Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2021
Troisième lecture--Débat
29 juin 2021
Propose que le projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, mon discours d’aujourd’hui, à l’étape de la troisième lecture, concerne le projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Pour ce faire, je vous présenterai les grandes lignes du budget de 2021 et je ferai le lien avec les mesures qu’il contient et qui seront mises en œuvre au moyen du projet de loi C-30.
J’aimerais tout d’abord souligner que le budget de 2021 est un plan ambitieux qui devrait contribuer considérablement à la relance de notre économie. On y retrouve des investissements importants dans les infrastructures sociales et matérielles et dans le capital humain, ce qui ramènera le Canada sur la voie de la prospérité.
Le gouvernement a choisi d’axer cette relance sur les emplois, la croissance et la résilience. Le premier grand volet, et le plus important, vise à en finir avec cette pandémie. Bien que la lutte ne soit pas encore terminée, la vaccination progresse. L’effort collectif des Canadiens et des Canadiennes, qui ont retroussé leurs manches, commence à porter ses fruits. Nous devons cependant continuer de vacciner le plus de gens possible, le plus rapidement possible, avant de pouvoir véritablement envisager une relance solide de l’économie.
Le gouvernement a choisi de mettre des ressources à la disposition des Canadiens pour conclure la campagne de vaccination, mais aussi pour répondre à d’autres besoins qui ont émergé au cours des 15 derniers mois.
Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi prévoit un paiement ponctuel d’un milliard de dollars aux provinces et aux territoires pour renforcer le déploiement des programmes de vaccination.
Le projet de loi C-30 prévoit aussi un financement complémentaire de 4 milliards de dollars aux provinces et aux territoires au titre du Transfert canadien en matière de santé pour les aider à répondre à des besoins immédiats. Ce financement supplémentaire contribuera à rattraper les retards dus aux opérations annulées à cause de la pandémie de COVID-19. Il aidera les provinces et les territoires à faire en sorte que les systèmes de soins de santé puissent continuer de répondre à la pandémie et de s’en remettre, et contribuera à protéger la santé et la sécurité des Canadiens.
Le second volet du budget de 2021 met l’accent sur le soutien aux Canadiens et aux entreprises, jusqu’à ce que l’activité économique ait repris son élan. Le gouvernement continuera de mettre des ressources à la disposition des Canadiens afin de protéger les emplois et de soutenir les entreprises et les travailleurs touchés. Les sommes consacrées à ce volet du budget s’élèvent à près de 27 milliards de dollars.
Le projet de loi C-30 appuie le plan du gouvernement en matière de création d’emplois, dont les détails se trouvent dans le budget de 2021. Le gouvernement s’y engage à créer près de 500 000 nouvelles possibilités de formation et d’emploi pour les Canadiens. Le nouveau programme d’embauche pour la relance économique du Canada qui est proposé aidera les PME de partout au pays à se remettre de l’incertitude et des innombrables défis auxquels elles ont été confrontées au cours des 16 derniers mois.
Ce programme permettra d’aider les employeurs admissibles qui subissent une baisse de revenus en raison de la pandémie en couvrant jusqu’à 50 % de l’augmentation de la masse salariale payée aux employés admissibles. Le programme sera rétroactif au 6 juin 2021 et offert jusqu’au 20 novembre de cette année.
La relance de nos petites et moyennes entreprises est indispensable à la relance économique en général, et je crois que ce programme aidera ces entreprises à embaucher les travailleurs dont elles ont besoin pour reprendre leurs activités.
De plus, le projet de loi C-30 prolongerait jusqu’au 25 septembre la Subvention salariale d’urgence du Canada, la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer et la mesure de soutien en cas de confinement. La subvention salariale a déjà permis de protéger des millions d’emplois au Canada et la subvention pour le loyer a aidé les entreprises à payer leurs frais fixes après que leurs revenus ont diminué et qu’elles ont été contraintes de restreindre considérablement leurs activités conformément aux ordonnances de la santé publique.
D’autres mesures visent plus particulièrement à aider les entreprises canadiennes à faire des affaires. Le gouvernement entend mettre à leur disposition les ressources nécessaires à l’innovation et à une plus grande intégration dans l’économie numérique. Il vise à éliminer les obstacles au commerce intérieur et à faciliter les affaires au Canada et à l’étranger en continuant d’investir dans la recherche et l’innovation de calibre mondial.
