainsi examiner les relations entre les pouvoirs exécutif et judiciaire du gouvernement, et entre les pouvoirs exécutif et législatif, ce qui donnerait deux études de cas intéressantes.
Deuxièmement, nous savons que le commissaire à l’éthique de la Chambre des communes examine actuellement l’affaire SNC-Lavalin. Si son enquête est aussi exhaustive que celle qu’a menée le Bureau du commissaire à l’intégrité de l’Ontario à propos de Doug Ford et d’une question d’emploi, elle sera décidément approfondie. Nous nous devons d’attendre la conclusion de cette enquête avant d’entreprendre d’autres travaux, peu importe la portée qu’on propose de leur donner.
Troisièmement, pour l’instant, nous savons tous les faits à savoir concernant l’affaire. Le Comité de la justice de la Chambre des communes a entendu de longs témoignages de la part de deux ministres, du greffier du Conseil privé et du secrétaire principal du premier ministre. Il y a eu des éléments d’information supplémentaires, des conversations enregistrées et des déclarations faites plus récemment par deux des principaux plaignants. Nous savons donc tout ce que nous avons besoin de savoir.
Je veux maintenant passer à un autre aspect du débat, dont il a été question la semaine dernière et encore ce soir, c’est-à-dire les points soulevés au sujet des sénateurs indépendants. Les commentaires ont été consignés au compte-rendu. Je réponds au débat de la semaine dernière sur la motion à l’étude et aux propos que la sénatrice Batters a tenus tout à l’heure.
La semaine dernière, le 5 mai 2019, nous avons entendu — et il en a été question dans les médias sociaux — deux sénateurs conservateurs parler du Sénat faussement indépendant de Trudeau. On a répété sensiblement la même chose plus tôt ce soir.
Je vais d’abord citer un exemple très éloquent. Quelques semaines auparavant, dans un débat sur une motion de programmation, des sénateurs conservateurs ont avancé une opinion contraire en disant que, étant donné que le Groupe des sénateurs indépendants n’est pas un caucus partisan, il ne devrait pas participer aux pourparlers sur l’organisation des travaux. Vous pouvez sûrement voir où je veux en venir. Nos collègues d’en face pourraient commencer par s’entendre sur leur version des faits, car, pour l’instant, ils semblent changer d’avis du jour au lendemain en nous disant tantôt partisans, tantôt non partisans.
Or, j’estime que je fais partie d’un groupe de sénateurs indépendants extraordinaires qui, chaque jour, dans cette enceinte, font preuve d’intégrité et de professionnalisme en se concentrant sur les politiques et en respectant leurs engagements.
J’invoque le Règlement. Sans vouloir manquer de respect au sénateur Dean, je crois comprendre que nous débattons de la motion no 470, et je n’ai pas entendu un mot à ce sujet.
Honorables sénateurs, le sénateur Dean intervient concernant l’amendement. Comme je l’ai dit il y a un moment, nous accordons une importante marge de manœuvre jusqu’à ce que l’on en arrive au langage non parlementaire. Je vais lui permettre de continuer, mais le débat porte sur l’amendement à la motion no 470.
Oui. Votre Honneur, j’aimerais ajouter quelque chose au sujet de l’amendement en exprimant mon point de vue, qui découle de mon travail et des observations que j’ai faites pendant mes années au sein du gouvernement.
J’ai dit plus tôt, lors du débat au sujet de l’affaire SNC-Lavalin, que nos confrères de la sphère politique travaillent dans un contexte de gouvernance encadré par des règles, des conventions et des pratiques. Il y a à la fois une structure de gouvernance formelle et informelle, et cela fonctionne bien. Les ministres discutent entre eux, le premier ministre discute avec les ministres, et le personnel discute avec les ministres. C’est pratique courante, cela se fait tout le temps. Et, effectivement, parfois les gens parlent aux procureurs généraux. C’est là la réalité quotidienne des politiciens et des ministres. Les sénateurs qui ont de l’expérience en politique ne le savent que trop bien.
