La Loi sur les mesures d’urgence
Motion tendant à ratifier la déclaration d’état d’urgence--Débat
22 février 2022
Conformément au préavis donné le 21 février 2022, propose :
Que, conformément à l’article 58 de la Loi sur les mesures d’urgence, le Sénat ratifie la déclaration d’état d’urgence proclamée le 14 février 2022.
— Honorables sénateurs, c’est avec un profond sentiment de responsabilité que je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion dont nous sommes saisis. Pour la première fois depuis son adoption en 1988, le gouvernement du Canada a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le lundi 14 février 2022 pour déclarer l’état d’urgence au Canada.
Hier soir, nos collègues élus de l’autre endroit ont approuvé la décision du gouvernement, maintenant ainsi les pouvoirs supplémentaires prévus par la loi. Comme je crois que c’est important pour la décision dont nous sommes saisis, j’ajouterais que c’est grâce à l’appui du Nouveau Parti démocratique que l’autre endroit a consenti à la mesure.
En tant que représentant du gouvernement au Sénat, il m’incombe d’expliquer au Sénat pourquoi le gouvernement a invoqué la loi et de demander la ratification du Sénat afin qu’elle puisse continuer à s’appliquer dans les prochains jours sous notre supervision. Je le fais avec humilité, mais aussi, compte tenu des événements des sept derniers jours, avec la ferme conviction que le gouvernement avait des motifs raisonnables d’invoquer la loi.
Alors que nous entamons le débat, je tiens d’abord à remercier les forces de l’ordre, qui ont travaillé jour et nuit pour ramener la paix dans les rues d’Ottawa et pour contrecarrer les plans qui se dessinaient en vue d’ériger de nouveaux barrages. Elles ont veillé à ce que l’on cesse d’ériger des barrages bloquant des infrastructures essentielles partout au pays.
Alors que nous nous trouvons sur un territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, je veux également rendre hommage à tous les résidants d’Ottawa, qui ont été assiégés pendant des semaines par des personnes ayant fait fi de la primauté du droit et des institutions démocratiques que notre capitale nationale représente. En notre qualité de sénateurs, les Ottaviens nous accueillent chaque semaine. Ils nous hébergent dans des hôtels avoisinant la Colline du Parlement. Ils nous nourrissent dans des restaurants, à la cafétéria du Sénat ou même au Centre Rideau. Ils composent le personnel de nos bureaux. Ils font le dur travail nécessaire pour faire en sorte que nos institutions démocratiques puissent sans cesse fonctionner, même en cas de pandémie ou de barrage. Ils assurent notre sécurité, si bien que personne ne devrait craindre de se présenter au Sénat pour accomplir son travail.
Les Ottaviens ont le droit de vivre à l’abri des agressions, de la peur, du harcèlement, des crimes et du chaos. Je sais qu’ils nous soutiennent.
Des mesures extraordinaires étant en place depuis un peu plus d’une semaine, le Sénat est maintenant appelé à se rallier à ses collègues élus et à accepter la décision initiale du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Si nous le faisons, nous aurons alors la lourde responsabilité, de concert avec nos collègues de la Chambre, de servir de contrepoids en surveillant et supervisant les utilisations de la loi et en nous prononçant sur ces utilisations. En tant que parlementaires, nous sommes maintenant appelés à déterminer si le gouvernement a satisfait aux conditions de la loi afin que les mesures prises en vertu de cette loi puissent rester en vigueur jusqu’à ce qu’elles ne soient plus nécessaires.
Aujourd’hui, nous avons toutefois le luxe d’examiner la situation avec du recul. Nous prenons nos décisions au cours d’une opération d’application de la loi sans précédent et multidimensionnelle, où les outils créés par la loi sont utilisés efficacement pour mettre fin à cette situation d’urgence le plus rapidement et le plus pacifiquement possible. Comme nous l’avons vu, la loi a eu des répercussions marquantes. Nous savons qu’elle change les choses, car les gens qui mettent en œuvre l’opération nous le disent et nous demandent de maintenir l’application de la loi afin de ne pas gâcher les progrès réalisés.
À bien des égards, nous sommes en train de décider si le gouvernement et les organismes d’application de la loi dans l’ensemble du Canada peuvent continuer à utiliser les outils qui, jusqu’à présent du moins, ont permis de renverser la vapeur et d’insuffler un nouvel élan au camp de la loi et l’ordre. Il faut maintenant décider si nous permettrons à ces mesures d’être maintenues afin que les Canadiens puissent enfin clore ce chapitre et amorcer le processus de guérison.
Honorables sénateurs, le gouvernement a proclamé l’existence d’un état d’urgence.
Une fois la déclaration faite, des mesures temporaires spéciales peuvent être mises en œuvre pour répondre à la situation d’urgence. Toute mesure prise en vertu de la loi doit être exercée conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et doit être soigneusement adaptée pour limiter tout impact sur les droits de la Charte à ce qui est raisonnable et proportionné dans les circonstances.
Afin de soutenir les sénateurs et de nous assurer qu’ils sont bien informés, notre bureau a organisé deux séances d’information technique, a rendu les ministres disponibles pour répondre aux questions des sénateurs, et a fait circuler et a déposé tous les documents requis conformément à l’article 58 de la Loi sur les mesures d’urgence. Il est essentiel que la loi prévoie également une surveillance et un examen rigoureux par le Parlement à chaque étape du processus. C’est d’ailleurs une question sur laquelle je reviendrai plus tard.
Permettez-moi de décrire brièvement les mesures temporaires qui ont été mises en place jusqu’à présent aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence et des règlements pris en vertu de celle-ci. Ces mesures ont été soigneusement choisies et conçues pour répondre à la situation, ainsi que pour combler les lacunes dans les pouvoirs et les capacités provinciales et locales. Je résumerais ces mesures comme suit : il y a des mesures temporaires visant la réglementation ou l’interdiction d’assemblées publiques qui auraient pour effet de troubler la paix et qui ne sont pas légales; des mesures permettant de désigner et de sécuriser de façon temporaire des lieux où les barrages sont interdits, ce qui pourrait inclure les frontières, les voies d’accès aux frontières, d’autres infrastructures essentielles, la Cité parlementaire à Ottawa ou d’autres lieux où il est évident qu’un rassemblement illégal est imminent; et des mesures temporaires visant à ordonner à toute personne de fournir des services essentiels afin de pallier les effets des barrages sur la sécurité publique et économique du Canada, et à verser une indemnité raisonnable à ces personnes pour ces services.
Chers collègues, ces mesures ont permis d’enlever bon nombre des gros camions qui bloquaient l’accès à la Cité parlementaire et qui ont causé des difficultés inacceptables aux habitants du secteur. Elles comprennent aussi des mesures visant à limiter temporairement le soutien financier destiné aux rassemblements illégaux, notamment par l’arrêt temporaire des services des institutions financières et l’application d’exigences de déclaration visant les plateformes de sociofinancement. Cela comprend des mesures temporaires pour autoriser la GRC à appliquer les règlements municipaux et les lois provinciales, le cas échéant, et à infliger des amendes ou des peines d’emprisonnement pour les infractions à l’égard de certains décrets et règlements aux termes de l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence.
Toutes ces mesures ont été appliquées de manière efficace, responsable et respectueuse, comme nous avons pu le constater depuis le début des interventions à Ottawa.
J’aimerais maintenant énoncer les dispositions législatives en vertu desquelles il est possible d’invoquer une déclaration d’état d’urgence. Les critères à satisfaire y sont clairement établis et le gouvernement croit fermement que le seuil prescrit par la loi est atteint. Pour invoquer la loi de manière légale, il faut que le gouvernement ait des motifs raisonnables de croire qu’il y a un état d’urgence. À la lumière des faits et des preuves présentés au gouvernement, celui-ci estime que les motifs raisonnables sont présents. C’est pourquoi il a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence.
Dans le but de bien informer la Chambre haute, je vous explique quelles sont les dispositions législatives pertinentes de la loi. Vous constaterez qu’elles reposent sur une analyse fortement axée sur les faits. Je vous présente donc les faits, le contexte et les circonstances qui peuvent être divulgués et qui ont mené le gouvernement à conclure qu’il doit invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.
Les dispositions énoncées à l’article 17 sont cruciales. Elles prévoient ce qui suit :
Le gouverneur en conseil peut par proclamation, s’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produit un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire et après avoir procédé aux consultations prévues par l’article 25, faire une déclaration à cet effet.
Les critères servant à établir ce qui constitue un état d’urgence aux termes de la loi dépendent grandement du contexte. À l’article 16, le terme « état d’urgence » est défini comme suit :
Situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale.
La loi exige donc que le gouvernement ait des motifs raisonnables de croire qu’il existe une situation d’urgence découlant de « menaces envers la sécurité du Canada ». Il doit aussi avoir des motifs raisonnables de considérer que ces menaces représentent une « situation de crise nationale ».
Le concept de « menaces envers la sécurité du Canada » est défini à l’article 2 de la Loi sur le Service canadien de sécurité. Il comprend les activités suivantes, indiquées à l’alinéa 2b) :
les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;
On trouve aussi à l’article 2 :
c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;
d) les activités qui, par des actions cachées ou illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.
De son côté, la notion de « crise nationale » est définie ainsi dans la Loi sur les mesures d’urgence :
[...] concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire [...] qui, selon le cas
a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;
b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.
[Il doit également être impossible] de faire face adéquatement [à ce concours de circonstances] sous le régime des lois du Canada.
À la lumière de l’ensemble des faits à sa disposition, le gouvernement a des motifs raisonnables de croire que le danger que représentait le convoi depuis plusieurs semaines équivalait à ce qui est décrit dans ces deux lois.
Je souligne en passant que certaines provinces ont réclamé de l’aide ou ont explicitement indiqué que la situation dépassait leur capacité, y compris l’Ontario et l’Alberta. En fait, au cours des dernières semaines, des autorités municipales, des chefs de police et des premiers ministres provinciaux ont déclaré à différents moments qu’ils n’avaient pas une capacité suffisante pour intervenir.
En invoquant la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement fédéral répond à l’évaluation de ces divers niveaux d’autorité. Pour ma part, je serais stupéfait, pour ne pas dire sidéré, si un tribunal concluait que, malgré toutes les déclarations publiques et les demandes d’aide dont nous avons été témoins, les autorités locales avaient la capacité de faire face à la situation de manière efficace.
Soulignons également que, même si l’on peut soutenir que la situation aurait pu être réglée en appliquant d’autres lois, il serait difficile de montrer que la situation aurait pu être réglée de manière efficace, ce dont il est question dans la loi. Ici, le bénéfice du recul est très utile. Nous avons constaté à quel point la gestion de la situation était inefficace sans la Loi sur les mesures d’urgence et à quel point la situation s’est améliorée depuis qu’on y a eu recours, il y a une semaine. Nous avons également toutes les raisons de croire que la Loi sur les mesures d’urgence demeure nécessaire pour que le Canada soit en mesure de répondre aux menaces constantes de rétablissement des barrages d’infrastructures essentielles ou de passages frontaliers.
Les forces de l’ordre comptent actuellement sur le recours à la loi pour établir des zones sécurisées au centre-ville d’Ottawa et aux postes frontaliers pour empêcher de l’argent en provenance de l’étranger de continuer à financer les barrages illégaux et pour veiller à ce que les postes frontaliers demeurent ouverts.
Il est vrai que le pont Ambassador, à Windsor, et le poste frontalier de Coutts ont finalement été dégagés, mais à quel prix? Puisque des armes et des gilets pare-balles ont été découverts, quel était le risque pour les forces de l’ordre et la population?
La Loi sur les mesures d’urgence a été un outil essentiel pour maîtriser la situation, pour éviter la multiplication de nouveaux barrages érigés par les occupants et pour empêcher les organisateurs de ces manifestations de choisir une nouvelle cible.
Je vais m’efforcer de fournir aux sénateurs plus de détails sur le contexte et les circonstances qui ont amené le gouvernement à croire qu’il y avait des motifs suffisamment raisonnables de conclure à la pertinence de déclarer l’état d’urgence en raison de menaces à la sécurité du Canada qui sont graves au point de constituer une situation d’urgence nationale.
Je précise que cette question repose sur un grand ensemble de faits et de circonstances qui ne peuvent pas être révélés dans le contexte de nos débats. Ainsi, je pense que nous devons faire preuve d’une certaine déférence envers le gouvernement en ce qui a trait à l’évaluation de sécurité qu’il a effectuée.
Je soulignerais aussi que la position du gouvernement est expliquée dans un des documents déposés au Sénat lundi, qui a été distribué à tous les sénateurs la semaine dernière : Déclaration d’état d’urgence du 14 février 2022 : explication conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur les mesures d’urgence.
Ce document dit :
Le « convoi de la liberté 2022 » est la première manifestation de ce mouvement en plein essor axé sur les sentiments anti-gouvernementaux liés à la réponse de la santé publique à la pandémie de COVID-19. Des convois de camionneurs ont commencé leur voyage à partir de divers points du pays, et ils sont arrivés à Ottawa, le vendredi 28 janvier 2022. Depuis, le mouvement n’a fait que prendre de l’ampleur partout au pays, avec une augmentation significative du nombre de participants à Ottawa ainsi que des manifestations et des blocages se multipliant au pays, par exemple, à des points d’entrée stratégiques (pont Ambassador, en Ontario; Coutts, en Alberta; et Emerson, au Manitoba).
Plus loin, le document dit :
Le mouvement a dépassé le stade de la manifestation pacifique, et il existe des preuves solides d’activités illégales en cours.
Chers collègues, l’occupation du centre-ville d’Ottawa par le soi-disant « convoi de la liberté » a tenu la ville et ses résidants en otage pendant trois semaines. Loin d’être pacifiques, les occupants ont causé un tort considérable à la ville et à ses résidants. On a vu des comportements destructeurs, racistes et violents. De petites entreprises ont subi l’obstruction illégale de leur quartier. Des clients et des employés ont été harcelés. Le discours véhiculé par le convoi était toxique, dangereux et haineux par moments. Les croix gammées, les drapeaux confédérés et les symboles odieux d’antisémitisme et de suprémacisme blanc sont inacceptables et honteux, mais n’étaient pas inoffensifs.
Les appels à renverser le gouvernement démocratiquement élu et ses institutions au moyen d’une démonstration de force dans notre capitale nationale étaient explicites et encouragés par des groupes extrémistes. Il y a eu des menaces et une tentative d’incendie dans un immeuble d’habitation. Une jeune femme courageuse ayant demandé et obtenu une injonction contre le vacarme constant au centre-ville a eu besoin de protection policière.
En plus, des barrages à des passages frontaliers dans plusieurs provinces ont causé du tort à l’économie du pays et ont menacé la sécurité publique. Par exemple, près de Morden, au Manitoba, une octogénaire souffrant de douleurs thoraciques a mis plus d’une heure à se rendre à l’hôpital à cause d’un convoi qui bloquait la circulation.
Après que le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, bon nombre de ces barrages ont été démantelés, mais la situation au Canada reste volatile et imprévisible. D’autres barrages et d’autres activités illégales pourraient encore se produire. Nous n’avons qu’à regarder les événements qui ont eu lieu à Québec et à Surrey, en Colombie-Britannique, en fin de semaine dernière.
Chers collègues, on ne saurait exagérer les répercussions économiques négatives de toutes ces activités. Des villes, en particulier Ottawa, ont dépensé des millions de dollars de l’argent des contribuables pour faire face à la situation. De façon plus générale, ces occupations et ces barrages ont eu des effets néfastes sur l’économie canadienne, et ils continuent d’en avoir — à un moment où l’économie se relève toujours des répercussions de la pandémie. Des chaînes d’approvisionnement essentielles ont été perturbées, ce qui nuit à de nombreux Canadiens, y compris des travailleurs qui dépendent du commerce transfrontalier pour gagner leur vie. Les barrages ont eu des effets néfastes sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis. Il y a eu des défaillances au chapitre de la distribution et de la disponibilité des biens, de ressources et de services essentiels pour les Canadiens.
Ces manifestations ont entraîné une hausse de l’instabilité et de la violence dans notre pays jusqu’à des niveaux inacceptables, ce qui menace notre sécurité. En effet, les faits montrent clairement que certains participants à ces activités sont prêts à recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs. Des menaces d’emploi de force pour empêcher le retrait des barrages ont été rapportées. Voici deux exemples troublants de ce fait : la GRC a récemment saisi des armes à feu et une grande quantité de munitions à Coutts, en Alberta, et des manifestants ont été accusés de complot en vue d’assassiner des agents de la GRC. Des manifestants de partout au pays, qui sont enhardis par les barrages et l’occupation de la capitale, ont dit clairement que leur objectif est d’obliger le gouvernement à retirer toutes les mesures liées à la COVID-19 ou de renverser le gouvernement démocratiquement élu, possiblement par la force.
Honorables collègues, initialement, la manifestation avait pour but de dénoncer les obligations vaccinales visant les camionneurs qui traversent la frontière. Cependant, elle s’est transformée en un rassemblement de tous les gens s’opposant aux mesures obligatoires — en fait, à toutes les mesures de santé publique — imposées par tous les ordres de gouvernement, de personnes voulant déstabiliser le gouvernement par le biais d’entités étrangères, et d’individus mécontents des résultats des dernières élections et déterminés à les invalider.
Le protocole d’entente présenté par Canada Unity réclame le remplacement du gouvernement dûment élu. On y lit ceci :
Dans ce cas, les parties sont « LE PEUPLE DU CANADA », le « SÉNAT DU CANADA » et le DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CANADA. Le sujet à débattre et à résoudre est le suivant : Le gouvernement fédéral et le gouverneur général doivent faire respecter et appliquer toutes les lois canadiennes et internationales sur les droits de la personne qui sont clairement énoncées dans le protocole d’entente ou « DÉMISSIONNER » immédiatement de leurs positions légitimes d’autorité.
Les fondateurs de Canada Unity ont également réclamé que des accusations de trahison soient portées contre le premier ministre, et ils comptaient parmi les premiers organisateurs du convoi à Ottawa.
Un autre organisateur — un héros populaire du convoi — a déclaré publiquement que la COVID-19 est une arme biologique créée par l’homme dont « l’objectif final » est « de décimer la race anglo-saxonne ». En décembre, il a signifié sur son fil de discussion en direct, à propos des consignes sanitaires, que « la seule façon d’en finir avec ça, c’est de prendre les armes ».
Dans son rapport de 2020, le Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, indique que « certains [extrémistes violents] ne mettent pas en doute l’existence de la COVID-19, mais se réjouissent de cette crise susceptible d’accélérer l’effondrement de la société occidentale ». Le SCRS est si préoccupé par ces groupes qu’il a fait passer l’extrémisme idéologique violent dans la catégorie des menaces les plus graves pour le Canada, devant l’extrémisme religieux et les groupes comme Al-Qaïda.
La plateforme de financement participatif GiveSendGo a été piratée et la liste des donateurs a été rendue publique. Parmi ceux qui ont donné de l’argent pour financer les manifestations illégales d’Ottawa, on a relevé plus de 300 dons venant du groupe Oath Keepers, qui a participé à l’attaque du Capitole américain le 6 janvier 2021.
À Coutts, en Alberta, en plus des armes à feu et des munitions saisies, on a trouvé un gilet pare-balles avec l’insigne d’un groupe appelé Diagolon. D’après Candyce Kelshall, une spécialiste du Justice Institute of British Columbia, l’objectif de Diagolon est de provoquer une « guerre raciale ». Ce week-end, on a signalé que des membres de Diagolon ont publié sur les réseaux sociaux les noms des policiers qui ont aidé les résidants d’Ottawa à reprendre une vie normale. N’oublions pas non plus que les accusations portées à Coutts comprennent le complot en vue d’assassiner des policiers.
Ce ne sont là que quelques exemples des menaces qui pèsent sur le Canada, non seulement à Ottawa, mais partout où un rassemblement pourrait se planifier par la voie des médias sociaux.
Honorables sénateurs, même si, à l’origine, le convoi avait l’intention de venir au Canada y exprimer mon mécontentement concernant les exigences liées à la vaccination à la frontière, des éléments extrémistes s’y sont immiscés, utilisant les personnes manifestant de bonne foi comme un cheval de Troie au profit de leurs vils projets.
Il est du domaine public que des menaces de violence grave ont été faites contre des personnes et des biens, notamment des infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada. À elles seules, ces menaces satisfont la définition de « menaces envers la sécurité du Canada », un élément clé de l’état d’urgence défini à l’article 16 de la loi.
L’autre élément, c’est que les menaces envers la sécurité du Canada doivent être suffisamment graves pour susciter une crise nationale, conformément à la définition qui en est donnée à l’article 3 de la loi. Comme je l’ai déjà expliqué, il est évident que les convois et les blocages représentent un grave danger pour les Canadiens. Comme on a manifestement pu le constater durant trois longues semaines, alors que les blocages se sont établis fermement et ont commencé à se multiplier au pays, les forces de l’ordre provinciales et municipales ont été incapables d’appliquer efficacement la loi sur leur territoire de compétence dans des délais raisonnables. Par exemple, en dépit du fait qu’il avait invoqué des mesures provinciales d’urgence, l’Ontario n’avait pas la capacité d’obliger des entreprises de remorquage à assurer certains services, ce qui constituait l’un des principaux problèmes, tant à Ottawa que sur le pont Ambassador. À Windsor, des remorqueuses du Michigan ont prêté assistance, mais cette option n’est pas disponible partout. En utilisant la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement fédéral a donné force exécutoire à certaines mesures afin de régler le problème.
Par ailleurs, aucune province ni aucun territoire ne pouvait, de son propre chef, stopper efficacement le soutien financier des blocages. Certains fournisseurs de services financiers sont sous réglementation provinciale, mais chaque province peut uniquement réglementer ce qui relève de sa compétence, et les banques sont sous réglementation fédérale. En utilisant la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement fédéral peut cibler le financement qui paie pour la nourriture et le carburant dont dépendent les blocages pour perdurer.
Mais ce n’est pas tout. Comme l’explique le document déposé hier, les barrages et les manifestations mettent en péril la sécurité des frontières canadiennes et risquent de compromettre la capacité du Canada à traiter le flot de biens et de personnes qui franchissent la frontière, ainsi que la sécurité des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada et de miner le lien de confiance et la coordination entre ces agents et leurs homologues américains. On s’attend à ce que de nouveaux barrages aient lieu.
Il s’agit d’une crise nationale qu’une province ou un territoire seul ne peut régler. Même si, après la fin de semaine qui vient de se terminer, on peut espérer avoir fait le gros du travail, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. C’est pour cette raison que le gouvernement fédéral est intervenu et s’est servi des outils juridiques à sa disposition pour régler cette situation unique. L’invocation sans précédent de la Loi sur les mesures d’urgence est faite en réponse à une situation sans précédent. Ces mesures sont nécessaires pour faire cesser les activités illégales et les barrages et pour dissuader les gens de récidiver. Comme l’ont mentionné notre collègue le sénateur Vern White et l’ex-ministre Peter Mackay dans un article conjoint publié dans le National Post :
[...] l’occupation d’Ottawa et les blocages à la frontière ne relèvent pas du droit de manifester prévu dans la Constitution canadienne; ce sont des activités illégales qui représentent une menace pour la sécurité nationale et l’économie du Canada.
Des professionnels du maintien de l’ordre comme le sénateur White, l’Association canadienne des policiers ou l’Association canadienne des chefs de police ont affirmé dans les derniers jours qu’il ne fait aucun doute que les décrets d’urgence ont été un facteur clé de l’amélioration de la situation à Ottawa.
Michael Kempa, professeur agrégé de criminologie à l’Université d’Ottawa, l’a clairement expliqué :
À partir du moment où les manifestants avaient pris le contrôle du centre-ville, où les droits des gens étaient bafoués par ceux qui manifestaient illégalement, où les manifestations se sont étendues aux postes frontaliers et ont nui à l’économie, la situation est devenue une crise nationale qui menaçait la stabilité économique et le respect des droits de la population. Les gouvernements provinciaux et les municipalités n’avaient pas les pouvoirs ni les ressources pour répondre à la situation.
Chers collègues, le gouvernement a pris au sérieux la décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. La décision a été prise à la suite d’une évaluation minutieuse de la situation dans l’ensemble du pays, d’un engagement continu avec les fonctionnaires et les forces de l’ordre partout au pays et des discussions approfondies ayant eu lieu pendant trois réunions du Groupe d’intervention en cas d’incident du Cabinet, les 10, 12 et 13 février 2022.
Avant d’invoquer la loi, le gouvernement a également consulté les premiers ministres provinciaux et territoriaux comme il est tenu de le faire en vertu de l’article 25 de la Loi sur les mesures d’urgence. Plusieurs premiers ministres, dont le premier ministre Doug Ford, ont exprimé leur incapacité à gérer les blocus et les occupations et ont demandé au gouvernement d’agir et d’appuyer la décision. D’autres premiers ministres ont estimé qu’ils disposaient d’outils nécessaires pour gérer la situation dans leur province.
Un rapport de ces consultations, ainsi qu’un résumé des engagements entre le gouvernement et d’autres responsables municipaux et provinciaux, ont été déposés au Sénat lundi et distribués à tous les sénateurs la semaine dernière.
L’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence a été jugée nécessaire pour fournir des outils supplémentaires aux forces de l’ordre et aux autres institutions afin de répondre à la situation d’urgence. Ils demeurent nécessaires, même si la situation à Ottawa semble s’être grandement améliorée.
Honorables sénateurs, tous les sénateurs qui souhaitent prendre la parole dans ce débat auront la possibilité de le faire.
Si vous voulez poser une question ou exprimer un désaccord pendant l’intervention d’un sénateur, veuillez le prendre en note. Vous pourrez poser une question ou prendre la parole à ce sujet dès que l’occasion se présentera. D’ici là, veuillez faire preuve de courtoisie envers les sénateurs qui ont la parole.
Merci, Votre Honneur.
Nous choisissons le gouvernement dans le cadre d’élections démocratiques, et non en proférant des menaces ou en ayant recours à la force. Nous respectons les droits et les libertés individuels. Nous nous protégeons mutuellement, comme nous l’avons fait au cours des deux dernières années difficiles que nous avons connues.
De plus, quand nous sommes en désaccord, nous le disons haut et fort, bruyamment et parfois avec colère. Nous marchons, nous scandons des slogans et nous brandissons des bannières. Nous votons. Nous poussons parfois les limites de la loi et nous savons que cela peut avoir des conséquences.
Permettez-moi de citer le premier ministre, qui a dit ceci hier :
Dans une démocratie, on peut manifester, exprimer haut et fort son opinion, être en désaccord avec les élus, et certainement être en désaccord avec moi. Toutefois, on ne peut pas harceler ses concitoyens parce qu’ils ne sont pas d’accord avec soi. On ne peut pas prendre une ville en otage. On ne peut pas bloquer un corridor commercial essentiel et priver des gens de leur emploi. On ne peut pas attaquer des journalistes qui rapportent des événements, car c’est essentiel dans notre démocratie. Ce qu’on peut faire, c’est voter. Ce qu’on peut faire, c’est présenter sa candidature aux élections. C’est ainsi qu’on change les choses dans une démocratie.
Nous sommes au mieux quand nous nous écoutons mutuellement. Il ne fait aucun doute que nous pouvons tous nous engager à écouter davantage.
À ce sujet, cependant, en fin de semaine, alors que la police avançait, un des manifestants disait à la télévision qu’il n’était venu à Ottawa que pour dialoguer, si seulement quelqu’un avait voulu dialoguer avec lui. Cette personne était peut-être vraiment venue ici de bonne foi, mais dans l’ensemble, pour ce qui est de savoir si la situation aurait pu être désamorcée par la discussion, permettez-moi de dire ceci : se présenter en brandissant des bannières affichant des injures s’adressant au premier ministre, demander son emprisonnement et exiger explicitement le renversement de notre gouvernement démocratiquement élu, c’est une bien curieuse façon de manifester de l’intérêt pour un dialogue constructif.
Des activités organisées visant à déstabiliser notre démocratie se déroulent partout au pays depuis des semaines. Elles sont coordonnées, bien financées et persistantes. De nombreux participants sont prêts à utiliser des moyens illégaux et violents pour atteindre leurs buts. Il n’y a aucune raison de supposer que les instigateurs de ce mouvement ont abandonné leurs plans visant à perturber et à déstabiliser notre pays. Nous ne pouvons pas laisser cela se poursuivre.
Les mesures temporaires mises en place en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence ont déjà fait une différence importante dans le rétablissement de l’ordre. Bien que le recours à la loi soit exceptionnel, les mesures en soi n’ont rien d’extrême. Elles ont été conçues et utilisées de façon ciblée et proportionnée, et elles ont été efficaces.
Même si le calme est de retour dans les rues d’Ottawa, la nécessité de ces mesures temporaires demeure. Nous devons laisser la police et les autres autorités terminer le travail que ces mesures leur ont permis de commencer.
Les gens d’Ottawa le comprennent sûrement très bien. Dimanche, pour la première fois en près d’un mois, les résidants et les travailleurs du centre-ville, nos hôtes lorsque nous venons travailler ici au Sénat, ont pu se promener dans leur quartier et se sentir enfin, je cherche le bon mot, libres.
Mais peut-être ne se sentaient-ils pas tout à fait en sécurité, pas encore. Vendredi, les lignes téléphoniques d’urgence d’Ottawa ont encore une fois été bloquées délibérément. Samedi, l’Hôpital d’Ottawa a dû être confiné à cause d’une alerte à la bombe. De plus, un certain nombre de manifestants se sont regroupés plus loin sur l’autoroute et ont promis de revenir. Comme un homme l’a dit à La Presse...
— et je cite : « Ce n’est pas fini. Dès que nous le pourrons, nous allons y retourner! »
De toute évidence, les mesures d’urgence dont nous discutons sont temporaires; elles devront prendre fin sous peu. Mais cela ne fait que quelques jours qu’il a fallu une multitude de policiers de partout au pays pour déraciner un siège dans cette ville. Les policiers disent qu’ils ont besoin d’un peu plus de temps pour consolider le travail qu’ils ont fait cette fin de semaine, et j’estime qu’on devrait le leur donner.
Honorables collègues, je demande humblement votre appui pour confirmer la déclaration d’urgence qui vous a été soumise. Je vous remercie de votre attention.
Sénateur Gold, certains sénateurs souhaitent vous poser des questions. Êtes-vous prêt à y répondre?
Volontiers.
J’ai plusieurs questions à poser. Je vais vous en poser une ou deux, avec votre permission, et je demanderai ensuite à ce que mon nom soit remis sur la liste pour d’autres questions plus tard.
Sénateur Gold, vous avez dit que le gouvernement avait été très clair. Le gouvernement n’a pas été clair du tout. Hier, je vous ai posé une question très simple durant la période des questions au sujet du recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Au lieu de répondre à la question, vous avez dit que vous étiez impatient d’y répondre durant le débat de mardi. Je vous la pose donc pour la deuxième fois, sénateur Gold.
Quand le premier ministre a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, il a prétendu que son application serait ciblée sur le plan géographique. Samedi dernier, à la Chambre des communes, le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice a confirmé que la loi s’appliquerait à l’ensemble du Canada.
Sénateur Gold, quelles sont les lignes directrices sur lesquelles le gouvernement Trudeau s’est appuyé pour prendre la décision historique de déclarer l’état d’urgence sur l’ensemble de notre pays? Avez-vous une réponse à cette question directe aujourd’hui, sénateur Gold?
Je vous remercie pour votre question. Dans mon discours, j’ai effectivement parlé de toutes les circonstances qui ont amené le gouvernement à déclarer qu’il s’agissait d’une situation de crise nationale touchant l’ensemble du pays. Je suis ravi d’avoir l’occasion d’approfondir certains points.
Ce n’est pas simplement parce que les activités qui ont eu lieu dans plusieurs provinces du pays ont gravement nui à notre économie et constituaient des menaces à notre sécurité — et je ne vais pas les répéter ici. Ces activités se sont déroulées avec la participation de personnes et de groupes de partout au pays qui ont été financés par des particuliers et des groupes non seulement de partout au pays, mais aussi de l’étranger. Ces activités, qui risquent de se poursuivre, ont eu des répercussions sur nos frontières, notamment sur les postes frontaliers de Surrey, de l’Alberta et du Manitoba, et tout porte à croire que des manifestations pourraient avoir lieu aux postes frontaliers de la Saskatchewan. De toute évidence, nous savons ce qui s’est passé ici à Ottawa et nous avons des inquiétudes au sujet des postes frontaliers.
Honnêtement, il est clair que tout le pays risque d’être touché par le mouvement qui a rallié des gens ayant des inquiétudes et des frustrations légitimes et compréhensibles concernant l’impact de la pandémie. De plus — et c’est vraiment important —, si vous regardez comment ces mesures sont appliquées depuis une semaine, vous verrez qu’elles ne le sont que lorsque cela est nécessaire; ces outils supplémentaires n’ont été utilisés qu’à la demande des autorités locales. C’est uniquement à la demande des forces policières provinciales ou, dans certains cas, des premiers ministres que des mesures ont été prises sur le terrain, et pas ailleurs. À cet égard, il s’agit d’une loi fédérale qui s’applique à la grandeur du pays parce que tout le pays est menacé par les événements qui ont conduit aux barrages sur les ponts et à l’occupation d’Ottawa. Il est indéniable que le gouvernement avait des motifs raisonnables de croire que c’était le cas. En même temps, en appliquant les mesures ciblées prévues dans la Loi sur les mesures d’urgence, qui sont conformes à l’esprit et à la lettre de la loi, les actions sont menées uniquement lorsqu’elles sont absolument nécessaires pour assurer la coordination avec les autorités locales, qu’il s’agisse de la municipalité ou des forces policières, et aucune autre mesure ne sera prise.
J’ai une question complémentaire, si vous me le permettez, Votre Honneur, mais, comme je l’ai dit plus tôt, il y a beaucoup de sénateurs qui veulent poser des questions. Je vais donc m’inscrire sur la liste pour un peu plus tard.
Sénateur Gold, vous excuserez certains d’entre nous d’être simplement incapables de croire les beaux discours que nous sert le gouvernement, à l’autre endroit et ici même.
Samedi, le ministre de la Sécurité publique a dit qu’au moins 76 comptes bancaires avaient été bloqués aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence. Cette mesure a été prise avant que la Chambre des communes et le Sénat — je dis bien la Chambre des communes et le Sénat — aient eu la possibilité de se prononcer sur la nécessité d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.
Hier après-midi, David Akin, de Global News, a rapporté une nouvelle information qu’il tenait de Sécurité publique Canada, soit que 208 produits financiers avaient été bloqués. Sénateur Gold, vous avez évoqué la même chose dans votre discours et vous semblez penser que ce n’est pas tellement important et que les titulaires pourront faire débloquer ces comptes en temps opportun. Nous savons tous que cela peut prendre des semaines, voire des mois, et qu’entretemps on ne peut plus bouger, plus fonctionner.
Monsieur le leader, quelles sont les lignes directrices précises, très précises, à part le fait que le gouvernement pense que quelqu’un peut avoir fait quelque chose de répréhensible? Quelles sont les lignes directrices précises qui servent à déterminer si un compte bancaire doit être bloqué? Pour bloquer le compte bancaire de la mafia, il faut une ordonnance du tribunal; on ne peut pas simplement bloquer le compte bancaire. Lorsqu’un meurtrier est en liberté sous caution, on ne bloque pas son compte bancaire. Il y a des gens qui ne payent pas leurs impôts; on ne bloque pas leur compte bancaire sans ordonnance judiciaire.
Donc, quels sont les lignes directrices ou les critères précis qui servent à déterminer s’il faut bloquer un compte bancaire, ainsi que les lignes directrices ou les critères qui servent à déterminer quels types de comptes ou de produits financiers peuvent être saisis?
Merci. Vous avez posé plusieurs questions. En ce qui concerne la toute première, la loi est en vigueur dès sa proclamation mais, contrairement à la Loi sur les mesures de guerre, le Parlement doit la confirmer dans le délai prescrit; c’est ce dont nous sommes saisis. La nature d’une urgence est telle qu’il faut intervenir. Les mesures exceptionnelles et appropriées énoncées dans la Loi sur les mesures d’urgence, adoptée en 1988 par le gouvernement Mulroney, prévoient, contrairement à la Loi sur les mesures de guerre, une surveillance démocratique et un contrôle judiciaire.
Pour ce qui est de votre commentaire sur les comptes bancaires, j’essayais d’être le plus à jour possible. Oui, il y a eu à peu près 200 comptes bancaires bloqués. Je ne prends pas la chose à la légère, mais ils représentent une infime proportion du nombre de dons et, par conséquent, de comptes bancaires qui peuvent être impliqués.
Je le répète, nous visons surtout ceux qui ont participé activement et qui continuent de participer au financement ou au soutien d’activités illégales à compter du 15 février. Les banques et les autorités policières ont le droit d’échanger des renseignements, et les banques, comme elles l’ont fait dans d’autres circonstances, sont tenues d’examiner leurs comptes pour vérifier que les fonds qui s’y trouvent ne servent pas à financer et à soutenir des activités illégales proscrites ou interdites par la loi.
La différence entre cette situation, chers collègues, et toutes les autres, c’est qu’il s’agit d’une situation d’urgence nationale où la sécurité du Canada est menacée et où des fonds, qu’ils soient canadiens ou américains, sont utilisés pour soutenir et maintenir un mouvement qui, comme j’ai fait de mon mieux pour l’expliquer et comme le gouvernement l’explique dans le document qui a été déposé hier, porte atteinte à la sécurité du Canada, à la sécurité des Canadiens et à notre économie. C’est une situation qui ne peut pas être traitée par des moyens ordinaires et qui nécessite des mesures temporaires pour faire face à l’urgence.
Le leader du gouvernement accepterait-il de répondre à une question?
Bien sûr.
Monsieur le leader du gouvernement, vous conviendrez, je crois, que le pays ne s’est jamais trouvé à un niveau aussi bas qu’au cours de ces dernières semaines. J’ai écouté votre discours très attentivement. Mes questions sont les suivantes. N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’il y a eu de nombreuses manifestations dans l’histoire de notre pays, de nombreuses manifestations qui n’avaient peut-être pas une telle ampleur, mais qui étaient beaucoup plus violentes que celles-ci? Pourtant, nous n’avons jamais vu un premier ministre refuser de dialoguer, refuser de parler à ces citoyens canadiens excédés, à ces contribuables canadiens. Au contraire, au lieu de leur parler, il les a méprisés.
Êtes-vous également d’accord pour dire qu’il incombe au premier ministre d’agir d’une façon mesurée lorsqu’il y a dans les rues des foules excédées qui ne sont pas satisfaites du gouvernement au pouvoir? Qu’il lui incombe de ne pas les insulter et de ne pas attiser les flammes de la division, comme il semble le faire régulièrement? Je suis en politique depuis longtemps. J’ai vu beaucoup de premiers ministres et de gouvernements miser sur des enjeux litigieux, mais jamais, en 37 ans de vie politique active, je n’ai vu un premier ministre aggraver, exacerber la situation, pousser les manifestants à leurs limites au lieu de calmer le jeu.
En fin de compte, et je l’ai entendu dans votre discours d’aujourd’hui, nous avons vu le premier ministre nommer à quelques reprises des manifestants de ce pays — des contribuables, des citoyens canadiens, des gens qui marchaient avec des croix gammées — il les a traités de défenseurs du nazisme. Il a utilisé ces termes. Il s’est levé à la Chambre des communes et il a en fait accusé une fille de survivants de l’Holocauste, une députée dûment élue, de défendre la croix gammée. Il l’a dit à la Chambre des communes. Elle a participé à une marche. Vous et les membres de l’opposition qui « s’affichent aux côtés de gens qui arborent la croix gammée. »
Comme vous le savez, sénateur Downe, j’ai le droit de faire valoir mon point de vue.
Vous vouliez poser une question.
Je voulais en effet poser une question. Vous n’êtes pas le Président à ce que je sache.
La question est très simple, monsieur le leader du gouvernement. Êtes-vous d’accord avec le premier ministre Trudeau pour dire que tous les parlementaires et tous ceux qui ont pris le temps d’écouter ces manifestants, de répondre à leurs appels et de les rencontrer, nous sommes des nazis et des partisans de la croix gammée? Partagez-vous ce point de vue, que le premier ministre a exprimé publiquement et pour lequel il refuse de présenter des excuses?
Je vous remercie de vos observations et de votre question.
Je n’ai rien dit et je n’affirme rien de la sorte. Le fait est — et c’est du domaine public — que non pas seulement au début de cette manifestation à Ottawa mais, en fait, même tout au long de celle-ci, des gens ont agité des symboles…
Il est de notoriété publique, si vous me permettez de continuer, qu’au début, et même jusqu’à la fin, des symboles intimidants, harcelants, racistes, vulgaires et inacceptables ont été affichés.
Pour répondre à votre question, je ne suis pas d’accord avec votre description du point de vue exprimé par le premier ministre. Je m’efforce vraiment, honorables sénateurs, d’être précis et clair et de ne pas me laisser entraîner dans ce qui est clairement un mouvement de colère à l’égard du premier ministre, une frustration à l’égard du gouvernement et les discours partisans légitimes des autres.
Je ne vais pas parler de ce que doit ressentir un père qui regarde des pancartes et je ne répéterai pas les messages vulgaires affichés sur certaines de ces pancartes, qui le déprécient et l’abaissent. Ce n’est pas de cela que je veux parler.
Je tiens simplement à dire que le premier ministre et le gouvernement ont pris très au sérieux leurs obligations en vertu de la loi et qu’ils ont longuement réfléchi à la question de savoir si cette crise pouvait être gérée sans avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Ils ont consulté des gens, examiné la situation, pris conseil auprès des services de renseignement et des policiers, et constaté à contrecœur qu’il n’y avait pas d’autre moyen de régler cette crise.
En ce qui concerne votre question sur le ton ou la mesure, les gestes en disent plus que les paroles, honorables sénateurs. Les gestes commis sur le terrain à Ottawa, l’intimidation de travailleurs de la santé, de personnes de couleur, de personnes portant un masque, des gestes qui ont entraîné la nécessité d’offrir une protection policière à des citoyens ordinaires du Canada, ne constituent pas une réaction mesurée aux restrictions ou aux exigences de vaccination liées à la COVID-19.
Les mesures que le gouvernement du Canada a mises en place sur le terrain, non pas dans une réalité abstraite, mais sur le terrain, pour régler ce problème ont été mesurées et proportionnelles. Nous l’avons vu de nos propres yeux ici, à Ottawa.
Pour répondre à votre question, honorable sénateur, non, je ne suis pas d’accord avec vous en ce qui a trait à la description des actions du premier ministre. Le gouvernement du Canada est convaincu que les mesures qu’il a prises à contrecœur étaient nécessaires pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada.
Sénateur Gold, je vous prie de cesser de traiter de partisanes les questions des sénateurs de l’opposition. Nous avons autant le droit de poser des questions partisanes que vous avez le droit de donner des réponses partisanes. C’est ce que nous sommes censés faire dans un Parlement. Je vous prie de cesser de prétendre que nos arguments sont partisans et que les vôtres sont vertueux. Cela ne peut pas durer. Un peu de respect.
Vous avez insinué, comme vous le faites tout le temps, que mes questions avaient un sous-texte partisan. Vos réponses ont un sous-texte partisan, sénateur Gold. C’est mon opinion, et j’ai le droit de l’exprimer.