Les petites entreprises doivent avoir accès à du financement afin de pouvoir investir dans les gens et l’innovation et elles doivent disposer de l’espace et du capital nécessaires pour assurer leur exploitation et leur croissance. Le gouvernement prévoit continuer à appuyer les petites entreprises en proposant, par l’intermédiaire du projet de loi C-30, d’améliorer le Programme de financement des petites entreprises du Canada en modifiant la Loi sur le financement des petites entreprises du Canada, ce qui entraînera un élargissement des critères d’admissibilité et une augmentation des limites de prêt.
Honorables sénateurs, en adoptant le projet de loi C-30, nous donnerons aux entreprises canadiennes le soutien dont elles ont besoin pour maintenir leurs activités quotidiennes et investir dans leur croissance à long terme.
Le prochain volet du plan est axé sur la création d’emplois et la croissance du Canada. Il tient compte des éléments clés de la relance et prend en considération le rôle des femmes dans l’augmentation de notre productivité et la contribution des jeunes à une main-d’œuvre qualifiée et compétente. La réussite repose sur les mesures qui seront prises à l’égard de l’éducation préscolaire, de l’accès aux services de garde et du rôle des jeunes dans l’économie, que ce soit dans l’éducation, l’emploi ou la planification de la relève.
Dans le budget de 2021, le gouvernement annonce également des investissements historiques et générationnels dans notre avenir, et le projet de loi C-30 commence à jeter les bases d’une partie de ce travail.
Le gouvernement a fait part de sa vision pour la mise en place d’un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Permettez-moi d’y revenir rapidement dans ce discours, car il s’agit d’une mesure fort importante pour le Canada.
Il s’agit d’un plan visant à stimuler la croissance économique, à assurer la participation des femmes au sein de la population active et à offrir à chaque enfant du Canada le meilleur départ qui soit dans la vie.
L’incidence économique de cette mesure se manifestera à long terme. Les services de garde d’enfants aident les femmes et les familles à travailler et contribuent à la réussite scolaire future des enfants et à leur bien-être général. Ils ont un effet sur la croissance et le PIB et, en conséquence, ont un impact sur les revenus et les dépenses du gouvernement. Les répercussions économiques montrent que, pour chaque dollar investi dans l’éducation de la petite enfance, une somme évaluée entre 1,50 $ et 2,80 $ revient dans l’économie en général.
Grâce à ce plan, le gouvernement entend réduire de 50 % en moyenne les frais de garde d’enfants d’ici 2022, dans le but d’atteindre des frais de 10 $ par jour en moyenne d’ici 2026, partout à l’extérieur du Québec. En effet, le Québec a déjà un système qui fait l’envie du reste du Canada.
Pour appuyer cette vision, le projet de loi C-30 propose de fournir jusqu’à 2,9 milliards de dollars aux provinces et aux territoires pour entamer les travaux de mise en place de ce système, et le budget de 2021 prévoit y consacrer un investissement de 27 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.
La pandémie a montré à tout le monde l’urgence de cet enjeu économique. Cependant, cet enjeu n’est pas nouveau. Les femmes savent depuis longtemps que, sans services de garde, les parents, habituellement les mères, ne peuvent pas travailler à l’extérieur du foyer. Je crois que le moment est venu d’aller de l’avant avec cet investissement à long terme, qui constituera une pièce maîtresse de l’infrastructure sociale du Canada. Cet investissement se fera sentir pendant de nombreuses générations.
Au cours de la dernière année, les jeunes ont fait des sacrifices extraordinaires pour assurer la sécurité des personnes plus âgées. Le projet de loi C-30 rendrait les études collégiales et universitaires plus accessibles et abordables en prolongeant les mesures visant à ce que les prêts d’études et les prêts aux apprentis fédéraux ne portent pas intérêt pour l’emprunteur jusqu’en mars 2023. Cela permettra à 1,5 million de Canadiens qui doivent rembourser des prêts étudiants de faire des économies.
Le projet de loi C-30 contient un nombre important de mesures visant à faire progresser le pilier lié à la réduction de la pauvreté et à améliorer la santé et le bien-être des Canadiens.
Comme on l’a mentionné plus tôt aujourd’hui, le gouvernement propose d’établir le salaire horaire minimum fédéral à 15 $. Rappelons que les travailleurs des provinces qui offrent un taux horaire plus avantageux que le taux fédéral recevront le salaire minimum en vigueur dans leur province.