À l’instar de mes collègues, la semaine dernière, et de la sénatrice Batters, ce soir, je reviendrai sur des observations qui ont été faites au sujet de mes collègues de ce côté-ci du Sénat. Je le ferai en employant un langage parlementaire et en tout respect.
Par opposition à quoi?
J’en viens à la vraie question. Dans une décision possiblement surprenante à la suite des élections de 2015, le premier ministre a choisi de mettre de côté la pratique historique qui consistait à combler les vacances au Sénat principalement en nommant des fidèles du parti. Il a également retiré les sénateurs libéraux du caucus libéral.
Plutôt, par l’entremise d’un processus de sélection indépendant, il a choisi un groupe de sénateurs indépendants. Le premier ministre ne leur a demandé qu’une seule chose : que chacun d’entre eux travaille à l’établissement d’un Sénat plus indépendant et moins partisan. Un point, c’est tout. Il n’a jamais été question de soutenir sa plateforme électorale ni quoi que ce soit. Il n’y a eu aucune autre demande depuis.
En fait, la plupart, si ce n’est pas l’ensemble, des sénateurs indépendants nommés depuis 2015 auraient refusé une nomination politique. C’est certainement mon cas. C’est l’indépendance qui m’a attiré ici, la liberté de prendre nos propres décisions et de voter comme nous le jugeons bon au lieu de suivre les instructions de quelqu’un d’autre.
Je sais que ce changement a entraîné un malaise chez certains de mes collègues sénateurs. Je sais que l’idée d’un Sénat plus indépendant est légèrement menaçante dans un milieu résistant aux changements. Il est dérangeant, j’imagine, de combler les vacances dans cette institution en faisant peser la menace d’un changement, même si c’est pour améliorer les choses.
Je vais maintenant parler de la question des sénateurs faussement indépendants.
Premièrement, il est clair que le premier ministre aurait pu ne procéder à aucun changement dans la nomination des sénateurs indépendants. Il aurait pu faire comme les autres avant lui et nommer une majorité de gens ouvertement loyaux à son parti, comme l’ont fait ses prédécesseurs. Il aurait certainement eu au Sénat un caucus libéral beaucoup plus heureux, plus étoffé et plus puissant qui, j’ose le dire, aurait plu à ceux qui ont la balance du pouvoir.
Il y avait une voie plus directe et plus facile à suivre pour le maintien d’un Sénat partisan. Guidé probablement par la Cour suprême, le premier ministre a voulu un Sénat plus indépendant et moins partisan, ce qui est tout à son honneur. J’insiste sur le terme « moins », car personne ne parle d’un Sénat non partisan.
Non seulement le premier ministre avait-il probablement un groupe d’anciens libéraux insatisfaits au Sénat, mais il avait aussi un groupe de sénateurs indépendants d’esprit. Les premiers sénateurs indépendants, dont la sénatrice Lankin, ont proposé des amendements à l’aide médicale à mourir. Le sénateur Pratte a mené la charge contre l’inclusion de la Banque de l’infrastructure fédérale dans un projet de loi d’exécution du budget en ralliant tout le monde à son idée. Ce n’est probablement pas le genre de geste partisan auquel on a fait allusion plus tôt. Le sénateur Pratte, un loup libéral dans la bergerie? Je ne crois pas.
La sénatrice Pate a constamment défendu les droits des Autochtones et autres personnes détenues et surtout celles qui sont placées en isolement cellulaire. En quoi cela est-il conforme aux souhaits du premier ministre? Ses travaux sur les peines minimales obligatoires et le placement en isolement préventif sont révolutionnaires, admirables et totalement indépendants.
La sénatrice Omidvar, une championne de l’immigration et des réfugiés, a critiqué le gouvernement pour un certain nombre de projets de loi, notamment certaines parties du projet de loi C-45 qui auraient pour effet que des résidents non permanents ne seraient pas traités équitablement dans le système de justice. Je ne vois pas notre collègue le sénateur D. Black ici; je ne vais donc pas le féliciter de son travail sur le projet de loi C-69 en son absence.