De plus, j’ai autant le droit d’exprimer mon opinion que les manifestants — chaque fois qu’il y a des manifestations au Canada, il y a toujours des extrémistes qui essaient de s’y raccrocher. C’est ce qui s’est passé récemment. Encore une fois, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Il est absolument faux de dire, comme l’a fait le premier ministre, que tous les manifestants, qui sont des millions au Canada, sont des nazis qui « brandissent des croix gammées ».
Je conteste vos prémisses parce que j’ai pris le temps la semaine dernière de marcher dans les rues et de discuter avec les manifestants. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour contenir leur colère.
J’aimerais vous poser une autre question, sénateur Gold, car vous avez dit dans votre discours, à propos de la Loi sur les mesures d’urgence, qu’elle ne s’appliquait qu’aux manifestants et pas aux autres Canadiens.
La dernière fois que j’ai dû passer, au cours des deux derniers jours, l’un des postes de contrôle de type militaire qu’on a ici à Ottawa afin de me rendre à mon lieu de travail, j’ai dû présenter une pièce d’identité. J’ai dû prouver que j’étais exempté de l’interdiction de pénétrer dans le centre-ville d’Ottawa. La police avait une liste, mais qui la lui a donnée?
Je vous rappelle que le centre-ville d’Ottawa comprend la Colline du Parlement. Certains d’entre vous l’ignorent peut-être, mais c’est la première fois de toute l’histoire de notre pays que la Colline a été fermée aux citoyens canadiens. Cela ne s’était jamais produit.
Lorsque le Parlement a été violemment attaqué il y a quelques années, les Présidents de l’époque ont refusé de fermer la Colline du Parlement, malgré les pressions de la GRC. Nous avons dit que c’était un droit fondamental des Canadiens.
Vous ne pouvez donc pas dire que les mesures d’urgence ne s’appliquent qu’aux manifestants. Elles s’appliquent également aux autres citoyens. Les gens qui veulent aujourd’hui se rendre sur la Colline pour discuter avec leur député ou leur sénateur de ce qui se passe en Ukraine ou d’autres sujets ne peuvent pas le faire. Vous ne pouvez donc pas dire, comme vous l’avez fait, que cette loi ne s’applique qu’aux manifestants. Elle s’applique à tous les Canadiens qui veulent venir manifester sur la Colline du Parlement.
Je suis désolé, sénateur Housakos, et cela s’adresse à tous les sénateurs qui souhaitent poser des questions : vous savez pertinemment que vous ne pouvez traiter d’un sujet qu’une seule fois. Par conséquent, lorsque vous posez des questions, n’en profitez pas pour vous lancer dans un deuxième voire un troisième discours.
Ce sont des questions importantes, c’est pour cela que nous en discutons.
Je précise que je n’ai pas dit que vous n’aviez pas le droit de poser des questions partisanes. J’ai dit qu’il était difficile de répondre à des questions sérieuses sur des sujets sérieux.
Puis-je continuer? Je maintiens ce que j’ai dit dans mon discours.
Si la police maintient, pour le moment, ses postes de contrôle, c’est évidemment pour s’assurer que ceux qui ont exprimé leur intention de revenir ne pourront pas le faire, et c’est ce que j’ai dit dans mon discours.
Moi aussi j’ai dû présenter une pièce d’identité ce matin pour arriver jusqu’ici, depuis mon appartement au centre-ville. Je reconnais que c’est un désagrément et que, oui, la loi s’applique à moi aussi. Mais j’estime que c’est une contrainte proportionnée et acceptable à mon droit de me déplacer librement, surtout si je compare ma situation...
Si vous me permettez de terminer ma phrase, je pourrais poursuivre ma réponse.
... avec celle des résidants du centre-ville qui, jeunes comme vieux, ne pouvaient pas quitter leur logement par crainte de se faire agresser, harceler, intimider et insulter par ceux qui occupaient les rues.
J’aimerais ajouter un dernier point. Sénateur Housakos, si vous voulez bien m’interrompre, cela me donnerait l’occasion de répondre à la dernière question. J’y répondrai après.
Sénateur Gold, ma question s’adresse à vous.
Le gouvernement nous a en quelque sorte demandé de lui « faire confiance » lorsqu’il a justifié l’invocation des mesures extrêmes dont nous discutons aujourd’hui. Toutefois, ces mesures arrivent alors que la confiance d’un grand nombre de citoyens dans leurs gouvernements, quels qu’ils soient, s’érode clairement. Je sais que ce décret est justifié par une menace perçue à la sécurité du Canada, mais hier, pendant une séance d’information à l’intention des sénateurs, le ministre de la Sécurité publique, M. Mendicino, a indiqué qu’il savait des choses qu’il ne pouvait pas révéler. Vous nous avez dit aujourd’hui que le comité d’examen pourra se réunir à huis clos s’il doit examiner des informations confidentielles.
Ma question est la suivante : le comité d’examen aura-t-il accès à des renseignements de sécurité non caviardés pour pouvoir, comme vous l’avez dit, faire un examen approfondi des raisons invoquées pour justifier ce décret?
C’est une très bonne question. La réponse est simple : non. Le Comité d’examen parlementaire n’aura pas besoin du niveau d’habilitation de sécurité requis pour examiner des renseignements de sécurité confidentiels. Les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement ont l’habilitation de sécurité requise et ont accès à ces informations, selon les besoins.
Je faisais allusion, sénateur Patterson, aux règlements qui, conformément à la loi, ne sont pas publiés dans la Gazette du Canada. Nous avons fait en sorte que tous les règlements — y compris ceux qui sont pris en vertu de la Loi sur les textes réglementaires — puissent être examinés par ce comité qui, si je me souviens bien, doit prêter serment, mais n’a pas l’habilitation de sécurité nécessaire pour examiner des renseignements secrets. J’espère que cela répond à votre question.
Sénateur Gold, je vous remercie de cette réponse claire, mais elle m’inquiète. Vous avez dit que le comité d’examen constitué en vertu du paragraphe 63(1) sera habilité à faire un examen approfondi — ce sont vos propres termes — des raisons qui ont été invoquées pour justifier ce décret. Mais vous venez de dire que le comité n’aura pas accès à des renseignements de sécurité non caviardés. Je me demande donc comment vous pouvez affirmer que le comité d’examen aura le pouvoir de faire un examen approfondi, ce sont vos propres termes, de toute cette question, puisque certains renseignements ne lui seront pas accessibles.
Je vous remercie de votre question. Je vais essayer d’être plus clair. La Loi sur les mesures d’urgence prévoit la mise en place d’un certain nombre de procédures à la fois pour examiner les faits et pour en faire rapport, et c’est là le rôle du comité d’examen. Celui-ci disposera de pouvoirs proportionnés à son mandat pour déterminer en substance si les règlements qui ont été promulgués en vertu de la loi devraient être abrogés ou modifiés. C’est une tâche importante, comme celle qui consiste à soumettre régulièrement des rapports au Parlement, si l’état d’urgence se poursuit.
La loi prévoit également la tenue d’une enquête pour faire, si j’ose dire, un bilan de la situation et soumettre un rapport à cet effet.
Chers collègues, nous savons pertinemment — et ce n’est pas propre à la Loi sur les mesures d’urgence — que dans une société démocratique, il y a malgré tout des catégories de renseignements qui ne peuvent pas et ne doivent pas être divulgués, comme les enquêtes de police en cours, les échanges de renseignements entre les agences — comme le SCRS, la GRC ou le Centre de la sécurité des télécommunications —, et les renseignements échangés entre les gouvernements. Il en a toujours été ainsi. Des lois bien établies comme la Loi sur la Défense nationale et la Loi sur la preuve au Canada énoncent les conditions dans lesquelles ces catégories de renseignements peuvent être communiquées ou pas. Nous avons aussi bien sûr des procédures juridiques et administratives qui s’appliquent lorsque des informations ne doivent pas être divulguées pour des raisons de sécurité nationale. Il n’y a là rien de nouveau.
Je vous rappelle également que vous aurez beau relire le hansard et tous les discours publics du gouvernement, vous verrez que le gouvernement n’a jamais dit « faites-nous confiance, mais nous ne pouvons rien vous dire de ce qui se passe ».
La déclaration qui a été présentée dans cette enceinte et dont j’ai parlé dans mon discours énonce un nombre suffisant de faits connus, qui appartiennent au domaine public et qui, de l’avis du gouvernement, répondent largement aux critères établis par la loi pour que le gouvernement reconnaisse l’existence d’un état d’urgence et décide d’invoquer la loi pour pouvoir mettre en place ces mesures.
Sénateur Gold, l’article 62 de la Loi sur les mesures d’urgence prévoit la création du comité d’examen parlementaire. Ce sera un mécanisme de reddition de comptes important, qui permettra d’examiner comment ces pouvoirs extraordinaires auront été utilisés. Il s’agira d’un comité parlementaire mixte, dont la composition est prévue au paragraphe 62(2) de la loi. Comme vous l’avez dit dans votre discours, ce paragraphe dispose que :
[...] au moins un sénateur de chaque parti, représenté au Sénat, dont un député appartient au comité.
Eh bien, sénateur Gold, je suppose que l’idée du premier ministre d’avoir un Sénat indépendant se heurte aujourd’hui à la réalité, parce qu’à l’heure actuelle, les seuls sénateurs qui pourront être membres de ce comité, conformément à la Loi sur les mesures d’urgence, sont des sénateurs affiliés au Parti conservateur du Canada. J’en conclus donc que seuls mes collègues et moi-même du caucus sénatorial conservateur pourrons y siéger, puisqu’il n’y a pas de sénateurs libéraux, néo-démocrates ou bloquistes.
Sénateur Gold, votre parti et votre gouvernement, si je dois dire, sont au pouvoir depuis six ans et demi. Votre mesure visant à modifier la Loi sur le Parlement du Canada — qui a été déposée ici il y a près d’un an sous le titre de projet de loi S-4 et qui commence tout juste à être examinée par la Chambre des communes sous le titre de projet de loi C-7 — n’a pas encore été adoptée. Selon le paragraphe 62(6) de la Loi sur les mesures d’urgence, le comité d’examen parlementaire doit déposer un rapport au Parlement au moins tous les 60 jours pendant la durée de validité d’une déclaration de situation de crise. Cela fait déjà plus d’une semaine que la situation de crise a été déclarée.
Sénateur Gold, qui d’autre que des sénateurs conservateurs siégera à ce comité extrêmement important? Très franchement, sénateur, le manque de planification et les tergiversations de votre gouvernement ne sauraient justifier l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence.
Je vous remercie de votre question. Je dirai, d’avocat à avocate, que la loi ne limite pas le nombre de membres de ce comité, qu’ils soient issus de la Chambre ou du Sénat; elle n’en définit que les exigences minimales en ce qui concerne les représentants des partis. C’est ainsi qu’on interprète normalement un texte législatif. La position du gouvernement est claire, à savoir qu’une lecture littérale et contextuelle de la loi n’empêche pas la nomination de sénateurs et de députés qui ne répondent pas aux exigences minimales prévues dans cet article. Pour cette raison, le gouvernement estime que la loi, telle qu’elle a été rédigée en 1988, n’empêche pas la nomination d’au moins un membre de chaque groupe reconnu au Sénat.
Sénateur Gold, en ce moment même, l’Ukraine est gravement menacée d’invasion par la Russie de Poutine. Ici, nous avons 1,4 million de nos compatriotes canadiens qui sont d’origine ukrainienne, comme moi. Nous sommes très inquiets. Étant donné que la Loi sur les mesures d’urgence a été invoquée, que les assemblées publiques illégales sont interdites et que la Colline du Parlement est désignée comme un lieu protégé et sécuritaire selon les règlements d’application de la Loi, les Canadiens d’origine ukrainienne seront-ils autorisés à se rendre sur la Colline du Parlement cette semaine pour exprimer leurs graves préoccupations au sujet de l’agression de l’Ukraine par la Russie?
Étant moi-même descendant d’une personne originaire d’Ukraine — et je sais que je parle au nom de tous — j’affirme notre solidarité avec le peuple ukrainien. Tant que la Loi sur les mesures d’urgence demeure en vigueur, l’une des mesures consiste à désigner certaines zones comme interdites d’accès, sauf aux personnes qui y travaillent ou y habitent. Nous avons déjà vu que les zones ont été modifiées, je pense notamment aux alentours du marché By.
Je ne peux donc pas prédire, sénatrice Batters, aujourd’hui, mardi, ce que sera la situation vendredi ou samedi autour de la Cité parlementaire. Ce que je peux dire, c’est que tous les Canadiens, qu’ils soient d’origine ukrainienne ou autre, devraient utiliser tous les moyens dont ils disposent — le téléphone, les réseaux sociaux et même la possibilité de venir manifester pacifiquement à Ottawa —, mais tant que les mesures sont en place pour protéger la Cité parlementaire contre le retour des manifestations illégales, les citoyens canadiens doivent tous se conformer aux exigences juridiques en vigueur. J’espère que ces exigences seront confirmées dans cette Chambre, mais nous espérons tous qu’elles ne dureront pas une seconde de plus que nécessaire.
Honorables sénateurs, avant de poser ma question, je tiens à vous dire que, plus tôt ce matin, j’ai eu la chance de prendre le petit-déjeuner en compagnie d’un grand nombre d’agents de police pour les remercier. Leurs informations et leurs perspectives — ils ont cheminé avec nous — ont été très éclairantes pour le débat que nous avons aujourd’hui.
J’aimerais revenir en arrière, prendre un respire et faire un retour sur notre situation d’il y a peut-être sept jours. J’aimerais approfondir un peu plus les premières étapes qui nous ont amenés à recommander la Loi sur les mesures d’urgence.
Monsieur le représentant du gouvernement, savez-vous quels niveaux de notre appareil de sécurité nationale ou autres organes ont été consultés et écoutés lorsque le gouvernement a envisagé d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence? En d’autres termes, quels secteurs se sont assis autour de la table avant que la loi ne soit soumise aux premiers ministres et aux ministres?
Honorable sénatrice, je vous remercie pour cette question. Permettez-moi de consulter pendant quelques instants les documents que le gouvernement a déjà fournis.
Comme le gouvernement l’a dit à plusieurs reprises, honorables collègues, la décision d’invoquer la loi n’a pas été prise à la légère. Elle a été prise à la suite d’une série de consultations, tant avec les organismes d’application de la loi qu’avec les services de renseignement avec lesquels le gouvernement se tient régulièrement en contact. Il a également consulté les autorités municipales et provinciales. De plus, un comité spécial du Cabinet a examiné cette loi et l’a débattue sérieusement pendant trois réunions. Ce comité s’est penché exclusivement sur des questions de crise comme celle à laquelle nous faisons face.
Je ne suis pas au courant de l’information que ces organismes ont communiquée. On ne m’en a pas fait part parce que je n’ai pas l’habilitation de sécurité nécessaire pour recevoir ce genre d’information. Il n’en demeure pas moins que le gouvernement a été renseigné par tous les services d’application de la loi et de renseignement sur lesquels il s’appuie dans des dossiers comme celui-ci. Tenant compte également des résultats de ses propres consultations avec les instances politiques, le gouvernement a conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que ces mesures étaient nécessaires.
Merci. J’essaie vraiment de comprendre les premières étapes. Je vous remercie.
Au fur et à mesure que nous progressons, le gouvernement se fiera-t-il strictement aux conseils des forces de l’ordre locales lorsqu’il décidera de révoquer la Loi sur les mesures d’urgence ou invitera-t-il les organismes de sécurité nationale et de renseignement à participer de plus en plus aux interventions face à cette crise qui perdure?
Encore une fois, sénatrice, je vous remercie pour votre question. Je pense que la façon la plus juste et la plus transparente d’y répondre est de vous dire que l’on m’assure, et je peux l’affirmer au Sénat, que le gouvernement surveille la situation et consulte toutes les institutions et tous les organismes littéralement heure par heure. L’objectif du gouvernement à ce stade de l’urgence, sept jours après l’entrée en vigueur de la Loi sur les mesures d’urgence, est de déterminer s’il est sécuritaire et prudent de la révoquer.
Les associations et les services de police, de même que les chefs de police, ont averti le gouvernement qu’il n’est pas encore temps de la révoquer. On l’a prévenu qu’il faudra plus de temps pour que les organismes d’application de la loi puissent terminer leur travail afin que l’on ne puisse plus bloquer nos frontières, que l’on ne mette plus nos villes en état de siège et ainsi de suite.
Comme le gouvernement l’a dit à d’innombrables reprises, dès qu’il déterminera qu’il n’y a plus d’urgence et que ces mesures ne sont plus nécessaires, il les lèvera.
Sénateur Gold, je vous remercie beaucoup pour votre déclaration préliminaire.
Vous disiez que le gouvernement est responsable de la sécurité du pays, mais après avoir toléré la présence des manifestants pendant trois semaines, il invoque soudainement la loi. C’est un grand pas. Il n’a d’abord pratiquement rien fait, puis il invoque la loi. Nous savions tous que les manifestants s’en venaient. Dès la mi-janvier, sans doute, nous savions qu’ils allaient venir à Ottawa, et rien n’a vraiment été fait.
Vous avez évoqué des menaces dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit qu’elles étaient trop nombreuses pour les mentionner et que tout cela n’était pas arrivé du jour au lendemain. Vous avez même dit que cela faisait des semaines que tout cela se préparait, mais il semble que rien n’a été fait.
Nous avons entendu des explications générales sur le processus de réflexion qui a mené à l’invocation de la loi. Cependant, c’est une mesure lourde de conséquences que nous examinons ici aujourd’hui. Que s’est-il passé exactement pour que le gouvernement décide d’invoquer la loi? Est-ce parce que cela lui a paru être une bonne idée? S’est-il produit quelque chose de particulier? Pendant trois ou quatre semaines, on aurait dit que rien ne se passait et que nous ne faisions que tolérer la situation. En entrevue, les ministres se contentaient de dire : « Nous voulons que les manifestants rentrent chez eux. » Que s’est-il donc passé? Soyez précis. Vous ne nous dites que des généralités, mais comme on l’a dit tout à l’heure : « Faites-nous confiance, faites-nous confiance. » Que s’est-il passé pour que le gouvernement décide d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence?
Je vous remercie pour votre question. Je ne vais pas vous ennuyer en répétant ce que j’ai déjà dit.
Nous vivons dans un pays fédéral. La rue Wellington, à Ottawa, est sous compétence municipale. Quant aux routes, elles relèvent de la compétence de la province de l’Ontario. Le gouvernement fédéral a son champ de compétence. Il s’est produit une succession d’événements qui ont fait que la situation a dérapé. Les autorités locales — et cela inclut les autorités provinciales — n’étaient simplement pas capables de réagir efficacement. Conformément aux modalités prévues dans cette loi, un examen plus approfondi aura lieu au moment opportun pour savoir ce qui aurait pu être fait autrement, ce que les forces policières auraient pu faire différemment, ce que la province aurait pu faire différemment et ce que le gouvernement fédéral aurait pu faire différemment. Mais il y a trois semaines, le gouvernement fédéral et le Parlement du Canada n’avaient pas les outils requis pour aider la police locale à faire son travail. La Loi sur les mesures d’urgence a fourni des outils qu’aucun ordre de gouvernement n’aurait pu utiliser autrement, qu’il s’agisse d’élargir les exigences de déclaration au CANAFE sur le financement ou de fournir d’autres moyens comme le fait d’ordonner aux exploitants de dépanneuses de dégager les rues — des mesures auxquelles aucun autre ordre de gouvernement n’a eu recours. Pourtant, le résultat était le maintien de la ville en état de siège.
Comme j’ai essayé de l’expliquer, le gouvernement fédéral a été régulièrement en consultation depuis les débuts de ce mouvement et il a tenté de faire de son mieux pour apporter son aide, en fait, il a fourni un soutien par l’intermédiaire de la GRC et d’autres services de police locaux. Malheureusement, nous en sommes arrivés à un stade où il était devenu tout simplement impossible pour les autorités locales, avec les outils dont elles disposaient ou qui étaient mis à leur disposition par leurs gouvernements provinciaux, de gérer la situation. C’est pourquoi le gouvernement a agi. Il ne s’est pas contenté de regarder et de ne rien faire, mais il a apporté un soutien continu. Le dialogue était permanent au sein de toutes les instances concernées. Mais la situation a atteint un stade où elle se répercutait sur le gouvernement dans son ensemble, et c’est le rôle du gouvernement fédéral d’intervenir dans ces circonstances.
Ce ne sont pas les outils qui m’ont préoccupé en ce qui concerne l’intervention de la police. Ce qui m’intéresse, c’est le renseignement. Le convoi a commencé vers le 20 ou le 23 janvier. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas su qu’il y avait des menaces à ce moment-là? S’il y a des menaces, pourquoi ne l’a-t-il pas su à ce moment-là? Pourquoi a-t-il fallu attendre la mi-février pour savoir qu’il y avait des menaces suffisamment graves pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence? C’est la question à laquelle j’aimerais qu’on réponde.
Puisqu’il a fallu au gouvernement si longtemps pour comprendre, quelle confiance pouvons-nous avoir dans le fait qu’il invoque la loi et décide du moment où il devrait cesser de le faire? Telles sont mes préoccupations. Pourriez-vous aborder la question en ce qui a trait au renseignement, à l’évaluation de la menace et à la raison pour laquelle le gouvernement semble avoir pris tant de retard dans l’évaluation de cette énorme menace ou des nombreuses menaces dont il parle?
C’est une supposition. Malgré tout le respect que je dois à la sénatrice Marshall, je dois dire que ses propos sont inexacts. Il est faux de supposer que le gouvernement n’était pas au courant ou n’a pas été mis au courant des menaces, et il est également faux de supposer que le gouvernement n’a pas fait part de ses préoccupations au sujet des menaces. Il est tout aussi clair — comme nous le savons tous et comme je l’ai dit en réponse à une question précédente — que je ne peux pas, et que le gouvernement ne peut et ne devrait pas communiquer les renseignements qu’il a pu recevoir et qui l’ont aidé à prendre sa décision. Cela va de soi.
Encore une fois, toutes les circonstances, toutes les réussites, tous les échecs ou toutes les mesures prises qui nous ont menés à cette situation déplorable seront et doivent être examinés, et ils le seront conformément aux dispositions de la loi, comme il se doit dans un pays démocratique comme le Canada.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement. J’ai apprécié votre discours, je vous en remercie, et j’apprécie également les questions qui ont été soulevées ici.
Dans leurs questions, le sénateur Patterson et la sénatrice Batters ont tous les deux glissé un mot sur le comité d’examen. J’ai lu les documents et je pensais les avoir très bien compris. Entre les questions et les réponses, il semble maintenant y avoir une certaine confusion dans mon esprit. J’aimerais d’abord vous demander d’expliquer très clairement le rôle et les pouvoirs du comité parlementaire par rapport à l’enquête qui aura lieu dans les 350 jours.
Je vous remercie de votre question. Le comité parlementaire d’examen a une fonction générale d’examen et de rapport. Il a également ce que j’appellerais une fonction de surveillance parce qu’il peut examiner, à la demande des sénateurs ou des députés, la révocation ou la modification de règlements. Il exerce une fonction d’examen et de rapport, comme j’ai essayé de l’expliquer dans mon allocution. J’espère que cela répond à votre question.
Vous n’avez pas parlé de l’enquête, mais c’est correct. D’après ce que j’ai compris, le rôle du comité parlementaire est davantage un rôle de surveillance que d’examen. Je signale que dans le contexte du Canada, et non d’un autre pays, il est plutôt exceptionnel qu’une instance ait un rôle de surveillance immédiate sur des renseignements de nature délicate, bien que pas nécessairement classifiés. J’imagine qu’il est question d’un tel rôle, étant donné que des actions ont toujours lieu et que nous entendons parler de ce qui se produit, ou que ces pouvoirs — plus précisément ceux conférés par cette loi — font l’objet d’un examen par ce comité qui détermine s’ils sont nécessaires ou excessifs. Par exemple, s’il y a une allégation de violation de la Charte, le comité s’acquittera de son rôle de surveillance.
Cela me semble exceptionnellement important. Voilà maintenant plus d’une semaine que l’urgence a été déclarée, mais le comité n’est pas encore en place et nous n’en connaissons pas la composition. Je comprends que le leader du gouvernement à l’autre endroit travaille là-dessus et qu’il est responsable. Je pensais que le comité aurait déjà été en place maintenant ou que demain ou jeudi, au moment du vote, l’annonce de sa mise sur pied serait faite afin que le comité parlementaire se mette aussitôt au travail. S’il s’agit d’une urgence et si ce comité doit veiller à ce que les mesures soient appliquées correctement et ne contreviennent pas à la Charte, il devrait être au travail. Pouvez-vous nous dire quand il devrait l’être?
Il s’agit d’une question importante qui porte sur un instrument démocratique important. Je crois comprendre que la constitution du comité exigera une motion des deux Chambres du Parlement, comme c’est le cas pour la création de comités mixtes spéciaux.
Je communique régulièrement avec mon homologue. Évidemment, je ne vais pas vous faire part de ces discussions, mais je crois savoir que mon homologue, le ministre Holland, est en discussion avec ses homologues à la Chambre au sujet de la composition et du processus. Ce n’est qu’hier soir que la Chambre a voté, et je ne suis pas encore au courant qu’une entente a été conclue, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, entre tous les partis de la Chambre au sujet de leur représentation.
J’ai fait part aux sénateurs de la position du gouvernement à l’égard du Sénat, du moins pour ce qui est de savoir qui devrait y siéger, mais les discussions se poursuivent. Tout comme vous et le gouvernement, je veux que le processus démarre le plus rapidement possible. C’est une institution importante pour assurer la reddition de comptes en démocratie. Dès que j’en saurai plus, je vous en ferai part.
Monsieur le leader, j’ai beaucoup de questions pour vous.
La loi est assez claire lorsqu’elle nous dit ce qui suit :
Pour l’application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui, selon le cas :
a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;
J’essaie de comprendre comment vous pouvez nous affirmer que les lois municipales, provinciales et canadiennes actuellement en vigueur ne permettaient pas d’arrêter des gens sur la rue Wellington pour méfaits ou pour possession d’armes. Je ne connais pas la liste de toutes les accusations portées ou des contraventions qui ont été émises pour avoir troublé la paix, ce sont toutes des dispositions qui existent, qui sont facilement applicables et en vertu desquelles un agent de la paix a l’obligation d’intervenir lorsqu’il constate que ces actes sont commis. Alors j’ai du mal à comprendre quelles lois canadiennes, provinciales ou municipales ne permettaient pas de déplacer les manifestants ou de remorquer les véhicules sur la rue Wellington.
Je vous remercie de la question. La question qui se pose est non seulement de savoir s’il existe, face à la crise que nous avons vécu ici, à Ottawa, des mesures existantes pouvant être déployées effectivement. Nonobstant le fait que la ville d’Ottawa a déclaré l’état d’urgence, nonobstant le fait que la province de l’Ontario l’a déclaré par la suite, le fait est que sur le terrain, les forces policières, même avec des renforcements, n’étaient pas capables de gérer la situation. Les mesures qui ont été mises en place après la proclamation de l’état d’urgence, y compris les mesures concernant le financement et les rapports sur le financement, ainsi que la capacité de définir les zones sécurisées et les lois qui n’existaient pas pour forcer les entreprises de remorquage à faire le travail qu’elles ne voulaient pas faire, toutes ces mesures étaient nécessaires parce que sur le terrain, les administrations municipales, provinciales et policières étaient incapables de gérer effectivement la situation, nonobstant tous leurs pouvoirs dans l’abstrait. Cela respecte les critères de la loi et c’est pourquoi le gouvernement du Canada est d’avis qu’il était approprié d’invoquer la loi et de proclamer l’état d’urgence.
Je suis surpris de votre réponse selon laquelle les gens n’étaient pas capables. Je vois le pont Ambassador qui a été ouvert quelques jours avant l’adoption des mesures d’urgence, dans des situations identiques avec des camionneurs, avec des gens qui bloquent, à la différence qu’il y a eu un appel du président américain, qui a demandé qu’on ouvre le pont. Peut-être aurait-il fallu un appel pour ouvrir l’entrée de l’ambassade américaine. Quelle est la différence entre les pouvoirs ou les solutions que les policiers avaient, pour le pont Ambassador, et ceux qu’ils ne pouvaient pas exercer sur la rue Wellington?
Il y a plusieurs aspects à ma réponse. Premièrement, comme je l’ai déjà dit dans mon texte et en répondant à d’autres questions, il y avait des pouvoirs que ni le gouvernement de l’Ontario ni le gouvernement du Canada n’avaient, pour faire en sorte que les camions faisant partie des blocages soient enlevés et déplacés pour rouvrir le pont. Il a fallu l’appui de camions de remorquage du Michigan.
De façon tout aussi importante, il est vrai que le gouvernement de l’Ontario a agi sur cet enjeu. Je ne veux pas spéculer — car cela a faisait l’objet de discussions pendant un bout de temps — sur la possibilité que le gouvernement proclame la Loi sur les mesures d’urgence. Je ne veux pas spéculer sur les répercussions possibles pour les personnes qui étaient sur le pont Ambassador. Il est indéniable que la province de l’Ontario n’a pas fait grand-chose pour donner un appui aux forces policières locales, pour faire en sorte qu’elles puissent agir. Des outils ont été déployés, on l’a vu ici à Ottawa, qui n’existaient ni dans les lois provinciales ni dans les lois municipales, qui étaient nécessaires pour essayer de mettre fin à ce blocage et à cette occupation illégale, ici, à Ottawa.
Merci de votre intervention, sénateur Gold. Merci aussi à la police. Il y a sept agents de police dans ma famille et trois dans mon caucus que je respecte beaucoup.
C’est drôle que l’appui à cette mesure vienne en grande partie d’un parti dont les membres, jusqu’à il y a deux ans, voulaient couper les vivres à la police.
Cependant, ma question porte sur votre affirmation selon laquelle les peuples autochtones ne seraient pas assujettis à cette loi. Ces manifestations doivent-elles toujours être considérées comme illégitimes et une manifestation autochtone peut-elle devenir violente? Et si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui constituerait une manifestation violente si la tentative de déraillement de trains et le fait d’incendier des voitures de police ne sont jamais considérés comme des actes violents? Je pense que ces manifestations présentent un certain niveau de violence. J’aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez, sénateur Gold.
Je vous remercie de votre question. Je vais passer directement à la question, et non pas au commentaire au sujet de qui l’a appuyé.
Tout ce que j’ai dit dans mon discours, sénateur, c’est que les gens pourraient être préoccupés et inquiets que la Loi sur les mesures d’urgence cible d’autres groupes à l’avenir, et j’ai parlé des manifestations des Autochtones ou des environnementalistes. Il n’en demeure pas moins que si des actes de violence qui menacent la sécurité du Canada ne peuvent être traités efficacement par les lois ou les institutions existantes, alors et seulement à ce moment-là, au moins un aspect des justifications sous-jacentes de la Loi sur les mesures d’urgence serait invoqué. Si, en fait, une situation survenait, peu importe qui commet les actes de violence, et qu’elle répondait aux critères de la loi, encore une fois, il ne suffit pas qu’il s’agisse d’une situation illégale. Nous avons des lois à cet effet. Il ne suffit pas qu’elle soit violente. Nous avons des lois contre la violence. Mais s’il est impossible de mettre fin efficacement à de tels actes au moyen des lois qui s’appliquent, alors et seulement à ce moment-là, un gouvernement aurait le droit de déterminer si la Loi sur les mesures d’urgence doit être appliquée ou non et, s’il a des motifs raisonnables, comme le gouvernement le juge dans le cas présent, si un état d’urgence doit être déclaré. Cela déclencherait alors le même genre de processus démocratique auquel nous participons actuellement.
J’ai une question complémentaire.
En guise de préambule, je dirai que je suis content que la police ait dispersé la foule. Je ne dis pas que je souhaite qu’elle poursuive ainsi éternellement. Toutefois, il y a quelques jours, alors qu’un journaliste se frayait un chemin parmi la foule sur la rue Wellington, il s’est fait traiter de « nazi ». Les gens du réseau ont trouvé scandaleux qu’on le traite de « nazi ». Ils ont dit qu’il était scandaleux et épouvantable que l’on traite une personne de « nazie » et qu’on la diffame ainsi. Je suis d’accord avec eux, tout comme j’estime scandaleux et épouvantable de traiter les gens d’« intolérants », de « racistes » et de « misogynes ». C’est comme traiter une personne de « démon » à Salem en 1640 : on ne peut pas revenir en arrière après cela.
Ma question est la suivante : a-t-on raison d’employer des qualificatifs tels que « nazis », « misogynes » et « Appalachiens détestables et écœurants » lorsque l’on s’adresse à ses concitoyens canadiens quand on a affaire à de tels caprices? La stigmatisation aussi gratuite de si nombreuses personnes ne témoigne-t-elle pas du sens moral lacunaire et de la faiblesse morale du gouvernement actuel?
Il est inacceptable de salir une personne en lui lançant une épithète raciale blessante. Nous en convenons tous. Il n’en demeure pas moins que des symboles haineux continuent de faire surface, non seulement ici à Ottawa, mais aussi ailleurs.
Le gouvernement n’affirme pas que tous les manifestants sont des nazis ou des tenants de la suprématie blanche. Il ne l’a jamais affirmé. Toutefois, le gouvernement affirme que ce convoi, aussi bien intentionné soit-il et aussi bien intentionnés bon nombre de ses participants soient-ils, a néanmoins été détourné par des éléments extrémistes. C’est du domaine public. Des groupes d’extrémistes blancs financent le convoi au Canada et ailleurs. Ils se trouvent au cœur de l’organisation et de la mobilisation des convois depuis le début. Ces faits ont beau nous rendre mal à l’aise, on ne peut pas les nier.
Il ne s’agit pas de salir la réputation de ceux qui ont manifesté de telles attitudes, mais il s’agit néanmoins d’affirmer qu’une fois la loi mise en application, l’état d’urgence déclaré et les activités publiquement jugées inacceptables, chaque manifestant, peu importe son point de vue, aurait dû respecter la loi en quittant les lieux. Il est regrettable qu’il ait fallu le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et la forte présence de policiers provenant de partout au pays pour forcer les manifestants à partir.
Est-ce que le sénateur Gold accepterait de répondre à une question?
Bien sûr.
Sénateur Gold, la Loi sur les mesures d’urgence est l’héritière, comme vous le savez, de la Loi sur les mesures de guerre qui a seulement été utilisée trois fois dans l’histoire de notre pays. Les deux premières fois, je n’y étais pas, il s’agissait de la Première Guerre et de la Deuxième Guerre mondiales, mais la troisième fois, j’ai vécu de très près la crise d’Octobre en 1970. J’occupais la fonction de président d’une association étudiante universitaire. On se souvient qu’à l’époque, le Front de libération du Québec avait mené, depuis le début des années 1960, des organisations destinées à déstabiliser le gouvernement du Québec. Il avait notamment provoqué des émeutes, posé des bombes dans les boîtes postales et participé à des enlèvements, comme ceux du diplomate James Cross et du vice-premier ministre du Québec, M. Laporte, qui a été assassiné.
Malgré ces faits déplorables, beaucoup d’historiens avouent que Pierre Elliott Trudeau avait eu tort de déployer l’armée canadienne au Québec. Les policiers auraient pu aisément résoudre ces crimes odieux. C’est sans doute la raison pour laquelle le premier ministre Brian Mulroney a modifié quelques années plus tard la Loi sur les mesures de guerre pour la rendre beaucoup plus rigoureuse et pour qu’elle demeure utile dans des circonstances exceptionnelles, en consultation avec les provinces et avec l’accord des parlementaires.
On sait que dans la présente loi, ces deux critères n’y sont pas, et que la majorité des provinces ne veulent pas utiliser cette loi sur leur territoire. On l’a vu à l’autre endroit, deux partis de l’opposition s’opposaient à ce projet de loi. Il n’y avait donc pas unanimité. Selon moi, la situation actuelle au pays est bien différente de celle des années 1970 et cette dérive autoritaire du gouvernement libéral d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence doit obligatoirement être suivie d’une justification.
Alors, mes questions seront très simples. Quelle est la menace actuelle qui justifie d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence? Est-ce que la GRC avait des informations sur les armes qui pouvaient circuler aux mains des manifestants et, enfin, combien de manifestants appartenaient à des groupes terroristes?
Je vous remercie de la question, sénateur. J’étais à Montréal à cette époque, j’avais 20 ans, j’ai vu l’armée dans les rues. J’étais avec des amis qui ont été arrêtés. Comme vous l’avez bien précisé, la Loi sur les mesures d’urgence n’a rien à voir avec la Loi sur les mesures de guerre. Les actions sur le terrain que nous avons menées, ici à Ottawa, n’ont rien à voir avec l’ancienne loi non plus.
J’ai tenté d’expliquer toutes les raisons pour lesquelles le gouvernement a déterminé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la proclamation d’un état d’urgence selon la loi était nécessaire.
La seule chose à ajouter, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, c’est que je ne suis pas en mesure de partager ici l’information reçue de nos instances policières et du service du renseignement ni l’opinion qu’ils ont peut-être fournie au gouvernement. Cependant, il y a tant de choses qui sont déjà publiques et qui démontrent qu’il y a bel et bien des personnes, non seulement en marge de ce qui s’est passé, mais à l’origine de ce qui s’est passé, qui sont prêtes à utiliser la violence, qui sont prêtes à encourager les autres à se rendre à Ottawa pour déstabiliser notre gouvernement, qui a été élu démocratiquement, ou y mettre fin.
Nous savons qu’il y avait des gens appartenant à des groupes racistes, à des groupes extrémistes, et c’est de l’information publique. Donc, encore une fois, selon l’information qui est publique et que nous connaissons tous, il y avait clairement suffisamment de preuves pour faire en sorte que le gouvernement ait raison d’avoir recours à la loi.
Je vous remercie beaucoup, sénateur Gold, vous avez utilisé une expression qui, à mon avis, est contraire à cette loi-là : « la loi était nécessaire ». Or, l’expression que vous deviez utiliser, c’est : « la loi était obligatoire », parce que dans le contexte des 24 jours d’occupation, aucun geste criminel n’a été posé. Je n’ai pas vu d’accusations portées au criminel durant ces 24 jours. De plus, quels gestes le gouvernement a-t-il posés durant ces 24 jours pour déloger les occupants? Quelles mesures physiques et légales a-t-il prises après avoir réfléchi et décidé de ne rien faire?
Peut-être que j’ai mal compris la question, mais je vais tenter de vous répondre quand même. Premièrement, dans un pays démocratique comme le Canada, ce n’est ni au gouvernement ni au Parlement de diriger les forces policières. Toutes les instances gouvernementales doivent agir dans le respect des juridictions.
Juste en passant, parce vous avez mentionné quelque chose avant : la loi est très claire, il n’est pas nécessaire que tous les premiers ministres ou toutes les provinces soient d’accord. Le texte est très clair : il y a un devoir de consultation et si le gouvernement décide qu’il y a une crise qui n’est pas limitée à une province, il s’agit tout simplement d’une obligation de consultation, et c’est ce qui a été fait. C’est seulement dans le cas où il y a une urgence qui doit être gérée en dehors des pouvoirs normaux ordinaires des provinces et qui est limitée à une province, et uniquement dans cette circonstance, que la loi exige le consentement du gouvernement concerné.
Durant trois semaines, le gouvernement est resté dans son champ de juridiction par rapport à la juridiction des policiers, qu’il ne dirige pas. Les administrations municipale et provinciale sont exclusives et à part. Il est faux de dire qu’il n’a rien fait. Au contraire, il partageait l’information, il donnait son opinion, il a mis sur pied une consultation auprès des instances gouvernementales. J’ajoute que, malheureusement, il y a eu plusieurs réunions auxquelles le premier ministre de l’Ontario n’a pas participé. Donc, ce n’est pas vrai que le gouvernement n’a rien fait.
Également — je le dis avec respect, chers collègues — la vraie question à se poser n’est pas nécessairement de savoir quels gestes le gouvernement a posés au début, dans la deuxième semaine ou même avant la proclamation de la loi. Le gouvernement a fait ce qu’il pouvait faire dans son domaine de juridiction, avec les outils dont dispose le gouvernement du Canada par rapport aux outils et autres pouvoirs, qu’ils soient de niveau provincial ou municipal.
Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une autre question?
Bien sûr.
Ma question concerne l’agriculture, ce qui, je sais, n’est pas une surprise ni pour vous ni pour mes collègues ici, dans cette enceinte. Ma question porte sur l’utilisation du terme « infrastructures essentielles » figurant à l’alinéa 2(1)b) sur l’interdiction de participer à une assemblée publique, qui ne confère pas au ministre de la Sécurité publique le pouvoir de désigner des lieux supplémentaires comme il peut désigner des lieux protégés conformément au paragraphe 6f) du règlement.
Le Règlement sur les mesures d’urgence fournit une définition d’« infrastructures essentielles » qui ne tient pas compte de l’importance des chaînes d’approvisionnement agricoles au Canada et dans le monde. Par exemple, la définition n’inclut pas les installations de transformation et de distribution des produits agricoles, telles que le marché des produits alimentaires à Toronto, ni les usines de transformation à l’échelle du pays, dont la plupart se trouvent sur une propriété privée et non sur des terres fédérales ou provinciales. Cela signifie que le règlement, qui interdit les assemblées qui nuisent au fonctionnement des infrastructures essentielles, n’inclut pas bon nombre de ces vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement agricole. En outre, cela signifie que le décret sur les mesures économiques d’urgence ne s’applique pas aux activités financières visant à nuire aux installations de transformation et de distribution des produits agricoles. En revanche, d’autres services essentiels, comme les ports et les hôpitaux, sont actuellement visés par le décret.
Sénateur Gold, pourquoi le secteur de l’agriculture n’est-il pas inclus dans la liste des infrastructures essentielles? Est-ce un oubli? Alors que, selon ce qu’on nous a dit, les chaînes d’approvisionnement du secteur agricole seraient incluses aux termes de l’article 2, les immeubles où se déroulent la transformation et la distribution des aliments ne le sont pas. Le gouvernement appuierait-il une démarche du Sénat pour amender le Règlement sur les mesures d’urgence en application du paragraphe 61(3) de la Loi sur les mesures d’urgence afin d’apporter ce changement nécessaire?
Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Le gouvernement du Canada sait à quel point le secteur de l’agriculture est essentiel pour le bien-être économique et social des Canadiens. En fait, je pense que le gouvernement a déjà exprimé plus d’une fois — et dans le contexte de la situation actuelle — qu’il est évident que les mesures qui seront instaurées en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence — par exemple, assurer la sécurité de nos postes frontaliers et de nos corridors commerciaux — sont très importantes pour le secteur agricole, qui en tirera de nombreux bénéfices. Je pense, entre autres, au transport du bétail dans l’Ouest ou à l’énorme quantité de marchandises en tous genres qui traversent la frontière à Windsor et ailleurs au pays.
Quant à votre question, il est vrai que les installations agricoles ne sont pas définies comme infrastructures essentielles. Le règlement n’autorise pas l’ajout de ces infrastructures pour la forme. Par contre, vous avez aussi raison de signaler qu’il y a un mécanisme qui permet, si suffisamment de sénateurs sont enclins à renvoyer la question au comité que j’ai mentionné, de modifier le règlement.