Par l’intermédiaire du projet de loi C-30, le gouvernement bonifie également l’Allocation canadienne pour les travailleurs et simplifie les règles d’admissibilité pour les personnes occupant plus d’un emploi.
Le gouvernement choisit de normaliser les règles d’admissibilité à l’assurance-emploi et de garantir que les indemnités de départ et autres indemnités de cessation d’emploi ne retarderont pas les prestations d’assurance-emploi. De plus, il prolonge les prestations de maladie de l’assurance-emploi pour mieux soutenir les Canadiens malades ou blessés et il offre des semaines supplémentaires de prestations de relance.
Au cours des 14 derniers mois, personne n’a autant subi les effets dévastateurs de la COVID-19 sur la santé que nos aînés. Nous avons pu constater à quel point ils étaient vulnérables et combien il était urgent de mettre en place des mesures en vue de leur apporter une aide financière, tout en leur permettant de vieillir à la maison dans la dignité.
Les aînés méritent d’avoir une retraite sécuritaire, sûre et digne. Le gouvernement propose de faire un versement unique de 500 $, en août 2021, aux bénéficiaires de la pension de la Sécurité de la vieillesse qui seront âgés de 75 ans ou plus en juin 2022. Le projet de loi C-30 prévoit aussi, à compter de juillet 2022, et ce, sur une base permanente, une augmentation de 10 % des prestations de la pension de la Sécurité de la vieillesse destinées aux personnes âgées de 75 ans et plus.
Des mesures sont également prises pour améliorer la prestation d’invalidité, assouplir les règles en matière de transfert successoral d’un parent ou d’un grand-parent à une personne souffrant d’un handicap et rendre nos communautés et nos milieux de travail plus accessibles.
Dans le budget de 2021, le gouvernement s’engage à continuer d’appuyer les communautés autochtones en investissant dans la lutte contre la COVID-19, les services à l’enfance et à la famille, la santé mentale et l’éducation. Le gouvernement s’efforce également d’aider les entrepreneurs autochtones à renforcer leur capacité d’investissement communautaire.
Le projet de loi C-30 ajoute à ceci une modification importante, qui permettra d’éliminer un obstacle à l’utilisation par les Premières Nations des recettes provenant des taxes administrées. Cette modification assurera un accès plus facile aux emprunts en vertu du régime mis en commun de la Loi sur la gestion financière des premières nations.
Cette modification assurera une plus grande autonomie aux peuples autochtones en vue de la construction et de la prise en charge de projets d’infrastructures qui sont nécessaires au développement de leurs communautés.
Dans la prochaine partie de ce discours, j’énumérerai rapidement d’autres mesures et investissements contenus dans le projet de loi C-30 et qui touchent différents secteurs de l’économie.
Le gouvernement entend accélérer la croissance de l’économie carboneutre, investir dans les industries de l’énergie propre et les collectivités écologiques, mettre en œuvre le Plan climatique canadien et protéger la nature. Le projet de loi C-30 propose un investissement de 1,1 milliard de dollars.
Le gouvernement propose des mesures pour l’accès à des logements abordables et le rétablissement des activités touristiques, artistiques, culturelles et sportives. En outre, le budget prévoit du soutien pour les organismes de bienfaisance ainsi qu’un investissement dans les infrastructures, le développement local et régional, les collectivités rurales, le Nord et l’immigration.
Les investissements prévus sont de l’ordre de 4,7 milliards de dollars.
De plus, les engagements du gouvernement visent l’équité et la responsabilité fiscales. Le projet de loi C-30 introduit un nouveau cadre de surveillance des paiements de détail afin de fixer un cadre de réglementation aux fournisseurs de services de paiement. Il apporte des ajustements importants à la TPS en ce qui a trait aux services numériques. Il instaure des mesures afin de lutter contre l’évitement fiscal agressif et supprime les échappatoires, élargit la portée des mesures relatives au blanchiment d’argent et renforce certaines mesures relatives à l’Agence du revenu du Canada.
Comme vous pouvez le constater, ce plan comporte un nombre important de mesures qui sont articulées en fonction des fondements économiques et sociaux de notre pays. Cette approche devrait permettre d’assurer une reprise forte et soutenue de notre économie.