Ce n’est qu’une liste partielle d’exemples d’un Sénat plus axé sur les politiques, moins partisan et plus indépendant. Cependant, mettez de côté ce groupe et portez votre attention à un plus gros groupe, à savoir le Groupe des sénateurs indépendants. Demandez-vous combien d’entre nous auraient été sur la liste traditionnelle des libéraux fidèles? Combien d’entre nous auraient accepté de quitter nos postes de hauts dirigeants dans divers secteurs pour venir recevoir des ordres du cabinet du premier ministre? Très peu, probablement aucun.
Vous savez tout cela, même si vous continuez à faire valoir qu’il en est autrement. Je sais que les gens seraient plus à l’aise avec l’ancien duopole et le partage du pouvoir entre les sénateurs du monde libéral et ceux du monde conservateur, mais ce n’est pas ce que nous avons en ce moment.
Revenons maintenant au fond de la motion de la sénatrice Ringuette. Je vous remercie de votre indulgence.
Il reste une minute.
Excellent. Je pense que cela ira. Je demanderai peut-être plus de temps.
J’ai déjà parlé du fait que les politiciens, les ministres et les premiers ministres discutent ensemble de temps en temps et qu’ils parlent effectivement aux procureurs généraux. Vous le savez. Toute personne ici qui a travaillé dans un gouvernement et dans le domaine des politiques publiques le sait. Il y a une exception claire dans cette pratique, bien entendu, en ce qui concerne le procureur général, qui est le premier conseiller juridique de l’État. Cela ne veut pas dire que les ministres de la Justice et les procureurs généraux ne se font jamais donner de conseils, qu’ils ne font pas l’objet de lobbying ou qu’on ne leur mentionne jamais une préférence. Il faut être réaliste.
Or, contrairement aux autres ministres, en matière de droit et d’intérêt public, le procureur général a la responsabilité de prendre ses propres décisions et la compétence et l’indépendance voulues pour le faire. C’est ce qui semble s’être passé dans ce cas-là et dans un autre cas qui faisait parler dans les médias hier soir.
Une chose est éminemment claire : la position adoptée par le Service fédéral des poursuites, position que tout le monde connaît, n’a jamais changé. La demande d’accord de suspension des poursuites de SNC-Lavalin a été refusée; cela n’a pas changé. Je dirai simplement que le processus qui est en place au sein de notre régime politique pour protéger la primauté du droit et l’intégrité du système de justice a fonctionné comme prévu.
Ce processus est-il parfois chaotique? En effet. Les discussions de ce genre entre le premier ministre et les ministres sont-elles difficiles? Bien sûr que oui. Vous avez été impliqués dans certaines d’entre elles. Certains d’entre vous en ont été la cible. Peuvent-elles être gênantes? Oui. Sont-elles dignes de faire les manchettes? Tout à fait. Sont-elles scandaleuses? C’est discutable. Peuvent-elles être utilisées à des fins politiques? Tout à fait, sans l’ombre d’un doute.
Honorables sénateurs, tout ce fouillis s’applique autant aux problèmes de gouvernance qu’a vécus l’ancien premier ministre. La sénatrice Ringuette a décrit les relations tendues qui existaient entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif du gouvernement, et, chose cruciale, cette affaire a touché au cœur même de l’indépendance du Sénat.
Pour toutes ces raisons, j’appuie l’amendement de la sénatrice Ringuette.
Sénateur Patterson, vous avez deux minutes.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Avec plaisir.
Sénateur, j’ai été très étonné de vous entendre prédire que le commissaire à l’éthique mènerait un examen exhaustif. L’article 43 de la loi qui établit le bureau du commissaire à l’éthique prévoit que celui-ci donne, à titre confidentiel, des avis sur l’application de cette loi à un titulaire de charge publique.