L’autre point que j’aimerais ajouter, c’est que les dispositions du règlement peuvent, en fait, s’appliquer si une manifestation ou une activité illégale entraîne la fermeture d’une installation ou en bloque l’accès, parce que les interdictions de ce type d’actes ne visent pas que les infrastructures essentielles. C’est au paragraphe 2(1).
Il est donc possible que des activités à l’extérieur d’une installation soient visées, et le Sénat pourrait modifier le règlement pour désigner une ou plusieurs installations comme infrastructures essentielles.
Enfin, il est toujours vrai que le règlement actuel permet de désigner d’autres lieux protégés.
La loi donne des outils qui pourraient être utilisés, éventuellement, sans changement ou, s’ils sont modifiés, pour régler la situation que vous avez mentionnée. Merci de votre question.
Merci, sénateur Gold. Le gouvernement a choisi d’interdire certaines assemblées autour des lieux qui administrent des vaccins contre la COVID-19, c’est-à-dire effectivement toutes les pharmacies du pays. À tout le moins, le gouvernement ou le Parlement peut prendre des mesures modestes mais importantes pour offrir des protections semblables à des éléments clés des infrastructures agricoles essentielles.
Pourriez-vous faire savoir au ministre que la définition d’infrastructures essentielles figurant à l’article 2 devrait être mise à jour par le Sénat ou par le Cabinet, puisque le libellé diffère fondamentalement de celui de l’article 6 qui donne au ministre la capacité de désigner certaines zones comme étant des lieux protégés?
Je me ferai un plaisir de lui en faire part. Merci.
Le représentant du gouvernement accepterait-il de répondre à une question?
Avec plaisir.
Sénateur Gold, merci beaucoup de votre discours clair qui a lancé ce débat sérieux et historique. Je remercie également mes collègues des deux côtés du Sénat de leurs importantes questions.
J’ai été déçue qu’on nous ait empêchés de nous former en comité plénier bien dirigé pour accueillir les ministres associés à la Loi sur les mesures d’urgence dans le cadre de la séance d’aujourd’hui. J’ai trouvé très utiles la séance d’information d’hier soir et les questions posées par mes collègues dans le cadre de notre travail individuel et collectif visant à comprendre la situation qui a mené à la promulgation de la Loi sur les mesures d’urgence et les répercussions qui en découlent.
Voici la question que je voulais poser aux ministres hier soir : vous avez dit que le gouvernement a hésité à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence et qu’il compte y mettre fin le plus tôt possible. Vous avez mentionné que le gouvernement est en communication constante, parfois toutes les heures, avec les organismes d’application de la loi et d’autres sources de renseignements au sujet des risques et des menaces qui perdurent.
Je porte maintenant mon attention sur un scénario possible. Nous avons mentionné qu’il fallait satisfaire aux critères concernant les motifs raisonnables. Supposons que la Loi sur les mesures d’urgence soit révoquée à un moment entre aujourd’hui et le 30e jour. Nous savons qu’il y a, derrière les occupations et les blocages récents, une organisation très sophistiquée, qui a des relations influentes, de solides ressources et des moyens de communication très efficaces. C’est un élément dont nous ne pouvons pas douter et qui m’inquiète. Qu’arrivera-t-il si ces gens se réorganisent rapidement après la révocation de la loi et posent, encore une fois, des gestes illégaux qui causeront des dommages qui seront, par leur nature ou leur ampleur, semblables à ceux qu’ils ont causés récemment ou encore plus graves? Le gouvernement et ses homologues élaborent-ils actuellement, ou prévoient-ils élaborer rapidement, des mesures et des outils qui ne font pas partie de la Loi sur les mesures d’urgence et qui visent à combler les lacunes qui nous ont forcés à avoir recours à cette loi pour la toute première fois, ou notre seule option serait-elle, encore une fois, d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence? Merci.
Merci. Il s’agit d’une question importante. Vous n’êtes pas la seule à craindre que le calme actuel ne soit que temporaire et que d’autres événements se produisent à Ottawa, puisque certaines personnes ont dit avoir l’intention de revenir ici, ou encore aux postes frontaliers, qui figurent aussi dans les intentions de certains.
On peut constater, en fait, que les provinces et les forces policières du pays ont tiré quelques leçons des événements qui ont d’abord été tolérés à Ottawa. C’est pourquoi on se préoccupe aussi des manifestations qui se passent ou pourraient se passer dans d’autres villes. Ainsi, il y a une occupation considérable à Winnipeg; on en a peu parlé à l’échelle nationale, mais elle dure depuis un certain temps. C’est notamment pour cela que les premiers convois qui sont allés à Québec ont été beaucoup mieux gérés à leur arrivée. Bref, on tire déjà des leçons de ces expériences, qui seront examinées et évaluées comme il se doit dans le cadre de l’enquête qui devrait avoir lieu quand tout sera terminé.
Comme je le disais tout à l’heure, le gouvernement fédéral envisage déjà de présenter une mesure législative qui bonifierait les pouvoirs du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada afin que celui-ci puisse s’intéresser aux plateformes de financement. Le monde a tellement changé, notamment à cause de l’effet considérable des réseaux sociaux, non seulement sur la mentalité des gens et sur la mobilisation populaire, mais aussi sur la circulation de l’argent. C’est sans parler des cryptomonnaies, que nous avons nous-mêmes pu voir à l’œuvre. Le gouvernement a entre autres compris que le Canada a besoin d’un cadre plus durable et mieux défini afin qu’il ne soit plus nécessaire de prendre ce genre de mesures à l’avenir.
Les détails m’échappent, mais je sais que l’Ontario songe à bonifier certains pouvoirs ou à mieux circonscrire les pouvoirs existants afin que, si jamais une telle situation devait se reproduire, les autorités puissent intervenir et empêcher le blocage des rues et des villes.
Tout bien considéré, il faut espérer que les leçons tirées de cette expérience seront profitables et que les mesures ordinaires, dont les parlements devraient tous envisager de se doter, seront suffisantes. Dans le cas contraire, la Loi sur les mesures d’urgence sera toujours là comme option extraordinaire de dernier recours.
Pardonnez-moi si je ne réponds pas dans l’ordre, mais j’ai aussi dit tout à l’heure que, même si la Loi sur les mesures d’urgence est révoquée — ce qui, espérons-le, surviendra plus tôt que tard —, les enquêtes se poursuivront et les accusations seront maintenues. Qu’elle soit ou non en vigueur, les actes qui étaient illégaux lorsqu’ils ont été commis ne sont pas pardonnés pour autant.
Il faut espérer que les mesures prises au titre de la Loi sur les mesures d’urgence, et parfois aussi au titre du Code criminel, pourront servir de complément au cadre juridique actuel.
Idéalement, les accusations portées et les mesures prises pour le gel de comptes bancaires, entre autres, dissuaderont les personnes qui seraient disposées à vouloir poursuivre le projet d’occuper, d’entraver et de déstabiliser notre pays.
Est-ce que le sénateur Gold accepterait de répondre à une autre question?
Oui.
Sénateur Gold, selon l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence, il y a un pouvoir discrétionnaire très important qui est donné au gouvernement, celui d’adopter des règlements ou des décrets pour prendre « […] toute mesure qu’il croit, pour des motifs raisonnables, fondée en l’occurrence […] ». Donc les mesures peuvent s’appliquer pour l’interdiction d’assemblées publiques, etc. Un peu plus loin, au paragraphe 3 et à l’alinéa b) de l’article 19, il est indiqué aussi ceci :
Les décrets et règlements d’application du paragraphe (1) et les pouvoirs et fonctions qui en découlent sont appliqués ou exercés […]
b) de façon à viser à une concertation aussi poussée que possible avec chaque province concernée.
En conséquence, dans le cadre de la révision parlementaire qui est prévue à l’article 62 — par un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat —, est-ce que vous pouvez nous confirmer que la révision effectuée par ce comité parlementaire portera sur l’article 19 et sur l’alinéa b) du paragraphe 3?
Autrement dit, pouvez-vous confirmer qu’il y a un pouvoir discrétionnaire qui sera exercé et que les mesures devront être appliquées de façon à viser une concertation aussi poussée que possible avec chaque province concernée? Est-ce que vous nous confirmez que cet élément particulier de la loi fera partie du mandat du comité de révision parlementaire?
Merci pour cette importante question, madame la sénatrice.
Comme vous le savez, à la lecture de la Loi sur les mesures d’urgence, il n’y a pas beaucoup de particularités par rapport au mandat ou l’ordre du jour de ce comité en dehors de ce qui est inscrit.
Je pense que, comme dans tous les comités ici même au Sénat, cela se fera au fur et à mesure, tant que ce sera encadré par les articles de la loi qui la constituent, et c’est le comité qui déterminera lui-même les sujets.
Je ne vois rien dans le texte de la loi qui interdirait ou rendrait inapproprié un examen de cet aspect de la loi.
Je ne peux pas vous donner une réponse plus claire, car il n’y a aucune particularité qui l’interdirait, en dehors de ce qui est déjà écrit dans la loi. À mon avis, s’il n’y a pas de texte de loi disant que c’est en dehors de la portée de ce comité, je crois que le comité pourra décider précisément des enjeux et sujets qui seront étudiés.
Sénateur Gold, à partir de ma première question sur l’article 19, où l’on dit que les décrets et règlements et les pouvoirs et fonctions qui sont appliqués doivent viser à une concertation aussi poussée possible avec chaque province, pouvez-vous nous confirmer que dans le cas de l’enquête — je ne parle plus du comité de révision parlementaire — qui doit être déclenchée dans les 60 jours qui suivent la fin de la déclaration de situation d’urgence, le gouverneur en conseil est tenu de demander une enquête, non seulement sur les circonstances, mais aussi sur « […] les mesures prises pour faire face à la crise »?
Est-ce que vous nous confirmez que dans cette partie du paragraphe 63(1), soit « […] les mesures prises pour faire face à la crise », on parle bien d’une décision du gouverneur en conseil, donc c’est le gouvernement qui doit demander l’enquête, non seulement sur les circonstances, mais aussi sur les mesures prises? Est-ce que cela porte sur la concertation aussi poussée que possible avec les provinces?
Encore une fois, merci pour la question, madame la sénatrice. Je répondrais de la même façon que j’ai répondu à la première question.
Il est clair et net que l’idée et l’objectif, non seulement de cette enquête, mais aussi de la mise sur pied du comité parlementaire, c’est de faire en sorte que nous, les parlementaires, puissions être présents, si vous me permettez l’expression, à chaque étape du processus pour remplir notre tâche démocratique qui est d’analyser, de faire rapport et d’amender selon les circonstances prévues par la loi.
Bref, il n’y a aucune raison et il n’y a rien dans le texte de loi qui limiterait les sujets de cette enquête.
J’ajoute aussi que, comme vous le savez, la consultation avec les provinces est une condition qui précède l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence.
Pour toutes ces raisons, chère collègue, sans être capable de vous donner une réponse plus précise en ce qui concerne les règlements dans les provinces concernées, il n’y a aucune raison d’envisager que ce ne serait pas un sujet approprié pour cette enquête.
J’espère que cela répond à votre question.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold. Je voulais en revenir aux questions du sénateur Patterson et de la sénatrice Marshall en ce qui concerne le rôle du comité et le type d’information qui lui serait communiqué. Nous savons que divers responsables sont en communication d’heure en heure pour faire le point sur la situation. Cela signifie que grâce à ces évaluations des risques, de nouveaux renseignements s’ajoutent constamment. Beaucoup de ces renseignements, comme vous l’avez dit, risquent d’être classés confidentiels. Pourtant, selon ma compréhension des travaux du comité, le Règlement sur les textes réglementaires s’appliquera, ce qui signifie que la liste des renseignements soustraits parce qu’ils sont très confidentiels, conformément à l’article 15 de ce règlement, sera très longue.
Ma question porte sur ceci. Ce comité est important pour que tous les parlementaires accomplissent leur travail avec confiance. Leur confiance ne serait-elle pas accrue s’ils avaient accès à des renseignements confidentiels sur lesquels baser leur travail et, ce faisant, mieux informer les parlementaires?
Je vous remercie de votre question. Il y a différentes catégories d’information visées par divers niveaux de protection et d’accès. Comme vous l’avez mentionné, selon le texte de la loi, tous les membres du comité d’examen parlementaire devraient prêter le serment de secret figurant à l’annexe. Cependant, il n’y a rien dans la loi qui exige que les membres obtiennent une cote de sécurité, comme c’est le cas notamment pour les sénateurs qui siègent au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, ou CPSNR, ce qui leur donne accès, selon les besoins, à certains renseignements — mais pas à l’ensemble de ceux-ci, puisqu’il y a quand même des restrictions — auxquels les parlementaires n’auraient pas accès publiquement dans d’autres circonstances.
Ainsi, pour revenir à votre question, sénateur Quinn, pour que le comité d’examen parlementaire puisse faire le travail qui est attendu de lui, selon les concepteurs de la loi, il faut qu’il ait accès à l’information dont il a besoin parmi tous les renseignements qui sont à sa disposition. Dans ce cas-ci, vous y avez d’ailleurs fait allusion, il y aura certaines mesures. Je m’empresse de préciser qu’il ne s’agit pas de renseignements secrets, mais on pourrait prendre certains règlements. On ne l’a pas fait jusqu’à présent, et ce n’est pas envisagé pour le moment, comme je l’ai mentionné. Cependant, si on devait prendre de tels règlements qui ne peuvent être mis en place selon les dispositions de la Loi sur les textes réglementaires pour éviter que de l’information confidentielle soit publiée dans la Gazette du Canada, donc publiquement accessible, alors le comité pourrait effectivement accéder à cette information en privé pour l’aider à prendre une décision éclairée. Encore une fois, j’espère avoir répondu à votre question.
Pour avoir travaillé dans des situations d’urgence dans une autre vie, je sais combien les choses se compliquent lorsqu’on ne peut pas accéder aux renseignements qui sont cruciaux pour prendre les bonnes décisions. Cela étant dit, nous avons évoqué plus tôt l’éventuelle analyse rétrospective, mais je ne suis pas sûr que ce soit le bon terme. Ce comité, si je comprends bien, a une durée de vie limitée. Lorsque l’état d’urgence se termine, reste-t-il en place une ou deux semaines? Son existence est-elle prolongée? Ou bien reste-t-il en place le temps nécessaire pour procéder à une éventuelle analyse rétrospective?
Je vous remercie une fois de plus pour votre question.
Les dispositions de la loi précisent le mandat, le rôle et les responsabilités du comité d’examen parlementaire, et il est certain qu’il a un rôle à jouer après l’adoption d’une motion déclarant l’abrogation de la Loi sur les mesures d’urgence. Toutefois, il semble que c’est un rôle différent de celui de l’enquête prévue à l’article 63, où il est précisé que l’enquête doit être menée dans les soixante jours qui suivent la cessation d’effet ou l’abrogation d’une déclaration de situation de crise et que le rapport doit être déposé devant chaque chambre du Parlement dans un délai de 360 jours. Il n’est pas précisé si cette enquête relève du rôle du comité d’examen.
Il faut comprendre qu’il y a deux mécanismes. Le rôle du cmité d’examen parlementaire — comme je l’ai indiqué précédemment et comme l’a précisé la sénatrice Lankin — est essentiellement de faire des rapports pour nous tenir au courant si la situation perdure. Toutefois, il a aussi une fonction de surveillance.
L’enquête est un élément distinct. C’est lors de l’enquête qu’on procède à une analyse rétrospective générale pour étudier ce qui nous a menés à invoquer cette loi. L’enquête consiste à passer au peigne fin — du moins, c’est ce qu’il me semble — les mesures prises par tous les ordres de gouvernement, ce qui comprend les instances de police, afin, je l’espère, de trouver les causes à l’origine et au cœur de ce mouvement qui s’est propagé comme une gangrène, comme je l’ai dit, et a déclenché une flambée d’activités illégales au Canada.
Sénateur Gold, d’abord, je veux vous remercier d’avoir réussi à organiser rapidement la rencontre informelle d’hier soir avec les ministres. Elle a été utile, et c’est une question qui a été mentionnée. Le ministre Lametti, ou peut-être était-ce le ministre Mendicino — je ne me souviens pas exactement —, a parlé du fondement de la loi et de son maintien pendant une situation de crise. Le ministre en question a affirmé que la situation d’urgence devait se poursuivre pour que le recours à la loi soit maintenu. Il revient au gouvernement de déterminer si la situation d’urgence continue d’exister. Je soupçonne que c’est la raison pour laquelle on continue d’employer cette expression et que nous avons des rapports de différentes personnes toutes les heures. L’emploi de ces termes nous donne l’assurance que la situation d’urgence existe toujours. Autrement, le gouvernement devrait conclure qu’il n’existe plus de situation d’urgence et que, par conséquent, le recours à la loi n’est plus nécessaire.
Dieu merci, il n’y a pas eu de morts. Pendant toute la situation d’urgence — tous les événements qui ont eu lieu —, personne n’a été tué. En fait, je n’ai pas entendu dire que quelqu’un se serait retrouvé à l’hôpital. Une femme a été renversée par un cheval, aurait peut-être été blessée et se serait peut-être rendue à l’hôpital. C’est incroyable — et même remarquable —, et cela en dit long sur la civilité des Canadiens, même lorsqu’ils expriment leur colère, et sur le professionnalisme des forces policières. À l’heure actuelle, il n’y a pas de barrages. Quelle situation de crise en ce moment convainc le gouvernement d’heure en heure que l’application de la loi est toujours justifiée? Je ne parle pas de justifier l’invocation de la loi. Nous sommes nombreux à comprendre. Je crois qu’une mince majorité de Canadiens appuyaient l’invocation de la loi, selon les sondages.
Cependant, quelle situation de crise existe présentement, outre une urgence secrète dont vous ne pouvez parler à personne et que même le comité de surveillance que nous formerons ne pourra pas connaître?
Tout d’abord, merci de souligner les efforts que nous avons faits pour mettre les ministres à la disposition des sénateurs. Je vous en remercie et j’espère que cela leur a été utile.
La Loi sur les mesures d’urgence est valide sur le plan constitutionnel en vertu de l’article sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement qui est inscrit dans la Constitution et dans l’important arrêt — et il y en a eu beaucoup d’autres par la suite — selon lequel des mesures temporaires peuvent être autorisées à la seule condition que la nation dans son ensemble soit en situation d’urgence. Comme vous le soulignez à juste titre, cette disposition est au cœur du fondement de cette loi.
Je vous épargnerai, ainsi qu’à la Chambre, le jargon juridique. J’ai été tenté de dire que nous débattons de l’article 58 pour confirmer — par un oui ou par un non — si, le 14 février, le gouvernement avait des motifs raisonnables de croire que nous étions en situation d’urgence. Je me suis déjà prononcé sur le sujet, et je ne m’appesantirai donc pas sur ce point.
Je comprends que sept jours plus tard, les gens se posent des questions différentes. De même, chers collègues, je n’ai pas insisté et n’insisterai pas pour dire qu’il ne s’agit pas de la bonne question, car il existe une procédure en vertu de l’article 59. Si vous pensez que c’est terminé, rassemblez neuf autres sénateurs, présentez votre demande au Président et nous pourrons commencer à travailler là-dessus. Je crois d’ailleurs qu’une telle tentative a été faite à la Chambre des Communes immédiatement après le vote. Ce n’est pas ce que je dis. Je comprends que nous sommes tous Canadiens et que nous voulons tous que cela cesse.
Si je puis me permettre, voici une dernière observation. Je n’interviens pas dans cette enceinte — et ni moi ni le gouvernement ne l’avons fait — pour dire : « Contentez-vous de nous faire confiance, nous savons des choses que vous ignorez. » Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. Nous, les sénateurs, sommes des gens réfléchis. Nous avons différents points de vue. Je respecte le droit des gens de croire que l’objectif le plus important au pays consiste à faire tomber le gouvernement. Chacun a droit à son opinion, et je me suis toujours employé à répondre aux questions avec respect même si je suis parfois irrité.
Le Parlement débat actuellement d’un important enjeu. Nous, sénateurs, sommes des gens réfléchis, bien informés et avertis. Vous conclurez peut-être que j’ai dit que certaines catégories d’information qui n’ont jamais été rendues publiques ne pourront jamais l’être, indépendamment de la Loi sur les mesures d’urgence. Une telle déclaration peut être considérée comme inappropriée, mais je la maintiens. J’ai bon espoir qu’ensemble et sans égard à nos différences, nous, sénateurs, pouvons comprendre certains des fondements d’une société libre et démocratique et les éléments nécessaires pour en protéger l’intégrité.
En réponse à votre question, je dirai que, à la lumière des avis de divers services et chefs de police, d’organismes d’application de la loi et de nombreux commentateurs universitaires — et ces opinions ne sont pas secrètes, mais de notoriété publique —, le gouvernement continue de croire que le travail n’est pas fini. Les autorités compétentes estiment qu’il faut attendre encore pour s’assurer qu’il n’y a pas de reprise brusque et dangereuse des manifestations, qu’il s’agisse de barrages de ponts ou de points d’entrée ou d’occupation de villes. Par surcroît, ce n’est un secret pour personne que des manifestants qui sont restés à proximité d’Ottawa et ailleurs au pays ont exprimé le souhait, si ce n’est l’intention, de poursuivre leurs manifestations illégales s’ils le peuvent.
Bref, des données probantes indiquent que la menace est toujours présente.
Le gouvernement réévalue constamment la situation. Néanmoins, à l’instar d’autres ministres du gouvernement, j’ai déclaré qu’une fois que les critères d’application de la loi ne seront plus satisfaits, le gouvernement révoquera la proclamation de l’état d’urgence.
Les forces policières continuent leur opération de protection autour de la Cité parlementaire pour empêcher le retour des camions et pour consolider les gains qu’elles ont faits la fin de semaine dernière. Elles sont toujours d’avis qu’elles ont besoin des outils pour empêcher que des mineurs soient présents et se retrouvent dans des situations dangereuses. Elles ont toujours besoin des outils pour réquisitionner des services de remorquage. Elles ont toujours besoin des mesures économiques qui visent à limiter le soutien financier à ces barrages illégaux. Elles continuent de jouer un rôle important.
Comme je l’ai dit il y a un instant, le fait qu’un bon nombre de participants au barrage se soient rassemblés dans des lieux tout près de l’autoroute et qu’ils promettent de revenir est du domaine public. Il est toujours nécessaire de protéger les postes frontaliers et d’autres infrastructures essentielles. Cette information n’est pas secrète. Il y a des lettres de l’Association canadienne des chefs de police et de l’Association canadienne des policiers. Ce sont évidemment des mesures à court terme.
Comme je l’ai dit en répondant à des questions de la sénatrice Coyle et d’autres collègues, il ne fait aucun doute que tous les ordres de gouvernement réévaluent les mesures qu’ils prennent sur le terrain. Nous espérons que le Service de police d’Ottawa examine la façon dont il a réagi. Le gouvernement fédéral et les provinces revoient leurs outils et envisagent l’adoption de nouvelles mesures législatives pour mieux gérer la situation.
Pour le moment, le gouvernement et les forces policières, qui sont en communication constante, sont d’avis que ces mesures d’urgence demeurent nécessaires. Toutefois, lorsque les forces policières et les professionnels de la sécurité ne seront plus de cet avis, le gouvernement sera très heureux de mettre fin au recours à cette loi.
Monsieur le leader, j’aimerais poser une question et peut-être obtenir un engagement de votre part en ce qui concerne le comité d’examen. Comme vous l’avez dit, il s’agit d’une obligation légale. Beaucoup de sénateurs savent que les comités prescrits par la loi ne sont pas toujours formés. Par exemple, le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir n’a pas été reconstitué depuis de nombreux mois.
Vous avez indiqué que votre homologue de la Chambre des communes a participé à des discussions. Je ne pense pas que nous en ayons tenues. Vous n’avez pas participé à des discussions — du moins, pas à ma connaissance. Vous avez du travail à faire. Je présume que cela se fera immédiatement lorsque la décision aura été prise, si nous décidons de poursuivre dans cette voie.
Je me demande si, chaque jour de séance après le vote où le comité mixte n’est pas formé, vous vous engageriez à prendre la parole et à expliquer pourquoi il n’est pas formé, et ce, jusqu’à ce qu’il le soit.
Je vous remercie de votre question.
Comme je l’ai dit plus tôt, honorable sénateur, je vais être bref, et nous prendrons tous une pause dans cinq minutes, ce qui est nécessaire.
C’est important. C’est un comité important. Comme je l’ai dit, je tiens régulièrement des discussions avec le leader du gouvernement à la Chambre pour comprendre la position du gouvernement dans ce dossier. Je demanderai sans doute le consentement du Sénat, car notre Règlement ne me permet pas de le faire autrement. Si telle est la volonté du Sénat, je serai certainement heureux, avec son consentement, de présenter un rapport. C’est avec plaisir que je ferai rapport sur la situation. Comme je l’ai dit, cela nécessitera le consentement du Sénat, car l’affaire est close une fois que je me rassois.
Sénateur Gold, je m’inquiète du précédent créé par le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Comme vous l’avez mentionné tout à l’heure, on ignore ce que les futurs gouvernements pourraient faire s’ils ont l’impression qu’il y a une urgence nationale.
Comment les seuils de sécurité actuels seront-ils mis à jour et clarifiés pour garantir que les futurs gouvernements utilisent judicieusement la Loi sur les mesures d’urgence?
Merci de votre importante question. Je sais qu’elle préoccupe bien des gens, quelle que soit la cause ou l’idéologie à laquelle ils s’identifient.
La Loi sur les mesures d’urgence a été adoptée en 1988. Beaucoup ont mentionné, comme je l’ai fait dans mon discours, que la loi a été adoptée après que la Charte a été proclamée et adoptée en réponse au recours à la Loi sur les mesures de guerre et à certains abus qui avaient été commis. Les abus en question ont été commis non seulement dans ma province, mais aussi à Vancouver et ailleurs, où des journalistes et d’autres personnes se sont fait arrêter et ont vu leurs libertés civiles être complètement suspendues.
Selon moi, les Canadiens devraient être fiers du travail accompli par le gouvernement Mulroney en 1988 en vue de mettre en place une mesure temporaire beaucoup plus ciblée et limitée qui ne vise pas à écarter l’application de la Charte et qui fournit le type de responsabilité démocratique que j’ai tenté de souligner.
La loi peut-elle être modifiée et améliorée? Certainement. Les honorables sénateurs qui étaient ici lorsque nous avons débattu du projet de loi C-59, la Loi sur la défense nationale — que j’ai eu le privilège de parrainer —, savent que des mesures instaurées dans les années 1970 et 1980 avaient besoin d’être mises à jour. Il existe plusieurs raisons pour mettre à jour une mesure, ne serait-ce que pour refléter l’évolution de la technologie, de la société et du monde en général. C’est ce que nous avons fait au sujet du projet de loi C-59, et c’est ce que nous pourrions bien devoir faire au sujet de la Loi sur les mesures d’urgence.
Au risque de paraître légaliste, je répète que nous sommes ici aujourd’hui pour décider si nous confirmons la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Nous aurons le temps, que ce soit dans le cadre de l’enquête ou de toute initiative que le Sénat pourrait entreprendre, d’examiner plus à fond le libellé de cette loi afin de déterminer comment l’améliorer.
Sénateur Gold, dans votre discours, vous avez dit que cette activité était planifiée depuis des semaines. En réponse à la sénatrice Marshall, vous avez dit qu’il est faux de supposer que le gouvernement n’était pas au courant des menaces.
Si le gouvernement était au courant des menaces, et que les Canadiens se fient à leur gouvernement pour assurer leur sécurité, pourquoi est-ce que rien n’a été fait lorsque les manifestants ont envahi les rues? Est-ce que la moindre mesure a été prise pour désamorcer la situation? Est-ce que des discussions ont eu lieu?
Je comprends votre question. Je tiens à être clair quant à ce que j’ai dit et ce que je n’ai pas dit. Encore une fois, il est possible de consulter le hansard.
Je n’ai pas dit à la sénatrice Marshall que rien n’avait été fait. Quoi que j’aie dit à la sénatrice, je vais vous répondre. Le gouvernement connaissait, et les services de sécurité aussi sans aucun doute, les menaces que posait le convoi une fois mobilisé et en route. Le gouvernement fédéral, à ce moment, communiquait avec les provinces, les villes et les services de police afin de leur transmettre des renseignements.
La Loi sur les mesures d’urgence conférait des pouvoirs supplémentaires aux services de police et a permis la coordination rapide de corps de police, que ce soit les services de police municipaux ou provinciaux ou la GRC, sans oublier ceux venus d’autres régions. La loi leur a permis de se mobiliser et de collaborer sans qu’il soit nécessaire d’assermenter chaque agent. Voilà les outils que le gouvernement fédéral a pu utiliser en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence, en plus des mesures visant à définir et à boucler certaines zones. Sans la loi, il n’en aurait pas eu le pouvoir.
Il y aurait eu un tollé de protestations dans cette enceinte et à l’échelle du pays si — aussitôt après avoir appris que des extrémistes tentaient de mettre sur pied un convoi, de le financer et de mobiliser la population dans le but de bloquer des ponts ou des points d’entrée, ou encore d’occuper une ville — le gouvernement fédéral avait dit : « Oh, mon Dieu, on sait ce qui se prépare, alors on va prendre le contrôle de la police municipale d’Ottawa. On va prendre le contrôle des pouvoirs provinciaux de l’Ontario, car les autoroutes relèvent de la compétence provinciale », etc. C’est impensable dans un pays ayant une fédération comme le Canada.
Sans vouloir vous manquer de respect, si vous vous demandez pourquoi le gouvernement n’a pas agi, c’est la mauvaise question à se poser. Le gouvernement était limité dans ses pouvoirs décisionnels. Il se retrouvait devant une responsabilité énorme et cruciale, et il s’est acquitté de cette responsabilité en collaborant avec tous les autres ordres de gouvernement, les autorités policières et les forces de l’ordre, qui doivent conserver leur indépendance à l’égard de la gouvernance fédérale. Il est malheureux et regrettable que, malgré tous les efforts déployés, la situation ait évolué au point que l’on ait besoin de recourir aux mesures d’urgence.
Honorables sénateurs, il est midi. Conformément à l’ordre adopté le lundi 21 février 2022, je suis tenue de quitter le fauteuil pour que le Sénat fasse une pause.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement, le sénateur Gold. Ce matin, vous avez dit que si des gens sont préoccupés parce que leurs comptes bancaires ont été gelés ou qu’ils subissent d’autres conséquences financières, ils peuvent s’adresser à leur banque, à d’autres organismes ou même à la police pour régler la situation. À ma connaissance, la loi dit pourtant explicitement que les institutions financières bénéficient d’une immunité dans ce contexte.
Vous avez raison, sénatrice, c’est dans les règlements. Si ma mémoire est bonne, l’article 7 du règlement 2 protège les banques contre les poursuites civiles si elles agissent de bonne foi. Ce que vous dites est donc exact. C’est nécessaire si nous voulons que les banques fassent ce qu’on leur demande, c’est-à-dire surveiller certaines activités et en faire rapport.
Cela dit, comme le précise la déclaration de la GRC, celle-ci continue de discuter avec les institutions financières afin de trouver une solution juste et équitable pour les personnes dont le compte a été gelé, mais qui ne prennent plus part à aucune activité illégale.
Je crois avoir aussi dit tout à l’heure que, si jamais la solution proposée est insatisfaisante — bien que je ne voie pas pourquoi elle le serait —, les clients des banques pourront s’adresser à l’Agence de la consommation en matière financière du Canada.
Même s’il est vrai, sénatrice, qu’une telle immunité est prévue à l’article 7 des règlements temporaires, il est toujours possible de s’adresser aux tribunaux, soit pour contester la constitutionnalité de la loi, soit pour savoir si les règlements eux-mêmes étaient dûment autorisés par la loi, soit pour porter à leur attention d’éventuelles violations à la Charte.
Je crois que c’est la réponse la plus complète que je peux vous donner pour le moment.
Les solutions que vous suggérez présupposent l’accès à des ressources, ce qui est un problème si ces ressources sont gelées ou inaccessibles.
Je suis également préoccupée par le fait que les banques, pour tenter de se conformer à la loi, qui est à la fois extraordinaire et pas encore détaillée parce que nous devons tirer des leçons de l’expérience, vont devoir surréagir pour se protéger en évitant d’être perçues comme exemptant quelqu’un de cette loi ou ne prenant pas des mesures assez sévères. Nous avons vu dans de nombreux autres cas que les gens surcompensent lorsque la loi n’est pas claire. Quelle stratégie est prévue pour combattre cela?
Merci de votre question. Je ne pense pas qu’il y ait de preuve ou de raison de croire que les banques vont réagir de manière excessive. Le texte de la loi est relativement clair. Les banques ont l’obligation d’examiner en permanence les activités de leurs clients qui pourraient être impliqués dans ces activités illégales. Depuis au moins dix ans, elles surveillent leurs comptes pour s’assurer qu’il n’y a pas de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.
Il n’y a rien dans la loi qui semble exposer les banques à une responsabilité ou à des poursuites qui les amèneraient à réagir de manière excessive. Au contraire, les banques gagnent de l’argent parce qu’elles ont des clients qui ont des comptes. Je pense qu’il est dans l’intérêt des banques et de leurs clients de résoudre ces questions à l’amiable afin que les banques puissent continuer à fournir aux Canadiens le service auquel ils ont droit en vertu de la Loi sur les banques si elles se conforment par ailleurs à l’exégèse de la Loi sur les banques et des règlements.
Honorables sénateurs, j’ai une question qui porte sur les jeunes.
Selon le Règlement sur les mesures d’urgence, un enfant âgé de moins de 18 ans ne peut pas se trouver dans la zone où se tient un rassemblement illégal ou à moins de 500 mètres, soit un demi-kilomètre, de cette zone. Pourquoi avoir décidé d’étendre la zone interdite sur un rayon de 500 mètres, soit un demi-kilomètre, au centre-ville d’Ottawa, au risque que l’interdiction vise aussi des enfants qui s’en vont tout simplement au parc? Pourquoi ne pas se limiter à la zone où se tient un rassemblement illégal? Cette zone est déjà très vaste, surtout pour un secteur urbain.
Honorables sénateurs, c’est une question légitime à laquelle je vais répondre. Avant cela, je rappelle aux sénateurs que, pendant trois semaines, les résidants d’Ottawa avec des enfants ont été carrément apeurés et terrorisés à l’idée de quitter leur résidence. Cela a été dit publiquement.
En ce qui concerne votre question, je crois que nous convenons tous qu’on devrait faire tout ce qu’on peut pour mettre les enfants d’âge mineur hors de danger, surtout quand on sait que, lorsque ce règlement a été mis en place, il y avait une foule immense et un grand nombre d’enfants dans la zone qui est maintenant considérée comme interdite.
La Loi sur les mesures d’urgence a été invoquée pour de nombreuses raisons, notamment pour mieux coordonner, cibler et planifier les opérations policières de manière à procéder par étapes, en commençant par des avertissements pour ensuite prendre des mesures afin d’éliminer les barrages. Par conséquent, il est d’autant plus important que des mineurs ne se trouvent pas à proximité, et surtout, qu’ils soient à l’abri du danger. On a donc jugé bon — et le gouvernement est encore de cet avis — d’établir une sorte de cordon sanitaire incluant les zones interdites et les environs pour indiquer clairement aux gens qui seraient tentés d’entrer dans cette zone qu’ils ne devraient pas le faire.
Un sénateur a posé une question à ce sujet plus tôt aujourd’hui. Oui, toutes ces mesures présentent des inconvénients pour les résidants, tout comme il est quelque peu gênant d’avoir à prouver notre identité quand nous entrons au Sénat. Mais c’est un bien léger désagrément par rapport au risque que des enfants puissent s’approcher d’une zone de l’autre côté des clôtures, de l’autre côté de la police montée, de l’autre côté des policiers munis des outils dont ils disposent actuellement. Je pense donc que c’est pour la sécurité des enfants que les mesures ont été prévues comme vous les avez décrites.
Merci, sénateur Gold. Ma prochaine question concerne également les mineurs, mais, dans ce cas-ci, ceux qui sont un peu plus âgés. Je parle des enfants plus âgés qui veulent parfois faire des choses de leur propre gré, que leurs parents le sachent ou non. Pourquoi imposerions-nous une pénalité à un adulte pour la présence d’un mineur mature? Pourquoi cela n’est-il pas à l’image de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, par laquelle les jeunes de 12 à 18 ans peuvent être condamnés et se voir imposer des pénalités comme des adultes? Nous savons tous que des jeunes de la région ont participé à ces manifestations. Ils ne se trouvaient pas là avec leurs parents dans un camion ou dans un autre véhicule qui venait d’ailleurs. Merci.
Madame la sénatrice, la meilleure réponse que je puisse fournir, c’est que dans une situation d’urgence de ce genre qui comporte autant de facteurs inconnus, la loi doit établir une limite bien définie qui ne laisse place à aucune interprétation, pour les parents, les enfants ou les jeunes quant au fait qu’ils sont matures ou non. On établit la limite comme on le fait si souvent en droit. Il devient donc facile de déterminer si une personne se trouve d’un côté ou de l’autre de cette limite.
Ce que l’on a vu à Ottawa, mis à part certains jeunes Ottaviens qui ont voulu participer aux événements, c’est l’instrumentalisation des enfants, si je peux me permettre d’être aussi direct. On s’est servi de ces enfants comme instruments. J’irais même jusqu’à dire que certains, consciemment ou non, ont mis leurs enfants dans des positions leur faisant jouer un rôle équivalant à un bouclier humain, afin de décourager, de dissuader ou de ralentir les interventions policières pour lesquelles on les avait prévenus à maintes reprises.
Pour toutes ces raisons, la mesure est raisonnable, quoique directe. La loi s’avère parfois directe elle aussi et elle doit faire la distinction entre les âges. Espérons que tout cela se termine bientôt.
Sénateur Gold, ma question porte sur la stratégie. Lors des phases de planification initiales, dans quelle mesure les banques ont-elles été consultées? Ont-elles exprimé des préoccupations quant à la perception du public concernant leur indépendance?
Je sais que bon nombre de Canadiens s’attendent à ce que leurs institutions financières soient indépendantes et ne soient pas mêlées à des interventions du gouvernement, comme c’est le cas des forces de l’ordre. Je comprends que ce sont des mesures d’urgence, ciblées et temporaires. Elles sont toutefois sans précédent.
Merci de votre question. On m’a dit que des conversations ont eu lieu et que des engagements ont été pris avec certaines banques au cours du processus, mais je n’ai pas plus de détails, sénateur Loffreda. Je ne veux donc pas parler sans connaissance de cause.
Je me contenterai de dire — évidemment, je m’adresse à quelqu’un qui possède autant d’expérience dans le domaine bancaire que la grande majorité d’entre nous dans cette enceinte, à quelques rares exceptions près — que les banques, dans ces circonstances particulières où elles doivent assumer la responsabilité additionnelle d’examiner et de communiquer des informations, ont les capacités et la volonté d’assumer cette responsabilité, et de contribuer ainsi aux efforts déployés pour que des fonds illégaux ne servent pas à financer des activités illégales.
Merci de votre réponse. Nous convenons tous que des fonds illégaux ne doivent pas servir à financer des activités illégales.
Ma question complémentaire porte sur la stratégie de sortie, qui a fait l’objet de discussions approfondies. Sénateur Gold, je serais évidemment très heureux si vous pouviez nous tenir au courant de l’évolution du dossier. Je me réjouis également que l’application des mesures d’urgence fasse l’objet d’un examen parlementaire et d’une enquête. Merci.
Merci de votre question. Je n’ai rien de nouveau à signaler. Les conversations entre le gouvernement, les forces de l’ordre et les autres parties concernées se poursuivent. Nous avons peur que la crise ne soit pas réglée, qu’il y ait des gens qui prévoient réoccuper la ville et commettre d’autres actes illégaux. Nous ne savons pas si ces craintes se concrétiseront. Espérons que non.
Lorsque le gouvernement estimera que l’urgence est passée, nous serons évidemment les premiers, ou parmi les premiers, à en être informés. C’est tout ce que je suis en mesure de dire pour l’instant.
Monsieur le leader, je veux d’abord vous remercier de votre discours très complet. Je sais que bon nombre d’entre nous le liront à maintes reprises. Je vous remercie aussi d’avoir répondu à toutes nos questions.
Sénateur Gold, ma question est très différente de toutes celles qui vous ont été posées. Nous avons beaucoup parlé de l’état actuel des choses au Canada. Nous avons parlé de manifestations, de barrages et de perturbations commerciales. Je suis certaine que tous les sénateurs conviennent que ce qui se passe actuellement au pays est fort inquiétant.
Monsieur le leader, dans le cadre de notre débat sur l’état actuel des choses et l’orientation à prendre, je pense que nous devons aussi, surtout lors de l’enquête, nous pencher plus attentivement sur les raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans cette situation. Quand vous avez parlé de l’enquête publique et même plus tôt, vous avez dit que l’enquête permettra de dresser un bilan de la situation.
Ma question est donc la suivante : est-ce que cette enquête examinera non seulement les raisons pour lesquelles cette loi a été invoquée, mais aussi ce qui a mené à cette situation? Plus précisément, est-ce qu’elle examinera comment les causes profondes à la base de ces occupations massives observées partout au pays ont contribué à la création de cette situation? Merci, monsieur le leader.
Je vous remercie de votre question et de vos bons mots. L’enquête envisagée à l’article 63 a un mandat, si je peux l’appeler ainsi, plutôt bref et circonspect. Je vais le lire pour mettre en contexte mon explication. Ce qui est envisagé, c’est « [...] une enquête sur les circonstances qui ont donné lieu à la déclaration et les mesures prises pour faire face à la crise ».
Comme je l’ai dit plus tôt, à l’instar des comités du Sénat et de l’autre endroit, les responsables de l’enquête disposent d’une grande latitude, balisée par le mandat qui leur est confié, pour déterminer sur quelles questions ils désirent se pencher, quels témoins ils souhaitent citer à comparaître, et quels faits ils souhaitent examiner plus en profondeur.
Si je lis la loi en toute impartialité, je suis convaincu que la description de ce qui est attendu de l’enquête est amplement vaste pour étendre l’examen au-delà des événements des trois dernières semaines et de ce qui se tramait sous la surface, pour inclure les questions sociales, politiques, démographiques et culturelles plus générales qui, je crois, sous-tendent une bonne partie de nos préoccupations.
Les gens sont aux prises avec un problème. Ils sont confrontés à des problèmes qui n’ont rien à voir avec la manifestation, qui concernent le sentiment de ne pas avoir accès aux bonnes choses de la vie, de subir les impacts de la mondialisation. Je dois m’arrêter, parce que l’enseignant en moi pourrait parler pendant des heures. Disons simplement que l’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les événements. Si les commissaires ou les personnes qui seront appelées à mener l’enquête considèrent qu’il est pertinent de chercher les causes sociales sous-jacentes, rien dans la loi ne les empêchera de le faire. Je crois que cela nous serait très utile.
Sénateur Gold, en tant que personne d’origine africaine et en tant que musulmane, je m’inquiète toujours beaucoup de voir de nouveaux pouvoirs être accordés aux policiers. C’est en raison de mon expérience personnelle. En 2001, j’étais ici lorsque la Loi antiterroriste a été adoptée. Les gens de ma communauté souffrent encore des effets de la loi que nous avons adoptée en 2001.