Je vais maintenant m’attarder à la dette du gouvernement. On se rappellera que, avant la pandémie, le ratio de la dette par rapport au PIB se situait à un peu plus de 31,2 %. On peut constater que ce ratio est désormais estimé à 51,2 % dans les prévisions budgétaires de l’exercice 2021-2022.
Une analyse un peu plus détaillée de la dette nous indique que le total des passifs affichera un solde de 1 799,7 milliards de dollars, appuyé par des actifs financiers de 466,2 milliards de dollars et d’actifs non financiers de 99,8 milliards de dollars pour une dette fédérale de 1 233,8 milliards de dollars.
Quant aux frais de la dette, ils devraient s’établir à 22,1 milliards de dollars pour l’exercice 2021-2022, ce qui représente 0,9 % du PIB.
Je peux fort bien comprendre les inquiétudes manifestées par mes collègues en matière d’endettement de notre pays, puisque je les partage.
L’endettement coûte très cher aux contribuables et il transfère aux générations à venir une dette dont le fardeau pourrait devenir, un jour, difficile à porter.
Au moment où la pandémie a fait son apparition, le Canada se trouvait dans une situation budgétaire solide, ce qui a permis au gouvernement d’apporter un soutien à la population ainsi qu’aux entreprises. L’objectif était double : aider à faire face aux répercussions de la pandémie et mieux positionner notre économie pour la relance.
La pandémie a eu des répercussions non seulement sur la dette du Canada, mais aussi sur celle de tous les pays du monde. Il faut toutefois se rappeler que le Canada fait toujours bonne figure sur le plan mondial, puisqu’il conserve le taux d’endettement le plus bas parmi les pays du G7 et qu’il a réussi à maintenir sa cote de crédit AAA actuelle.
De plus, dans sa stratégie de gestion de la dette, le gouvernement compte maximiser le financement de la dette liée à la COVID-19 par l’émission à long terme de titres de créance, de façon à réduire le refinancement et à offrir une plus grande prévisibilité relativement aux coûts engendrés.
Pour conclure ce discours, j’aimerais laisser le mot de la fin au gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem qui, lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce la semaine dernière, nous a laissé le message suivant :
Pour les travailleurs canadiens, une reprise complète implique un marché de l’emploi sain offrant de bonnes possibilités, y compris pour les travailleurs à faible revenu, les femmes et les jeunes, des groupes qui ont été touchés de plein fouet par la pandémie. Une reprise complète signifie que les entreprises sont convaincues que la pandémie est terminée et investissent pour saisir de nouvelles occasions d’affaires.
La plus grande partie des mesures qui sont proposées dans ce projet de loi a trait à des investissements importants dans le capital humain et dans les entreprises, ce qui permettra d’assurer une relance de l’économie plus verte, plus équitable et plus prospère pour tous les Canadiens et toutes les Canadiennes. Sur ce, je vous invite à voter en faveur du projet de loi C-30. Je vous remercie de votre attention.
Honorables sénateurs, je suis ravie de prendre la parole aujourd’hui pour contribuer au débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-30, loi d’exécution du budget de 2021.
Je tiens à remercier la marraine du projet de loi, la sénatrice Moncion, qui a travaillé fort pour présenter ce projet de loi au Sénat et en préparer l’étude. J’aimerais remercier aussi mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, en particulier notre présidente, la sénatrice Petitclerc, du temps et des efforts qu’ils ont investis pour étudier un certain nombre de sections du projet de loi.
Mes observations d’aujourd’hui porteront sur la section 33 du projet de loi C-30, intitulée Apprentissage et garde des jeunes enfants.
En trois phrases seulement, la section 33 établit la première tranche de dépenses en vue de réaliser le projet ambitieux du gouvernement de créer un système national de garderies. Toutefois, chers collègues, derrière le court texte de la section 33 se cache une longue histoire d’espoirs, d’attentes anéanties et de tentatives ratées de forger un tel système.
Cela fait 50 ans que la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada a recommandé un système national de garderies accessibles, abordables et de qualité. Son rapport, publié en décembre 1970, comprend un appel à la création d’un tel système qui sonne remarquablement moderne. En effet, on peut y lire :
La Commission recommande que le gouvernement fédéral prenne des mesures immédiates en liaison avec les provinces en vue de l’adoption d’une loi sur les garderies et les crèches, en vertu de laquelle on accorderait aux provinces une aide financière basée sur le partage des frais, pour la construction et le fonctionnement de garderies et crèches qui respectent les normes minimums prescrites [...]