Convenez-vous que la loi et le Code régissant les conflits d’intérêts des députés confèrent au commissaire à l’éthique un mandat très étroit, qui, en fait, ne lui permet pas de procéder à l’examen exhaustif que, selon vous, il serait en train de mener?
Je vous remercie de votre question. Elle est très pertinente et je suis heureux que vous l’ayez posée. Elle me donne l’occasion de parler un peu plus en détail d’un cas récent en Ontario, où il y a eu une évaluation éthique.
Le mandat du commissaire à l’éthique dans ce cas précis n’était pas plus large que celui dont vous parlez. Le commissaire à l’éthique a reçu des preuves tangibles de nombreuses parties. Il a publié un rapport qui couvre en détail l’ensemble de ces témoignages en plus de passer en revue toutes les questions qui étaient en jeu dans la sphère publique et politique. On aurait dit un roman. Une fois que j’ai commencé à le lire, je n’ai pas pu m’arrêter.
En fait, ses conclusions respectaient le cadre officiel étroit du mandat du commissaire à l’éthique, mais ce n’était pas une obligation. Dans une affaire du genre, compte tenu de son ampleur, de l’attention du public et de l’appétit de certains intervenants qui n’ont jamais assez d’information même si on leur dit que tout a été révélé, je suis optimiste par rapport à l’enquête et au travail des mandataires. Je ne m’inquiète pas trop de la portée exacte des mandats. C’est ce que les gens en font qui est important.
Je ne suis ni pessimiste ni cynique par rapport aux mandataires du Parlement et au travail qu’ils font. Je pense que nous leur accordons notre confiance et que nous devrions nous attendre au meilleur de leur part. Je m’attends, tout comme vous, au meilleur examen possible.
Le temps de parole du sénateur Dean est écoulé. Sénateur Dean, demandez-vous plus de temps pour répondre à une autre question?
Y a-t-il d’autres questions?
La sénatrice Dyck veut poser une question.
Oui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Sénateur Dean, quand vous parliez des sénateurs indépendants, vous avez affirmé que les prédécesseurs de Trudeau avaient nommé des gens loyaux à leur parti, si je ne m’abuse. Je pense que c’est un peu une généralisation. Quelles preuves avez-vous de ce que vous avancez?
Je sais que ce n’était assurément pas le cas pour l’ancien premier ministre Paul Martin, par exemple. Quand il m’a nommée, il m’a donné un choix. Il m’a dit que je pouvais soit être une sénatrice libérale, soit une sénatrice indépendante. J’ai vérifié auprès du bureau du greffier, et on m’a dit que c’était entièrement mon choix. Alors, qu’ai-je fait? J’ai choisi le NPD sans me rendre compte qu’il ne croyait pas en la valeur du Sénat.
Ce que vous avez dit est vraiment une généralisation excessive. Vous a-t-on donné un choix quand vous avez été nommé? Vous bénéficiez d’un choix. Vous n’avez pas à demeurer un sénateur indépendant.
Je ne m’attendais pas à un débat aussi étoffé, mais je peux répondre à ma collègue la sénatrice Dyck qu’elle a tout à fait raison.
Je m’excuse auprès de vous et des autres, car nous savons que c’est le cas. Nous savons d’après l’expérience que tous les premiers ministres, en plus de s’en remettre en grande partie aux personnes à qui ils croient qu’ils peuvent faire confiance — en raison de leur bagage, de leur parcours politique, de leur connaissance et de leur expérience de la politique — vont également aller plus loin, comme l’a fait l’actuel premier ministre, pour trouver des gens de différents horizons qui ont fait preuve de leadership. Je ne parle pas seulement de leadership politique, il y a aussi des leaders au service de la population. Nous le savons, il y a aussi des leaders du domaine des arts et du secteur de la santé.
Cela ne s’appliquait pas à tout le monde. Si mes propos laissaient entendre que surtout des gens loyaux envers le parti ont été nommés, j’ai eu tort.