Ce que je voudrais savoir, c’est si on a pensé aux Afro-Canadiens, aux Autochtones et aux personnes de couleur pour s’assurer qu’ils ne sont pas ciblés davantage que le reste de la population par les policiers dans l’application des mesures dont nous parlons. Je sais que beaucoup d’entre eux n’étaient pas directement impliqués, mais je peux vous dire que beaucoup de gens dans la collectivité m’ont dit que ce sont des pouvoirs supplémentaires qui seront susceptibles d’être utilisés contre eux.
Vous êtes-vous entretenu avec des ministres ou le premier ministre à ce sujet? Merci.
Bien que je ne puisse divulguer la teneur de ces entretiens, permettez-moi de dire ceci : du moins, d’après ce que nous avons observé sur le terrain à Ottawa et ailleurs, rien ne prouve que les personnes de couleur, les musulmans ou d’autres groupes vulnérables ou marginalisés ont fait l’objet de zèle de la part de la police. Au contraire, ces personnes, comme celles que vous avez décrites ici à Ottawa, ont bénéficié de l’intervention de la police et bénéficient du fait que certaines des agressions dont elles ont été victimes — verbales, physiques et autres — n’ont plus lieu.
Encore une fois, il s’agit de mesures temporaires prises dans des circonstances extraordinaires. Ce ne sont pas des pouvoirs qui vont durer une minute de plus que ce qu’exige la situation d’urgence.
Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Cette question porte spécifiquement sur l’occupation illégale d’Ottawa. Disons-le franchement, le chef de police de la ville d’Ottawa, Peter Sloly, a dû démissionner à cause de cette occupation illégale. Par conséquent, pouvez-vous nous dire si le gouvernement du Canada sait si le Service de police d’Ottawa a été compromis ou si on a tenté de le compromettre?
Merci de votre question, sénateur. Je n’ai absolument aucune information à ce sujet.
J’ai une courte question complémentaire.
Si je comprends bien la Loi sur les mesures d’urgence, si le Sénat adopte cette motion — comme la Chambre des communes l’a fait hier soir —, il y aura une enquête visant à répondre aux cinq questions clés concernant cette occupation illégale : qui, quoi, où, quand, pourquoi et comment. Comme nous le savons, dans notre démocratie, les politiciens et les policiers aiment se surveiller eux‑mêmes. Si cette motion est adoptée, l’enquête va-t-elle réellement permettre d’obtenir des réponses à des questions comme celles que j’ai posées plus tôt? Merci.
Merci de votre question. Je m’attends certainement à ce que l’enquête permette de répondre à toutes les questions pertinentes entourant les circonstances ayant mené à la déclaration de l’urgence d’ordre public, notamment comment les opérations policières se sont déroulées, ici et ailleurs. À ce sujet, je crois que le Sénat devrait avoir confiance que l’enquête sera en mesure de répondre à toutes les préoccupations pertinentes.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, permettez-moi d’abord de vous remercier, ainsi que votre équipe, pour tout le travail accompli pour nous permettre d’en arriver là.
Ma première question porte sur le racisme et le suprémacisme blanc que les médias ont rapporté pendant cette occupation. Pourriez-vous nous dire si des preuves précises confirment ces reportages selon lesquels certains manifestants auraient brandi des drapeaux néonazis et de groupes suprémacistes blancs, et qu’il y aurait aussi eu des menaces verbales et physiques? Y a-t-il des preuves à cet effet?
Je vous remercie de votre question. Comme je crois l’avoir souligné dans mon intervention — et je crois que c’est également indiqué dans la déclaration que le gouvernement a déposée et que j’ai déposée au Sénat — effectivement, mis à part ce que les organismes de sécurité peuvent savoir, on a publiquement rapporté la présence, lors de certaines manifestations, de dirigeants ou de membres de groupes d’extrême droite et de groupes suprémacistes blancs.
Je me permets de faire mention d’un groupe en particulier. On a signalé la présence, à Coutts, de manifestants arborant le symbole du groupe Diagolon et on a noté que certains manifestants présents ici à Ottawa arboraient le même symbole sur leur gilet pare-balles, même après que la police eut amorcé l’opération pour dégager les rues. Comme je l’ai mentionné dans mon intervention, selon une experte du Justice Institute of British Columbia, Candyce Kelshall, il s’agit d’un groupe formé par un ancien membre des Forces armées canadiennes, dont l’objectif avoué est d’inciter à une guerre raciale.
Et ce n’est pas le seul exemple d’utilisation de signes, de symboles et de discours qui illustrent une vision particulière du monde ou une idéologie qui privilégie un groupe de citoyens au détriment des autres en fonction de la race et de la couleur de la peau.
Encore une fois, et je le répète, chers collègues, la position du gouvernement n’est pas que toutes les personnes qui ont participé au convoi, que ce soit dès le début ou à Ottawa, adhèrent à ces points de vue. Ce serait une déformation grotesque non seulement de ma position et de celle du gouvernement, mais aussi de la vérité. Toutefois, il est toujours vrai que quand vous vous tenez dans une foule où certaines personnes portent l’étoile de David et établissent un parallèle entre les exigences de vaccination et l’Holocauste, quand vous vous tenez dans une foule de personnes qui brandissent des drapeaux confédérés, vous offrez un soutien silencieux. C’est peut-être inconscient, peut-être involontaire, mais vous vous tenez néanmoins aux côtés de personnes dont les objectifs peuvent différer grandement des vôtres. Il n’est pas acceptable, dans notre société, de permettre que ce type d’image ou de rhétorique prévale, de garder le silence au sujet des intentions de certains des participants et des principaux leaders de ce convoi.
J’ai une question complémentaire.
Merci, sénateur Gold. En étudiant la motion, en réfléchissant à la position que nous voulons adopter à son égard, nous devons nous demander quel poids accorder à cette idée de soutien silencieux ou à ce cautionnement du racisme et de la violence sous-jacente que cela suppose.
C’est, en réalité, une question très profonde à laquelle il n’est pas facile de répondre.
Nous vivons dans un pays libre. Les gens peuvent croire ce qu’ils veulent bien croire. Les gens croient ce qu’ils veulent croire à propos de mes concitoyens. Dans une société libre et démocratique, ce sont les gestes qui sont posés en fonction des croyances qui comptent.
Ce qui inquiète et préoccupe le gouvernement, les services policiers et toutes les autorités responsables de protéger les Canadiens, c’est le fait que certains des leaders à l’origine du convoi ont mobilisé les gens et mis à profit leurs frustrations très compréhensibles à l’égard de la vie en pandémie et de la vie en général durant une période de grande incertitude, que certains de ces individus émettent publiquement et fièrement leurs opinions sur nos institutions démocratiques et nos concitoyens — qui ne sont peut-être pas de « vrais Canadiens » à leurs yeux —, et que certains des organisateurs et des principaux collecteurs de fonds parlent explicitement des objectifs qu’ils poursuivent. C’est précisément parce que les pouvoirs, les ressources, la volonté et les intentions de ces individus représentent toujours une menace que l’invocation de la loi était nécessaire, tout comme l’est encore le maintien, pour le moment, des mesures adoptées conformément à cette loi.
Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. C’est un peu dans la suite de ce que vous venez de dire. Ma question, d’abord, concernait le système financier et vous y avez répondu. Alors je vais poser la question suivante.
À l’origine de tout cela, il est évident qu’il y a une extrême fatigue par rapport à la lutte contre la COVID-19, qui a incité des gens à manifester, et ces gens ont sûrement été instrumentalisés par des groupes beaucoup plus organisés. Nos débats, pour adopter la déclaration du gouvernement, nous amènent à oublier l’origine de toutes ces protestations et de cette occupation, à Ottawa. Si le Parlement adopte la Loi sur les mesures d’urgence, appuie le gouvernement — pour ne pas mettre de l’huile sur le feu pour de nombreux citoyens, surtout des jeunes qui n’en pouvaient plus de la COVID-19 —, est-ce que le gouvernement fédéral a l’intention de s’arrimer aux provinces, pour avoir un plan de déconfinement, et pour qu’on parle de façon positive plutôt qu’avec des mesures de contrainte, qu’on aille vers un processus de déconfinement cohérent avec celui les provinces?
Il faut le dire, si les provinces semblent mettre fin au passeport vaccinal et que le gouvernement fédéral décide de le conserver à l’échelle internationale et pour les camionneurs, il est bien évident qu’il y aura encore beaucoup de frustration. Avez-vous quelque chose à nous dire là-dessus, monsieur le sénateur Gold?
Merci de cette question. Cela soulève un enjeu important qui nous préoccupe depuis le début de cette pandémie. Il y a régulièrement des conversations, des réunions entre le ministre de la Santé fédéral et ses homologues des provinces et des territoires pour essayer de mieux comprendre les enjeux qui varient de temps en temps dans ce grand pays qui est le nôtre. Chaque province exerce sa propre juridiction et ses propres obligations d’agir comme elle le croit approprié.
Pour sa part, le gouvernement fédéral a aussi ses responsabilités à l’égard des employés, par exemple, sous juridiction fédérale ou, bien sûr, pour nos frontières et ainsi de suite. Je peux aviser cette Chambre que ces conversations concernant la coordination, ou du moins le partage des informations, se poursuivent et ont débuté avant même l’arrivée de cette crise, et qu’elles vont continuer.
Comme on peut le voir, la grande majorité des provinces tentent d’ajuster leurs mesures sanitaires compte tenu de leur lecture de la situation, des besoins de leurs citoyens et des preuves scientifiques sur la transmission de cette vague ou de la prochaine vague qui s’installe. Aussi, au niveau fédéral, les règles changent au fur et à mesure que les circonstances changent. Je peux vous assurer que ces conversations entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires vont se poursuivre afin de mieux gérer cette pandémie et pour donner aux Canadiens et aux Canadiennes un sentiment de cohérence. Dans un État fédéral, il faut accepter qu’il y ait des règles différentes. Par exemple, il existe une série de règles à Gatineau et une autre à Ottawa en ce qui touche les restaurants, les salles de sport et ainsi de suite. C’est tout ce que je peux dire à cet égard.
Ma question s’adresse également au sénateur Gold. D’abord, je voudrais vous remercier de vous prêter à ce marathon de questions depuis plus de trois heures et demie. C’est assez impressionnant. Il y a une question qui me tracasse. Si le gouvernement peut maintenir les mesures d’urgence en ce moment, comme il le fait alors qu’aucune crise n’est visible et qu’il invoque des informations secrètes pour dire que le risque est encore trop grand pour révoquer la loi, sénateur Gold, est-ce que l’on ne crée pas ainsi un précédent dangereux pour l’avenir? Est-ce que cette loi d’exception pourrait être à nouveau invoquée uniquement sur la base d’informations secrètes, ce qui serait évidemment difficile à accepter dans une démocratie?
Merci de cette question. Écoutez, je suis tout à fait d’accord avec vous : si c’était le cas et que le gouvernement — qu’il s’agisse de ce gouvernement ou d’un gouvernement futur — essayait de convaincre les parlementaires et les Canadiens que malgré que tout soit calme, il a beaucoup de renseignements qui font en sorte qu’il faut absolument mettre de côté les juridictions provinciales et municipales, ce serait odieux. Ce n’était pas le cas ici. Nous avons la preuve sur le terrain, en temps réel et dans les faits publics que ce qui se passe et l’intention de ceux et celles qui ont organisé et mobilisé ce convoi ont un impact sur les citoyens et les citoyennes d’Ottawa, sur l’économie canadienne et la sécurité de nos frontières.
Donc, dans la vraie vie, nous ne sommes pas dans une situation où le gouvernement nous demande de lui faire confiance. Ce n’est pas cela du tout. Je le répète, si dans l’avenir, dans une autre situation où il y aurait un gouvernement, peu importe le parti, peu importe l’idéologie ou les raisons invoquées — j’espère que nous, les parlementaires, ici, à l’autre endroit et aussi la société civile, insisterions pour que ce gouvernement fournisse les preuves nécessaires comme ce gouvernement les a fournies dans la déclaration qui a été déposée ici, dans les breffages réguliers, dans la façon de répondre à vos questions, que j’espère adéquate. Ce n’est pas le cas ici et avec beaucoup de respect, il faut essayer au moins de rester et de prendre les décisions sur la situation actuelle, les outils et les mesures dont nous disposons et j’espère, avec respect, pour l’information fournie par le gouvernement pour expliquer et justifier ces mesures extraordinaires.
Je veux être sûre que le sénateur Gold m’a bien comprise. Je parle de la situation actuelle. Maintenant que l’occupation est terminée — et je parle de ce qui a été dit hier en breffage, indiquant que vous avez des informations privilégiées sur les intentions, sur les menaces qui pèsent —, ma question est simple : comment nous, parlementaires, sénateurs, pouvons-nous poser un jugement objectif sur ces menaces dont vous parlez, mais sans les expliciter? Comment pouvons-nous poser un jugement objectif sur le recours encore aujourd’hui à cette Loi sur les mesures d’urgence?
Écoutez, si j’ai mal compris votre question, je m’en excuse. Je comprends très bien. Encore une fois, j’insiste sur un fait. La raison pour laquelle le gouvernement dit que le travail n’est pas terminé ne s’appuie pas sur des secrets qu’on ne peut pas divulguer, dans le sens où il y a toujours un aspect d’information, de renseignements, comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises, qui ne peuvent pas être divulgués. Ce n’est pas cela.
Nous avons aussi les forces policières qui affirment publiquement qu’il faut plus de temps et que le maintien des mesures d’urgence est nécessaire. De plus, il y a des personnes qui étaient impliquées dans les manifestations, ici à Ottawa, et qui se trouvaient dans des camions; ces personnes se sont déplacées à quelques kilomètres d’ici et ont affirmé qu’elles allaient revenir.
Chers collègues, ce serait faire preuve de naïveté de croire que quelqu’un qui est prêt à prendre les armes pour menacer de mort des policiers serait dissuadé de le faire en raison du simple fait que nous sommes en train de rétablir l’ordre dans les rues et aux postes frontaliers.
Nous nous trouvons dans un scénario où les forces policières disent avoir besoin de davantage de temps. Certaines déclarations publiques prouvent que des manifestants ne sont toujours pas retournés chez eux pour vaquer à d’autres occupations. C’est pourquoi le gouvernement juge que, pour le moment, le maintien des mesures d’urgence est nécessaire.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, je tiens moi aussi à vous remercier, vous et votre équipe, d’être si bien préparés à répondre, de garder votre calme et d’écouter les interventions avec respect. Voilà l’exemple d’un comportement dont nous pouvons être fiers, selon moi. J’espère que nous pourrons continuer dans la même voie.
Je souhaite revenir sur une observation que vous avez faite il y a un instant. Vous avez dit que des camions ayant participé à l’occupation se trouvaient toujours à proximité. Ma question porte sur le fait que, dans une certaine mesure, le monde entier a tiré des leçons de l’occupation qu’Ottawa et la Colline du Parlement ont subie pendant plus de 20 jours. D’autres capitales, dont Paris, n’ont pas laissé de tels événements se produire, et ce, grâce aux mesures que les policiers ont pu prendre sans même recourir à une déclaration d’état d’urgence comme celle dont nous discutons.
Selon l’article 59 de la Loi sur les mesures d’urgence, 10 sénateurs et 20 députés peuvent en tout temps présenter une motion demandant l’abrogation d’une déclaration de situation de crise faite en vertu de l’une des quatre parties de la loi. Dans ce cas-ci, il est clair qu’on parle d’une situation prévue par les parties I et II, puisque le gouvernement a déclaré un état d’urgence.
Ma question est la suivante : si une telle motion était présentée — de préférence pas par un caucus politique en particulier — de façon respectueuse et réfléchie, est-ce que cette forme de motion, autorisée par la Loi sur les mesures d’urgence, aurait sa place dans nos échanges et nos discussions avec le gouvernement sur cette décision?
Je vous remercie de cette question importante. Je dois dire que j’ai suivi tout ce que vous avez dit jusqu’à la toute fin, mais je ne suis pas certain d’avoir compris votre dernière phrase. Je vais essayer de vous répondre, mais je vous invite à me le signaler si j’ai mal compris vos propos.
Je vous remercie d’avoir énoncé les différentes dispositions législatives concernées. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet parce que j’en ai déjà parlé.
En vertu de l’article 58 de la Loi sur les mesures d’urgence, nous devons débattre d’une motion tendant à confirmer ou à rejeter la déclaration de situation de crise. Comme je l’ai dit plus tôt, je n’insisterai pas sur le fait que la loi prévoit le recours à d’autres procédures que celle sur laquelle nous nous penchons actuellement.
Toutefois, puisque vous l’avez mentionné — et que c’est quelque chose que les sénateurs doivent savoir, même si je suis sûr que c’est déjà le cas —, je préciserai que même si, comme je l’espère, nous confirmons la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février pour déclarer l’état d’urgence, ce qui est l’objet de notre débat d’aujourd’hui, la loi nous donne des outils pour continuer à contester le maintien de son application, même si les deux Chambres du Parlement ont voté en sa faveur. Cela montre la sagesse avec laquelle cette loi a été rédigée.
Par ailleurs, je sais que de nombreuses personnes qui sont fatiguées — « fatiguées » n’est peut-être pas le bon qualificatif; disons « préoccupées » par le maintien en place des mesures extraordinaires, je crois que c’est plus juste comme vision des choses — souhaitent un retour à la normale dans les meilleurs délais. Or, le gouvernement estime qu’il n’est pas approprié de lever les mesures maintenant et qu’il y a lieu de confirmer la décision qu’il a prise le 14 février. Néanmoins, même si ceux d’entre vous qui souhaitent la levée immédiate des mesures n’ont pas gain de cause lors du vote, ils peuvent recourir à d’autres moyens et doivent le faire s’ils souhaitent que nous, en tant que parlementaires, réexaminions la décision.
J’ajoute, sénatrice, comme vous le savez fort bien, que l’assentiment des deux Chambres du Parlement n’est pas nécessaire à cet égard. Il suffirait simplement de 10 sénateurs — d’un seul groupe ou de tous les groupes, y compris les sénateurs non affiliés — pour déclencher le processus dont nous serions saisis. En faisant abstraction de mon rôle de représentant du gouvernement, je serais ravi et fier, en tant que sénateur et personne qui croit dans les institutions démocratiques, de nous voir, à titre de parlementaires — comprenez-moi bien, je ne vous incite pas à procéder de la sorte —, recourir à tous les outils démocratiques à notre disposition pour nous assurer que les mesures prises par le gouvernement, qu’il s’agisse de celui-ci ou d’un autre, fassent l’objet d’une reddition de comptes.
Pour éviter tout malentendu, je tiens à dire que le gouvernement est d’avis qu’il avait des motifs raisonnables le 14 février et que les mesures sont toujours nécessaires pour le moment. Le gouvernement est également d’avis qu’il faut féliciter l’ancien gouvernement d’avoir mis en place une loi qui comporte autant de freins, de contrepoids et de protections, une loi qui ne supprime pas nos droits et libertés fondamentaux. En tant que Canadien, que sénateur et que représentant du gouvernement, j’en suis fier.
Dans le cadre de ma question, je veux revenir sur un point que j’ai soulevé précédemment, mais permettez-moi de poser une question très ciblée. Avons-nous besoin de ces mesures extrêmes maintenant?
Permettez-moi de vous raconter une anecdote : j’étais à Ottawa pendant les premiers jours de l’occupation. J’ai essayé de me rendre à mon bureau à 22 heures et j’ai fini par être prise dans la boucle du convoi. Cela a causé beaucoup de difficultés. Je suis très reconnaissante au Service de protection parlementaire, notre service de sécurité au Sénat, de leur aide ce soir-là.
À ce moment-là, c’est-à-dire au début de l’occupation, les camions étaient incapables d’accéder à la Colline du Parlement. La police les avait bloqués et arrêtés. Les conducteurs ont réussi à créer énormément de perturbations. Ils ont klaxonné sans arrêt, jour et nuit, et des manifestants ont pu s’approcher. Nous savons que certains d’entre eux ont fait preuve de comportements racistes, antisémites et sexistes aussi horribles que hideux. Toutes les formes de discrimination étaient étalées. Cependant, les camions étaient incapables d’accéder à la Colline du Parlement à ce stade précoce, et c’était le 29 janvier. Je dois donc revenir à ma question : avons-nous besoin de ces mesures extrêmes maintenant?
Merci. Il ne fait aucun doute que la situation sur le terrain à Ottawa a changé. Heureusement, elle s’est améliorée. Toutefois, comme je l’ai dit à maintes reprises, et je le répète, le gouvernement est d’avis que le travail n’est pas terminé. Qu’est-ce que cela signifie? Les enquêtes ne sont pas terminées. Beaucoup d’informations ont été recueillies, comme des numéros de plaque d’immatriculation et le nom de personnes qui étaient présentes à Ottawa. Les enquêtes se poursuivront, notamment celles portant sur les personnes qui n’ont pas quitté les lieux après que la manifestation a été déclarée illégale.
En outre, il y a lieu de craindre que certains des organisateurs soient toujours animés de l’intention — s’ils n’en ont pas l’intention, ils en ont certainement le désir — d’occuper de nouveau Ottawa ou un autre endroit et de bloquer de nouveau des ponts ou des points d’entrée. C’est pourquoi ceux en qui nous avons eu confiance pour remettre de l’ordre dans les rues et les quartiers d’Ottawa, et qui l’ont fait de manière admirable avec le plus de retenue possible, nous prient de leur accorder un peu plus de temps pour terminer le travail.
L’important, madame la sénatrice, c’est que la loi a été invoquée. Néanmoins, le gouvernement est d’avis que, tant que la loi sera appliquée, seules les mesures nécessaires seront utilisées, et ce, de manière proportionnelle là où elles sont nécessaires et dans la mesure où elles sont nécessaires, en tenant compte des droits constitutionnels. C’est un fait.
Le fait que la police n’utilise pas ses pouvoirs extraordinaires ou qu’elle n’en abuse pas, devrais-je dire, maintenant que les rues sont calmes, illustre bien que la loi est appliquée de manière précise, proportionnelle et équitable.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse également au leader du gouvernement au Sénat.
Selon ce que vous dites, sénateur Gold, le SCRS a indiqué que les manifestations et l’occupation avaient subi de l’ingérence de l’étranger. Pourriez-vous nous dire de qui il s’agit et ce que le gouvernement entend faire pour remédier à la situation?
Je vous remercie. Sans vouloir vous manquer de respect, monsieur le sénateur, ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. Jamais je n’irais dévoiler d’information provenant du SCRS. Même si je le voulais, je ne le pourrais pas. Je parlais plutôt du rapport annuel de l’organisme, qui déplore année après année qu’on fasse fi de la montée de l’extrémisme de droite au Canada. Si ma mémoire est bonne, on trouve la même information dans le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Si on se fie à certaines données auxquelles je n’ai pas accès personnellement, même si je suis membre du Conseil privé, le danger posé par les groupes extrémistes de droite est tel — il serait même supérieur aux autres formes de terrorisme et d’extrémisme qui dominent l’espace public et qui ont hélas donné lieu à certains gestes regrettables — que le SCRS a décidé de les placer tout en haut de sa liste de priorités.
C’est ce que je disais, monsieur le sénateur. Que les services de sécurité du pays aient l’extrémisme de droite à l’œil est du domaine public. Nous avons aussi la preuve qu’une partie du financement provient de l’étranger. Le SCRS a affirmé publiquement que les groupes extrémistes ont su tirer parti de la lassitude causée par la COVID-19 pour mobiliser la population à leurs fins.
Sénateur Gold, hier soir, j’ai écouté des chaînes d’information de la télévision américaine. Certaines d’entre elles ont mentionné que le Canada est soumis à une influence étrangère. Vous devriez peut-être en parler au gouvernement.
Merci de l’invitation, je vais certainement faire part de vos préoccupations au gouvernement.
Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien sûr.
Au début de vos observations, vous avez parlé d’un profond sentiment de responsabilité que nous avons ici et de la nécessité d’un examen parlementaire rigoureux. Je suis d’accord avec vous sur ces deux points. En fait, c’est inclus dans la loi. Vous avez aussi dit — c’était au tout début de votre discours — que nous sommes appelés à nous rallier à nos collègues élus. Vous vous souviendrez l’avoir dit.
Il est beaucoup question au Sénat de la Chambre élue, de ce qu’elle a fait et du vaste appui qu’elle a obtenu pour cette motion. Bien honnêtement, je vois cette façon de parler — et je suis loin d’être le seul — comme un code pour dire qu’il faut se soumettre à la volonté de nos collègues élus. En fait, à mon avis, cette approche est utilisée lorsque l’argumentation est faible.
Nous sommes une Chambre indépendante. En fait, la loi prévoit que nous agissions de façon indépendante par rapport à l’autre endroit. Nous ne sommes pas en train de faire une étude préalable. La Chambre ne nous a pas renvoyé un projet de loi auquel nous devrions consentir pour respecter ce qu’elle pourrait vouloir.
Pourriez-vous me dire ce que vous pensez — et je ne veux pas blâmer le rédacteur de votre discours — de la nécessité pour le Sénat de fonctionner de façon indépendante par rapport à la décision que l’autre endroit aurait prise sur cette question, qui n’est pas un projet de loi? Nous débattons d’une motion résultant d’une décision majeure du gouvernement.
Si j’avais un rédacteur de discours, je le ferais — mais, non. Merci. C’est une question importante. Que ce soit bien clair : je m’exprimais de façon à décrire la situation et à présenter les faits, parce que notre débat a commencé — et nous avions tous espéré que le débat commence plus tôt, honnêtement, mais nous n’avons pas pu revenir ici comme prévu en raison des opérations policières.
Nous sommes une Chambre indépendante, point final, sur tous les plans. En ce qui concerne la Loi sur les mesures d’urgence, c’est tout à fait clair, et il est bon que nous nous prononcions de manière indépendante. Nous n’avions pas besoin d’attendre après la décision de l’autre endroit pour nous prononcer. Ce n’était pas notre intention. Nous n’avions aucun contrôle sur les travaux de l’autre endroit. Si le Sénat avait siégé pendant l’ajournement de la Chambre des communes, nous aurions possiblement commencé et même terminé notre débat avant eux.
Cependant, un fait demeure. Quand notre débat a commencé aujourd’hui, l’autre endroit avait pris sa décision. J’exprimais au Sénat que l’autre endroit s’était prononcé; pas seulement le parti au pouvoir, mais aussi l’un des partis de l’opposition, comme l’avait fait l’ancien chef Ed Broadbent.
Chers collègues, je tiens à ce que vous sachiez, comme vous le savez probablement déjà, tout le respect que j’ai pour cette institution indépendante et complémentaire qu’est le Sénat. Je me réserve le droit, dans le contexte des mesures législatives, de parler du rôle que nous jouons vis-à-vis les députés élus, un rôle qui est inscrit dans la Constitution. On y trouve la notion de ce que le Sénat devait et ne devait pas devenir pour les personnes qui ont créé la Constitution et le pays du Canada, dans un territoire qui était déjà là. Nous ne sommes pas, cette fois-ci, dans une situation où il faudrait s’en remettre à l’autre endroit. Nous avons pour tâche de décider si nous confirmons l’invocation de la loi ou non, et cette décision nous revient entièrement.
Cela dit, je trouve pertinent que l’autre endroit ait décidé, après un débat long et passionné, de confirmer l’invocation. J’invite les sénateurs à réfléchir à ce point ou à le laisser de côté, à leur guise. Cela m’apparaît pertinent, mais pas parce que nous sommes soumis à l’autre endroit. Au contraire, la loi dit clairement, tout comme la Constitution, que le Sénat est une Chambre indépendante et qu’il le demeurera.
Sénateur Gold, nous sommes sur le point d’entamer la deuxième ronde de questions. Voulez-vous continuer de répondre aux questions?
Avec grand plaisir.
C’est l’avantage de porter un masque. Sinon, vous ne pourriez pas dire « avec grand plaisir » en restant impassible.
Sénateur Gold, un peu plus tôt, vous avez répondu à la question d’un de mes collègues en précisant que vous respectiez les opinions différentes de la vôtre. Je travaille avec vous depuis quelques années, et je suis tenté de le croire. Néanmoins, votre échange avec le sénateur Housakos aujourd’hui illustre le contraire. Vous avez fait preuve — et j’essaie de peser mes mots — d’un certain mépris pour une opinion partisane différente de la vôtre. Je sais que vous niez en hochant la tête, et si ce n’est pas vrai, je suis disposé à l’entendre. Toutefois, si une personne extérieure écoute cet échange, je ne suis pas sûre qu’elle ressente la même chose que vous.
Sénateur Gold, je vais citer un échange qui a eu lieu sur la chaîne CTV jeudi dernier, durant lequel un de vos collègues de l’autre endroit a affiché un certain mépris pour des opinions divergentes de la sienne. Sur CTV, Evan Solomon a demandé au ministre de la Justice :
Bien des gens disent : « Je n’aime tout simplement pas les exigences que vous imposez à l’égard des vaccins, et j’ai fait un don pour cette cause, mais maintenant que c’est illégal, devrais-je craindre que la banque puisse geler mon compte? ». Que leur répondez-vous?
Voici ce que le ministre Lametti a répondu :
Si vous êtes membre d’un mouvement pro-Trump qui donne des centaines de milliers de dollars ou des millions de dollars pour ce genre de choses
— pas pour Trump, mais « pour ce genre de choses » —
[...] alors vous devriez être inquiets.
Monsieur le leader, autrement dit, le ministre Lametti dit essentiellement que si vous adoptez un point de vue inacceptable, vous devriez craindre le gel de votre compte bancaire.
Cela dit, vous qui dites croire que les gens ont le droit d’avoir une opinion contraire à la vôtre, que c’est acceptable, pourriez-vous nous dire, sénateur Gold, si le premier ministre et le ministre Lametti partagent votre opinion? Leurs actes et leurs paroles semblent indiquer le contraire. Comment peut-on considérer cette observation du ministre Lametti comme autre chose que des représailles politiques?
Je vous remercie de votre question et de croire à mon respect des opinions qui divergent des miennes, car je les respecte effectivement.
Pas plus tard qu’hier, le premier ministre a dit clairement qu’il existe une nette distinction entre tenir un dialogue politique et faire valoir des opinions nettement contradictoires, voire tenir un dialogue hargneux, et commettre des actes qui menacent la sécurité de la population canadienne et continuer de les commettre même après qu’elles aient été déclarées illégales.
En ce qui a trait à la question du financement, en tant que représentant du gouvernement, j’ai énoncé clairement au Sénat que la position du gouvernement, conformément à son interprétation de la loi et du règlement, est qu’une personne risque de voir son compte bancaire gelé seulement si elle a continué de financer des activités illégales après le 15 février. Les gens ont été avertis, et s’ils sont demeurés sur place et ont continué de participer à ces activités, que ce soit pour des raisons idéologiques ou autres, alors ils ont enfreint la loi et sont passibles de cette sanction.
Encore une fois, je le répète, sur les milliers de dons effectués au cours des nombreuses semaines ayant précédé la proclamation de l’état d’urgence, le gouvernement n’est intervenu qu’à l’égard de seulement 200, quoique le nombre a peut-être augmenté par rapport aux derniers renseignements que j’ai obtenus. Comme l’a déclaré le gouvernement, l’accent est mis sur les organisateurs, les principaux bailleurs de fonds et les personnes qui amassent ces fonds pour continuer de soutenir les activités illégales.
Vous avez dit « seulement quelques centaines ». Vous l’avez répété plusieurs fois aujourd’hui, comme si ces 200 personnes étaient sans importance.
À n’importe quel moment, il y avait un nombre dérisoire de personnes à Ottawa qui agitaient un drapeau confédéré ou, peut-être, affichaient une croix gammée. Un très, très petit nombre. Pourtant, monsieur le leader, vous ne cessez de répéter que cette infime minorité sont les têtes pensantes de ce mouvement. Lorsque cela appuie votre thèse, le gel du compte de « seulement » 200 personnes est insignifiant. Mais lorsque nous parlons de deux, de cinq ou de dix personnes sur les centaines ou les milliers de participants à cette manifestation partout au pays, nous devrions trouver ces chiffres préoccupants. Je trouve cela très étrange.
Le premier ministre, monsieur le leader, a qualifié ces personnes de « marginaux », puis les a traités de « racistes » et de « misogynes », du moment où ils ont quitté Vancouver jusqu’à leur arrivée à Ottawa. Voilà comment il les dépeignait. Je trouve cela vraiment difficile, monsieur le leader. Je voudrais vous donner le bénéfice du doute. J’y ai, bien franchement, renoncé quant au reste du gouvernement, mais je voudrais tout de même vous donner le bénéfice du doute. J’aimerais croire que nous vivons encore dans une société où toutes les opinions sont valorisées et respectées, sauf si elles sont racistes ou misogynes. Ce n’est pas parce que Justin Trudeau les a qualifiées ainsi qu’elles le sont, monsieur le leader.
De toute évidence, je ne vais pas obtenir de réponse claire à cette question. D’ailleurs, les réponses que nous obtenons sur bon nombre de questions aujourd’hui sont passablement floues. Je vais vous poser une autre question.
Eh bien, je vais vous la poser, monsieur. Au lieu de faire ceci chaque fois que quelqu’un dit quelque chose, je vais continuer de parler. Vous pouvez m’interrompre, mais je vais continuer de parler.
Et vous aussi pouvez continuer de m’interrompre. Je n’ai aucun problème avec cela, et je ne ferai pas ce geste.
Pour ce qui est de la Loi sur les mesures d’urgence et ses ramifications, je ne cesse de me demander comment notre pays en est arrivé là, et je pense aussi à comment tout cela a commencé. Tout a débuté par des Canadiens qui manifestaient, comme c’est leur droit absolu dans une démocratie libérale, contre les mesures du gouvernement Trudeau en lien avec la COVID-19 et l’incapacité du gouvernement à se fier aux données scientifiques et à présenter un plan pour mettre fin aux exigences liées à la vaccination.
Maintenant, il va sans dire que nous sommes épuisés : vous l’avez dit, d’autres l’ont dit, nous sommes tous d’accord. Nous nous querellons entre amis et entre parents. Nous avons des opinions différentes. Certains membres d’une famille croient qu’il faut se faire vacciner. D’autres soutiennent que c’est une conspiration. Nous connaissons tous, j’en suis sûr, au moins une personne comme cela, même si ce n’est pas dans notre famille. Nous en avons tous assez, et nous le reconnaissons.
Cependant, cela ne signifie pas que les Canadiens sont de mauvaises personnes parce qu’ils disent : « Je n’en peux plus. J’en ai marre que le gouvernement me dise quoi faire. »
Sénateur Gold, les Canadiens aimeraient comprendre quelle est, au juste, la différence entre une manifestation légale et une manifestation illégale aux yeux du gouvernement Trudeau. Quand la manifestation est-elle devenue illégale? Lorsque Justin Trudeau en a décidé ainsi? La sénatrice McPhedran a fait remarquer avec justesse que, pendant longtemps, les camions ont été tenus à distance. Quand est-ce que c’est devenu illégal? Quand, tout d’un coup, ils ont déplacé les barricades et laissé entrer les camions? Qui a fait cela?
À quel moment une manifestation légale devient-elle illégale aux yeux de Justin Trudeau?
Je vais d’abord répondre à votre dernière question et, si vous le permettez, je vais faire une observation ou deux au sujet de certains des autres commentaires.
La Loi sur les mesures d’urgence, la proclamation à son sujet et les règlements font tous la distinction entre les manifestations, les assemblées et les actions illégales, d’une part, et les manifestations légales et pacifiques, d’autre part. Il est bien établi dans le droit canadien qu’il existe une distinction entre une manifestation vigoureuse ou même incommodante — comme on le sait ici sur la Colline, c’est souvent le cas — et celles qui s’accompagnent de gestes violents, de menaces de violence, d’un discours rabaissant et blessant, et où l’on intimide et harcèle des citoyens ordinaires.
La loi ainsi que la jurisprudence expliquent la distinction entre les manifestations légitimes et légales et les manifestations illégales. Ce n’est pas « Justin Trudeau » qui décide. Justin Trudeau n’a pas pris la décision à lui seul. La décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, je l’ai dit et je le répète, vient...
Ce n’est pas la question. Quand cela est-il devenu illégal? Voilà la question.
Au sens strict, certaines activités sont devenues illégales au moment de la déclaration d’état d’urgence. Il est devenu illégal de demeurer dans les zones comme la Cité parlementaire seulement lorsque les autorités ont finalement eu accès aux outils leur permettant de protéger la Cité parlementaire et, si je peux me permettre d’ajouter, les quartiers où les gens vivent et travaillent. Voilà pour la question juridique restreinte.
La question plus vaste à laquelle je tente de répondre, c’est que les circonstances ont évolué et qu’il est devenu évident bien avant le recours à la loi que ce qui avait commencé comme une manifestation paisible a dégénéré pour se transformer en quelque chose qui s’éloigne complètement d’une manifestation paisible, ce qui, comme je l’ai expliqué dans mon discours et que l’on retrouve dans la déclaration, constitue une situation intolérable dans une société libre et démocratique.
Je me permettrais respectueusement d’aborder brièvement certains autres éléments dont vous avez parlé. Je n’ai jamais dit que 200 personnes étaient négligeables. Ce que je...
« Seulement » 200.
Ce que j’ai dit, c’est que, en ce qui concerne les milliers de dons ayant fait l’objet d’une enquête, le pourcentage des cas ayant donné lieu au gel temporaire de comptes bancaires est relativement faible.
Il semble que ce ne soit pas clair, mais, ce que j’essaie de dire, c’est qu’il ne s’agissait pas d’une vaste chasse aux sorcières visant les gens qui, pour quelque raison idéologique que ce soit, ont décidé d’appuyer ces manifestations en janvier ou au début de février. Cependant, depuis le 14 février, ceux qui continuent de participer à des activités considérées comme illégales selon les lois du pays, ou qui ont commencé à le faire, seront les seules personnes ciblées par ces mesures. Je crois que « cibler » n’est pas le bon terme. Ils sont assujettis aux mesures prises au titre de la loi. Voilà ce que j’essaie de dire.
Par ailleurs, honorables sénateurs, s’il est utile de le préciser, je n’ai pas dit dans cette enceinte — et je ne le pense pas non plus — que toute personne, à Ottawa ou ailleurs, qui a encouragé les convois sur la route s’associe forcément aux idées extrémistes et répugnantes qui sont représentées par les symboles que j’ai décrits. Je n’ai jamais dit cela, je ne le crois pas, et le premier ministre ne le croit pas non plus.
Ce qui est incontestable par contre, c’est que les habitants de l’Ontario, les habitants d’Ottawa et tous les Canadiens ont des gens qui se baignaient dans un spa et qui laissaient leurs jeunes enfants jouer dans des châteaux gonflables pendant que d’autres faisaient la promotion d’idées blessantes et répugnantes à l’opposé des valeurs que nous défendons au Canada.
Encore une fois, je ne veux pas jeter tout le monde dans le même panier. Je ne ferais jamais une telle chose, mais nous ne pouvons pas ignorer ce qu’ont affirmé les principaux organisateurs du convoi. On ne peut pas changer le passé. Ce qui a été écrit sur Twitter ou ailleurs dans les réseaux sociaux pour encourager les gens à se joindre à la manifestation par une personne qui a des centaines de milliers d’abonnés et qui est fière de ses idées ne disparaîtra jamais. C’est ce que je cherchais à exprimer; mon intention n’était pas de rejeter le blâme sur les Canadiens qui sont venus ici parce qu’ils en ont assez des mesures liées à la COVID.
Ce que je veux dire, c’est que les menaces à la sécurité du Canada ont nécessité l’invocation de la loi et qu’il n’est peut-être pas possible de toutes les éliminer aujourd’hui, du moins d’après les renseignements et les conseils que nous recevons des forces de l’ordre chargées d’assurer notre protection.
Sénateur Gold, lorsque le premier ministre Trudeau a annoncé qu’il invoquait la Loi sur les mesures d’urgence, il a dit aux Canadiens que ce serait fait de façon « géographiquement ciblée » et que cela ne s’appliquerait qu’aux personnes se trouvant dans la zone visée. Cependant, dans les faits, on constate que le gouvernement fédéral est allé trop loin dans la proclamation déclarant l’état d’urgence, car elle précise que l’ordre public s’appliquera « dans tout le Canada ». Notre pays possède le deuxième plus grand territoire au monde, sénateur Gold. En quoi le fait de déclarer l’état d’urgence dans tout le Canada peut-il être géographiquement ciblé? Si vous admettez comme moi que cela est impossible, pourquoi le premier ministre Trudeau a-t-il ainsi induit les Canadiens en erreur?
Les Canadiens n’ont pas été induits en erreur. Bien que j’aie déjà abordé cette question — il est clair que je fais de mon mieux pour répondre à vos questions —, il est évident que je serai appelé à répondre à la même question plusieurs fois.
La situation à laquelle le Canada s’est heurté ne s’est pas limitée à Ottawa ni à l’Ontario. Qu’il s’agisse de ce qui s’est passé à Coutts, en Alberta, et qui a poussé le premier ministre de cette province à demander par écrit l’aide du gouvernement fédéral, car il n’était pas en mesure de gérer la situation seul; que ce soit ce qui s’est passé au Manitoba et qui continue de se dérouler dans les rues de Winnipeg; que ce soit ce qui se passe à Surrey et au poste frontalier en Colombie-Britannique; ou que ce soit ce qui se passe ici — ai-je oublié de mentionner le pont Ambassador? En effet, c’est le cas.
Les menaces à la stabilité de nos institutions démocratiques ne se limitent pas à une seule province. La loi est claire : dans les cas où l’urgence nationale s’étend au-delà d’une province, il est indiqué, responsable et prudent pour le gouvernement de déclarer une urgence nationale dans l’ensemble du pays, car des éléments de cette situation se retrouvent dans toutes les régions du pays.
Il faut faire la distinction, et les avocats tout comme les parlementaires pourront reconnaître la différence entre la loi écrite et la loi en action. Rien n’indique que les mesures qui ont été autorisées par la déclaration, la proclamation ou les règlements sont en train d’être appliquées à des endroits où ils ne sont pas nécessaires. Rien n’indique qu’il y a de l’ingérence au Québec, au Manitoba, en Saskatchewan — votre province, sénatrice — ou n’importe quel endroit où ces pouvoirs extraordinaires ne sont pas nécessaires. Je rappelle à mes collègues — et cela est très important — que les mesures s’appliquent seulement où les autorités locales, soit les assemblées législatives, les municipalités ou les services de police, ne sont pas capables de gérer une crise. Cela inclut une crise qui pourrait être très violente.
La Loi sur les mesures d’urgence ne s’appliquerait potentiellement que si les autorités étaient incapables de s’occuper du problème. C’est ce que le premier ministre s’efforçait de communiquer, et c’est ce qu’il était approprié de communiquer.
Il serait irresponsable pour n’importe quel gouvernement fédéral, peu importe ce que vous pensez du gouvernement actuel, de renoncer, en situation de crise, à la capacité d’intervenir à une situation qui pourrait survenir en un instant, par exemple si demain des gens retournaient à la frontière en Alberta, en Colombie-Britannique ou n’importe où au pays. Il serait irresponsable de refuser aux autorités et aux administrations locales la capacité de recourir, de façon temporaire, aux outils qui ont si bien fait leurs preuves quand ils ont permis de libérer notre ville et de la rendre à ses citoyens.