Cela a été dit en 1970.
Dans le demi-siècle qui a suivi la présentation du rapport, des études ont été produites, des promesses ont été faites et il y a eu deux tentatives majeures d’élaboration et d’adoption de mesures législatives fédérales. La première, en 1987, était le plan de 5,4 milliards de dollars du gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney visant notamment la création de 200 000 nouvelles places en garderie dans l’ensemble du Canada. C’est beaucoup d’argent — 5,4 milliards de dollars —, surtout en 1987.
Le projet de loi avait été adopté par la Chambre des communes, mais M. Mulroney a déclenché des élections à l’automne 1988 et son initiative sur la garde d’enfants est morte au Feuilleton du Sénat et le gouvernement de M. Mulroney a choisi de ne pas ressusciter le projet de loi après sa réélection. Près de deux décennies plus tard, en 2005, le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin a promis 5 milliards de dollars sur 5 ans pour la création d’un système national. M. Martin avait réussi à obtenir des ententes bilatérales sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants avec les 10 provinces quelques jours à peine avant la campagne électorale de 2006, mais le gouvernement conservateur nouvellement élu de Stephen Harper a mis fin à ces ententes.
Cinquante années se sont donc écoulées sans qu’un programme national soit créé. Pendant une bonne partie de cette période, la création d’un programme national de garde d’enfants était perçue comme le prochain grand pas en avant en matière de programmes sociaux depuis la création de l’assurance-maladie, le premier grand programme social du Canada, mais la création d’un programme de garde d’enfants a toujours été reléguée au deuxième rang, a toujours étrangement été impossible à réaliser et a toujours été éclipsée par d’autres priorités. Je crois qu’il est donc très important que nous comprenions le chemin parcouru et l’importance historique du moment que nous vivons aujourd’hui.
Nous sommes ici pour étudier le programme national de garderies mis au point par le gouvernement fédéral sous l’égide de la ministre Freeland, dont le montant prévu s’élève à 30 milliards de dollars sur cinq ans. Oui, nous y sommes, c’est bien réel. Comme l’a dit la sénatrice Moncion, la première étape représente une dépense de 2,95 milliards de dollars pour l’exercice 2021-2022, et c’est ce qui est indiqué dans le projet de loi C-30. Le financement pour cette année sera distribué aux provinces et territoires dans le cadre d’accords bilatéraux sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. L’objectif à la fin de la première année est de réduire le prix des services de garde réglementés de 50 % d’ici la fin 2022, partout au Canada.
Sénateurs, je soutiens la participation du gouvernement fédéral dans un système national de garderies. C’est un sujet important, quel que soit l’angle sous lequel on le regarde. Depuis des décennies maintenant, les femmes reconnaissent que l’indépendance et l’égalité ne peuvent être obtenues que lorsque les deux parents assument les responsabilités de la garde des enfants. Les services de garde permettent aux femmes de retourner au travail, ils permettent d’augmenter le nombre et la qualité des possibilités d’emploi dans ce secteur — des emplois principalement occupés par des femmes — et ils réduisent les obstacles à la réussite professionnelle des femmes sur le marché du travail.
Selon les estimations du gouvernement, ce régime de garde d’enfants pourrait créer 240 000 nouveaux emplois pour les femmes au Canada. De plus, certains experts, dont le Centre for Future Work de Vancouver, prévoient que, à la suite de la mise en place d’un système de garderies abordables, jusqu’à 780 000 femmes de plus entreront vraisemblablement sur le marché du travail ou accroîtront leurs heures de travail au cours des 10 prochaines années.
Le fait de faciliter le retour des femmes sur le marché du travail devrait faire augmenter le revenu des ménages canadiens, particulièrement celui des familles à faible revenu pour lesquelles le retour au travail était financièrement insoutenable compte tenu du coût élevé des frais de garderie. À Toronto, où j’habite, les frais de garderie sont toujours les plus élevés au Canada dans presque toutes les catégories : nourrissons, tout-petits, et j’en passe. Par conséquent, une diminution de moitié des frais de garderie sera très utile dans ma collectivité.