Sénateur Gold, comment une institution bancaire saura-t-elle qu’une personne a cessé de participer aux manifestations et qu’il est possible de libérer son compte bancaire?
Je vous remercie de cette importante question.
Pour autant que je sache, les institutions bancaires et financières et les autorités policières sont en communication constante. Les banques peuvent avoir des soupçons et peuvent communiquer avec la police. Les autorités policières, quant à elles, peuvent savoir qu’une personne ou une entreprise a un camion arrêté sur la rue Wellington et que le chauffeur refuse de dégager la voie publique. Par conséquent, la loi autorise ce type de communication bilatérale. Les mêmes canaux de communication sont utilisés lorsqu’une personne quitte les lieux d’une manifestation.
Disons par exemple que dimanche, une personne a décidé de partir et qu’elle l’a effectivement fait. Cette information est transmise à la banque — ou la personne concernée pourrait en faire part à la banque — qui en vérifierait la véracité. Si j’ai bien compris — même si ce n’est évidemment que le début de l’application de cette mesure — c’est de cette façon que la banque serait mise au fait de la situation.
Comme je l’ai indiqué dans mes réponses à des questions précédentes, les banques et la GRC s’emploient à mettre le processus au point.
Ma question porte sur les mécanismes alternatifs de règlement de litiges.
Dans toute manifestation, qu’on parle de grèves, de blocages de rues ou de crises comme celle qu’on a vue à Oka en 1990, soit deux ans après l’adoption de la Loi sur les mesures d’urgence — et il y avait une situation d’urgence —, on a utilisé des moyens alternatifs de règlement, dont la médiation, et on a essayé de rencontrer les manifestants et de créer des ponts pour régler l’impasse.
À Oka, d’ailleurs, votre père — que j’admirais beaucoup et qui avait été nommé médiateur pour régler le litige — avait obtenu beaucoup de succès. Quelles sont les tentatives de conciliation ou de médiation que le gouvernement a faites auprès des gens qui occupaient la rue Wellington pour résoudre le problème, comme on l’avait fait à Oka en 1990 à Oka, sous le gouvernement de Brian Mulroney au fédéral et de M. Bourassa au Québec, quand votre père avait eu le mandat de régler cette crise?
Merci pour la question.
Vous vous souviendrez que j’ai aussi commencé ainsi à la demande du premier ministre Bourassa, quoique peut-être pas au début. Cependant, la médiation avait été précédée par l’arrivée de l’armée et de la Sûreté du Québec. Il y avait de la violence et des affrontements qui n’étaient pas résolus, nonobstant l’intervention qui avait été faite par les Forces armées canadiennes à la demande du premier ministre du Québec.
Comme vous le savez très bien, en arrivant à Ottawa et en s’installant ici, même la première fin de semaine et bien avant, le discours de ceux et celles qui ont eu le micro, leurs discours avec les drapeaux... Je ne répéterai pas ces choses, car c’est un langage non parlementaire.
On a entendu des menaces sur la vie du premier ministre, on a entendu des déclarations selon lesquelles l’objectif, pour certains membres du mouvement du convoi de la liberté, était de faire démissionner le gouvernement, la gouverneure générale, le Sénat ainsi que d’autres que j’ai déjà mentionnés dans mon discours. Ce ne sont pas des conditions et un discours appropriés pour dialoguer entre personnes raisonnables. Nous étions face à un groupe où ceux et celles qui s’identifiaient comme des leaders — et permettez-moi de ne pas tomber dans un piège — voulaient remplacer le gouvernement. Ils hurlaient des insultes, pas seulement au gouvernement, et avec un langage déplorable.
Le fait est que le gouvernement a essayé de laisser la police répondre à cette question avec légitimité, et non pas avec la grogne de ceux qui les ont persuadés de faire partie de tout cela, ceux et celles qui avaient un micro et occupaient le débat public.
Je pense que la décision qui a été prise était compréhensible. Peu importe ce qui est arrivé, et permettez-moi de vous dire cela, on n’est pas ici dans le contexte de la motion qui est devant nous, mais plutôt pour déterminer ce qui aurait pu être fait et pourquoi les choses n’ont pas été faites différemment.
Nous sommes libres de poser des questions et libres de penser, absolument. Ce que nous devons décider, c’est si nous confirmons ou non l’état d’urgence qui a été déclaré le 14 février, et ce, peu importe les raisons. On en était arrivé à une situation où la ville était prise en otage. Tout cela vient de finir, heureusement, avec ces blocages qui duraient depuis trop longtemps et qui ont énormément nui à nos activités économiques et à notre réputation.
C’est la question que nous devons poser, et nous aurons le temps de nous la poser. Cette question est valable, et j’apprécie la référence que vous avez faite à mon père, qui me manque beaucoup. Il y aura du temps pour réfléchir à ce sujet, mais maintenant, il faut décider si le gouvernement avait raison d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. La position du gouvernement du Canada, c’est que oui, il avait raison, et que nous avons encore besoin de maintenir cette loi.
Je ne veux pas commencer un débat directement avec vous sur la question.
Il y a un décret qui est adopté en vertu d’une loi qui déclare des mesures d’urgence et, pour adopter ce décret, il y a des conditions qui sont prévues dans la loi.
Les conditions qui sont prévues dans la loi sont notamment que les lois du Canada, des provinces et du monde municipal ne peuvent pas résoudre la crise. Donc, on a besoin de mesures d’urgence extraordinaires pour s’attaquer à cette situation; voilà le critère.
Mes questions, comme vous l’avez vu depuis tout à l’heure, portent sur la justification selon laquelle les lois étaient suffisamment déficientes pour justifier une intervention et l’adoption de mesures d’urgence. Donc, s’il y a des processus de médiation qui doivent ou peuvent être utilisés, mais qu’ils ne l’ont pas été, je pense que c’est une question légitime de vérifier si le cadre de la loi est respecté avant d’adopter le décret.
Vous avez expliqué tout à l’heure qu’il y avait un problème pour ce qui est de regrouper des policiers de différents corps...
Vous avez une question, sénateur Carignan?
Oui, et vous allez sûrement l’aimer.
Vous avez expliqué qu’il était difficile de regrouper les différents corps policiers afin de s’attaquer à la situation devant nous, et que cela demandait d’utiliser les mesures d’urgence.
En 2010, lors de la tenue du Sommet du G8 et de celui du G20, on a réussi à réunir 21 000 policiers provenant de différents corps policiers et employés de sécurité pour assurer la sécurité.
Lors du Sommet des Amériques, on a réussi à regrouper 6 000 agents de quatre différents corps policiers pour assurer la sécurité.
Qu’est-ce qui fait que ce qui était possible au Sommet des Amériques et au Sommet du G20 était impossible ici, à Ottawa, qu’il était impossible de remorquer des véhicules qui étaient stationnés sur la rue Wellington?
Votre question comporte plusieurs volets, je vais essayer d’y répondre clairement.
Premièrement, il y a une panoplie de mesures qu’il faut voir comme un ensemble de mesures autorisées par la proclamation de l’état d’urgence qui, ensemble, faisaient la différence ici, à Ottawa, et qui font la différence pour nous protéger aujourd’hui.
Sans la proclamation, si l’on veut faire venir 1 000 membres de la Sûreté du Québec, par exemple, à Ottawa, il y a un processus d’assermentation ou de validation qui doit se faire avant qu’ils puissent agir sur le terrain avec tous leurs pouvoirs. Cela prend du temps. On était en crise, la ville était prise en otage.
Donc, une caractéristique des mesures très ciblées est d’éliminer temporairement cette obligation de validation afin d’être en mesure de faire appel à des corps policiers de partout au Canada, afin qu’ils puissent commencer à travailler immédiatement. Sans entrer dans une analyse de ce que la police d’Ottawa était en mesure de faire auparavant et qu’elle aurait eu le temps de faire, il était très clair qu’elle n’avait pas les moyens de faire en sorte que les différentes forces policières puissent travailler ensemble dans le centre-ville et sur la colline du Parlement.
On a donc dû apporter des changements au leadership, et on a dû avoir recours à la proclamation pour finalement avoir un effort coordonné et un nombre de policiers adéquat pour mettre fin au blocage.
D’autres moyens ont aussi été utilisés. Il ne faut pas négliger l’impact des mesures financières, qui ont été un autre outil important. Malgré la déclaration de l’état d’urgence, à Ottawa et ailleurs en Ontario, il faut constater qu’il n’y avait pas de moyens, avant la mise en place de ces mesures, de protéger la colline du Parlement ou les résidants du centre-ville. J’ai aussi mentionné les autres outils — et je ne veux pas prendre trop de temps parce qu’il y a certainement d’autres questions à venir —, mais il aurait été impossible, sans les mesures mises en place, de faire sortir les camions.
C’est vrai que l’on peut toujours se demander what if? et se dire it could have been, mais moi, je suis ici pour vous dire et essayer de vous convaincre que le gouvernement a non seulement pris au sérieux l’exercice, mais a également satisfait aux exigences prévues dans la loi pour conclure, avec des motifs raisonnables, que l’état d’urgence existait et que ces mesures étaient nécessaires.
C’est la position du gouvernement, et je pense que cela a été bien démontré par les faits sur le terrain.
Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, vous avez tenté à maintes reprises aujourd’hui d’attirer notre attention sur le fait qu’il s’agit d’une motion de ratification. Bien sûr, certains des éléments dont nous avons parlé seront examinés au cours de l’enquête et surveillés par le comité parlementaire mixte. Nous en apprendrons davantage à leur sujet. Cependant, la Loi sur les mesures d’urgence prévoit un seuil, et le Sénat doit déterminer si celui-ci a été atteint pour que la loi reçoive son appui.
La première question du sénateur Carignan concernant les tentatives de médiation ou de discussion est vaste et, de façon générale, pertinente. C’est une question qui pourrait être soulevée au cours de l’enquête. Toutefois, alors que nous entamons le débat, je tiens à souligner que j’ai rarement entendu de tels propos lors des grandes manifestations auxquelles j’ai participé ou des grèves qui bloquaient l’entrée de lieux de travail. Je sais que le gouvernement n’a jamais négocié avec les manifestants, même s’il s’agissait d’une manifestation liée au secteur public, mais la police, elle, a négocié directement avec eux.
Nous savons que le maire d’Ottawa a discuté avec les organisateurs de la manifestation. Peut-être qu’on a en parlé et que cela m’a échappé, mais j’ignore si la police a maintenu un dialogue avec les manifestants. À mon avis, il est important de dialoguer, même quand on sait que les Canadiens impliqués dans l’organisation de la manifestation ont des liens étroits avec plusieurs organismes dont vous avez parlé.
Savez-vous s’il y a eu d’autres discussions? De plus, savez-vous comment le gouvernement fédéral en est arrivé à la décision de ne pas dialoguer avec les manifestants?
Pour répondre à votre dernière question, je crains de ne pas disposer de renseignements à ce sujet et je tiens à ne pas supposer que je sais quelque chose que je ne sais pas.
Je pense que nous savons tous au moins qu’il y a eu des discussions avec le convoi, ou les porte-parole du convoi, à son arrivée. Il est certain que la police a eu des discussions, car elle a reçu des assurances : « Nous restons pour une fin de semaine et nous partions. » Par conséquent, la police a répondu : « D’accord. Bienvenue. » Il s’est avéré que ce n’était malheureusement pas le cas. Il n’a pas fallu longtemps pour que les manifestants s’installent bien et consolident leur emprise au point de prendre essentiellement le contrôle des rues de la Cité parlementaire.
Je suppose, selon ce que j’ai lu, qu’il y a eu des conversations non seulement avec le maire, mais aussi avec les autorités policières, comme il a continué d’y en avoir après que les manifestants se sont bien installés et même dans les jours et les semaines qui ont précédé la proclamation.
Il conviendra de se demander quelles autres mesures auraient pu être prises pour éviter cette situation. Le gouvernement est toutefois d’avis que les exigences juridiques de la loi ont été satisfaites. Je ne les répéterai pas. Il y a certaines exigences formelles comme la consultation et le dépôt de documents en temps opportun.
Plus important encore, la loi exige que la crise soit d’une nature telle qu’il est impossible d’y faire face sans des mesures additionnelles comme celles qui ont été promulguées aux termes du règlement.
Merci de votre réponse, sénateur Gold.
J’ai de la difficulté à comprendre l’analyse qui justifie qu’on a satisfait ou non aux critères de seuil de la Loi sur les mesures d’urgence. Tout comme l’ensemble des sénateurs et des Canadiens, j’ai entendu parler de la nature des organisateurs, de la nature des mensonges qu’ils ont dits à leurs partisans dans la rue et à la manipulation qui a eu lieu.
On nous a parlé des liens que ces organisateurs entretiennent avec des organisations répréhensibles et d’autres qui ont été qualifiées d’organisations terroristes intérieures. Cette caractérisation provient du SCRS et d’autres services de renseignement et est de sources ouvertes. Vous avez mentionné Diagolon, mais les Fils d’Odin et les Three Percenters étaient là eux aussi. Et il y a d’autres groupes.
Nous savons que le SCRS a dit au Sénat que la montée de l’extrémisme d’extrême droite représente le défi le plus important en ce moment. Je sais que cela a fait rigoler certains sénateurs, mais c’est ce qu’on nous a dit. C’est ce que David Vigneault, qui en était alors le directeur — et Richard Fadden avant lui — a déclaré au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en réponse à une question du sénateur Oh.
De mon point de vue, la seule information dont je ne dispose pas, ce sont les renseignements classifiés très secrets que le Cabinet a eus en main avant de prendre cette décision. À la séance informelle d’hier soir, le ministre Mendicino a déclaré qu’à un moment donné, il faut faire preuve de déférence à l’égard du Cabinet, qui possède ces renseignements.
Je pense que nous devrions tenir un débat sur la manière de légiférer quand, parfois, nous n’avons pas accès à certains renseignements. Quels sont les mécanismes employés? Devons-nous faire prêter serment aux membres du comité qui sera formé pour pouvoir leur fournir cette information? Est-ce qu’on leur retire leur privilège parlementaire — comme cela s’est déjà fait, à juste raison, pour les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement — de façon à ce qu’ils soient tenus responsables s’ils divulguent des renseignements classifiés? Nous pourrions discuter de la question.
À ce moment-ci, quand je vous écoute et que je tiens compte du seuil établi, je pourrais répondre oui, ou non, en ce qui concerne les critères. Je pourrais interpréter les éléments de manière différente à quelqu’un d’autre, probablement. Cependant, je ne peux pas dire qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard du Cabinet sans savoir si je vais le faire ou non au bout du compte.
J’aimerais entendre ce que vous avez à dire sur cet aspect de notre processus décisionnel démocratique qui fait en sorte que les parlementaires n’ont pas toujours accès — aussi frustrant que cela puisse être — aux renseignements classifiés pertinents, alors que les membres du Cabinet y ont accès. Aidez-nous à comprendre.
Certains disent « Faites-moi tout simplement confiance » — je sais que vous ne diriez pas cela —, et la question se résume alors à faire confiance à la démocratie et au gouvernement pour que ce dernier prenne les bonnes décisions, surtout en période de crise. Vous pourriez peut-être en dire plus à ce sujet.
Je ferai de mon mieux. Votre question touche directement à la manière dont les sociétés démocratiques assurent la sécurité de leurs citoyens. J’espère que vous m’excuserez si je cherche un peu mes mots, mais c’est qu’il s’agit d’une question primordiale à laquelle il n’y a hélas pas de réponse facile.
Les tribunaux doivent sans cesse y répondre eux aussi. Comment assurer un procès équitable à une personne inculpée d’une infraction x — prenons le terrorisme, pour que tout le monde comprenne — si la preuve contre elle ne peut être divulguée?
Ce système a maintes fois été critiqué et remis en question, mais pour tenter de trouver un compromis, le Canada a nommé des juges spéciaux qui instruisent ce genre d’affaires à huis clos, avec l’aide de ceux qu’on appelle les amis de la cour, et ainsi de suite. Je rappelle qu’aussi importantes soient-elles, les valeurs ne sont pas toujours faciles à concilier; il arrive parfois qu’elles entrent en conflit, comme c’est le cas ici.
La Constitution, il s’agit à vrai dire de la prérogative royale dans les affaires étrangères, confère certaines responsabilités au gouvernement, et non au Parlement, et lui donne accès à certains types de données qui ne peuvent être divulguées autrement. C’est exactement ce qui se produit aujourd’hui, mais ce n’est pas propre à la Loi sur les mesures d’urgence.
Même si l’on créait une instance comparable au CPSNR ou si on confiait ce genre de mandat à celui-ci, sous réserve qu’il ne transmette aucune information aux parlementaires, la question demeure: à qui faire confiance? Cela me rappelle une vieille émission de télé, ce qui ne me rajeunit pas.
Il n’y a pas de bonne réponse.
Si vous me permettez de revenir à ce qui est, selon moi, au cœur de la question, ce n’est pas que le gouvernement est en train de dire: « Je sais que vous ne voyez aucun problème, mais nous détenons de l’information. Faites-nous confiance. » Ce n’est vraiment pas cela.
Je ne vais pas abuser de votre temps en récitant tout ce qui figure dans mon discours ou dans la déclaration. De l’avis du gouvernement, il y a une abondance de preuves que nous avons vues de nos propres yeux et entendues de nos propres oreilles et qui permettent de conclure que les conditions sont réunies. Elles satisfont aux critères minimaux.
Comme je l’ai dit dans mon discours, la seule présence de personnes armées et menaçant d’utiliser la force pour déstabiliser une institution démocratique répond en soi à un des éléments de la définition. Les barrages et le risque qu’ils soient rétablis satisfont aussi à ce critère.
C’est tout cela, qui est connu, qui justifie, selon nous, la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février. Oui, il est possible qu’il en sache plus qu’il peut en dire.
Je dois choisir mes mots avec prudence, car tout est diffusé sur Twitter. Je veux donc me montrer circonspect à cet égard. On peut choisir de faire confiance ou non au gouvernement du Canada, quoi que vous puissiez penser du premier ministre — de ses politiques économiques, de la manière dont il a géré la pandémie — cela m’est égal. Vous avez le droit de penser ce que vous voulez.
Si nous, les parlementaires, ne croyons pas que le gouvernement, qui intervient après avoir assisté pendant des semaines aux incidents survenus à Ottawa — tout ce qui s’est passé à Ottawa, tout ce que j’ai décrit et tout ce dont vous êtes au courant — et si nous ne nous fions pas au gouvernement — qui a fait le serment de faire respecter la Constitution — pour appliquer une loi qui exige que les interventions soient proportionnées et conformes à la Constitution — si nous ne nous fions pas aux institutions parlementaires, le Sénat et la Chambre des communes, pour qu’elles s’appliquent à examiner sérieusement si on peut ou non confirmer la décision du gouvernement selon laquelle le recours est nécessaire, alors je désespère.
Il ne s’agit pas de faire confiance, car c’est ce que vous entendrez. Je réserve le droit, comme je l’ai dit, de faire valoir à une autre occasion, au sujet d’une mesure législative, que nous devrions nous en remettre aux élus. Ce n’est pas l’argument que j’avance. Je ne suis pas en train de dire que nous devons nous en remettre au gouvernement.
Si nous ne sommes pas convaincus que le gouvernement ne nous ment pas, qu’il ne s’agit pas, comme certains l’ont affirmé, d’une opération clandestine visant à transformer le Canada en dictature sous le premier ministre Trudeau, comme on l’entend dans certains médias au sud de la frontière et peut-être ailleurs aussi, je ne sais pas pourquoi nous continuons à servir notre pays.
Si nous continuons à servir notre pays, c’est parce que nous faisons notre travail de parlementaires. Nous faisons notre travail et j’en suis fier. Je pense que le gouvernement a agi de façon responsable et proportionnelle.
Je crois que j’ai fait valoir mes arguments et que le gouvernement a fait valoir ses arguments pour prouver que les conditions étaient réunies lors de l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février.
Merci, monsieur le leader du gouvernement, d’avoir la patience de répondre à ces questions aujourd’hui, même si je dois admettre que vous me semblez défendre l’indéfendable.
Je pense qu’il n’y a pas de parlementaire ici présent qui ne reconnaît pas l’existence de groupes extrémistes. Ils existent depuis des décennies. Ils ne datent pas d’hier. Cependant, d’autres gouvernements ont su contrer ces groupes extrémistes avec des moyens mesurés. Dans notre pays, nous croyons au respect de la loi et au maintien de l’ordre, mais aussi au respect des droits. Faire respecter la loi et maintenir l’ordre sans respecter les droits, ce n’est plus très démocratique.
J’aimerais poser brièvement quelques questions auxquelles j’ai tenté d’obtenir une réponse, mais sans vraiment en recevoir. J’ai notamment une question complémentaire à celle de la sénatrice Batters. Elle a été très claire. Lorsque le gouvernement fait enquête sur un compte ou décide de le geler, comment le titulaire du compte peut-il le savoir? Par ailleurs, quels sont les recours à sa disposition pour se défendre? D’après votre réponse, vous savez — et vous l’avez dit — qu’il y a des communications constantes entre la GRC, les autorités policières et les banques lorsque ces intervenants font enquête ou lorsqu’ils trouvent quelque chose qu’ils jugent suspect. Comme vous le savez, une banque ne va pas téléphoner à son client pour lui dire qu’il est visé par une enquête. Elle ne va pas l’informer qu’il fait l’objet d’une enquête pour terrorisme, blanchiment d’argent ou quoi que ce soit d’autre.
J’ai pris connaissance d’un cas où un citoyen s’est rendu à une institution financière il y a deux jours environ afin de transférer un compte d’une institution à une autre et où il s’est faire dire, « votre compte est gelé. » Il a demandé pourquoi et on lui a répondu, « nous ne pouvons pas vous le dire. » Cette personne ne le saura peut-être jamais ou, si elle l’apprend un jour, il pourrait être trop tard en ce qui concerne ses droits.
Nous avons besoin d’une réponse claire, autre que celle consistant à dire que les autorités policières sont en communication constante avec les banques. Ma question est la suivante : quelles sont les mesures requises pour veiller à ce que la police n’outrepasse pas ses pouvoirs, et qui les détermine?
Ma prochaine question est connexe : en quoi la saisie de comptes bancaires permet-elle de déloger les manifestants de la rue Wellington? Je ne vois pas le lien.
Des millions de dollars ont circulé très rapidement vers le Canada pour soutenir le soi-disant convoi pour la liberté. Une grande partie de cet argent s’est retrouvée entre relativement peu de mains. On suppose que cet argent a servi à soutenir l’occupation de trois semaines et quelques autres activités nécessitant des fonds comme l’essence, la nourriture et ainsi de suite.
Le gouvernement et des experts qui se sont exprimés publiquement — notamment notre collègue le sénateur White — sont d’avis qu’il faut suivre la trace de l’argent. Le tarissement du soutien qui alimente les activités illégales constitue une étape essentielle. Je serais étonné que certains manifestants, qu’ils soient venus en minifourgonnette ou dans un gros camion, n’y aient pas pensé à deux fois avant de rester sur place et de s’exposer à ce risque quand on leur a demandé de partir à maintes reprises avant que des mesures ne soient prises contre eux. Voilà pour la deuxième question.
En ce qui concerne la première question, au risque de me répéter, certaines mesures de protection contre les poursuites au civil entreprises contre les banques font de toute évidence partie de l’article 7. On ne peut le nier. Toutefois, il est tout aussi évident que pour tous les autres aspects, les tribunaux peuvent être saisis des contestations liées à l’application du règlement ou de toute autre mesure pour laquelle quelqu’un pourrait prétendre et démontrer légitimement, peut-être avec quelque justification, qu’on a enfreint ses droits.
J’ai également parlé des interactions que les clients et leur banque auront — et celles qu’ils ont normalement — si une personne découvre, comme la résidante de votre circonscription dont vous avez parlé, que son compte a été gelé. Ce que je comprends, si j’en crois les dispositions de la loi et les déclarations publiques de la division de la GRC chargée de cet aspect, il reste encore du travail à faire pour s’assurer que les biens de personnes dûment visées qui ont été gelés seront dégelés si et quand ces personnes quitteront la zone — si ce sont les motifs pour lesquels leurs fonds ont été gelés — ou qu’elles cesseront toute activité, notamment de financement, visant à soutenir des activités illégales.
Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Gold, le gouvernement nous demande encore de lui faire confiance en promettant qu’il ne franchira pas la limite.
J’ai encore deux questions. Je les ai déjà posées, mais je n’ai pas obtenu de réponses claires. Vous ne cessez de répéter, par exemple, que nous devions rendre Ottawa aux Ottaviens. Pourriez-vous me dire si les résidants d’Ottawa ont le droit d’entrer dans la zone rouge? Est-ce qu’ils peuvent mener des activités commerciales dans cette zone. Peuvent-ils marcher le long du canal? Peuvent-ils venir discuter avec les sénateurs et les députés? Je le répète : ma question est très succincte. Il y a une liste de personnes qui peuvent entrer dans la zone rouge, et de personnes qui ne peuvent y avoir accès. J’aimerais savoir qui détermine les personnes dont le nom figure sur cette liste et qui indique aux autorités policières quelles sont les personnes admises dans la zone? La question suivante est simple : les administrations municipales et les gouvernements provinciaux disposent, en effet, de tous les outils et de toutes les lois qu’il leur faut pour gérer le genre de situation à laquelle Ottawa a été confrontée. Nous l’avons constaté à Québec, à Coutts et au pont Ambassador. Rien ne justifie que la Loi sur les mesures d’urgence se substitue à ces outils qui existaient déjà.
Encore une fois, cher collègue, je suis respectueusement en désaccord avec vous. En réponse à votre deuxième question, je rappelle que j’ai énuméré à maintes reprises les mesures qui avaient uniquement été mises à la disposition de tous les ordres de gouvernement grâce à la proclamation des mesures d’urgence et à la promulgation du règlement d’application, et je ne les répéterai pas.
Quant à votre première question, ce n’est pas le gouvernement qui prend cette décision. Nous vivons dans un pays démocratique où le gouvernement ne donne pas d’ordres à la police. J’ai cru comprendre que les résidants ou les gens qui ont des raisons légitimes de s’y rendre, de même que les personnes travaillant dans une zone d’accès restreint, peuvent être admises dans la zone rouge. Il y a des postes de contrôle. Nous avons tous dû y passer ces derniers temps. Bien sûr, c’est relativement facile pour nous parce que nous avons une pièce d’identité.
Toutefois, je dirai simplement que même s’il est désagréable pour les habitants d’Ottawa de devoir montrer qu’ils ont des raisons valables de se trouver dans un secteur particulier — et qu’ils ne s’y trouvent pas sans raison ou parce qu’ils sont assez bêtes pour révéler leur désir de réoccuper la ville —, ce n’est rien en comparaison de ce que ces habitants ont enduré pendant trois semaines. Ils ne pouvaient même pas dormir jusqu’à ce qu’une femme courageuse obtienne une injonction pour faire cesser les coups de klaxon. À cause de son civisme, elle a eu besoin de protection policière parce qu’elle a fait l’objet de menaces et de harcèlement. Il y a toujours deux côtés à un débat, mais ils ne sont pas toujours égaux. Je dirais respectueusement au sénateur qu’il ne peut pas minimiser ce que les habitants d’Ottawa ont vécu et ce que le Canada a subi quand il a été exposé au risque de perturbations économiques, qu’il a dû fermer ses ponts et ses postes frontaliers, que ses institutions ont été mises en péril, et que ses dirigeants dûment élus et les membres de ses forces de l’ordre ont été menacés. En tout respect, les responsabilités de tout gouvernement, de tout gouvernement fédéral, sont loin de se limiter à demander aux habitants d’Ottawa de faire un détour s’ils veulent marcher le long du canal — ces responsabilités devraient aller bien au-delà.
Sénateur Gold, acceptez-vous de répondre à une autre question?
Absolument.
Vous en avez l’habitude, depuis ce matin.
Sénateur Gold, lorsqu’un gouvernement veut adopter une loi aussi sévère et qu’elle pose un très grand risque aux libertés civiles, la première qualité demandée est la transparence.
Vous avez vu hier le débat tenu à l’autre endroit visant à déterminer si le vote serait un vote de confiance ou non. Jamais le leader du gouvernement n’a voulu confirmer aux députés, particulièrement ceux du Bloc québécois et du Parti conservateur, s’il s’agissait d’un vote de confiance ou non. On sent que cela a été l’arme dont M. Trudeau s’est servi pour aller chercher le vote du NPD. Vous ne votez pas pour la motion? Ce sera un vote de confiance qui aura pour effet de déclencher des élections.
Lorsque la loi a été adoptée, c’est M. Beatty qui a dit ce qui suit :
Le gouvernement doit obligatoirement se justifier devant le Parlement s’il veut appliquer une telle loi, et ce, afin d’éviter que le gouvernement fédéral s’octroie des pouvoirs trop importants.
Or, ce n’est pas le cas présentement; le gouvernement du Canada a des informations qu’il ne souhaite pas partager. Depuis le début de ce débat ce matin, d’autres sénateurs ont posé la même question que moi. Vous nous demandez de voter sur une motion qui va légaliser la mise en place de la loi et vous avez de l’information que nous n’avons pas. Vous nous dites, au fond, de vous faire confiance. Ce n’est pas la définition de la transparence et de la confiance.
Sénateur Gold, l’application de la loi se fait en fonction de dispositions de l’article 3 :
a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;
b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.
Voici mes questions : est-ce que le gouvernement a fait la démonstration qu’il a perdu la capacité de gouverner et de garantir sa souveraineté? Est-ce que le gouvernement a fait la preuve que la sécurité du pays est menacée? Enfin, est-ce que le gouvernement a fait la preuve que l’intégrité du Canada est menacée?
Merci de poser ces questions qui nous préoccupent.
J’ai essayé de présenter l’argumentation, les faits, le contexte et une analyse de la loi et la façon d’interpréter les articles de la loi d’une façon contextuelle. J’ai présenté en cette enceinte, devant vous, toute l’information en toute transparence que j’ai le droit et l’obligation de partager. Je l’ai fait et le gouvernement l’a fait en toute transparence. Il a présenté ses raisons dans la déclaration. Il a répondu à plusieurs reprises aux questions des parlementaires et des journalistes.
Je suis convaincu que, selon les articles de la loi, compte tenu des faits connus, le gouvernement a satisfait aux tests et aux critères inscrits dans la Loi sur les mesures d’urgence et que cela constitue le « fardeau de la preuve ». On se sert du vocabulaire juridique, parce que c’est un texte juridique. Notre tâche — nous ne sommes pas des juges, ici, nous sommes des parlementaires — consiste à déterminer ceci, et permettez-moi de le dire en anglais.
Le gouvernement avait-il des motifs raisonnables de croire qu’il existait une situation d’urgence nationale qui exigeait une telle mesure?
C’est la question dont nous sommes saisis ici. C’est la position du gouvernement que la réponse est « oui » pour des raisons publiques qui ont été divulguées et partagées ici dans cette enceinte et à l’autre endroit.
En ce qui concerne les autres aspects de votre question, ce qui s’est passé à l’autre endroit et les jeux politiques et partisans auxquels s’est livrée une chambre minoritaire, je n’ai rien à dire. Ici, au Sénat, on ne devrait pas se préoccuper de ce qui se passe à l’autre endroit. On est indépendant, on a une tâche et un devoir à faire, et c’est ce que nous faisons. Comme je l’ai dit, je suis fier de notre travail, mais je ne veux pas mélanger les choses. Il faut arriver à une décision indépendante compte tenu de notre expérience et de notre obligation constitutionnelle d’agir comme parlementaires.
Sénateur Gold, j’ai le regret de vous dire que lorsqu’on veut évaluer la transparence d’un gouvernement, c’est avant, pendant et après les crises. Alors, la façon dont le gouvernement s’est comporté à l’autre endroit nous donne une indication de son manque de transparence.
Vous avez parlé d’un doute raisonnable. Cette loi exige un doute certifié. On n’est pas dans le domaine du raisonnement; on est dans le domaine de la preuve hors de tout doute. Alors, lorsque vous affirmez qu’il est probable que des groupes puissent intervenir, nous ne sommes pas dans la certitude, nous sommes dans les probabilités. Avec cette loi et tous les impacts qu’elle a sur la vie des citoyens, ne croyez-vous pas que vous prenez encore le risque, malheureusement, de miner la confiance des citoyens envers ce gouvernement et ses politiciens?
Merci de cette question. La réponse est non.
Je vais me permettre de vous lire le texte clé et central qui nous oblige à répondre à la question. Il s’agit du paragraphe 17(1) :
Le gouverneur en conseil peut par proclamation, s’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produit un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire et après avoir procédé aux consultations prévues par l’article 25, faire une déclaration à cet effet.
Je souligne et je répète : « s’il croit, pour des motifs raisonnables ».
Voilà le critère juridique que nous devons interpréter et analyser afin de prendre une décision.
Sénateur Gold, plusieurs de mes collègues, y compris la sénatrice Lankin, ont parlé plus en détail de mes inquiétudes au sujet des pouvoirs du comité d’examen parlementaire. J’ai écouté vos réponses très attentivement. Vous avez dit que les membres du comité d’examen parlementaire devront prêter un serment de secret, mais que les exigences seraient moindres que celles du comité supervisant le Service canadien du renseignement de sécurité et du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.
Vous avez aussi dit que les membres du comité auront accès à l’information dont ils auront besoin, mais pas aux renseignements de sécurité, ce qui est une raison d’appuyer le projet de loi. Il y aura le comité d’examen, puis l’enquête, mais je me demande toujours comment il est possible d’exercer une surveillance rigoureuse sans avoir accès à toute l’information pertinente. Je suis désolé, mais le fait que le gouvernement nous demande de lui faire confiance n’est pas suffisant pour moi, et ce ne l’est probablement pas pour de nombreux Canadiens.
Voici donc ce que je voudrais vous demander : les membres du comité d’examen parlementaire ne pourraient-ils pas être temporairement assermentés comme membres du Conseil privé afin d’avoir accès, dans la plus stricte confidentialité, à l’information sur les menaces terroristes ou les armes qui nécessiteraient le maintien de l’état d’urgence? Cet examen portera sur ce qui s’est passé, mais aussi sur ce qui s’en vient. Les membres du comité d’examen parlementaire ne pourraient-ils pas être temporairement assermentés comme membres du Conseil privé, à l’image des parlementaires qui siègent au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement?
Je vous remercie de la question. Je comprends le dilemme. Je comprends la frustration des sénateurs qui savent, parce que nous vivons dans un pays démocratique, que les services de renseignements et la police possèdent des renseignements qu’ils peuvent communiquer, mais qu’il est impossible de publier ou de rendre publics. Comme je l’ai dit précédemment, et je ne veux pas me répéter, c’est un dilemme. C’est un dilemme non seulement dans la situation actuelle, mais aussi à d’autres égards, notamment en ce qui concerne les travaux des comités parlementaires ou de nos tribunaux.
Bien sûr, il est possible de prendre une décision dans ce sens, bien qu’aucune disposition de la loi ne le prévoie. Mais même en étant assermentés comme membres du Conseil privé, les membres du comité n’auraient pas nécessairement accès à tous les renseignements qui pourraient être pertinents ou non. Ce disant, je trahis mon ignorance à propos des divers niveaux de sécurité, mais je me rappelle qu’il existe des niveaux de cotes de sécurité qui ne sont pas liés à des obligations de secret ni à une assermentation, bien que l’assermentation comme membre du Conseil privé comprenne une dimension de sécurité. Votre question est légitime, mais à ma connaissance, la loi n’en fournit pas la réponse.
Je rappelle aux honorables sénateurs que le comité d’examen parlementaire, lorsqu’il aura été formé et sera fonctionnel, pourra définir ses travaux pour s’acquitter de ses responsabilités aux termes de la loi et tenter d’obtenir l’information qu’il veut et dont il a besoin. S’il s’avère qu’il a besoin de renseignements qui, autrement, ne lui seraient pas accessibles, il pourrait être souhaitable de lui confier un rôle déterminant et tenter d’opérer des changements, temporaires ou permanents, de sorte qu’il ait accès à un éventail élargi de renseignements. Toutefois, pour l’instant — et il est important que nous nous concentrions sur le présent — son rôle consiste à examiner et à assurer une surveillance, ce qui comprend la possibilité d’intervenir en réponse à une motion visant à abroger le règlement, mais qui ne correspond pas aux fonctions, disons, du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.
On verra bien comment ce comité entend mener ses travaux. Je suis convaincu que si les parlementaires qui le composent ne disposent pas des outils voulus pour mener ces travaux, ils entreprendront des démarches pour y remédier. Je ne doute aucunement que, si on en vient à cela, le gouvernement, à l’intérieur des limites appropriées dans une société libre et démocratique, sera ouvert à une telle requête des membres du comité.
Merci, sénateur Gold, de cette réponse. Vous accomplissez un travail remarquable aujourd’hui et je vous en suis très reconnaissant. Je vous remercie de vos précisions sur ce qu’il pourrait être possible de faire.
Sénateur Gold, vous avez dit qu’il est possible que l’on prenne la décision d’assermenter les membres du comité en tant que membres du Conseil privé ou de leur donner accès à des renseignements de nature délicate et strictement confidentiels. À ce que je comprends, nous débattons aujourd’hui d’une motion. Je me demandais si le gouvernement serait ouvert à amender cette motion pour apaiser mes inquiétudes — que d’autres sénateurs partagent sans doute — afin que l’on accorde aux membres du comité d’examen parlementaire, moyennant des conditions strictes, la cote de sécurité maximale raisonnable permise pour qu’ils aient entièrement accès aux renseignements de nature délicate qui, autrement, leur seraient inaccessibles ou qui ne seraient pas rendus publics afin qu’ils puissent valider la menace envers la sécurité du Canada, justifier le décret ou justifier l’application continue du décret. Le gouvernement serait-il ouvert à considérer un amendement raisonnable en ce sens? Merci.
Je vous remercie de votre question. Le gouvernement ne jugerait pas raisonnable de tenter de modifier la motion et il s’y opposerait. Cela n’est pas ce qu’on nous demande de faire. On nous demande plutôt de confirmer ou de rejeter l’invocation de l’état d’urgence. J’espère que ma réponse n’est pas mal interprétée, car je ne veux pas nécessairement dire que c’est une mauvaise idée. J’ai simplement dit qu’il était possible que les membres du comité en question soient des membres du Conseil privé qui doivent avoir certaines habilitations de sécurité.
Je voudrais aussi rectifier ce que vous semblez croire. On ne peut pas assermenter quelqu’un provisoirement au Conseil privé. Pour clarifier mon point, je citerai l’article 10 de la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement :
Les membres du Comité sont tenus :
a) d’obtenir et de conserver l’habilitation de sécurité requise délivrée par le gouvernement fédéral;
b) de prêter le serment ou de faire la déclaration solennelle figurant à l’annexe;
c) de respecter les règles et les procédures prévues par règlement.
On ne rentre pas au Conseil privé comme dans un moulin. Ce n’est pas de cette façon que le comité pourrait accéder à de plus amples renseignements. Je le répète, lorsque le comité sera mis sur pied, ses membres évalueront ce dont ils ont besoin et ce qu’ils exigent. Ils feront des demandes et on leur répondra de manière responsable.
Si je peux me permettre de revenir, honorables sénateurs, à la position du gouvernement, celui-ci estime qu’il a satisfait au critère énoncé dans la Loi sur les mesures d’urgence grâce à des renseignements qui relèvent actuellement du domaine public. Le gouvernement ne nous a pas demandé de lui faire aveuglément confiance. Si j’ai commis l’erreur — et j’espère bien que ce n’était pas une erreur — de rappeler à des parlementaires qu’il existe au Canada un service de renseignement et des services de police qui effectuent des enquêtes et qui entretiennent des liens avec des partenaires à l’étranger qu’il convient de protéger; si j’ai commis l’erreur de vous rappeler que cela entre dans les calculs du gouvernement, non seulement pour déterminer s’il faut invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, mais aussi pour toutes sortes d’autres mesures, y compris la façon dont nous menons à bien nos activités à l’étranger et la façon dont nous collaborons avec nos alliés, je m’en excuse. Le fait est qu’il existe suffisamment de preuves relevant du domaine public pour justifier amplement la décision du gouvernement. Celui-ci avait des motifs raisonnables d’agir comme il l’a fait et nous en voyons le résultat une semaine plus tard, alors qu’un certain ordre public a été rétabli, pour le bien des Canadiens, de notre économie et de notre sécurité.
Est-ce que le sénateur Gold accepterait de répondre à une autre question?
Pourquoi pas!
Merci de vous prêter à cet exercice de questions et réponses qui a commencé vers 10 h ce matin. Je constate qu’il est 15 h 18. J’ai une question pour vous qui est la suivante. Plusieurs sénateurs et sénatrices ont demandé la tenue d’un comité plénier pour amorcer le débat du Sénat sur la déclaration d’état d’urgence. Vous avez d’ailleurs reçu une demande écrite de la part d’au moins un facilitateur d’un groupe parlementaire, qui a été appuyée par une facilitatrice d’un autre groupe parlementaire au Sénat. Pourquoi n’a-t-on pu arriver à cette solution, soit un comité plénier qui aurait permis d’entendre les ministres à l’origine de l’adoption de cette déclaration d’urgence, donc qui ont participé directement à l’élaboration de cette déclaration, lequel aurait permis à ces ministres de s’exprimer en public, devant les membres du Sénat, et aussi l’ensemble de la population? Pourquoi, sénateur Gold, n’avez-vous pas pu organiser un tel comité? Qu’est-ce qui vous a empêché de l’organiser?
Merci pour cette question. Avant d’y répondre, permettez-moi d’ajouter une réponse à la question précédente du sénateur Patterson au sujet de la recevabilité d’un amendement à la motion. Encore une fois, je fais toutes mes excuses pour ne pas avoir gardé en tête qu’en fait, conformément au paragraphe 58(6), une motion d’amendement n’est pas recevable, selon le texte de la loi.
Pour revenir à votre question, il est bien connu que le bureau du représentant du gouvernement au Sénat souhaitait fortement répondre à la requête de plusieurs sénatrices et sénateurs, car la majorité des groupes au Sénat souhaitait que nous formions un comité plénier. Nous avons appuyé cette demande parce que nous pensons que, dans ce contexte de débat historique et sans précédent, les sénateurs et les sénatrices ont le droit de recevoir des ministres clés pour répondre à leurs questions et qu’ils pourraient en bénéficier.
Cependant, dans les circonstances, compte tenu de l’échéancier restreint lié à ce processus, l’organisation d’un tel comité plénier nécessiterait le consentement unanime de la Chambre.
Je ne peux pas parler de ce qui se passe dans les réunions privées, soit avec les leaders ou d’autres. Tout ce que je peux dire, c’est qu’on a essayé de trouver une manière d’obtenir le consentement unanime afin que les trois ministres comparaissent ici avant de commencer le débat, mais ce n’était pas possible. Pour cette raison, je suis heureux qu’on ait pu organiser quelque chose à l’extérieur de la Chambre. Ce n’était pas mon premier choix, mais cela a quand même permis aux sénateurs et aux sénatrices d’avoir accès aux ministres. Nous sommes heureux d’avoir réussi à organiser cette réunion, qui répondait à une demande légitime et importante de plusieurs sénateurs et sénatrices. Il est dommage que les Canadiens et les Canadiennes n’aient pas été en mesure d’y participer et d’y assister, mais nous avons des règles qui nous lient, et la règle du consentement unanime n’est pas toujours accessible au représentant du gouvernement au Sénat. Voilà tout ce que je peux dire à cet effet.
Est-ce que je comprends bien, sénateur Gold, que la demande de certains sénateurs et sénatrices de recevoir des ministres pour obtenir de l’information de la part des gens qui ont pris des décisions importantes n’a pas été comblée parce qu’un certain nombre de sénateurs s’y sont opposés?
Encore une fois, merci pour cette question. Tout ce que je peux dire et que je veux dire, chers collègues, c’est que nous étions convaincus de ne pas pouvoir obtenir le consentement unanime. Pour cette raison, nous voulions procéder autrement. Nous ne voulions pas jouer de jeux politiques. Nous respectons la Chambre et nos règles, mais nous respectons également notre devoir et le besoin d’avoir toute l’information de la part du gouvernement, qui demande votre consentement. C’est pourquoi nous avons essayé, sans succès, d’organiser un comité plénier. Heureusement, nous avons réussi à vous donner accès aux ministres, à qui je suis reconnaissant. Ces ministres, pendant une séance à la Chambre des communes, juste avant le vote, ont accepté de nous parler et de répondre à nos questions. Je suis également très reconnaissant aux sénateurs qui ont choisi d’assister à cette séance. J’espère que cela a été une expérience valable.
Ma question s’adresse au sénateur Gold. Même si je suis très intéressée par la présentation d’une motion aux termes de l’article 59 par un groupe de sénateurs ou de députés de tous les horizons politiques, je veux vous demander si vous voulez bien me pardonner, car j’ai fait une erreur. J’ai donné des informations fondées sur ce que je voyais de la fenêtre de mon bureau, qui se trouve à plusieurs coins de rue de celui de la sénatrice Pate. Lorsque j’ai mentionné que les camions avaient été stoppés par les forces de sécurité, la sénatrice Pate m’a envoyé une photo prise le vendredi 28 janvier à 16 heures qui montrait que des camions étaient stationnés devant son bureau sur la rue Wellington. J’espère que vous accepterez ma rectification et que vous comprendrez que j’ai fait cette déclaration en fonction de mon angle de vue limité.
Aviez-vous une question, sénatrice McPhedran?
Je l’ai dit au début de mon intervention, Votre Honneur. Ma question pour le sénateur Gold est : me pardonnez-vous d’avoir donné des informations fragmentaires?
Oui.
Honorable sénateurs, c’est la fin de la deuxième ronde de questions. Sénateur Gold, souhaitez-vous répondre à d’autres questions?
Je ne veux pas empêcher les sénateurs de poser les questions qu’ils ont en tête et auxquelles je n’aurais pas encore répondu. Je les comprends. L’avant-midi et l’après-midi ont été longs et, même si j’ai le droit de dire non, j’hésite à le faire.
Nous serons conciliants. Nous aurons bientôt terminé.
Je tiens toutefois à présenter une demande, puisque j’ai la capacité de le faire. J’ai fait de mon mieux pour répondre aux questions que vous m’avez posées. Vous n’êtes peut-être pas satisfait de toutes mes réponses, mais vous n’obtiendrez pas de réponses différentes si vous me posez de nouveau la question. Je serai donc prêt à répondre à d’autres questions. Les honorables sénateurs n’ont pas à me traiter avec déférence, car j’aime prendre la parole et être le centre d’attention. Je suis un vieux professeur de droit et un amateur de rock-and-roll, alors, vous imaginez. Cela dit, il s’agit d’un débat sérieux et je ne veux pas être celui qui vous empêche d’obtenir les informations dont vous avez besoin. Je vous demanderais donc, par respect pour nos autres collègues qui ont préparé des discours et qui veulent s’exprimer... Croyez-moi, je veux les entendre et je veux vous entendre. Il y a de l’expertise au Sénat et elle est importante dans ce débat, qu’elle soit dans le domaine constitutionnel, juridique, policier ou citoyen. J’ai pris beaucoup trop de temps, je suis donc prêt à répondre à d’autres questions. Je vous demande de comprendre que d’autres sénateurs attendent de prendre la parole et qu’il s’agit d’un débat important que nous voulons laisser se poursuivre. Merci.
Sénateur Gold, si on vous pose une question à laquelle vous avez déjà répondu, pourriez-vous simplement dire que la question a déjà été posée et que vous y avez répondu?
Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt, sénatrice Moncion?
Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier, sénateur Gold, de poursuivre votre travail malgré la journée éreintante que vous avez. Je vous en suis reconnaissant. Si Son Honneur et vous me le permettez, j’aimerais poser les deux questions que j’ai préparées. Toutefois, à la lumière de la question de la sénatrice Dupuis et de votre réponse, je suis également obligé d’aborder au moins ce point. Si vous me permettez de poser une question à ce sujet et de poser les deux questions que j’ai préparées, je n’en poserai aucune autre de la journée. Sénateur Gold, j’espère que vous accéderez à ma demande et j’espère que Son Honneur fera de même.
La sénatrice Dupuis a posé une question sur la tenue d’un comité plénier. Il y a de nombreuses années, un bon ami de Montréal m’a dit ceci : « Don, il est de plus en plus difficile de cacher ta honte. » Bien que vous ayez essayé très fort de prêcher par l’exemple, selon moi, on pourrait dire la même chose au sujet de votre réponse.
Je signale à la sénatrice Dupuis que c’est le sénateur Don Plett qui n’était pas prêt à accorder son consentement. Vous ne vouliez pas le dire, mais, moi, je vais le dire.
Je dois aussi dire que c’est moi qui ai offert — comme l’offre vient de moi, pendant et après notre réunion, je crois que je peux le dire — d’entendre les deux parties dans le cadre d’un comité plénier, ce que les comités font couramment. Aux comités, chers collègues, nous demandons autant aux partisans d’un projet de loi — généralement des ministres et leurs représentants — qu’à ses opposants de venir témoigner.
Cela s’est déjà produit en comité plénier. À tous nos collègues qui pensent que nous ne voulions pas entendre les ministres — en fait, c’est vrai, je ne voulais pas car, en toute franchise, j’ai déjà entendu leurs arguments. Quoi qu’il en soit, nous étions prêts à les écouter, mais nous voulions aussi entendre les opinions contraires. Nous voulions que l’Association canadienne des libertés civiles vienne nous dire pourquoi, à son avis, il s’agit d’une très mauvaise mesure législative. Je ne crois pas qu’il s’agissait là d’une demande déraisonnable, chers collègues.
Je veux que ce soit bien clair, et je suis convaincu que le sénateur Gold aurait aimé pouvoir dire la même chose s’il avait été certain de pouvoir le faire sans trahir une confidence. Je vais en rester là. Nous étions en faveur d’un comité plénier, mais dans des circonstances différentes.
Je vais maintenant poser mes deux questions, honorables sénateurs. Tout le monde sera sûrement ravi d’apprendre que je n’en poserai pas davantage. Je vais maintenant vous régaler de mes propos et, si vous me faites la vie dure, mon discours sera un peu plus long. Je vous rappelle que mon temps de parole est illimité et que je pourrais en profiter. Soyez-en conscients.
Sénateur Gold, vous avez parlé du blocage qui a eu lieu à Coutts, en Alberta, à la frontière canado-américaine, mais vous n’avez pas répondu à la question que voici : on a mis fin au blocage de Coutts, en Alberta, grâce aux lois et aux ressources habituelles, sans recours à la Loi sur les mesures d’urgence et aux pouvoirs excessifs qu’elle donne au gouvernement. Le ministre des Affaires municipales de l’Alberta a dit que les forces de la GRC en Alberta avaient eu du renfort d’autres agents de la GRC établis en Colombie-Britannique et que le gouvernement de l’Alberta avait obtenu la machinerie lourde nécessaire pour remorquer des véhicules commerciaux.
Les barrages de Coutts ont été levés grâce aux méthodes policières traditionnelles et conventionnelles. Treize personnes ont été arrêtées, et de graves accusations ont été portées — notamment pour avoir comploté en vue de commettre des meurtres. Beaucoup d’autres personnes ont quitté les lieux sans incident.
À Emerson, au Manitoba, la GRC a négocié avec les manifestants afin qu’il soit possible d’ouvrir la frontière pour laisser passer les camions transportant du bétail. Elle a ensuite négocié pour que d’autres véhicules puissent faire un détour de 30 minutes et aller traverser la frontière à un autre endroit. Ce n’était pas une solution idéale, mais elle a fonctionné. Il n’y a pas eu de violence ni de fermeture, parce que les gens se sont parlé et sont arrivés à des solutions.
Monsieur le leader, pourquoi le gouvernement Trudeau considère-t-il que le convoi d’Ottawa est d’une gravité telle qu’il nécessite un état d’urgence national, alors que les blocages de Coutts et d’Emerson ont pu être réglés par des interventions policières traditionnelles et conventionnelles?
Je vous remercie de votre question. Lorsque le convoi est arrivé à Ottawa, la situation a clairement permis de constater que les mesures existantes ne pouvaient être appliquées efficacement. Le convoi arrivé à Ottawa n’était pas un événement isolé et indépendant des manifestations qui ont paralysé Coutts et Emerson ou de celles qui se sont propagées et ont eu diverses répercussions dans de nombreuses villes canadiennes.
Le gouvernement a pris cette décision quand il est clairement ressorti que la situation à Ottawa ne pouvait être gérée de la même façon qu’à Coutts ou ailleurs et quand, par surcroît, il a compris que ces manifestations ne constituaient pas un phénomène isolé et que tant que la crise à Ottawa ne serait pas dénouée — convenablement et pacifiquement, mais efficacement — il était probable que le mouvement, inspiré et renforcé par ses efforts fructueux pour littéralement prendre le contrôle des rues de la capitale, continuerait simplement à perturber le Canada, la vie des citoyens et l’économie, et à mettre en péril la sécurité nationale.
Eh bien, nous en resterons là.
Monsieur le leader, lundi dernier, quand le premier ministre a annoncé qu’il invoquerait la Loi sur les mesures d’urgence, il a répété maintes fois que ces pouvoirs seraient d’une durée limitée. Il l’a dit à maintes reprises.
Or, à peine quelques jours plus tard, le gouvernement Trudeau a fait une volte-face complète. Lors d’une conférence de presse, la ministre Freeland a dit ceci au sujet des nouveaux pouvoirs de surveillance financière du gouvernement :
Nous présenterons des mesures pour mettre en place ces outils de façon permanente. Les pouvoirs du CANAFE, je crois, doivent être élargis pour couvrir les plateformes de sociofinancement et les plateformes de paiement, ainsi que leurs fournisseurs de services de paiement. C’est quelque chose que nous devons faire et que nous ferons pour rendre ces outils permanents.
Monsieur le leader, lundi, on prétendait que ces pouvoirs seraient d’une durée limitée. Or, vendredi, on disait qu’ils étaient permanents.
Ma question est la suivante : comment et quand le gouvernement Trudeau prévoit-il rendre ces pouvoirs de surveillance financière permanents? Est-ce que ce sera une mesure intégrée dans le projet de loi d’exécution du budget prévu plus tard, au printemps, et qui fera l’objet d’un vote de confiance?
Monsieur le leader, vous avez répété maintes fois aujourd’hui que l’un des partis de l’opposition avait aidé le gouvernement à faire adopter la motion dont la Chambre des communes était saisie hier soir. Vous n’avez pas mentionné que le premier ministre a brandi la menace d’un vote de confiance. Et c’est bien ce que c’était pour moi, une menace : appuyez la motion si vous ne voulez pas de nouvelles élections. Est-ce que c’est ce qu’il prévoit faire de nouveau, ou est-ce que ces pouvoirs seront intégrés dans une mesure législative distincte?
Merci de votre question. Je vais répondre à la question sur la mesure législative sans me prononcer sur ce que tous les parlementaires ou les citoyens canadiens croyaient être en jeu lors du vote d’hier. Je ne peux pas m’imaginer que si la motion avait été rejetée à la Chambre hier, les députés de la loyale opposition de Sa Majesté auraient dit qu’ils croyaient encore que le gouvernement méritait de demeurer au pouvoir, mais je m’écarte du sujet.
Pour répondre à votre question, le gouvernement reconnaît — comme tout gouvernement prudent — que les instruments qui réglementent les transactions financières et les rapports connexes n’ont pas suivi l’évolution de la technologie ou tout autre changement dans les façons de déplacer des actifs. Il faut même revoir la définition du terme « argent » pour inclure la cryptomonnaie, mais aussi pour tenir compte des moyens de recueillir des fonds par l’entremise de campagnes de sociofinancement, etc.
Reconnaître ces enjeux et instaurer des mesures temporaires pour régler la crise, est une manière responsable de dire: « Vous savez quoi? Il faut agir ainsi ». Je n’ai aucune idée, honorables sénateurs — je ne connais ni les plans du gouvernement ni les échéanciers établis. Je me sens comme à la période des questions. Quand j’aurai été informé, quand ce sera le bon moment pour divulguer cette information, quand les intentions du gouvernement seront connues, tous les renseignements pertinents seront communiqués.
Pour ce qui est de découvrir ce que le gouvernement sait, quelles mesures il a choisi de présenter et quelles sont celles adoptées par le Parlement, je précise qu’il s’agit d’une tout autre question. À l’instar du gouvernement de l’Ontario qui passe en revue ses lois sur l’état d’urgence — et toutes les provinces sont en train de le faire, parce que c’est nécessaire — nous aussi, nous devons le faire. En temps voulu, et quand nous recevrons le projet de loi, quel qu’en soit la forme, nous l’étudierons, nous l’examinerons, nous le renverrons au comité et nous veillerons à ce que ce soit la meilleure mesure législative pour répondre aux besoins des Canadiens.
Merci.
Sénateur Gold, j’estime que dans certaines parties de votre discours de ce matin et dans les définitions que vous avez lues, vous avez trop insisté sur le mot « raisonnable » et pas assez sur le mot « urgence ». Qu’est-ce qui vous porte à croire que les événements qui se sont produits à Ottawa au cours des trois dernières semaines méritaient d’être considérés comme une urgence?
Rappelons aussi que, selon l’un des critères prévus par la Loi sur les mesures d’urgence, il doit s’agir d’une situation de crise à laquelle « [...] il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ». Comment la situation à Ottawa satisfait-elle à ce critère? Les organisateurs eux-mêmes ont été accusés d’infractions en vertu du Code criminel du Canada, notamment de méfait.
Avec votre permission, je m’inspirerai une fois de plus de la sénatrice Moncion. Cette question m’a été posée à plusieurs reprises. C’est un point que j’ai abordé dans mon discours, et la déclaration est claire. Je crois avoir fourni les meilleures réponses qu’il m’était possible de fournir, madame la sénatrice.
Mon discours, le hansard et les déclarations devront suffire.
Votre Honneur, je crois qu’il faudra créer un nouveau prix de participation pour les sénateurs. Nous venons de voir une médaille d’or.
Ma question porte sur le Code de la route de l’Ontario. Je crois que cette question n’a pas été posée. Le paragraphe 134.1(1) permet aux policiers d’enlever un véhicule qui immobilise la circulation sans même avoir recours à un remorqueur, car il donne le pouvoir aux policiers d’ordonner à quelqu’un d’enlever ledit véhicule. Si la personne n’obtempère pas à l’ordre, elle commet une infraction d’entrave, selon l’article 129 du Code criminel, mais le policier a aussi le pouvoir de déplacer lui-même le véhicule.
En vertu du paragraphe 134.1(1) :
L’agent de police qui l’estime raisonnablement nécessaire :
a) soit pour assurer le bon ordre de la circulation; [...]
peut enlever et remiser ou ordonner que soient enlevés ou remisés un véhicule [...] s’ils ralentissent ou bloquent directement ou indirectement la circulation normale et raisonnable sur une voie publique [...]
Sénateur Gold, pourquoi avoir adopté un décret de mesures d’urgence pour renforcer l’application d’un simple article du Code de la route de l’Ontario?
C’est vrai que la question n’a pas été posée de cette façon. Donc, vous avez échappé à la règle de la motion qui me protégerait. Cependant, j’ai essayé de répondre à cette question et j’y ai répondu, alors je serai bref. En raison des faits sur le terrain, nonobstant l’existence de pouvoirs potentiels, la situation était telle qu’il était impossible d’appliquer ces articles de lois. Il n’y avait ni la volonté ni les ressources policières requises. Il y avait tellement de camions — et on ne parle pas ici des fourgonnettes avec des matelas gonflables et qui n’avaient plus de roues — qu’il était impossible, pour un agent de police, de les prendre en charge. De plus, les compagnies de remorquage nous ont dit qu’elles ne voulaient pas offrir leur aide, parce qu’il s’agissait de leurs clients, leur pain et leur beurre. Il a fallu promulguer un règlement pour donner les ressources nécessaires pour faire cesser ce blocage. C’est l’une des raisons, parmi plusieurs, qui justifient et expliquent, à mon avis, la proclamation de l’état d’urgence.
Je vous renvoie toujours à l’article 129 du Code criminel, qui aurait permis de déposer des accusations contre les remorqueurs qui refusaient de faire leur travail. Ma question porte sur le financement et la saisie des comptes bancaires. En quoi le fait de saisir des comptes bancaires a-t-il permis d’aider les policiers à retirer plus rapidement les camions de la rue Wellington?
J’ai déjà donné une réponse à cette question, mais avec tout le respect que j’ai pour vous, cher collègue, je vais essayer de répondre brièvement. Je vous invite sincèrement à étudier les mesures qui ont été mises en place, non pas d’une façon globale, mais cohérente, pour que l’une renforce l’autre. L’effet dissuasif de la possibilité d’encourir une pénalité financière, la possibilité très réelle d’être assujetti à des contraventions conformément au Code criminel ou autres, en plus des autres outils visant à mettre en place rapidement une force adéquate pour répondre aux normes et à la détermination de ceux et celles qui s’étaient installés à Ottawa, tout cela a donné un délai de quelques jours à nos policiers pour changer totalement la situation dans les rues. Donc, c’est vrai, et je comprends tout à fait que l’on soit d’avis qu’il est pertinent d’isoler certains aspects de la question, mais il faut voir quel est l’effet combiné de ces mesures. C’est de cette façon que ces mesures ont été érigées et déployées. J’espère que cela donne un peu plus de contexte à une réponse que j’ai déjà donnée.
Ma question s’adresse au leader du gouvernement. Monsieur le leader, en ce qui concerne le remorquage des véhicules, étiez-vous au courant du fait que l’article 129 du Code criminel autorise les policiers à demander l’aide des remorqueurs, et qu’un remorqueur n’a pas le choix d’acquiescer à la demande et de déplacer le véhicule? Nous n’avons pas besoin de cette loi. Je l’ai déjà fait dans ma carrière de policier. L’article 129 du Code criminel autorise le policier à demander l’aide du remorqueur, donc le remorqueur n’a pas le choix.
Je vous remercie de cette question. Avec tout le respect que je vous dois, je crois que c’est exactement la même question que notre collègue le sénateur Carignan vient de poser. J’ai déjà répondu et j’en resterai là pour l’instant.
Je voulais donner suite à la question du sénateur Carignan. Je trouvais que la réponse du leader du gouvernement n’était pas claire.
Un policier peut demander de l’aide en ayant recours à l’article 129 du Code criminel, donc nous n’avons pas besoin d’une loi spéciale à cet égard.
Face à la crise, face au refus des personnes de répondre aux demandes et face à ceux et celles qui refusaient de quitter les lieux, même après quelques semaines, le gouvernement a pris la décision, en tenant compte de toutes les circonstances, de proclamer l’état d’urgence et de promulguer des mesures temporaires, qui étaient nécessaires pour rétablir la situation sur le terrain, en raison des faits qui se sont produits. Le gouvernement n’avait pas le choix.
Le sénateur Gold n’a jamais été aussi heureux d’entendre ma voix, même en ne sachant pas ce que je vais dire.
Sénateur Gold, je ne veux pas que vous considériez dorénavant les périodes des questions hebdomadaires comme étant banales et insignifiantes. Alors, je m’engage à vous poser des questions qui vont vraiment stimuler votre réflexion lors de cette très courte période des questions.
Chers collègues, l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence éveille chez moi, comme chez plusieurs de mes collègues québécois, des sentiments pénibles et douloureux parce qu’ils évoquent une période sombre de notre histoire commune.
En octobre 1970, j’avais 19 ans. J’étais étudiante au cégep. J’allais entreprendre mes études universitaires à peine une année plus tard. J’avais déjà un intérêt marqué pour les affaires publiques et la démocratie, dans une société québécoise en pleine ébullition au terme de sa Révolution tranquille, qui a mené à de nombreuses réformes basées sur des valeurs d’égalité, de solidarité, de développement économique et d’ouverture sur le monde.
De la crise d’Octobre de 1970, je me souviens de l’effroi qu’ont suscité les actes terroristes perpétrés tout près de chez moi, soit l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross, puis celui, dont le dénouement a été tragique, du vice- premier ministre et ministre de l’Immigration, de la Main-d’œuvre et du Travail, Pierre Laporte. Jamais je n’oublierai cet effroi.
Par la suite, j’ai constaté les effets de l’application de la défunte Loi sur les mesures de guerre. J’ai assisté, dans une société de droit, une société démocratique, à la suspension de l’habeas corpus et au mépris envers les droits de la personne.
J’ai été témoin avec consternation de l’arrestation arbitraire et de la détention abusive de syndicalistes, de journalistes, d’artistes, dont plusieurs poètes, et de simples citoyens, muselés dans leur liberté d’expression et dans leur droit d’association. Au total, on parle d’environ 500 personnes qui ont été rapidement privées de leur liberté sur la base de simples présomptions, au mépris des principes de justice les plus élémentaires.
J’ai été stupéfiée par la violence, l’intimidation et l’implacable dureté qui ont accompagné l’application de cette loi sur le territoire québécois. C’est donc dans ce contexte que j’ai réfléchi à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement et que je prends la parole aujourd’hui, consciente de l’abrogation de la Loi sur les mesures de guerre en 1988, loi qui a été remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence.
Je suis consciente des leçons que le gouvernement et le Parlement du Canada ont tirées de ces tristes événements. Je suis consciente aussi du fait que l’invocation de cette loi d’exception, une loi qui doit être promulguée en dernier recours, est une première dans l’histoire de notre pays.
La situation actuelle est loin de se comparer à celle d’octobre 1970. Pour commencer, la Loi sur les mesures d’urgence, qui a été adoptée en 1988, n’est pas aussi draconienne que sa prédécesseure et elle est mieux balisée afin de prévenir les abus graves. Pour être appliquée, les provinces et les territoires doivent être consultés, ce que le gouvernement a fait. Jusqu’à présent, même si d’autres provinces ont été le théâtre de gestes inquiétants en lien avec ce qu’il est désormais convenu d’appeler le convoi pour la liberté, seul le premier ministre Ford, de l’Ontario, a publiquement appuyé le recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin aux manifestations à Ottawa et ailleurs en Ontario. Cela dit, rien ne justifierait que la loi soit appliquée ailleurs, au Québec par exemple, sans d’abord consulter les autorités concernées.
Le premier ministre du Québec, François Legault, a d’ailleurs clairement dit que la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas sa raison d’être au Québec. Je le cite :
On ne pense pas que c’est nécessaire et on l’a vu en fin de semaine dernière, à Québec, les corps de police et la Sûreté du Québec arrivent à garder le contrôle, et, deuxièmement, je pense que c’est le temps de rassembler les Québécois, pas de les diviser.
Il serait donc inacceptable d’appliquer la loi sur le territoire québécois contre la volonté du premier ministre provincial et, en fait, de tous les députés de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, et contrairement à la Loi sur les mesures de guerre, qui a été révoquée, la Loi sur les mesures d’urgence exige une surveillance parlementaire. En effet, un comité d’examen parlementaire, composé de parlementaires des deux Chambres du Parlement, examinera avec diligence les responsabilités découlant de la déclaration de crise. Le comité parlementaire mènera une enquête sur les circonstances qui ont donné lieu à la déclaration et sur les mesures prises pour faire face à la crise.
Les sénateurs et les députés ont le devoir de procéder à cet examen avec le plus grand sérieux et la plus grande considération.
De plus, la Loi sur les mesures d’urgence se distingue de la loi précédente par le fait qu’elle est assujettie à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Déclaration canadienne des droits. À ce titre, les droits fondamentaux ne doivent pas être limités ou restreints, même en cas d’urgence nationale. Toute mesure prise dans le cadre de cette loi doit être limitée à ces considérations et proportionnelle au degré d’urgence.
Enfin, la loi fait l’objet d’un débat exhaustif et est soumise à l’approbation des deux Chambres du Parlement, ce que nous faisons aujourd’hui.
La première question que nous devons maintenant nous poser est de savoir s’il était nécessaire d’invoquer la loi pour mettre fin à l’occupation à Ottawa et aux barrages érigés un peu partout au pays.
De toute évidence, la situation avait suffisamment duré et des mesures étaient requises. Même en tenant compte du succès de la récente opération policière, l’atteinte aux droits fondamentaux des citoyens avait trop duré. Dans les dernières semaines, nous avons abandonné une partie de notre capitale aux manifestants. Si ces manifestants ont le droit de s’opposer aux décisions du gouvernement du Canada, ils n’ont pas le droit de prendre une population en otage, de bloquer des ponts et des routes, ni de menacer le bon fonctionnement d’un pays démocratique.
Même des points d’accès stratégiques comme des autoroutes et des aéroports ont été visés, au mépris complet de la loi et de la liberté des citoyens. La situation à Ottawa était illégale, très perturbatrice et comportait en soi un ensemble de problèmes de sécurité que l’on ne pouvait tout simplement pas ignorer. Chose extraordinaire, les travaux des deux Chambres du Parlement ont dû être suspendus en raison de l’activité des manifestants, ce qui a entraîné des retards dans les débats sur cette loi essentielle. Cela est inacceptable.
Qu’en est-il des lourdes conséquences économiques qui ont découlé des barrages et de leurs inévitables répercussions sur l’économie canadienne, sur les entreprises locales et sur les citoyens ordinaires? Il fallait prendre cela en considération. Le coût quotidien des services de police est d’au moins 2,5 milliards de dollars, et n’oublions pas les entreprises encore fermées et les échanges commerciaux qui ont été retardés à cause des barrages.
Nous devons nous poser une autre question essentielle. Les pouvoirs exceptionnels conférés par la Loi sur les mesures d’urgence étaient-ils vraiment essentiels? Était-il inévitable de recourir à ces pouvoirs pour mettre fin à la menace d’une autre occupation illégale? Ces pouvoirs sont vraiment exceptionnels, car on prévoit des mesures concernant l’interdiction des assemblées publiques et des déplacements, l’ordre d’expulser certaines personnes et d’évacuer des propriétés privées, l’utilisation de certains biens, le pouvoir d’ordonner à des personnes et à des entreprises de fournir des services essentiels, et plus encore.
Or, maintenant qu’on a mis fin à l’occupation illégale de la Colline du Parlement et du centre-ville d’Ottawa en appliquant la loi, qu’est-ce qui justifie l’application de cette loi pour les 22 jours restants qui sont prévus au titre de la déclaration d’état d’urgence? Cette question est devenue cruciale.
Nous devons nous demander si le recours à la Loi sur les mesures d’urgence satisfait au critère établi dans l’arrêt Oakes. En quoi consiste ce critère? Dans l’arrêt R. c. Oakes, qui date de 1986, la Cour suprême a créé un critère de pondération en deux volets pour établir si un gouvernement peut justifier le recours à une loi qui limite les droits garantis par la Charte.
Premièrement, l’objectif que doit accomplir l’adoption de mesures restreignant un droit garanti par la Charte doit être suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution. Deuxièmement, la partie qui invoque l’article 1 doit démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l’application d’une sorte de critère de proportionnalité qui comporte trois éléments importants.
Pour commencer, les mesures adoptées ne peuvent pas être arbitraires; elles doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question et doivent avoir un lien rationnel avec celui-ci. De plus, le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question. Enfin, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté et l’objectif. Plus la mesure aura des effets nuisibles, plus l’objectif doit être important.
Si je pense au blocage de ponts stratégiques et à l’occupation de notre capitale nationale, je crois que nous avions entre les mains un problème urgent qui nécessitait une action imminente du gouvernement. Jusqu’à présent, la loi a été utilisée prudemment, avec modération, et seulement à des endroits précis. Pour ma part, je crois que les retombées positives pour les citoyens ordinaires, l’économie et les entreprises l’emportent nettement sur les restrictions imposées aux manifestants.
Nous pouvons examiner les répercussions de cette loi d’une manière philosophique, mais nous devons aussi nous montrer pragmatiques et réalistes. Le danger auquel notre pays était confronté était bien réel, et il fallait passer à l’action. D’ailleurs, après trois semaines d’occupation, dans une lettre datée du 19 février adressée à Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique, et à Bill Blair, ministre de la Protection civile, l’Association canadienne des chefs de police a souligné la nécessité de ces mesures exceptionnelles :
L’interdiction des transactions financières visant à soutenir les rassemblements illégaux s’avère essentielle pour mettre fin pacifiquement à ces rassemblements et pour décourager la tenue d’autres rassemblements ponctuels illégaux.
Je suis plutôt d’accord pour dire que, bien que des progrès considérables aient été réalisés au cours des derniers jours, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des mesures extraordinaires, telles que la capacité de geler des actifs financiers et de contrôler les déplacements en direction d’emplacements stratégiques, demeurent toutefois absolument nécessaires jusqu’à ce que nous soyons convaincus d’avoir repris le contrôle de la situation et que les manifestants sont rentrés chez eux.
Le fait est que les tensions sont encore vives à Ottawa. Au cours des derniers jours, et plus précisément après l’intervention de la police, les employés de mon bureau, de même que, j’en suis sûre, ceux des bureaux de nombre de mes collègues, ont été victimes de mauvais traitements et de menaces violentes de la part des partisans du soi-disant « convoi pour la liberté ». Ces menaces étaient proférées par des citoyens canadiens et étrangers, qui prônaient le renversement du gouvernement et, dans certains cas — trop souvent —, l’exécution du premier ministre et des membres du gouvernement.
En ces temps de vives tensions, nous devons demeurer vigilants pour maintenir la paix dont l’intervention policière nous permet de jouir, ici, à Ottawa. Je crois que nous devons également garder à l’esprit le concept de principe de précaution lorsqu’il faudra décider de prolonger ou non cette loi pour une période de 30 jours. Bien que nous ne sachions pas avec une certitude absolue si cette loi est nécessaire pour maintenir la loi et l’ordre dans notre pays, nous savons que nous ne pouvons permettre aux barrages et aux occupations illégales de se reproduire.
Cela étant dit, je vais maintenant aborder les préoccupations que j’ai par rapport au renforcement des pouvoirs de la police au moyen d’outils aussi extraordinaires. Ce faisant, nous devons nous assurer de ne pas ouvrir la porte aux abus et à la violation des droits des citoyens. Les freins et contrepoids prévus par la loi sont-ils suffisants pour empêcher ces abus?
D’après ce que nous avons vu, nous devons féliciter nos services de police pour leur professionnalisme et l’efficacité avec laquelle ils ont mis les enfants à l’abri et ont délogé les véhicules et les manifestants. Jusqu’à maintenant, ils l’ont fait avec tact et sans blessures graves ni décès, malgré les tentatives évidentes de désinformation, notamment les fausses accusations de brutalité policière et de mauvais traitements envers les manifestants.
Bien sûr, le comité d’examen parlementaire sera en mesure de juger après coup de la façon dont les mesures extraordinaires prévues par la loi ont été utilisées, mais ce n’est pas de cela que nous débattons aujourd’hui. Aujourd’hui, nous devons déterminer si nous consentons à prolonger l’application de la Loi sur les mesures d’urgence jusqu’à son terme de 30 jours, c’est-à-dire d’en prolonger l’application de 22 jours à compter d’aujourd’hui. Quelles garanties avons-nous que l’intention est d’assurer le rétablissement de l’ordre public et que cet objectif ne servira pas de prétexte pour abuser des pouvoirs extraordinaires qui seront encore une fois conférés aux forces de l’ordre et au gouvernement?
Je dois aussi mentionner que, même si beaucoup de manifestants peuvent avoir des intentions valables et des préoccupations légitimes, nous ne pouvons pas ignorer le mouvement extrémiste associé aux manifestations. Nous avons tous été choqués par les symboles racistes ouvertement affichés autour de la Colline du Parlement, à quelques mètres de notre plus haute institution démocratique. Cela ne peut être toléré. Cette association avec les extrêmes du spectre politique ne se limite pas aux symboles que nous avons vus affichés. Elle a été bien décrite dans les dernières semaines par des ministres du gouvernement et des experts comme David Morin, professeur et co-titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.
La situation où nous étions et dans laquelle nous sommes toujours est un échec; un échec découlant de ce que nombre d’experts indépendants et renommés du domaine de la sécurité considèrent comme de l’imprévoyance suivie d’une mauvaise gestion initiale de la part de la Ville d’Ottawa et de la police d’Ottawa.
Ces questions devront être examinées par le comité d’examen parlementaire pour qu’une situation semblable ne se reproduise pas. Nous devons apprendre pourquoi les autorités policières d’Ottawa n’ont pas rapidement pris les précautions voulues pour prévenir cette occupation illégale, alors que d’autres villes comme Toronto, Coutts, Windsor et Québec ont été en mesure de gérer des situations similaires.
Nous n’aurions jamais dû recourir à la Loi sur les mesures d’urgence, mais j’ai maintenant la sensation désagréable que cette mesure était et est toujours nécessaire. Il est bien trop tard aujourd’hui pour remédier aux conséquences de l’incompétence initiale de nos autorités locales. Nous ne pouvons que continuer à atténuer ces conséquences et à faire appliquer la loi de manière responsable, mesurée et professionnelle, comme nous l’avons fait ces derniers jours.
Par conséquent, j’en suis arrivée à la conclusion que nous avions en effet besoin de pouvoirs accrus pour sortir de ce marasme et que nous en avons encore besoin pour maintenir l’ordre dans notre capitale. Dans cette enceinte, qui peut affirmer avec certitude que nous aurions pu régler la situation de façon pacifique sans invoquer la Loi sur les mesures d’urgence?
Cela ne signifie certainement pas que nous devons laisser carte blanche à ceux qui détiennent ces pouvoirs accrus. Dans son annonce du 14 février sur l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, le premier ministre a déclaré que les mesures prises seraient « raisonnables et proportionnelles aux menaces qu’elles doivent contrer ». Il s’agissait d’un engagement fort, et nous ne pouvions qu’espérer que cela permettrait d’éviter toute forme d’abus de pouvoir. Jusqu’ici, cela a fonctionné, et nous ne pouvons qu’espérer qu’il en sera de même pour les 22 jours restants.
Cet engagement repose toujours sur la confiance et la capacité qu’ont les forces de police pour agir et réussir sans avoir à recourir à l’armée. Aux termes des dispositions de la loi, la police a le pouvoir de régler ce problème et elle a montré qu’elle était à la hauteur de la tâche au cours des derniers jours. Je suis satisfaite des mesures prises récemment par la police. J’espère seulement que cette tendance se poursuivra et que nous n’assisterons pas à des abus qui mèneraient à une détérioration de la situation.
Dans une démocratie, le droit à la liberté d’expression est fondamental pourvu qu’il s’exprime pacifiquement. Je souhaite la poursuite d’une application mesurée de cette loi de grande portée, dans le respect de notre Charte canadienne des droits et libertés ainsi que des principes de justice. À cette étape où il nous faut reconnaître l’échec du maintien de la loi et de l’ordre par les voies et les moyens habituels, avons-nous le choix de refuser aux autorités compétentes les pouvoirs et les mesures exceptionnels qu’elles jugent nécessaires pour maintenir la loi et l’ordre? Ces mesures pourraient-elles assurer aux citoyens d’Ottawa le maintien de la liberté qu’ils ont enfin trouvée après ces difficiles semaines d’occupation? Permettront-elles aux entreprises et à leurs employés de retourner à leurs activités? Je ne voudrais pas être coupable d’avoir pris un risque qui les priverait encore de leurs précieux droits et libertés. Ces personnes viennent à peine de retrouver leur liberté. Nous devons maintenant agir avec prudence.
Chers collègues, si le débat d’aujourd’hui avait porté sur l’application de la Loi sur les mesures de guerre, qui a été abrogée, je ne voterais pas en sa faveur. Mais ce n’est pas l’objet du débat. Les tribunaux auront sans doute la responsabilité de déterminer la constitutionnalité de cette loi et sa conformité avec les critères de l’arrêt Oakes.
Pour ma part, vu la responsabilité parlementaire qui nous incombe, et par principe de précaution dans ce climat d’incertitude, je vais voter en faveur de la confirmation de l’application, pour les 20 jours qui restent, de la Loi sur les mesures d’urgence, à moins que le gouvernement se prévale de l’option dont il dispose déjà, s’il le juge approprié, de faire cesser l’effet de la loi plus tôt sur l’avis des autorités compétentes.
Je vais voter en faveur de la confirmation de l’application de la Loi sur les mesures d’urgence, mais je vais le faire avec un profond regret. Je vais voter en espérant que ces mesures extraordinaires continueront d’être ciblées et prises avec discernement. Je vais le faire avec la plus grande réserve et en ne perdant pas de vue le principe de précaution. Je ne voudrais pas, en refusant de confirmer l’application de ces mesures exceptionnelles, me faire complice de ceux qui méprisent la démocratie. Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé de la nation algonquine des Anishinabes. Je voudrais remercier le sénateur Gold pour les heures qu’il a consacrées aujourd’hui à répondre aux questions avec un calme olympien. J’aimerais bien sûr remercier son équipe, parce que nous avons tous, comme le sénateur, une équipe formidable derrière nous.
Honorables sénateurs, honnêtement, je suis déçue d’être ici aujourd’hui pour débattre de la ratification de la déclaration d’état d’urgence. Cela dit, si, en tant que sénateurs, nous ne sommes pas préoccupés par les récents événements à Ottawa, à Coutts, à Windsor, à Surrey, à Toronto et à de nombreux autres endroits partout au pays et si nous n’agissons pas, nous faillirons à notre devoir de servir de tous les Canadiens.
Le débat sur la motion se concentrera probablement sur ce qui s’est passé à Ottawa, qui a certainement été le théâtre de l’exemple le plus flagrant de désordre public imposé aux habitants d’une ville. L’occupation d’Ottawa aurait-elle pu être prévenue? Probablement. La province aurait-elle dû en faire plus avant aujourd’hui? Nous avons tous vu les camions qui roulaient en direction d’Ottawa. Toutefois, comme aucune mesure efficace n’a été prise avant la semaine dernière, je crois que la Loi sur les mesures d’urgence demeure la seule solution.
Soyons clairs : l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence a été la première véritable tentative de régler la situation à Ottawa, et ce fait m’inquiète. Par exemple, nous savons que les forces de l’ordre ont réussi à dégager le barrage sur le pont Ambassador sans prendre de telles mesures et qu’elles ont pu dissuader les manifestants d’occuper Queen’s Park. Or, ici, à Ottawa, les lois existantes n’ont pas été appliquées pendant plus de 20 jours. À juste titre, les résidants se sont sentis abandonnés par la municipalité et les autorités policières locales. Je ne doute pas que les examens et les enquêtes qui suivront nous permettront tous de comprendre pourquoi il en a été ainsi.
À l’instar de bon nombre de mes collègues et de Canadiens d’un océan à l’autre, je crois que, si les manifestants avaient été des Canadiens noirs, des Autochtones ou des sans-abri, les forces de l’ordre auraient agi rapidement et peut-être même brutalement. Alors, pensons-y quelques minutes, chers collègues, ou plus longtemps.
Il ne fait aucun doute que les décrets d’urgence ont permis aux forces de l’ordre de gérer plus facilement à la situation à Ottawa. Il a permis de mobiliser d’importantes ressources humaines provenant de partout au pays. Il a permis à des agents de l’extérieur du Service de police d’Ottawa d’appliquer les lois municipales et provinciales existantes sans avoir à se faire assermenter. Les décrets d’urgence ont également permis de restreindre les déplacements, ce qui a enfin empêché les manifestants de la fin de semaine d’affluer au centre‑ville. De plus, le décret a contrecarré les efforts des occupants pour se réapprovisionner en carburant et autres produits. Les mesure financières ont également changé la donne en coupant le financement des efforts d’occupation destiné au réapprovisionnement.
Pendant ce débat, on nous parlera de l’opinion publique sur l’objectif des manifestations comme tel, ainsi que des gestes posés par les occupants. Nous l’avons déjà entendu à l’autre endroit, alors que les députés ont pris part à un débat vigoureux qui a suivi sans y déroger des lignes prévisibles.
Il est vrai que l’occupation d’Ottawa a réuni divers groupes de personnes ayant une grande variété de revendications. Ce ne sont pas tous les participants qui ont tenté de provoquer ces effets négatifs si importants ni de porter préjudice à leurs concitoyens. Il y a toutefois eu au centre-ville d’Ottawa de nombreuses personnes qui ont subi d’importants préjudices, notamment sur le plan financier parce que leur lieu de travail se situait à proximité ou parce qu’elles craignaient pour leur sécurité si elles sortaient de chez elles.
Les exigences liées au port du masque, les restrictions de voyage et les confinements ont été mentionnés comme étant la source des doléances, bien que cela, en grande partie, ne relève pas du gouvernement fédéral. En réalité, si les motifs de la manifestation étaient ceux que je viens d’énumérer, les manifestants seraient partis lorsque le premier ministre Ford a annoncé d’autres allègements des restrictions, qui, après tout, sont de compétence provinciale.
Toutefois, je crois fermement dans le droit de manifester ici, sur la Colline du Parlement, comme tant d’autres personnes l’ont fait sans incident au fil des années, même lorsque cela est malavisé. Avant la COVID, je dirais qu’il y avait des manifestations chaque jour. Cependant, honorables sénateurs, une manifestation est bien différente d’une occupation.
Ne vous méprenez pas. Même si elle était présentée comme une protestation au sujet des exigences de vaccination des camionneurs — même si on sait que 90 % des camionneurs sont vaccinés —, l’objectif initial de cette manifestation était clairement décrit dans leur protocole d’entente. Selon ce protocole, le Sénat du Canada et la gouverneure générale devaient remplacer le gouvernement par un comité formé de membres choisis par les occupants. Ils prévoyaient rester à Ottawa jusqu’à ce qu’on accède à leurs demandes.
Nous savons tous que c’est impossible. Nous savons tous que c’est une idée ridicule qui n’avait aucune chance de réussir, mais là n’est pas la question. C’est l’intention qui compte, et c’est ce qui devrait nous inquiéter.
Honorables sénateurs, ce n’était pas une simple manifestation ou même de la désobéissance civile; c’était de l’anarchie. Comme la sénatrice Saint-Germain l’a dit plus tôt dans son discours, des membres de mon personnel ont eux aussi été harcelés lorsqu’ils allaient travailler ou faire l’épicerie en portant un masque.