On sait que les résultats en matière de santé vont aussi de pair avec le revenu familial et que l’éducation à la petite enfance améliore considérablement le développement des enfants. Les perspectives de croissance économique sont également très intéressantes. Karen Hall, directrice générale à la Direction générale des politiques stratégiques et de service d’Emploi et Développement social Canada, a déclaré au Comité des affaires sociales que pour chaque dollar investi en éducation à la petite enfance, l’économie en général reçoit en retour entre 1,50 $ et 2,80 $.
Toujours devant le Comité des affaires sociales, Craig Alexander, président d’Alexander Economic Views et premier économiste en chef chez Deloitte Canada, a déclaré :
L’effet multiplicateur sur l’économie et le rendement de l’investissement obtenus ont fait l’objet de moult études. Les nombreuses études [...] estiment que chaque dollar investi rapportera de 1,5 à 5 $.
Bref, la mise en place d’un programme national de garderies profitera aux femmes, aux familles, aux enfants et à l’économie. C’est l’une des meilleures façons pour le Canada de « rebâtir en mieux » après cette pandémie qui a fait beaucoup de ravages au Canada et dans le monde entier.
Bien qu’il s’agisse d’une initiative importante, deux points me préoccupent. Le premier, c’est que la forme que prendront les services établis grâce à ces fonds dépend complètement de ce que négocieront le gouvernement fédéral et les provinces. Il est vrai que le gouvernement fédéral a établi, dans un document-cadre de 2017, des objectifs et des principes concernant l’abordabilité, la formation et la qualité des programmes, mais le résultat final de ce processus n’est vraiment pas clair.
Le professeur Ken Boessenkool, de l’Université McGill, a témoigné devant notre comité. Selon lui, le plan en matière de garde d’enfants ne représente que « la position initiale de négociation du gouvernement fédéral ». Il a ajouté que « [c]e sont des aspirations, dont les résultats dépendront des négociations avec les provinces ».
Le gouvernement présente le système québécois comme un modèle à suivre, mais rien ne garantit que la plupart des provinces, ni même une seule province, adopteront ce modèle. C’est l’une de mes préoccupations. Ma deuxième préoccupation tient au fait que le programme risque particulièrement d’être coupé à l’avenir.
Les dépenses de cette année, qui sont légèrement inférieures à 3 milliards de dollars, représentent un peu moins de 10 % de la grosse facture totale de 30 milliards de dollars. C’est beaucoup d’argent qui n’est pas encore affecté. Un changement de gouvernement, de nouvelles priorités, une urgence qui surviendrait, une volonté de gérer les finances de l’État plus prudemment et un déficit croissant : tous ces facteurs pourraient faire dérailler le programme plus tard.
Ensuite, chers collègues, il y a un historique, que j’ai résumé plus tôt. En 1988, un gouvernement fédéral a créé un programme national de garderies, une élection a été déclenchée et le programme est mort. En 2005, un gouvernement fédéral a créé un programme de garderies, une élection a été déclenchée et le programme est mort. En 2021, un gouvernement fédéral a créé un programme de garderies, des élections ont été déclenchées, et que se passera-t-il ensuite? L’histoire se répétera-t-elle ou emprunterons-nous une voie différente?
Chers collègues, je suis fière et heureuse d’être une parlementaire aujourd’hui et de voter en faveur d’un avenir différent et meilleur.
Merci.
Honorables sénateurs, le budget de 2021 est historique tant par sa taille que par sa portée. Selon ses auteurs, « il vise également à créer plus d’emplois et la prospérité pour les Canadiens dans les jours et les décennies à venir. »
Je tiens à féliciter la vice-première ministre et ministre des Finances pour son premier budget et à reconnaître ses efforts, notamment la création d’un important registre de la propriété effective.
Cependant, je concentrerai mes observations sur la question de savoir si les plans budgétaires et les autorisations de dépenser contenues dans le projet de loi C-30 sont suffisamment prometteurs pour assurer réellement une plus grande prospérité dans les décennies à venir. Je pense notamment aux investissements importants dans les services de garderie ainsi qu’à l’adoption du numérique dans les petites et moyennes entreprises. J’examinerai également l’inclusion, dans le projet de loi C-30, de la Loi sur les activités associées, que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a étudiée en même temps que les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent. Je terminerai en examinant les mesures budgétaires visant à exploiter le potentiel de l’économie numérique, en parlant de l’absence de plan entourant l’identité numérique et en me demandant si le financement accru du Bureau de la concurrence est suffisant. Je me concentrerai sur les domaines où le budget et le projet de loi C-30 sont prometteurs et livrent la marchandise ainsi que sur ceux où j’estime que des efforts supplémentaires seront nécessaires.