Les arguments à la défense de l’occupation d’Ottawa reposent en grande partie sur le fait qu’elle a été non violente. Elle a été comparée à la fête du Canada, avec ses spas gonflables, ses châteaux gonflables et un disc-jockey. Cela semble très bien. Je suis persuadée que cela a paru ainsi aux yeux de certains, mais la plupart des habitants d’Ottawa ne seraient absolument pas du même avis. On ne peut dire que la manifestation a été non violente simplement parce qu’il n’y a pas eu de pillage, de vitrines fracassées ou d’émeute. La violence n’est pas seulement physique. Elle peut prendre la forme de harcèlement, d’intimidation, de traque et de trouble de l’ordre public.
J’ai parlé avec des gens qui vivent à Ottawa et j’ai écouté leurs histoires. Quelque 25 000 personnes habitent au centre-ville d’Ottawa. Plus de 10 % d’entre elles sont des personnes âgées et, dans le secteur du centre-ville le plus touché par l’occupation, plus de 15 % des résidants sont âgés de plus de 65 ans. Ce ne sont pas des « Karens » ni des personnes ayant un salaire à six chiffres qui ne travaillent que 20 heures par semaine. Selon le recensement de 2016, le revenu médian des ménages dans le centre-ville varie entre 49 000 $ et 61 000 $ avant impôt en fonction du secteur précis où ils vivent. Il s’agit d’un quartier dynamique et animé qui est rempli de boutiques, de cafés et de personnes de tous âges. Bien que le centre-ville évoque des images d’édifices gouvernementaux, il abrite également des milliers de personnes.
Les Ottaviens ne se croient pas meilleurs que les autres. Ils n’ont pas l’impression d’être spéciaux non plus. Cela dit, personne ne devrait avoir à endurer ce que les Ottaviens ont enduré, ne serait-ce que 24 heures : coups de klaxon à toute heure du jour et de la nuit devant des résidences et suffisamment bruyants pour endommager l’ouïe ou en tout cas pour empêcher de dormir; feux d’artifice lancés juste à côté de grands immeubles résidentiels où vivent des familles et des aînés; maisons qui empestent les vapeurs de diésel; feux à ciel ouvert et cochons qui rôtissent sur la broche en plein centre-ville; harcèlement et menaces contre quiconque porte le masque et même agressions contre ceux qui refusent de l’enlever; gens qui essaient d’allumer un incendie dans une tour de logements ou qui essaient d’embarrer les locataires à l’intérieur d’une autre; entrées par effractions dans la salle des machines de certains immeubles afin de couper l’électricité et l’eau; engorgement des lignes du 911; et tentatives d’entrave au travail des policiers. C’est une honte, honorables sénateurs. Certains journalistes ont été harangués et ils se sont fait cracher dessus, quand ils n’ont pas été carrément agressés en ondes. Je rappelle au passage à ceux qui croient que tout est terminé que le Centre Rideau a été évacué cet après-midi.
Des entreprises ont été prises d’assaut par des clients refusant de porter le masque, comme l’exigeaient les autorités provinciales. Plusieurs d’entre elles, qui ont déjà énormément souffert depuis le début de la pandémie, attendaient avec impatience le relâchement des restrictions après le plus récent confinement — je pense entre autres aux restaurants qui ne pouvaient accueillir de clients à l’intérieur —, mais elles ont dû fermer leurs portes à cause de l’occupation.
Le Centre Rideau, qui se classe au quatrième rang des centres commerciaux les plus achalandés au Canada, a été fermé pendant trois semaines, ce qui a entraîné la perte de dizaines de millions de dollars en revenus et mis 1 500 personnes au chômage temporairement. La plupart de ces 1 500 personnes gagnaient sans doute le salaire minimum, vivant d’un chèque de paie à l’autre.
Honorables sénateurs, cela ne ressemble pas aux célébrations de la fête du Canada à mes yeux.
L’anarchie qui sévissait au centre-ville rendait le secteur terrifiant et dangereux pour ceux qui y vivent et y travaillent, en particulier pour les personnes noires, autochtones ou de couleur. Peu importe la fierté et le sentiment d’appartenance que les Canadiens peuvent avoir envers leur capitale, Ottawa compte un million d’habitants. C’est leur ville. Le centre-ville d’Ottawa, ce n’est pas seulement des immeubles de bureaux et la Colline du Parlement — de vraies personnes y vivent. Le quartier de Centretown accueille une communauté diversifiée et dynamique — de vraies personnes y vivent. Le marché, gai et animé — de vraies personnes y vivent. Des quartiers entiers ont été occupés, et leurs habitants ne veulent que la paix et la tranquillité. Ils ne veulent pas que cela se reproduise ici ni ailleurs. Honorables sénateurs, moi non plus.
Au bout du compte, nos droits garantis par la Charte viennent avec des responsabilités. Nos choix personnels ont des conséquences, et les droits des individus ne l’emportent pas sur les droits communs. Si vous croyez que seuls quelques-uns des occupants d’Ottawa avaient des idées extrémistes, je vous invite à aller passer quelques minutes sur Facebook, Twitter ou TikTok et à observer les éléments extrêmes qu’on y trouve. Il ne fait aucun doute qu’il nous faudra avoir de sérieuses conversations à ce sujet en tant que pays. Je dirais même le plus tôt possible.
Honorables sénateurs, je comprends que les Canadiens sont frustrés. Je comprends que leurs vies ont été bouleversées par la COVID. Nous souhaitons tous un retour à la normale. Nous sommes tous épuisés par la pandémie. Je le suis autant que n’importe qui, et je reconnais que je suis privilégiée parce que je n’ai pas à m’inquiéter pour mon emploi.
Les deux dernières années nous ont paru interminables, mais les Canadiens demeurent en grande majorité non divisés. Des millions de Canadiens se sont serré les coudes et ils ont fait ce qu’ils devaient faire pour traverser cette crise sans précédent : se faire vacciner, suivre les consignes des responsables de la santé publique et prendre soin des personnes les plus vulnérables. Ils sont la majorité silencieuse, ils persévèrent malgré l’adversité et ils font ce qu’il faut pour contribuer au bien-être de leurs concitoyens à l’échelle du pays.
Honorables sénateurs, nous devons continuer d’unir nos forces, comme nous le faisons depuis le début de la pandémie. Je suis convaincue que nous sortirons de ce long tunnel si nous travaillons ensemble. Ces mesures d’urgence sont temporaires, soumises à la surveillance parlementaire, et — à mon avis — appropriées dans les circonstances. C’est pourquoi je vais appuyer la motion présentement à l’étude. Merci.
Je prends aujourd’hui la parole pour m’opposer à la motion de ratification de la déclaration de situation de crise, une motion déposée en vertu de l’article 58 de la Loi sur les mesures d’urgence.
Cette loi oblige le gouvernement fédéral à démontrer qu’il existe un état d’urgence qui lui permet de recourir aux pouvoirs exceptionnels prévus par cette loi. Je cite l’article 3 de la loi qui énonce les conditions devant être établies par le gouvernement :
Pour l’application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critique à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui, selon le cas :
a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et...
— j’insiste —
... échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;
b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.
Dans ce discours, je vous expliquerai qu’il y a deux conditions clés de l’article 3 que le gouvernement est incapable de démontrer dans le contexte des blocages illégaux qui se sont terminés en fin de semaine à Ottawa.
D’abord, il est incapable de démontrer qu’il était impossible de faire face adéquatement à cette situation en utilisant le régime des autres lois du Canada. Puis, il ne parvient pas à établir que cette crise a échappé à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces.
Rappelons que le gouvernement fédéral a d’abord complètement négligé d’intervenir pour mettre fin aux débordements, pour ensuite en faire trop, trop tard, en décidant de recourir à cette loi.
En vérité, les policiers avaient, avant l’application de cette loi, tous les outils légaux et les ressources dont ils avaient besoin pour gérer les blocages illégaux des chemins publics et pour rétablir l’ordre.
Je réfute l’argument du manque d’effectif policier. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi le maire d’Ottawa a dit réclamer sans les obtenir 1 800 policiers additionnels pour mettre fin aux problèmes à Ottawa avant la décision du gouvernement fédéral de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence. Il y a eu par le passé d’autres événements d’ampleur en Ontario, et dans d’autres provinces, où des effectifs massifs de policiers ont été déployés sans qu’il soit nécessaire de recourir à cette loi.
Commençons par l’Ontario. Selon le rapport de 2012 d’une enquête de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, on estime que 21 000 policiers et employés de sécurité ont été conscrits lors des sommets du G8 et du G20 de 2010 en Ontario.
Ce même rapport donne un autre exemple d’événement ayant entraîné un effectif très important de policiers. Il s’agit du Sommet des Amériques tenu en avril 2001 à Québec dans le cadre duquel les forces de sécurité ont établi un périmètre de sécurité de 6,1 kilomètres pour empêcher les manifestants d’accéder au site des rencontres. Le rapport mentionne que quelque 6 000 agents de quatre services de police différents ont été déployés pour sécuriser l’événement.
La Colombie-Britannique a, elle aussi, déjà organisé une activité qui a entraîné la mobilisation de milliers de policiers, sans avoir besoin de la Loi sur les mesures d’urgence. En 2010, durant les Jeux olympiques d’hiver de Vancouver, 5 600 policiers provenant de différentes provinces ont été déployés, selon un rapport de recherche de 2010 commandé par Sécurité publique Canada. Ce rapport note aussi que la police avait même prévu la possibilité de demander 950 policiers en renfort dans un délai de 72 heures, en cas de besoin.
Ainsi, non seulement le Canada est-il capable de mobiliser des milliers de policiers à un endroit, mais les lois des trois ordres de gouvernement de même que la jurisprudence lui offrent les outils légaux nécessaires pour maintenir et rétablir l’ordre dans le cas d’importantes manifestations, et ce, sans recourir à la Loi sur les mesures d’urgence.
Tout d’abord, la Cour suprême du Canada a rappelé, par exemple dans l’arrêt R. c. Dedman, que les policiers ont le devoir de préserver la paix, les biens et la vie des citoyens et qu’ils ont aussi l’obligation de surveiller la circulation sur les routes.
Ainsi, ces responsabilités des policiers sont reconnues par la common law, mais sont aussi codifiées dans les lois provinciales sur la police. C’est le cas, par exemple en Ontario, de l’article 42 de la Loi sur les services policiers. Cette disposition impose aux policiers le devoir de prévenir la commission d’infractions criminelles ou réglementaires.
Pour permettre aux policiers de s’acquitter de leur devoir, la common law leur donne la possibilité d’invoquer, dans certaines circonstances, des pouvoirs non prévus dans la législation. Il s’agit de la doctrine des pouvoirs accessoires sur laquelle je reviendrai plus tard.
Par ailleurs, la législation fédérale, par son Code criminel, donne plusieurs moyens aux policiers d’intervenir pour arrêter la commission d’infractions criminelles ou de violation de la paix dans le contexte de manifestations.
Je cite sur ce point l’arrêt Fleming c. Ontario rendu récemment par la Cour suprême du Canada :
Le Code criminel prévoit explicitement un certain nombre de pouvoirs d’arrestation sans mandat […]. En particulier, le paragraphe 31(1) prévoit qu’un policier peut arrêter tout individu qu’il trouve en train de commettre une violation de la paix ou qu’il croit « être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ». En outre, aux termes de l’al. 495(1)a), un agent peut arrêter tout individu « qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel ». Cela s’applique à toutes les infractions pour lesquelles le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation […], une catégorie d’infractions qui englobe notamment les activités qui sont depuis toujours classées comme des violations de la paix, comme les divers types de voies de fait […], le méfait ([prévu à l’article] 430) […] et la participation à une émeute […]. Ainsi, les policiers disposent déjà de vastes pouvoirs qui leur permettent d’arrêter, sans mandat, un individu qui, d’après ce qu’ils croient pour des motifs raisonnables, est sur le point de commettre un acte qui constituerait une violation de la paix.
Dans le cas des manifestations à Ottawa, des individus ont été arrêtés et accusés la fin de semaine dernière pour des infractions de méfait en vertu de l’article 430 du Code criminel. Cet article prévoit plusieurs façons de commettre cette infraction très connue par les tribunaux et les policiers.
En l’espèce, une accusation de méfait peut se fonder sur le fait que des manifestants ont gêné à Ottawa la jouissance légitime de chemins publics et de commerces, et par leurs puissants klaxons et leurs fêtes illégales, la jouissance de personnes qui ne pouvaient plus dormir à leur résidence. C’est sans parler des odeurs nauséabondes et de la pollution produites par le gaz d’échappement des moteurs diesel des camions lourds qui ont tourné sans arrêt pendant les trois semaines de manifestations.
Or, dès les premiers jours, les policiers auraient pu arrêter des individus pour méfait sur la base du même fondement que ceux qui ont été arrêtés en fin de semaine pour cette infraction. Le dépôt d’accusations permet aussi d’imposer des conditions de libération pour empêcher l’accusé de retourner dans le même type de manifestations qui bloquent des routes et peut même, lorsqu’il y a un risque élevé de récidive, ordonner son emprisonnement jusqu’à la conclusion de son procès. Bien que je ne sois ni procureur de la Couronne ni policier, je présume que la conduite de plusieurs individus correspondait aussi aux infractions criminelles d’attroupement illégal, de tentative de troubler la paix, de nuisance publique et de voies de fait simple ou armé contre des policiers, soit des infractions déjà prévues respectivement aux articles 66, 175, 180, 270 et 270.01 du Code criminel.
Je rappelle qu’en droit criminel une personne peut être déclarée coupable d’une infraction criminelle si elle pose un geste qui contribue ou encourage la commission de l’infraction.
Ce principe est prévu à l’article 21 du Code criminel et également dans l’arrêt R. c. Briscoe de la Cour suprême du Canada. Sur la base de ce principe, et sans recourir à la Loi sur les mesures d’urgence, les policiers pouvaient arrêter des manifestants et des accusations pouvaient être portées contre les personnes qui avaient financé ces manifestants, si elles étaient au fait de l’intention des manifestants de bloquer illégalement les rues d’Ottawa avec des véhicules lourds. Dans ce cas, l’article 21 faisait en sorte que ces personnes se rendaient complices de méfait, par aide ou encouragement. Elles pouvaient donc être accusées de cette infraction, au même titre que les camionneurs ayant bloqué les routes.
Outre le recours au Code criminel, les autorités gouvernementales avaient d’autres outils légaux que ceux qui sont prévus dans la Loi sur les mesures d’urgence. En effet, lorsque des chemins de fer, des routes ou des usines sont bloqués par des manifestations, des citoyens, les autorités gouvernementales ou les employeurs peuvent s’adresser aux tribunaux pour obtenir des injonctions. Celles-ci constituent des ordres de la cour qui permettent de limiter les débordements illégaux et les conséquences excessives d’une manifestation, pour la collectivité et pour l’économie. Ces injonctions autorisent les policiers à utiliser la force nécessaire pour faire respecter l’ordonnance, et les contrevenants sont passibles d’outrage au tribunal et de peines d’emprisonnement.
C’est ainsi qu’en février 2020, le ministère des Transports du Québec a obtenu une injonction pour libérer une voie ferroviaire bloquée par des manifestants dans la communauté autochtone de Listuguj. Le même mois, deux autres injonctions similaires ont été demandées et obtenues par des autorités gouvernementales. D’abord, le Canadien Pacifique en a obtenu une pour libérer un blocage ferroviaire dans le territoire mohawk de Kahnawake. Puis, une autorité portuaire fédérale a obtenu une injonction afin de rétablir l’accès au port de Vancouver, qui avait été bloqué; il s’agissait d’un moyen de pression pour des revendications autochtones.
Pourquoi le gouvernement de l’Ontario ou la Ville d’Ottawa n’ont-ils pas demandé rapidement des injonctions pour dégager les routes à Ottawa et Windsor? Dans le cas de l’injonction pour interdire les klaxons à Ottawa, c’est une résidante, Mme Zexi Li, qui a intenté le recours, tandis que, dans le cas de l’injonction pour rétablir la circulation au pont Ambassador à Windsor, la partie demanderesse était une association de l’industrie de la production automobile. Ce n’est que plus tard que la Ville d’Ottawa s’est enfin décidée à intenter une procédure d’injonction visant notamment à empêcher les feux de camp ou les feux d’artifice, les gestes bruyants et le blocage de routes par des manifestants. Plusieurs se demandent, tout comme moi, pourquoi la ville — une autorité gouvernementale — ne s’est pas adressée rapidement aux tribunaux pour faire respecter, en se servant d’injonctions, les droits de ses citoyens et de ses commerçants bafoués par les manifestants.
Chose certaine, il n’était pas nécessaire de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence, puisque les manifestants ont été délogés du pont Ambassador le 13 février, soit avant l’entrée en vigueur de cette loi, justement grâce à l’exécution d’une injonction par les policiers.
De plus, le gouvernement fédéral, qui est responsable du contrôle des frontières en raison de ses champs de compétence, aurait pu demander une injonction pour mettre fin plus tôt au blocage de l’accès au poste frontalier de Coutts, en Alberta.
Dans un autre ordre d’idées, je veux réfuter un argument du premier ministre du Canada qui a été rapporté par Radio-Canada le 14 février, et je cite :
Le premier ministre Trudeau a ajouté que la loi permettait aussi de s’assurer que des services essentiels, comme le remorquage, puissent être effectués.
Encore une fois, je crois que la loi ne pouvait pas s’appliquer légalement, car la police de l’Ontario avait les pouvoirs légaux nécessaires, sans cette loi et sans une ordonnance d’un juge, pour remorquer les camions lourds immobilisés à Ottawa.
En fait, le paragraphe 134.1(1) du Code de la route de l’Ontario dit ce qui suit, et je cite :
L’agent de police qui l’estime raisonnablement nécessaire [...] pour assurer le bon ordre de la circulation [...] peut enlever et remiser ou ordonner que soient enlevés et remisés un véhicule, sa cargaison [...] s’ils ralentissent ou bloquent directement ou indirectement la circulation normale et raisonnable sur une voie publique [...]
L’article 134 de cette même loi provinciale prévoit que quiconque doit suivre les directives d’un policier visant à assurer le bon ordre de la circulation. Ces articles de la loi s’appliquent à Ottawa, ce que confirme l’article 91 du Règlement de la Ville d’Ottawa régissant la circulation et le stationnement sur la voie publique.
J’ajoute que le fait de ne pas respecter une directive de circulation ou un ordre de remorquage d’un policier pourrait constituer une infraction d’entrave au travail d’un policier, en vertu de l’article 129 du Code criminel. Je note d’ailleurs que plusieurs manifestants ont été arrêtés et accusés d’entrave la fin de semaine dernière, selon Radio-Canada.
Par ailleurs, je suis d’avis, bien que le temps me manque pour développer cet argument, que la doctrine des pouvoirs accessoires permettait aux policiers d’ordonner à un conducteur de désengager les freins à air du tracteur d’un poids lourd et de lui remettre les clés pour faciliter le remorquage ou le déplacement du véhicule pour libérer la circulation. J’avance l’argument selon lequel il s’agit de pouvoirs accessoires qu’auraient pu légalement invoquer les policiers pour déplacer les poids lourds. Dans ce contexte d’occupation à Ottawa, le recours à ces pouvoirs accessoires aurait été justifié, car ils étaient essentiels pour assurer le respect des articles du Code de la route de l’Ontario — que je viens de citer — et du devoir des policiers de préserver la paix dont j’ai parlé précédemment.
En résumé, pour toutes ces raisons, j’estime que la motion du gouvernement ne satisfait pas aux critères stricts d’application de la Loi sur les mesures d’urgence, et je vous invite à vous y opposer. Les gouvernements et la police avaient tous les moyens légaux requis pour mettre fin plus rapidement à la crise dans la ville d’Ottawa et ils auraient pu déployer, bien avant l’entrée en vigueur de cette loi, l’exception des effectifs policiers suffisants.
Je vous remercie, et je vous invite à voter contre cette motion extraordinaire, où l’on utilise une arme nucléaire pour tuer une mouche.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Je suis tellement gêné de dire non que je vais dire oui.
Sénateur Carignan, demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à une question?
Oui. Cependant, je ne veux pas enfreindre une règle selon laquelle il s’agirait de 15 minutes sans prolongation, mais, avec le consentement des sénateurs, j’aimerais avoir cinq minutes de plus.
Le consentement est-il accordé?
Cher collègue, vous avez mentionné que les provinces et les forces policières locales avaient tous les moyens nécessaires et la possibilité de résoudre la crise. Cela me surprend parce que, quand on considère ce qu’est l’incapacité, à mon humble avis, ce n’est pas juste un exercice analytique théorique. Le manque de capacité peut être le résultat d’un manque de volonté d’agir ou d’une perte de contrôle sur une situation. Je pose la question suivante : êtes-vous d’accord pour dire qu’après trois semaines à Ottawa, puisque l’ordre public était complètement absent à cause de l’occupation, il y a là une preuve d’un manque de capacité pour ce qui est de résoudre cette crise?
Merci pour votre question, sénateur. Il faut voir d’où venait le manque de capacité et de volonté. Cela venait-il des compagnies de remorquage? Cela dit, avant la Loi sur les mesures d’urgence ou après, les policiers avaient tous les pouvoirs nécessaires pour forcer le remorquage et afin de poursuivre ou d’arrêter les gens qui auraient refusé de remorquer les véhicules et auraient dû ainsi faire face à des accusations d’entrave.
Comme je l’ai dit quand j’ai cité un article du Code de la route de l’Ontario, les policiers auraient pu tout simplement prendre les clés, prendre le véhicule et le déplacer par eux-mêmes. Il s’agissait uniquement de prendre les clés. On n’avait pas besoin d’une mesure d’urgence pour cela.
Si on parle de l’absence de volonté des policiers qui ne voulaient pas les déplacer, c’est beaucoup plus inquiétant, parce qu’on parle ici d’agents de la paix qui ont des obligations. Si l’on considère l’occupation d’Ottawa comme une émeute, cela pourrait même être une infraction criminelle, conformément à l’article 69 du Code criminel, où l’on dit qu’un agent de la paix ne peut refuser d’intervenir lorsqu’il y a une émeute. Donc, dans les deux cas, autant les policiers que les remorqueurs avaient l’obligation d’intervenir.
Sénateur Carignan, êtes-vous au courant que le ministre des Affaires municipales de l’Alberta, Ric McIver, a présenté une requête formelle pour demander l’aide du gouvernement fédéral, précisément parce qu’il n’avait pas la capacité de répondre au blocage des camions? Je le cite :
Malgré tous nos efforts pour résoudre ce problème persistant, la Gendarmerie royale du Canada a épuisé toutes les solutions locales et régionales pour remédier aux perturbations dans les services qui ont duré toute la semaine.
Alors que cette situation complexe et changeante continue d’entraver la libre circulation, en toute sécurité, des Albertains, mais aussi des biens et services essentiels pour les économies canadienne et américaine, nous demandons l’aide du gouvernement du Canada.
Êtes-vous d’accord que cela représente un autre élément de preuve qu’il y avait un manque de capacité d’agir de manière efficace?
C’est intéressant ce que vous me dites. Vous êtes d’accord avec moi, parce que si le gouvernement de l’Alberta a dit qu’il n’avait pas la capacité et qu’il demandait au gouvernement fédéral de venir l’aider à intervenir, les lois canadiennes permettaient au gouvernement canadien d’intervenir et d’aider la province à atteindre l’objectif. Comme nous avons parlé tout à l’heure de la crise d’Oka, dans ce cas-là, le gouvernement du Québec avait demandé l’aide de l’armée, tout simplement.
Ma question est la suivante. Les 26 et 27 juin 2010, il y a eu une rencontre internationale à Toronto, le Sommet du G20. Elle s’est caractérisée par la violence utilisée par certains manifestants, d’une part, et par la brutalité de la répression policière, d’autre part. Vous avez fait allusion à ce sommet comme ayant été un succès à quelques reprises aujourd’hui. Jusqu’à maintenant, la fin de semaine dernière représente la plus vaste opération policière, la plus grande vague d’arrestations de l’histoire du Canada. Au Sommet du G20, il y avait 10 000 policiers présents pour assurer la sécurité, et c’était un sommet qui avait été préparé. Or, à Ottawa, il y avait 1 800 policiers qui ont fait un travail remarquable...
Honorables sénateurs, le temps est écoulé.
Je soulève un rappel au Règlement. On m’a cité comme ayant dit que c’était un succès, même s’il y avait eu de la répression et de la brutalité policière. Je n’ai jamais dit que c’était un succès. Je veux m’assurer qu’il n’y aura aucun endroit dans le compte rendu où j’ai dit que c’était un succès. J’ai simplement dit que c’était une application dans laquelle il y a un partage des services policiers.
Je n’avais pas terminé ma question.
D’accord.
Sénatrice Moncion, le temps est écoulé, nous poursuivons le débat avec la sénatrice Moodie.
Honorables sénateurs, je pense qu’aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer que nous serions ici aujourd’hui en train de discuter des événements désolants et inédits des 23 derniers jours.
Je sais que nous sommes tous accablés et attristés par les événements qui nous ont amenés à nous réunir ici aujourd’hui et par les décisions que nous devons prendre et dont se souviendront les générations futures.
Le lundi 14 février 2022, le gouverneur en conseil, sur les conseils du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a déclaré l’état d’urgence, invoqué pour la première fois depuis que la loi est en a été adoptée, il y a 34 ans. Le gouvernement a pris cette décision au bout de plusieurs semaines d’occupation qui ont montré que les autorités municipales et provinciales ne disposaient pas des capacités suffisantes pour intervenir dans le cadre de la législation en vigueur.
Après l’arrivée des camions à Ottawa le 29 juin, des événements perturbateurs, troublants, voire violents ont commencé à être signalés. Des symboles de haine ont été affichés. Il ne faut pas minimiser la gravité de telles choses. Le Monument commémoratif de guerre a été profané et il y a eu des cas d’appropriation culturelle et de caricatures des Autochtones.
Des personnes de couleur ont subi de l’intimidation et du harcèlement. Malgré le témoignage de notre estimé collègue qui s’est exprimé plus tôt, nous sommes plusieurs dans cette Chambre à avoir subi des actes d’intimidation et de harcèlement. J’aimerais dire que le fait que ceux qui ont fait cela se sentaient à l’aise de commettre de tels actes dans cette foule de manifestants est très révélateur.
Le Caucus des parlementaires noirs en a parlé dans sa déclaration publiée le 4 février, dans laquelle il décrit ainsi les événements complètement inacceptables qui se sont déroulés : « Ces manifestations de haine et de violence offensent les Canadiens et n’ont pas leur place dans notre pays. »
J’encourage tous mes collègues à prendre le temps de lire la déclaration du Caucus des parlementaires noirs, et à profiter de cette occasion pour remercier les quelque 170 parlementaires qui ont signé cette déclaration pour soutenir cet appel à l’action qui a été appuyé sans réserve par les sénateurs membres du groupe sénatorial afro-canadien.
La déclaration propose trois mesures : premièrement, interdire l’affichage public du drapeau confédéré et de la croix gammée, symboles de haine et de terreur; deuxièmement, renforcer la capacité du CANAFE de recueillir des informations portant sur des dons offerts au moyen de sites de collecte de fonds provenant du public; troisièmement, mener une étude effectuée par un comité parlementaire mixte sur les événements entourant ce qu’on appelle le convoi pour la liberté.
Comme nous le savons, au titre de la Loi sur les mesures d’urgence, deux types de mesures réglementaires clés ont été prises, soit des mesures économiques et des mesures pour accorder des pouvoirs supplémentaires aux policiers et aux forces de l’ordre.
Les mesures économiques s’accordent avec l’appel à l’action du Caucus des parlementaires noirs, et nous félicitons le gouvernement d’y avoir répondu.
Honorables sénateurs, la hausse de l’utilisation de plateformes de financement en ligne constitue une préoccupation majeure, surtout parce qu’il s’agit d’un moyen idéal de blanchir d’importantes sommes d’argent pouvant servir à financer des activités illicites. Les exemples sont nombreux, comme le sénateur Gold nous l’a expliqué. Il existe aussi des exemples ailleurs, comme au Royaume-Uni, où le site JustGiving a été ciblé par des criminels pour du blanchiment d’argent.
Étant donné les mécanismes limités dont les autorités disposent à l’heure actuelle pour se renseigner sur ceux qui ont contribué au financement de la manifestation, ainsi que la responsabilité limitée qui incombe aux collecteurs de fonds actuellement, nous en savons peu sur l’utilisation de cet argent. Bien que des millions de dollars aient été recueillis pour cette manifestation, nous ne savons pas où cet argent est passé ni à quoi il a servi.
Selon un récent reportage du Globe and Mail, qui a obtenu de l’information de la plateforme GiveSendGo, 43 % des dons provenaient des États-Unis, et 56 % des donateurs sont des Américains. Honorables sénateurs, nous devrions craindre qu’il s’agisse d’une intrusion sans précédent dans nos affaires intérieures commise par des éléments de l’extrême droite américaine qui n’adhèrent pas aux valeurs canadiennes.
Nous devons nous assurer que, en tant que Canadiens, nous demeurons souverains de la conduite de nos affaires. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le recours aux pouvoirs d’urgence a immédiatement donné aux institutions financières les outils dont elles avaient besoin pour arrêter le flux d’argent qui finançait l’occupation et s’assurer que ces fonds n’aient pas servi à des activités illégales et qu’ils n’y servent pas non plus dans l’avenir.
Je crois que l’application de ces mesures économiques a été efficace à court terme du point de vue stratégique et que, à long terme, elle nous éclairera en tant que législateurs quant à l’adoption éventuelle de lois pour l’encadrement prudent et efficace des plateformes de sociofinancement.
La deuxième mesure d’urgence a été mise en place dans le but de donner plus de pouvoirs aux policiers pour qu’ils puissent plus efficacement mettre fin à l’occupation à Ottawa et ailleurs.
Plusieurs se sont dits inquiets quant à la nécessité réelle de ces mesures, quant à l’ingérence excessive et à la possibilité que ces mesures limitent le droit d’assemblée. En fait, les mesures ont pour objet de désigner et de protéger certains lieux comme des infrastructures essentielles et d’interdire aux gens d’emmener des mineurs à une manifestation.
D’abord, je veux dire que j’appuie sans réserve toute mesure qui interdit d’exposer des enfants à des situations dangereuses et potentiellement volatiles et de leur faire courir des risques. Les enfants ont le droit d’être protégés, et c’est notre rôle de les protéger. Par conséquent, j’approuve la disposition du Règlement sur les mesures d’urgence qui porte sur les mineurs et je félicite le gouvernement du Canada de sa sensibilité à cet égard.
Nous savons qu’il y avait des enfants durant cette occupation. Certains vivaient dans un camion. Ils ont passé des semaines au froid à respirer l’air pollué par les moteurs qui tournaient au ralenti. Ce qui est encore plus inquiétant et décourageant, c’est que des manifestants se sont servis des enfants, de leurs propres enfants, comme d’un bouclier. Le chef intérimaire du Service de police d’Ottawa, M. Bell, a déclaré : « [...] nous voyons des enfants mis en danger au milieu d’une manifestation où se déroule une opération policière. »
Il a poursuivi en disant :
[...] nous implorons tous les parents qui ont des enfants sur les lieux de les sortir de là. Ils n’ont pas besoin de se retrouver au milieu de cette situation. Ce n’est pas un lieu sûr pour eux.
Je suis contente que les policiers aient fait de la protection des enfants une priorité et qu’ils aient manifestement tenu compte de l’incidence possible de cette opération sur les enfants.
Nous savons également que la présence des manifestants a eu des répercussions sur de nombreux enfants qui habitent au centre-ville. Ces derniers n’arrivaient pas à dormir en raison des klaxons et ne pouvaient plus accéder à certains services essentiels. J’espère que des démarches supplémentaires seront entreprises pour analyser cette situation et que d’autres mesures seront prises, notamment au moyen de l’outil d’évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant, pour que nous comprenions l’incidence que ces événements ont eue sur les enfants et que nous puissions agir en conséquence.
De plus, ces pouvoirs d’urgence ont permis à la police d’intégrer des forces provenant de plusieurs administrations et de reprendre la ville d’Ottawa, tout en assurant leur propre sécurité et en évitant des violences importantes.
À mesure que les ressources essentielles sont redirigées vers Ottawa, ces mesures garantissent également la protection continue et élargie des régions qui se retrouvent avec un déficit de ressources. Il faut également souligner que ces ressources consacrées à la sécurité continuent d’être nécessaires afin de faire en sorte qu’une nouvelle occupation ne se produise ni à Ottawa ni ailleurs au pays. Les forces de l’ordre nous ont déjà fait part de nouvelles tentatives à cette fin depuis le dispersement de la manifestation en fin de semaine dernière.
Le chef de police intérimaire Bell a déclaré, lors d’une conférence de presse vendredi dernier, que le recours aux pouvoirs d’urgence par les trois ordres de gouvernement a permis à la police de disposer de pouvoirs nouveaux et existants pour lutter contre l’occupation. Il a dit : « Sans les pouvoirs qui nous ont été accordés [...] nous ne serions pas en mesure de faire le travail que nous faisons aujourd’hui. »
Pour toutes ces raisons, chers collègues, je crois que le recours du gouvernement aux pouvoirs d’urgence est à la fois justifié et nécessaire pour mettre fin à la situation et maintenir la paix. Je crois également que les circonstances sont suffisamment graves pour exiger des mesures importantes qui complètent les mesures d’urgence prises par d’autres ordres de gouvernement. Je voterai en faveur de cette proclamation.
Honorables sénateurs, les événements et le discours tenu avant et pendant l’occupation ont été troublants. Nous avons entendu beaucoup de propos irresponsables. Nous avons vu que la perspective politique de chacun a défini ces événements, a défini la perception de la vérité, a rendu impossible un discours public objectif et a fait obstacle à notre appréciation des faits.
Nous sommes à un moment critique de l’histoire du Canada. En réfléchissant aux événements qui nous ont amenés ici, nous devons nous concentrer sur les scissions dérangeantes qui ont été révélées, qui menacent d’affaiblir l’union de notre Confédération et de miner notre démocratie. Nous devons unir nos efforts pour guérir ces divisions qui, aujourd’hui, montent les Canadiens les uns contre les autres. Nous devons travailler pour que le Canada demeure un pays inclusif et uni, un pays fondé sur la vérité, la paix, l’ordre et la bonne gouvernance. Merci, meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour expliquer pourquoi je voterai contre la motion.
D’abord, je tiens à reconnaître la pénible épreuve infligée aux résidants et aux entreprises du centre-ville d’Ottawa pendant plus de trois semaines. Je n’hésite pas à dire que leur cauchemar a été le résultat d’actes illégaux comme l’occupation permanente des rues du centre-ville d’Ottawa, les concerts de klaxons incessants, les moteurs de camion tournant sans arrêt, l’entrave à la circulation des résidants et ainsi de suite. La sénatrice Cordy a mentionné de nombreux exemples épouvantables. Malheureusement, les responsables de l’application de la loi aux niveaux municipal et provincial ont abandonné à leur sort les citoyens et les entreprises. Devant ce constat, l’aide fédérale était non seulement bienvenue, mais nécessaire.
L’occupation du centre-ville d’Ottawa se déroulait en même temps que divers barrages étaient érigés dans l’ensemble du pays. Les participants à toutes ces activités partageaient la conviction que le moment était venu pour tous les gouvernements de mettre un terme, immédiatement et pour toujours, à toutes les mesures liées à la COVID-19. Ils avaient le droit d’exprimer une telle demande, même si elle était malavisée.
Malheureusement, certains ont été incités à croire qu’il était pertinent de demander un nouveau système de gouvernance pour remplacer des députés récemment élus ainsi que le gouvernement en place. D’autres étaient convaincus que la vaccination était un moyen de contrôler leur cerveau ou de réduire leur espérance de vie.
Nous pouvons maintenant voir les effets néfastes des médias sociaux qui encouragent toutes sortes de théories du complot et le rejet du journalisme professionnel et qui favorisent l’accès à des moyens non réglementés d’obtenir des fonds, y compris de l’étranger, ainsi que la création d’une réalité parallèle.
C’est dans ce contexte que, le 14 février, le gouvernement a déclaré qu’il croyait que le Canada était en situation de crise nationale, en raison des barrages formés de personnes et de véhicules motorisés et des menaces d’opposition, y compris par la force, aux mesures visant à lever ces barrages, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique. Le gouvernement a ajouté que ces activités nuisaient à l’économie canadienne, notamment en bloquant les passages frontaliers internationaux et en mettant en péril la disponibilité des biens et services essentiels.
Cette description était-elle exacte? Était-elle suffisante pour répondre aux critères de la Loi sur les mesures d’urgence? Grâce à des renseignements supplémentaires et potentiellement confidentiels, l’enquête qui est exigée par l’article 63 de la loi répondra très probablement à ces questions.
Pour l’instant, il suffit de dire que je suis d’accord avec le parrain de la Loi sur les mesures d’urgence de 1988, l’honorable Perrin Beatty, pour dire que, le 14 février, le gouvernement devait satisfaire à des critères exigeants et rigoureux, définis dans la loi comme un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire :
[...] auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui [...]
met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces [...]
J’ajoute que la plupart des premiers ministres provinciaux ne croyaient pas que c’était le cas. Dans le cadre d’une entrevue donnée dimanche, le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, a déclaré :
Je pense que les premiers ministres provinciaux ont convenu que la situation à Ottawa était tout simplement intenable et qu’il fallait faire quelque chose. Cependant, en même temps, nous avons tous exprimé des réserves quant à l’intrusion dans les compétences provinciales. Nous avons tous exprimé le souhait que les mesures soient ciblées localement et géographiquement.
Il a ajouté qu’il laissait à Ottawa le soin de défendre le bien-fondé de sa décision.
Au Québec, non seulement le premier ministre Legault s’est opposé à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence, mais, le 15 février dernier, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une motion demandant au gouvernement fédéral de ne pas appliquer cette loi sur le territoire québécois, tout en « s’inqui[étant] des perturbations actuelles » à Ottawa et aux frontières.
Par la suite, deux organisations réputées et non reconnues comme étant de droite, l’Association canadienne des libertés civiles et la BC Civil Liberties Association, ont conclu publiquement que cette déclaration ne réussissait pas le test prévu par la loi. De plus, l’ACLC a entamé des procédures devant la Cour fédérale pour faire invalider la déclaration du 14 février.
L’avocat Paul Champ, qui a réussi à obtenir une injonction pour faire cesser les coups de klaxon à Ottawa et qui est membre du conseil d’administration de l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique depuis 10 ans, a déclaré ceci :
[...] [M]ême si je suis parfaitement conscient du traumatisme vécu par les résidants d’Ottawa, je suis tout à fait d’accord que la Loi sur les mesures d’urgence est un outil dangereux qui n’était pas nécessaire.
Cela dit, il reste que la motion dont nous sommes saisis vise à déterminer si la déclaration doit demeurer en vigueur ou plutôt prendre fin. Cette décision doit être prise en fonction de la situation actuelle. Comme je l’ai dit il y a quelques minutes, ce sont les responsables de l’enquête et la Cour fédérale qui auront la tâche d’évaluer la situation dans laquelle on se trouvait le 14 février dernier.
Nous savons maintenant que les forces de l’ordre ont mis fin à l’occupation du centre-ville d’Ottawa et que tous les postes frontaliers sont pleinement opérationnels. Permettez-moi de profiter de l’occasion pour rendre hommage à tous les services de police qui ont participé à l’opération et pour les remercier de leur professionnalisme.
Il semble également que les mesures d’urgence ont aidé la police à mettre fin à l’occupation du centre-ville d’Ottawa près des gros semi-remorques, à contrôler temporairement l’entrée des gens dans la zone rouge, à opérationnaliser efficacement des services de police de partout au Canada, à obtenir de l’équipement et à élaborer des mesures financières dissuasives et efficaces.
Pour toutes ces raisons, je serais porté à croire qu’il y avait des faits incontestables qui constituaient des motifs raisonnables de déclarer l’état d’urgence le 14 février dernier, mais qu’ils ne semblent plus s’appliquer aujourd’hui. Or, des ministres allèguent que des individus tenteront possiblement d’ériger de nouveaux barrages, de bloquer l’accès à des postes frontaliers ou d’occuper d’autres centres-villes au Canada. Cela m’apparaît vague comme menace. Par ailleurs, ces allégations sont faites dans un contexte très différent, si l’on considère que les corps policiers ont tiré de précieuses leçons des incidents précédents, comme ils l’ont démontré dans leur manière de gérer les manifestations récentes à Toronto et à Québec. Je suis aussi convaincu que les renseignements recueillis par la police et les autres organismes de sécurité sont maintenant traités et partagés rapidement.
Selon moi, adopter la motion dans ce contexte établira le précédent d’un seuil plus bas que celui que l’on considérait comme applicable le 14 février.
De plus, si la situation se détériore à nouveau — et que des faits incontestables confirment les allégations —, le gouvernement pourra déclarer une nouvelle urgence nationale si les critères rigoureux sont respectés. Bien entendu, un nouveau processus parlementaire sera lancé pour examiner la déclaration.
Cela m’amène au dernier point dont j’aimerais vous parler. Au cours des derniers jours, des ministres et la GRC ont parlé des lourdes conséquences du Décret sur les mesures économiques d’urgence pour les camionneurs. Comme vous le savez, il exige que les institutions financières gèlent les comptes bancaires des présumés participants à l’occupation d’Ottawa et cessent de leur procurer des services financiers.
Hier, la GRC a dévoilé comment elle comptait appliquer ce décret, et je cite :
Conformément au Décret sur les mesures économiques d’urgence (Loi sur les mesures d’urgence), la liste qui a été fournie aux institutions financières dévoilait l’identité de personnes ayant agi comme influenceurs lors des manifestations illégales à Ottawa, ainsi que l’identité de propriétaires ou de conducteurs de véhicules qui refusaient de quitter le secteur touché par les manifestations. À aucun moment nous n’avons fourni une liste de donateurs aux institutions financières.
Nous travaillons actuellement avec les institutions bancaires afin d’établir une procédure à suivre en ce qui concerne les comptes qui ont été gelés.
Cette façon de procéder est certes conforme au décret, qui n’exige pas que les personnes et les organisations visées reçoivent copie des détails des informations obtenues par la Gendarmerie royale du Canada et qui prévoit qu’un mécanisme neutre de revue soit mis en place, avec le pouvoir d’ordonner la fin d’une saisie. De plus, le décret ne prévoit rien quant à l’utilisation subséquente des informations par la GRC ou par l’institution financière, et encore moins à l’obligation de les détruire.
Selon moi, ce processus conçu pour punir une personne, même temporairement, en saisissant ses actifs sans contrôle judiciaire, est une violation flagrante de l’article 8 de la Charte, qui se lit comme suit : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. »
En 1984, dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., la Cour suprême a jugé que l’article 8 garantit un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives qui, pour être protégé adéquatement, exige que les fouilles et les perquisitions soient autorisées par un juge indépendant.
Je cite la cour, qui a indiqué que l’article 8 a pour but :
[...] de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée. Ce but requiert un moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elles ne se produisent et non simplement un moyen de déterminer, après le fait, si au départ elles devaient être effectuées. Cela ne peut se faire, à mon avis, que par un système d’autorisation préalable et non de validation subséquente.
En 2003, la Cour suprême nous a rappelé ce principe :
Ces mêmes tribunaux veillent également à ce que l’exercice du pouvoir étatique respecte la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution. À ce titre, ils servent de bouclier contre les atteintes injustifiées de l’État aux droits et libertés des citoyens.