Je voudrais commencer par parler de la seule façon de créer une plus grande prospérité, hormis gagner à la loterie, c’est-à-dire l’accroissement de la productivité. Pour accroître la prospérité, on peut simplement commencer par une concurrence vigoureuse. En effet, la concurrence incite les nouveaux joueurs à bousculer les acteurs inefficaces. De même, elle oblige et pousse les acteurs dont les activités sont arrivées à maturité à chercher des moyens d’offrir une valeur accrue à leurs clients.
La concurrence stimule l’innovation, laquelle fait croître la productivité, permettant aux entreprises de faire plus avec moins et de tirer plus de valeur de chaque heure travaillée. C’est la seule voie durable pour accroître la prospérité, en particulier dans une économie mondiale bouleversée par le changement climatique, la numérisation et la COVID.
Examinons la promesse budgétaire d’investir dans les services de garde d’enfants et l’apprentissage précoce. En soi, il s’agit d’une force positive pour améliorer la productivité. Elle permet à notre main-d’œuvre actuelle de s’engager, de prendre des risques et de saisir des occasions. Elle renverse la tendance de longue date du Canada à sous-investir dans l’apprentissage précoce comparativement aux autres grandes économies.
Des recherches suggèrent que l’économie au sens large gagne entre 1,50 $ et 2,80 $ pour chaque dollar investi dans les services de garde et d’apprentissage des jeunes enfants. Selon une étude du Conference Board du Canada réalisée en 2017, ce chiffre pourrait même atteindre 5,80 $ pour chaque dollar investi. Je suis convaincu que les rendements les plus élevés sont obtenus en veillant à ce que l’investissement ne se limite pas à fournir des services de garde d’enfants, mais un apprentissage précoce efficace qui améliore de façon mesurable les compétences dont tous les enfants ont besoin pour réussir à l’école.
Il est malheureux que les compétences en lecture, qui sont essentielles à la compréhension du discours dans tous les domaines et dans tous les aspects de la vie, restent à un niveau étonnamment faible. Par exemple, selon un rapport de 2018-2019 publié par un organisme de l’Ontario, l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation, 26 % des élèves de troisième année de l’Ontario n’ont pas satisfait aux normes provinciales en ce qui a trait à la lecture. Selon les données probantes accumulées depuis des décennies, une personne qui a de la difficulté à lire en troisième année aura encore beaucoup de difficulté tout au long de son parcours scolaire. Malheureusement, peu de choses ont changé depuis que j’ai commencé, il y a 25 ans, à travailler avec d’éminents chercheurs nord-américains qui se penchent sur la lecture.
Si nous voulons assurer notre prospérité dans les décennies à venir, nous devons concevoir des programmes d’éducation préscolaire de calibre mondial.
J’espère sincèrement que le gouvernement fédéral, avec l’aide du Conseil consultatif national sur la pauvreté qui sera mis sur pied, se penchera en priorité sur la mise en œuvre de la recommandation du rapport publié en 2009 par le Sénat, qui s’intitule Éducation et garde des jeunes enfants : Prochaines étapes. Ce rapport recommande une approche fondée sur les données probantes pour réduire les risques d’analphabétisme et assurer la réussite des enfants les plus vulnérables. Il cite des recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui recommande notamment d’investir dans des programmes éducatifs nationaux, d’accorder une plus grande importance à l’amélioration de la qualité et de renforcer la recherche et la collecte de données. Nos collègues ont aussi recommandé que l’on effectue un examen annuel pour rendre compte de la situation en s’appuyant sur un solide système de collecte de données. Ces recommandations s’accordent avec celles que le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a faites en 2016.
J’espère que nous ne raterons pas cette excellente occasion de créer un régime qui sera le catalyseur de la réussite de tous les enfants, en particulier les plus vulnérables. Ne nous contentons pas d’offrir des services de garde aux parents. Faisons aussi en sorte de donner aux enfants les premières habiletés dont ils ont besoin pour réussir dans ce monde de plus en plus concurrentiel. Je dirais que les perturbations économiques sans précédent appellent à une bien meilleure préparation des élèves d’aujourd’hui par rapport à notre génération.
Les entreprises d’ici doivent aussi être mieux préparées. Pensons au rapport de Statistique Canada qui indique que la productivité du travail a augmenté trois fois et demie plus vite dans les industries à forte intensité numérique que dans le reste de l’économie au cours des 20 dernières années. Pourtant, en 2019, 19 % des petites entreprises n’avaient toujours aucune présence sur Internet. Ce fait les a incroyablement désavantagées à l’arrivée de la pandémie. Plus inquiétant encore, les technologies de pointe, celles qui ont le plus grand potentiel de croissance de la productivité, ne sont pas adoptées par les PME. Par exemple, l’intelligence artificielle pourrait entraîner des gains de productivité extraordinaires, mais seulement 1,7 % des petites entreprises et 3,5 % des moyennes entreprises au Canada intègrent ces technologies à leurs activités.
Lorsque les PME n’adoptent pas les technologies numériques, elles peinent à rester concurrentielles. Selon la Banque de développement du Canada, les PME ayant atteint une maturité numérique sont 62 % plus susceptibles d’avoir enregistré une croissance supérieure de leurs ventes, 52 % plus susceptibles de voir leurs profits augmenter et 70 % plus susceptibles d’exporter.
Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles j’étais ravi que le budget comprenne des investissements majeurs pour aider les PME à adopter la technologie numérique. En effet, le budget de 2021 investira 4 milliards de dollars sur quatre ans dans le cadre du Programme canadien d’adoption du numérique. En outre, une somme de 1,4 milliard de dollars sera investie par Innovation, Sciences et Développement économique Canada pour créer des formations, des services consultatifs et des possibilités d’emploi afin de favoriser l’adoption de la technologie numérique. La Banque de développement du Canada investira aussi une somme de 2,6 milliards de dollars pour aider les PME à financer l’adoption de la technologie numérique.
Le plan australien pour le commerce numérique, annoncé en septembre dernier, prévoit 800 millions de dollars australiens. On s’attend à ce qu’il rapporte au PIB la somme impressionnante de 6,4 milliards de dollars australiens par année d’ici 2024. Il faut viser ce niveau de rendement sur l’investissement.
Le gouvernement fédéral doit s’assurer que ce programme attire davantage d’investissements privés. En 2020, les entreprises canadiennes n’ont investi que 10,5 % de leurs dépenses en immobilisations pour les technologies numériques, comparativement à 14 % en Grande-Bretagne et à 16 % aux États Unis. L’augmentation de la maturité numérique est associée à d’importants gains de productivité pour l’ensemble de l’économie, mais certaines entreprises ont besoin d’une aide supplémentaire. C’est le cas des PME issues de groupes qui revendiquent l’équité. Il est bon que le budget reconnaisse qu’une attention spéciale est requise pour réduire les obstacles systémiques aux débouchés et à l’inclusion, afin de nous assurer que notre économie tourne à plein régime.
En plus, le projet de loi C-30 fait bien d’introduire la Loi sur les activités associées aux paiements de détail; on l’attendait depuis longtemps. Dans la partie 4 de la section 7 du projet de loi C-30, la Loi sur les activités associées aux paiements de détail permettra d’offrir de nouvelles options de services de paiement qui seront beaucoup plus rentables, accessibles et sécuritaires pour les consommateurs et les marchands. C’est une bonne nouvelle.
Actuellement, lorsque des clients paient par carte de crédit, les commerçants doivent payer jusqu’à 3,5 % de leurs revenus pour traiter ce paiement, et les clients paient des taux d’intérêt exorbitants s’ils sont en retard dans leur paiement. Par ailleurs, selon Comptables professionnels agréés du Canada, 34 % des Canadiens sont victimes de fraude par carte de crédit, sciemment ou non. La stagnation réglementaire a empêché les Canadiens d’avoir accès à des services de paiement concurrentiels à l’échelle mondiale.
Je suis désolé, sénateur Deacon, mais je dois vous interrompre, car il est 18 heures.
Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive.
Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».
La séance est suspendue jusqu’à 19 heures, après quoi vous pourrez poursuivre pendant le reste du temps qui vous est imparti, sénateur Deacon.