La Cour suprême a également déclaré que les limites aux droits prévus à l’article 8 ne pourront probablement pas être justifiées en vertu de l’article 1, vu le chevauchement entre la norme de décision raisonnable prévue à l’article 8 et l’analyse de l’atteinte minimale au titre de l’article 1, aussi appelée le test de l’arrêt Oakes, qui ne s’applique pas au titre de l’article 8.
À mon avis, le décret sur les mesures économiques d’urgence, dans sa version actuelle, est forcément imparfait, car il autorise la saisie de biens à la demande de l’État sans autorisation judiciaire préalable, dans le but de punir une personne ou une organisation pour une infraction alléguée, mais non prouvée.
Le juge doit établir un juste équilibre entre l’intérêt du gouvernement et le respect des droits des personnes visées par la mesure, au moyen d’un examen ex parte, comme dans la plupart des mandats. Il y a au Canada près de 1 200 juges nommés par le gouvernement fédéral, dont la majorité siège dans les cours supérieures, et de nombreux autres juges nommés par les provinces. Tous ces magistrats ont le pouvoir de signifier des mandats. Il aurait été facile de demander des autorisations judiciaires pour les 76 comptes gelés en date de samedi, nombre qui s’élevait hier à 206.
Honorables sénateurs, comme ce décret semble être le nouvel outil le plus important élaboré à la suite de la déclaration, nous ne devrions pas hésiter à voter « non » et à mettre fin à cette mesure inconstitutionnelle qui confère des pouvoirs démesurés.
J’aurais deux observations pour terminer. Premièrement, un vote contre la motion au Sénat ne peut pas être traité comme un vote de confiance envers le gouvernement. Ce phénomène n’existe qu’à la Chambre des communes, où siègent les députés élus.
Deuxièmement, si nous concluons qu’il n’est pas nécessaire de prolonger la déclaration, le règlement et le décret cesseront d’être en vigueur à partir de ce moment-là, mais les accusations portées pendant qu’ils étaient en vigueur suivront leur cours devant les tribunaux. Pour toutes ces raisons, chers collègues, je voterai contre la motion, comme le suggèrent le Globe and Mail, La Presse, de nombreux dirigeants politiques et beaucoup d’experts juridiques et d’associations comme l’Association canadienne des libertés civiles. Merci. Meegwetch.
Sénatrice LaBoucane-Benson, avez-vous une question? Il nous reste 40 secondes.
Accepteriez-vous de répondre à une question?
Avec plaisir.
Vous avez mentionné l’opinion des premiers ministres provinciaux. Voici ce qu’a dit Mike Farnworth, ministre de la Sécurité publique de la Colombie-Britannique :
Le point de vue de la Colombie-Britannique est le suivant : si le gouvernement fédéral juge qu’il a besoin de pouvoirs extraordinaires pour résoudre la situation qui existe notamment dans la capitale, Ottawa, ainsi que les défis que posent les convois de manifestants qui ont tenu l’Ontario et le reste du pays en otage sur le plan économique, nous appuyons les mesures dont il considère avoir besoin pour régler la situation que vit l’est du pays.
Je me demande si cela pourrait modifier votre perspective à propos de l’opinion des premiers ministres provinciaux, cher collègue.
Sénateur Dalphond, nous devons poursuivre le débat.
Puis-je avoir cinq minutes de plus, s’il vous plaît?
Le sénateur Dalphond demande cinq minutes de plus. Honorables sénateurs, si vous vous y opposez, dites non.
Nous avons entendu un non.
Honorables sénateurs, de prime abord, je vous indique que je vais voter, comme plusieurs de mes collègues, contre cette imposition de la Loi sur les mesures d’urgence, qui constitue de toute évidence une violation injustifiée des droits fondamentaux et une appropriation honteuse du pouvoir de la part d’un premier ministre qui vient de faire, encore une fois, la démonstration de son incapacité à gouverner de façon démocratique et transparente.
Loin de moi l’idée de dire qu’il ne fallait pas mettre fin à la manifestation devant le Parlement, mais une manifestation qui a dégénéré à cause de l’inaction et de l’incompétence du premier ministre n’est assurément pas ce qu’on appelle une menace à la sécurité de notre pays.
Des propos inappropriés sur des pancartes ou encore sur les réseaux sociaux ne peuvent être, sans autres preuves, à la base de l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, sans quoi on vivrait en étant continuellement assujetti à des mesures d’urgence.
Pour le premier ministre Trudeau, les manifestations étaient devenues davantage une menace à son image publique et à son image au sein de son caucus.
Rien ne justifie qu’on promulgue aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire du Canada, cette loi adoptée pour faire face à une véritable menace à notre sécurité nationale, une loi qui contient des conditions claires pour assurer sa mise en œuvre, des conditions qui n’ont jamais été respectées par le gouvernement actuel.
Cette loi, mise à la disposition du Parlement du Canada en 1988, contient des règles strictes qui ont été adoptées pour s’assurer qu’aucun gouvernement ne répète les abus commis durant la crise d’Octobre en 1970, quand Pierre Elliott Trudeau, père de l’actuel premier ministre, avait invoqué la Loi sur les mesures de guerre.
Parmi les balises prévues dans la Loi sur les mesures d’urgence de 1988, il y a celle qui oblige le gouvernement fédéral à consulter au préalable les gouvernements des provinces.
Il est assez facile de constater, en voyant la réaction de certains premiers ministres du pays, qu’aucune consultation digne de ce nom n’a eu lieu. Cette absence de consultation nous montre à quel point le premier ministre Trudeau fils méprise, tout comme son père était capable de le faire, les règles démocratiques, les compétences provinciales et les droits fondamentaux des citoyens qui ne pensent pas comme lui.
L’occupation illégale d’un centre-ville par des camionneurs n’est pas une insurrection, encore moins quand on ne rapporte aucun acte de violence de la part de ceux qui voulaient se faire entendre. Ce n’étaient que des citoyens en colère.
Le gouvernement et le Sénat du Canada n’ont pas à adopter contre eux des lois et des méthodes dignes de certaines dictatures. Il fallait juste agir au bon moment pour éviter que cet état de siège sur la Colline du Parlement s’étire durant trois semaines.
Revenons au contenu de la Loi sur les mesures d’urgence de 1988. Chers collègues, je le dis et je le répète, une Loi sur les mesures d’urgence n’est pas nécessaire pour démanteler des barricades, arrêter quelques récalcitrants et remorquer des camions. Il faut juste un leader à la tête du pays, un chef capable de prendre ses responsabilités au bon moment pour éviter que la situation ne dégénère.
Pour recourir à cette loi exceptionnelle, le gouvernement avait aussi l’obligation de nous faire la démonstration qu’il n’existait aucune autre option dans les circonstances. Où était le premier ministre Trudeau durant les deux premières semaines de la manifestation, et qu’a-t-il fait pour dialoguer et calmer les camionneurs en colère? Rien, absolument rien.
Justin Trudeau avait choisi de rester caché dans son chalet. Pire, il a même jeté à distance de l’huile sur le feu, et il a tenu des propos provocateurs à l’endroit des manifestants en les traitant de « rouspéteurs ».
Malheureusement, je constate — et j’espère que vous serez en mesure de le constater, comme moi — que le leadership dont doit faire preuve un véritable homme d’État ne fait pas partie de l’ADN de Justin Trudeau. Plutôt que de dialoguer, Justin Trudeau préfère dicter.
Aujourd’hui, je suis sénateur, certes, mais je suis aussi un ancien policier qui a travaillé sur les barricades durant la crise d’Oka, où la violence était assurément plus présente que sur la rue Wellington à Ottawa. En 1990, personne n’a pourtant réclamé l’adoption de la Loi sur les mesures d’urgence pour résoudre ce conflit.
Cette loi n’a même pas été nécessaire pour obtenir l’intervention des forces armées, qui sont venues épauler les services policiers. Le dialogue et la médiation ont permis de dénouer la crise.
En plus de la crise d’Oka, il y a eu, ces dernières années, le Sommet des Amériques, dans la ville de Québec, le Sommet du G20, à Toronto, et celui du G7, à Charlevoix, où les services policiers ont été en mesure de contrer des manifestants internationaux professionnels — je dis bien des manifestants internationaux professionnels — sans avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence.
Je le répète : une manifestation n’est pas une insurrection.
Quand on nous dit aujourd’hui que les services de police avaient besoin de la Loi sur les mesures d’urgence pour agir face aux manifestations de camionneurs, on nous ment effrontément.
Un examen rapide des pouvoirs policiers montre clairement que tous les services de police concernés par les mouvements de camionneurs avaient tous les pouvoirs requis pour intervenir, même celui de réquisitionner des remorqueuses pour saisir et déplacer les camions qui se trouvaient sur la rue Wellington.
Pourquoi n’ont-ils pas agi dès le début? Il faudra assurément faire, un jour, un examen de la chronologie des décisions qui ont été prises. Cela viendra, je l’espère, une fois que la poussière sera retombée.
Je le répète : les pouvoirs nécessaires existaient il y a trois semaines, il y a deux semaines et la semaine dernière. Ils existaient bel et bien dans les lois actuelles du pays, sans qu’on ait besoin de recourir à une loi matraque comme la Loi sur les mesures d’urgence.
Ce que je vous dis est tellement vrai que, avant même la mise en place de cette loi par le gouvernement Trudeau, les services de police avaient réussi à dégager pacifiquement le pont Ambassador, entre Windsor et Detroit, et le poste frontalier de Coutts, en Alberta.
Comment et pourquoi? Comment? En faisant tout simplement appliquer les lois par nos policiers. Pourquoi? Parce que le commandement non visible de ces opérations au pont Ambassador et à Coutts était assuré par le président des États-Unis, et non par le premier ministre du Canada.
En résumé, le leadership de Joe Biden a suffi pour que les policiers canadiens passent à l’action. Je me permets de dire ici que les enjeux économiques, qui étaient importants pour les Américains, ont sûrement pesé lourd dans la rapidité d’intervention aux frontières.
Ici, au Canada, les enjeux économiques sont malheureusement trop souvent ignorés pour faire place aux enjeux politiques partisans des libéraux. À ce sujet, comment ne pas se souvenir des faits survenus il y a deux ans seulement?
En février 2020, le premier ministre Trudeau avait clairement fait preuve d’une absence de préoccupation pour l’économie du Canada en n’intervenant pas lors du blocage des voies ferrées par les communautés wet’suwet’en et leurs partisans en Colombie-Britannique, à Belleville, en Ontario, et à Saint-Lambert, au Québec.
En 2020, ces manifestations avaient eu des conséquences économiques beaucoup plus graves que celles de la rue Wellington. Chaque jour, des dizaines de milliers de citoyens ne pouvaient plus se rendre au travail, et le CN avait dû annuler des services et mettre à pied des centaines d’employés à cause du blocage des voies ferrées par des opposants à la construction d’un gazoduc.
Tout cela a eu lieu pendant des semaines, sans que le premier ministre Trudeau n’invoque la Loi sur les mesures d’urgence, alors que son ministre des Transports, Marc Garneau, affirmait dans les médias que cette crise allait faire dérailler l’économie du pays.
Demandons-nous pourquoi. Demandons-nous aussi s’il n’y a pas deux catégories de citoyens contestataires au Canada. Si je me souviens bien, le premier ministre Trudeau avait, à peine une semaine après le début du blocage des voies ferrées, désigné le ministre Marc Miller pour écouter les doléances des représentants des communautés autochtones.
En 2020, c’est-à-dire il y a deux ans à peine, le gouvernement écoutait et refusait d’intervenir par force de loi pour mettre fin au blocage des voies ferrées, prônant plutôt le dialogue.
Avez-vous entendu parler d’une ouverture au dialogue avec les camionneurs qui bloquaient la rue Wellington? Moi, non. Pourtant, il s’agit là d’un élément préalable essentiel pour mettre en place la Loi sur les mesures d’urgence.
Face à la manifestation des camionneurs, où était Justin Trudeau après une semaine? Où était-il après deux semaines? Posons-nous la question. Demandons-nous quelle crédibilité on doit lui accorder aujourd’hui, lorsqu’il vient nous dire qu’il doit absolument avoir recours à cette loi pour répondre à l’urgence de la situation.
Plus tôt, j’ai parlé de manque de leadership. On peut maintenant parler d’incohérence politique quand on compare ses actes pendant les blocages de 2020 avec ceux de cette année.
Je suis porté à croire que le député libéral Joël Lightbound a raison lorsqu’il affirme que son gouvernement fait tout pour instrumentaliser la crise de la COVID-19 en divisant les citoyens à des fins politiques partisanes. Permettez-moi de vous dire que le nombre de personnes qui partagent mon avis sur le sujet est en forte croissance.
Je vais maintenant parler d’un autre élément invoqué par le gouvernement Trudeau pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence. On parle du financement occulte et étranger des manifestants.
Selon le gouvernement, il faut permettre aux services de police canadiens de contrer le financement étranger des organisateurs des manifestations de camionneurs au Canada en leur donnant le pouvoir de geler leurs comptes bancaires.
Sincèrement, c’est désolant à entendre, parce que cela équivaut à dire publiquement que le SCRS et le CANAFE ne faisaient pas leur travail avant la mise en place de la Loi sur les mesures d’urgence.
Notre service du renseignement, bien branché sur son partenaire américain, recevait quotidiennement toutes les informations nécessaires à l’évaluation de la situation, mais sa discrétion légendaire quant aux méthodes de travail ne nous permettra jamais de tout savoir au sujet de la menace financière alléguée et instrumentalisée par le premier ministre pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.
Si j’ai tort d’affirmer que le Service canadien du renseignement de sécurité est très efficace, il est alors grand temps de passer à l’action pour renforcer ses pouvoirs. Malheureusement pour le premier ministre, ce n’est pas ce que j’ai entendu de la part de nombreux témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité nationale, auquel je siège depuis 10 ans.
Parlons maintenant de la saisie d’armes à feu par la GRC, qui fait partie de l’argumentaire politique du gouvernement pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Selon la GRC, les armes saisies à la frontière étaient destinées à des camionneurs de l’Alberta. J’attire votre attention sur le fait que la GRC a été en mesure de procéder à cette saisie sans avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Par ailleurs, j’aimerais surtout que vous reteniez qu’en aucun moment le gouvernement Trudeau ne nous a fait la démonstration que ces armes pouvaient servir à renverser le gouvernement par le biais de la force.
Pensons-y un moment. On ne peut alléguer une insurrection sérieuse uniquement sur la base d’une saisie d’armes à la frontière d’une province canadienne. Je suggère au gouvernement de demander aux forces policières de se positionner autour de la communauté mohawk d’Akwesasne, où elles pourraient aisément intercepter chaque semaine des camions qui entrent au Canada et qui contiennent des armes illégales.
Tout cela ne semble pas déranger le premier ministre Trudeau, alors que ces armes servent à des gangs du crime organisé qui assassinent des adolescents à Montréal, à Toronto et à Vancouver. Où se cache le premier ministre lorsque les services de police lui demandent de légiférer sur les armes de poing, une intervention qui servirait, à tout le moins, à sauver des vies?
Enfin, parlons d’un élément essentiel de la mise en œuvre de la Loi sur les mesures d’urgence de 1988. En vertu de cette loi, le gouvernement a l’obligation de former un comité d’enquête indépendant sur l’utilisation de la loi 60 jours après son adoption. Ledit comité doit faire rapport au Parlement dans les 360 jours suivants. Tout cela est bien beau, mais comment faire confiance au premier ministre Justin Trudeau lorsqu’il est question d’une vérification indépendante et complète des décisions et des gestes posés?
Rappelons-nous que c’est ce même premier ministre qui, en août 2020, a prorogé les travaux de trois comités de la Chambre des communes chargés d’examiner le financement controversé de l’organisme UNIS. Cet événement à lui seul soulève un doute dans mon esprit.
La transparence ne fait pas partie des valeurs du Parti libéral du Canada ni de son chef. Ce manque de transparence est tel qu’aucun membre du gouvernement n’a voulu participer à un comité plénier du Sénat afin de répondre à nos questions. Cela n’est rien d’autre qu’un manque de respect pour l’exercice démocratique actuel.
Nous sommes ici pour débattre de la pertinence de la Loi sur les mesures d’urgence, loi qui, en réalité, n’a plus sa raison d’être maintenant que la rue Wellington est dégagée. Cette loi sur laquelle nous débattons est le symbole de la faiblesse du premier ministre au pouvoir, qui tente par tous les moyens de sauver son image caractérisée par du « traînage de pieds » dans ce dossier, tout comme dans d’autres dossiers importants qui atterrissent sur son bureau.
Pour ceux qui seraient tentés de penser que j’exagère, voici plusieurs exemples de l’inaction du gouvernement : le blocage des voies ferrées par les membres de la communauté Wet’suwet’en en 2020, la politique sur l’ingérence possible de Huawei dans la sécurité nationale, l’imposition d’une taxe des géants Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA), la nomination d’un ambassadeur à Paris, le renouvellement de l’équipement désuet des Forces armées canadiennes, et, enfin, l’accès à l’eau potable dans les communautés autochtones. Je m’arrête ici.
Par ailleurs, sommes-nous surpris de constater que c’est encore du « traînage de pieds » qui permet à ce premier ministre de tenter de nous enfoncer dans la gorge une loi réservée aux situations extraordinaires, ce qui n’était pas le cas avec une manifestation de camionneurs à laquelle il aurait été possible de mettre un terme sans mesures spéciales après quelques jours d’occupation?
Chers sénatrices et sénateurs, nous avons le devoir de ne pas céder aux abus politiques et législatifs d’un premier ministre qui a été inefficace devant une situation qui exigeait du leadership, de l’ouverture à la discussion et une certaine fermeté. Le Canada mérite mieux qu’un premier ministre qui gère le pays confortablement installé dans son chalet.
En tant que sénateur, je ne veux pas passer à l’histoire pour avoir donné mon approbation à cette loi, comme l’ont fait hier soir à l’autre endroit des députés du NPD en se pinçant le nez. Dites-vous bien que sans la complicité nauséabonde du NPD, cette loi ne se retrouverait pas devant le Sénat aujourd’hui. Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour m’opposer à la récente utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence. J’estime que le gouvernement va nettement trop loin avec cette loi, qui ne sert qu’à diviser les Canadiens à un moment où nous avons plus que jamais besoin d’unité.
Voici la question que je pose à mes collègues aujourd’hui : quel genre de pays sommes-nous en train de devenir si nous permettons le recours à de telles mesures draconiennes pour gérer des manifestations légales de Canadiens frustrés?
C’est une question difficile. Elle nous force à réfléchir à ce qui nous définit en tant que pays, à ce à quoi nous pouvons nous attendre de nos élus et à la façon dont nous protégeons les valeurs canadiennes.
Quand j’ai choisi d’immigrer ici, j’ai été attiré par le respect du Canada envers la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit. Ces valeurs comptent parmi les plus importantes. Toutefois, à l’heure actuelle, je crois que notre pays est en train de créer un dangereux précédent historique. Pour la première fois, on utilise la Loi sur les mesures d’urgence non pas en réponse à une attaque terroriste sur le Canada, mais plutôt en réponse à une manifestation pacifique de Canadiens épuisés et fâchés de se faire dire quoi mettre dans leur corps.
Chers collègues, nous aurons peut-être des opinions différentes à propos de cette manifestation. La plupart d’entre nous désapprouveront les actes illégaux commis par les manifestants pour véhiculer leur message. Cependant, il faut se demander si la Loi sur les mesures d’urgence constitue une réponse justifiable à l’égard de ce qui revient, essentiellement, à des manifestations pacifiques et non violentes.
Il y a eu de nombreux barrages au Canada depuis l’adoption de la Loi sur les mesures d’urgence, il y a plus de 34 ans, mais nous ne l’avons jamais invoquée. Honorables sénateurs, pourquoi est-il soudainement nécessaire d’y avoir recours alors que les pouvoirs dont les services de police disposaient jusqu’à présent avaient été suffisants pour les autres barrages?
Fait à noter, les blocages du pont Ambassador, en Ontario, et du poste frontalier de Coutts, en Alberta, ont été résolus par la police, mais on a quand même invoqué la Loi sur les mesures d’urgence.
Je me demande donc en quoi la manifestation d’Ottawa était différente. Il semble que la mesure à laquelle on a eu recours est difficile à justifier ailleurs au pays, mais à Ottawa, où les politiciens sont directement affectés, on n’hésite pas à l’invoquer, ce qui donne l’impression que le gouvernement est intéressé et autoritaire.
Ne soyons pas dupes, le recours à cette mesure va affaiblir la crédibilité du Canada sur le plan de la défense des droits de la personne ailleurs dans le monde. Comment nos déclarations ne seraient-elles pas perçues comme hypocrites alors que nous refusons de protéger les droits de nos propres citoyens? Il n’est pas surprenant que d’autres pays se soient focalisés sur nos récentes actions, qui sont manifestement en contradiction avec l’image de défenseur des droits et de la loi que le Canada a si soigneusement cultivée.
L’image qu’on voit, c’est celle d’un gouvernement qui a octroyé des pouvoirs extraordinaires à ses services de sécurité, comme celui de geler des comptes bancaires ou d’annuler une police d’assurance sans avoir de mandat ou celui d’interdire les rassemblements pacifiques, quel que soit l’endroit où ils ont lieu. Nous devons nous poser deux questions : ces façons de faire reflètent-elles les valeurs du Canada? Qu’est-ce qui justifie qu’on garde la Loi sur les mesures d’urgence en vigueur maintenant que les barrages ont été démantelés?
Le gouvernement soutient qu’il en a maintenant besoin pour éviter que d’autres barrages voient le jour ou que soient financées des manifestations aujourd’hui interdites. Il s’agit, honorables sénateurs, de l’équivalent législatif d’une frappe préventive. Personnellement, j’estime que le gouvernement crée un dangereux précédent. Il se peut fort bien que les Canadiens retirent leur confiance au gouvernement si celui-ci n’hésite pas à s’en prendre à quiconque ne partage pas ses vues.
Quand je suis arrivé au Canada, je suis arrivé dans un pays uni. Je suis triste de voir aujourd’hui à quel point il a changé. Je crois qu’aucun gouvernement n’a autant réussi à semer la discorde que le gouvernement actuel.
Chers collègues, il n’y a manifestement pas d’urgence aujourd’hui et absolument rien ne justifie le maintien de ces mesures. Nous devons les révoquer afin que le Canada puisse commencer à reconstruire son unité nationale.
Nous avons besoin d’un premier ministre prêt à parler à tous les Canadiens. Nous méritons un premier ministre à l’écoute. Il ne doit pas s’agenouiller avec ceux qu’il favorise et se moquer de ceux qu’il juge indignes. Imaginez si le premier ministre avait répondu de la même manière au mouvement Black Lives Matter ou à des manifestants autochtones; imaginez à quel point le pays serait divisé et secoué par la violence aujourd’hui.
Dans cette enceinte, nous ne devrions pas voter en faveur de motions qui attisent les divisions. J’ai l’impression que c’est ce qui se produira si nous appuyons la motion. J’espère que tous les sénateurs se joindront à moi en votant contre la motion.
Merci.
Honorables sénateurs, il est paradoxal que nous débattions de l’imposition de mesures d’urgence alors que semble vouloir s’apaiser la crise de la COVID que nous vivons depuis deux ans.
Vous vous souviendrez peut-être qu’aux premiers jours de la pandémie de COVID, on parlait beaucoup d’invoquer les critères relatifs aux sinistres pour justifier un recours à des mesures d’urgence, mais rien n’en est ressorti. Vingt-quatre mois plus tard, la Loi sur les mesures d’urgence est invoquée, non pas pour un sinistre, ce qui aurait été approprié pour une urgence sanitaire, mais pour des motifs liés à l’ordre public. C’est plus qu’un moment curieux dans notre saga de la COVID. J’y reviendrai à la fin de mon intervention.
Le nœud du présent débat, toutefois, ce ne sont pas les motifs justifiant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, bien que beaucoup de sénateurs souhaiteront s’attarder sur cet important critère juridique. Selon moi, il est plus important de se pencher sur la question sous-jacente, à savoir si les manifestations dites du « convoi pour la liberté » — qui duraient depuis trois semaines le jour où la loi a été invoquée et qui ne montraient aucun signe d’affaiblissement — constituent un exercice acceptable des droits et libertés des manifestants et, par conséquent, peuvent se poursuivre sans relâche.
Je m’intéresse moins à la source ou aux sources du mécontentement des manifestants qu’à l’effet cumulatif de leurs actions, car mon argument serait valide peu importe le type de liberté revendiqué par le groupe de manifestants. Si vous croyez qu’on aurait dû permettre aux manifestations à Ottawa de se poursuivre pour des raisons de protection constitutionnelle ou de légitime désobéissance civile, ou parce que vous croyez que les perturbations causées par les manifestations sont un prix acceptable à payer dans une société démocratique, votre position par rapport à cette motion devrait être bien simple : vous devriez voter contre. Par contre, si vous croyez qu’il fallait mettre fin à ces manifestations — non pas au sens abstrait, mais les manifestations auxquelles nous avons assisté pendant trois semaines et qui, jusqu’il y a quelques jours, n’avaient aucune fin en vue —, la seule question à régler est celle du moyen d’y parvenir.
Je n’ai pas entendu beaucoup de parlementaires soutenir que les perturbations causées par les manifestants à Ottawa étaient acceptables, et que nous aurions dû les laisser continuer, alors je vais supposer que nous sommes généralement d’accord pour dire que les manifestations devaient cesser. Si j’ai tort d’émettre cette hypothèse, j’espère que vous interviendrez pour me dire très clairement que vous soutenez le droit des manifestants d’Ottawa de poursuivre leurs manifestations. Cela vous permettrait de préciser la raison pour laquelle vous pourriez vous opposer à la motion. Je ne serais pas d’accord avec vous, mais au moins nous pourrions tous comprendre nos positions respectives et comment nous en sommes arrivés à des conclusions différentes.
J’aimerais maintenant me pencher sur les arguments de ceux qui, d’une part, admettent que ces mesures étaient nécessaires pour mettre fin aux manifestations, mais qui, d’autre part, sont contre le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Par exemple, quelqu’un pourrait être d’avis que le gouvernement fédéral aurait pu négocier la fin des manifestations et ainsi éviter d’avoir à recourir à des pouvoirs d’urgence. Cependant, il ne faut pas oublier que les manifestants exigeaient, entre autres choses, la levée des exigences liées à la COVID-19 et le renversement du gouvernement, avec l’aide du Sénat, ni plus ni moins, et qu’ils insistaient pour qu’on ne retire pas leurs camions, leurs remorques et leurs trampolines jusqu’à ce que le gouvernement du Canada lève toutes les restrictions liées à la COVID-19.
Pour quelle raison un gouvernement dûment élu envisagerait-il de négocier avec une foule, d’abord pour annuler des mesures de santé publique que la majorité des Canadiens appuient, et ensuite pour abdiquer devant un groupe autoproclamé de manifestants bruyants? C’est une chose de reconnaître la fatigue liée à la pandémie, que nous ressentons tous, mais c’en est une autre de se soumettre à l’ochlocratie.
En ce qui concerne toute la tempête que l’on fait à propos du bouleversement de la démocratie par la Loi sur les mesures d’urgence, soyons très clairs : ce que les manifestants demandent correspond exactement à la définition du bouleversement démocratique. Le fait de ne pas s’opposer à leurs demandes ou, pire, de les valider en négociant avec eux équivaudrait à favoriser le bouleversement et représenterait une abdication des responsabilités gouvernementales.
Comme argument plus convaincant contre le recours à des pouvoirs spéciaux, on indique qu’ils s’avèrent inutiles pour commencer. Ce serait le cas s’il existait des autorités au sein des gouvernements fédéral ou provinciaux pour mettre efficacement un terme aux manifestations. Pourtant, si de tels pouvoirs existent — comme l’état d’urgence déclaré par la Ville d’Ottawa et par l’Ontario —, pourquoi les manifestations n’ont-elles pas été restreintes une fois l’état d’urgence déclaré? J’y vois deux possibilités : d’abord, les pouvoirs accordés à la province et à la municipalité étaient insuffisants pour disperser les manifestants; ensuite, les dirigeants en question étaient incapables d’exercer ces pouvoirs ou réticents à le faire.
La première possibilité revient à justifier le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Si la deuxième possibilité s’applique, certains pourraient faire valoir que le refus d’une province ou d’une municipalité d’exercer ses pouvoirs ne justifie pas l’invocation par le gouvernement fédéral de la Loi sur les mesures d’urgence. Cependant, pour décider d’avoir recours à cette loi, il ne suffit pas de déterminer si les autorités locales ont les pouvoirs nécessaires pour gérer la situation d’urgence, mais aussi de savoir si elles ont la capacité de les exercer et si leurs efforts sont susceptibles d’être efficaces.
Il me semble raisonnable que le gouvernement fédéral ait conclu que, après trois semaines de perturbation, ses homologues infranationaux n’avaient pas la capacité d’exercer les pouvoirs dont ils disposaient. Le fait que le gouvernement de l’Ontario soutienne la Loi sur les mesures d’urgence vient appuyer la pertinence de son utilisation.
Il est bien sûr possible de formuler des hypothèses sur les raisons qui expliquent l’intervention insuffisante de l’administration municipale et plus particulièrement du gouvernement provincial. Un tel exercice sort toutefois du cadre de la motion. Au bout du compte, il reviendra à l’électorat d’y réfléchir.
Un troisième type d’argument contre le recours à la Loi sur les mesures d’urgence fait valoir que, même si les manifestations sont intolérables et que les autorités existantes sont insuffisantes, les seuils établis dans la loi ne sont pas atteints, en particulier en ce qui concerne la définition de crise nationale. Selon ce point de vue, le mieux que l’on peut espérer est l’application des lois existantes contre des manifestants et l’utilisation d’initiatives policières générales pour contenir les manifestations et les laisser suivre leur cours jusqu’à ce qu’elles s’essoufflent. C’est ce que j’appelle l’approche patiente, et c’est bien sûr exactement ce qu’on a demandé aux habitants d’Ottawa de faire depuis quatre semaines. On leur a dit de s’armer de patience.
Il s’agit, en fin de compte, de déterminer si les seuils ont été atteints. Mais qui prend cette décision et comment? Voici ce qu’avait à dire à ce sujet Perrin Beatty, alors ministre de la Défense nationale du gouvernement de Brian Mulroney, quand il a témoigné devant le Parlement il y a 34 ans jour pour jour :
Lorsque le pays fait face à une grave situation de crise, la décision d’invoquer ou non les pouvoirs d’urgence est nécessairement un exercice de jugement, ou plutôt une série d’exercices de jugement. Celle-ci dépend non seulement de l’évaluation de la situation, mais encore et surtout du jugement que l’on porte sur l’évolution possible de la situation et sur la vitesse avec laquelle elle pourrait se détériorer.
Il ajoute :
[…] la décision de déclarer une situation de crise est un exercice de jugement politique, et le Parlement du Canada est évidemment l’endroit tout désigné pour contester ce jugement.
C’est la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle la véritable question que nous devrions tous nous poser, dans cette enceinte, est celle que j’ai posée au début de mon intervention. Fallait-il mettre un terme assez rapidement à cette manifestation du « convoi de la liberté » — et à ses effets dévastateurs sur les résidants, les petites entreprises, les services municipaux et notre propre système gouvernemental — qui a duré pendant trois semaines ininterrompues et sans résolution en vue?
Je répondrais par l’affirmative. Voici une partie de la définition du mot « urgence » dans le dictionnaire : « ... événements survenant de façon inattendue, et nécessitant une intervention immédiate... ».
Je pense que nous pouvons convenir qu’il s’agit d’une « urgence » lorsque des centaines de véhicules investissent la capitale et bloquent les principales rues d’Ottawa, générant ainsi d’énormes perturbations et pertes économiques pour les résidants. Cela dit, que pourrait-on qualifier d’urgence « nationale »? La cible des camionneurs était de facto de portée nationale, car il s’agissait du gouvernement fédéral. L’épicentre de la manifestation se trouvait sur la Colline du Parlement, qui est le siège du gouvernement national. D’après moi, même en faisant abstraction des manifestations ailleurs au pays et de la multiplication des barrages, le simple fait que la principale manifestation se trouvait dans notre capitale fait de cet événement une urgence nationale.
Je ne suis pas d’accord avec l’Association canadienne des libertés civiles, qui considère que l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence n’était pas nécessaire parce que, pour reprendre les mots employés par le directeur de l’association : « Les manifestations perturbatrices, bien que souvent illégales [...] peuvent être le moyen le plus efficace de sensibiliser. »
L’association s’était opposée à l’adoption de la Loi sur les mesures d’urgence en 1988, alors il n’est pas surprenant qu’elle s’oppose à la première invocation de la loi plus de 30 ans plus tard. Après avoir relu le mémoire que l’association avait présenté en 1988 au sujet de ce qui était à l’époque le projet de loi C-77, je peux dire que je comprends certaines de ses réserves. Je comprends la préoccupation de l’association lorsqu’elle affirme que l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence dans le cas présent ne doit pas faire en sorte que les pouvoirs d’urgence soient « normalisés ».
Cependant, chers collègues, je pense que le risque qui doit nous inquiéter aujourd’hui est celui de la normalisation d’un type de manifestations qui paralysent des infrastructures clés; qui assiègent la capitale; qui font du tort aux entreprises, aux travailleurs et aux résidants du secteur où se tiennent ces manifestations; qui ont pour objectif de contraindre le gouvernement à changer ses décisions en exerçant du chantage sur lui.
C’est ce que nous ne voulons pas qui soit normalisé. Ce genre de manifestation illégale et perturbatrice, peu importe la cause qu’elle porte, peut effectivement être le moyen le plus efficace de « sensibiliser », comme le soutient l’Association canadienne des libertés civiles, mais elle nous entraîne sur un terrain glissant.
Même si nous pouvons convenir que l’invocation de la loi était nécessaire, personne ne devrait se réjouir de la réduction des libertés civiles, et nous devrions tous nous employer à trouver le moment le plus opportun pour mettre fin aux pouvoirs d’urgence. Il s’agit là de la tâche permanente du Parlement, à laquelle nous devrions nous atteler immédiatement après la confirmation de cette motion, dès la constitution du comité d’examen parlementaire.
Il est également important de souligner que le fait d’appuyer le recours à la Loi sur les mesures d’urgence ne revient pas à appuyer la loi dans son ensemble. Tout comme le dépôt du projet de loi C-77 a donné lieu à un débat public vigoureux, l’invocation de cette loi trois décennies plus tard devrait donner lieu à un autre examen approfondi de ses dispositions.
Après tout, le monde de 2022 est bien différent de celui de 1988. Pensez à Internet, aux médias sociaux, à GoFundMe et ses équivalents, aux cryptomonnaies ainsi qu’à l’ingérence d’acteurs étrangers étatiques et non étatiques, qui sont tous des facteurs à prendre en compte dans le cas présent. Personnellement, je pense que la définition de « menaces envers la sécurité du Canada », tirée de la Loi sur le SCRS, est trop large, mais cela devrait faire l’objet d’un autre débat une autre fois.
Honorables sénateurs, j’en ai moi aussi assez des restrictions liées à la COVID-19. La bonne nouvelle est qu’il semble que nous soyons en train de sortir du tunnel du coronavirus, ce qui signifie que les mesures obligatoires seront progressivement assouplies, peut-être au point où la seule obligation de santé publique sera celle que vous vous imposerez à vous-mêmes, selon votre tolérance au risque. Mais nous ne pouvons pas et ne devrions pas éliminer les mesures obligatoires parce qu’une foule bruyante dit que le moment de le faire est venu.
Dans notre désir ardent et notre impatience de retrouver la normalité, nous ne devons pas oublier que les coronavirus ne partagent pas nos priorités. Nous ne savons pas si un autre variant de la COVID-19, peut-être plus virulent qu’Omicron et Delta, n’est pas à nos portes. Si un tel variant apparaît et frappe durement, nous ne pourrons pas laisser notre impatience à l’égard des restrictions aller à l’encontre des directives rationnelles de la santé publique, y compris de nouveaux confinements.
C’est pourquoi la manifestation des camionneurs ne devrait pas être considérée sous l’angle de l’état d’urgence seulement, ce qui a été le fondement du recours à la Loi sur les mesures d’urgence, mais aussi du point de vue du sinistre. Si le gouvernement ne cite pas le critère du « sinistre » dans sa justification du recours aux pouvoirs d’urgence, il importe de ne pas perdre de vue le lien entre état d’urgence et sinistre. Le premier favorise le deuxième.
Ce n’est pas le moment de faire preuve de désinvolture à l’égard de l’état d’urgence, particulièrement lorsque celui-ci est si étroitement lié à une situation de sinistre. Céder aux appels à ignorer les directives de la santé publique peut être relativement inoffensif à la fin de la présente pandémie, mais ce sera catastrophique dans la prochaine.
Honorables collègues, je voterai pour cette motion de confirmation et j’espère que vous l’appuierez aussi.
Nous reprenons le débat. Madame la sénatrice Bovey, nous avons trois minutes avant la pause repas.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui depuis le territoire non cédé du peuple algonquin pour parler en faveur de l’adoption de la Loi sur les mesures d’urgence, qui a été proclamée le 14 février 2022.
Chers collègues, ce discours n’est pas le plus facile qu’il m’ait été donné de prononcer en cette Chambre. Les événements qui se sont passés dans l’ensemble du pays au cours du dernier mois m’ont troublée. Ils me semblent odieux et déplorables, et je me demande avec inquiétude comment les Canadiens pourront avancer ensemble.
Je remercie le sénateur Gold d’avoir présenté aujourd’hui un discours complet et empreint de patience. Depuis l’arrivée de la pandémie de COVID-19 il y a deux ans, tous les Canadiens traversent l’une des périodes les plus difficiles des 75 dernières années. C’est une période sans précédent, marquée non seulement par la propagation du virus et de ses variants, mais aussi, en parallèle, par la prolifération de la peur, de la solitude et de l’exaspération.
Les mesures nécessaires pour composer avec la pandémie ont exercé sur nous tous une immense pression. La vie quotidienne est devenue plus compliquée, la plupart d’entre nous n’ont pas pu voyager, et les personnes les plus vulnérables de nos collectivités ont particulièrement souffert. Ce qui a le plus grandi au Canada, c’est la distance et les fossés qui nous séparent. Les événements du dernier mois ne trouvent pas seulement leur inspiration dans un ras-le-bol pandémique, mais aussi dans une voix organisée, qui prend de l’ampleur et dont le message sous-jacent est franchement inquiétant. Ce n’est vraiment pas un message de liberté, malgré le nom du convoi.
Honorables sénateurs, je crois au droit de manifester. Beaucoup de manifestations légitimes ont eu une incidence positive sur la condition humaine. Nous avons été témoins des manifestations tenues par les peuples autochtones pour souligner le sort des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que des manifestations du mouvement Black Lives Matter au Canada, qui se sont déroulées dans la dignité et la civilité. Nous avons entendu leur message. Certes, il reste encore beaucoup à faire pour régler ces enjeux et ceux qui ont inspiré d’autres manifestations, mais les gouvernements et l’ensemble de la société agissent pour améliorer les choses.
Sénatrice Bovey, il est 18 heures. Vous pourrez continuer votre discours à notre retour. Conformément à l’ordre adopté, je dois quitter le fauteuil pour la pause repas d’une heure.
Nous ajournons la séance jusqu’à 19 heures.
Honorables sénateurs, comme je le disais, il faut certainement en faire davantage pour régler les problèmes qui découlent des manifestations antérieures, mais des mesures sont prises par les gouvernements et la société dans son ensemble.
Cependant, le mois qui s’achève a été différent à Ottawa, tout comme l’ont été les manifestations au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique, qui ont été accompagnées d’un large éventail de revendications, notamment le renversement du gouvernement. À mon avis, il ne s’agissait pas de manifestations pacifiques : comme nous le savons, des armes à feu ont été trouvées à Coutts.
La foule qui se trouvait sur la Colline du Parlement et au centre-ville d’Ottawa a été dispersée, mais elle se masse ailleurs, et tout le monde sait qu’elle peut affluer vers différents endroits. En effet, ce midi, nous avons reçu un avis de situation concernant ce qui se passait au Centre Rideau. Un de nos collègues a été enfermé dans un bâtiment qu’il visitait. Une heure plus tard, un avis de confinement pour sécurité a été émis pour l’édifice du 1, rue Wellington et l’édifice du Sénat du Canada.
Les manifestations qui ont lieu au Palais législatif du Manitoba, dans le parc Memorial, au centre-ville de Winnipeg, en ont inquiété plusieurs, dont notre maire. De la même façon, ces manifestations mettent en danger la vie des gens qui vivent dans cette partie du centre-ville de Winnipeg. Si cela s’était passé en été et que mes fenêtres avaient été ouvertes, moi aussi j’aurais entendu le bruit et les camions.
Au centre-ville de Winnipeg, les gens n’arrivent pas à dormir non plus. Ils craignent de sortir de chez eux et leur quartier est rempli de camions. Bon nombre de mes voisins m’ont téléphoné pour me parler de leur anxiété et de celle de leur animal de compagnie. Les préoccupations subsistent.
Pendant les événements qui se déroulent à Ottawa depuis le 28 janvier, on en est venu à faire un usage très malavisé de la liberté de réunion. En effet, tout cela est devenu une occupation illégale qui a fait des nombreux Ottaviens qui vivent au centre-ville et près du marché By de véritables prisonniers de leur domicile. Ils ont enduré du bruit incessant, des menaces, l’odeur envahissante du diésel et la crainte de sortir de chez eux, surtout en portant un masque.
J’ai entendu parler de parents qui se sont rendus dans des parcs de divers secteurs d’Ottawa avec leurs enfants et qui se sont fait harceler parce qu’ils portaient un masque. Des Ottaviens ont dû s’absenter du travail. Des entreprises ont été fermées. Des millions de dollars ont été perdus. Je pourrais continuer ainsi, et nous pourrions parler d’autres endroits qui ont été touchés.
Nous savons tous que les membres de notre personnel sont victimes de harcèlement, surtout ceux qui sont issus des diversités visibles, et, comme l’a si bien dit la sénatrice Moodie, j’aimerais remercier ceux qui travaillent pour nous et leur dire que nous nous faisons du souci pour eux.
J’ai écouté les opinions de mes collègues à propos de l’application de la Loi sur les mesures d’urgence. Bien que je reconnaisse les préoccupations de mes collègues, j’en suis venue à la conclusion qu’étant donné cette situation unique, le recours à cette loi s’impose à ce moment-ci.
Nous avons tous entendu des arguments au sujet de l’atteinte ou non du seuil nécessaire pour invoquer la loi. Je crois que ce seuil a été atteint. Nous continuerons d’entendre de tels arguments longtemps après la fin de la présente situation, et nous savons très bien que plusieurs contestations judiciaires ont déjà été amorcées.
Les raisons pour lesquelles j’appuie l’utilisation de cet instrument ne sont pas compliquées. Nous devons maintenir les responsabilités civiles et les vraies libertés pour lesquelles nos parents et nos grands-parents se sont battus et sont morts et pour lesquelles se battent nos militaires aujourd’hui. Ces libertés viennent avec des responsabilités, comme l’a dit plus tôt la sénatrice Cordy.
Je crois que les objectifs de la Loi sur les mesures d’urgence ont été adaptés pour répondre aux troubles auxquels nous sommes confrontés. Je crois aussi qu’ils sont justifiés, car ils visent à s’occuper plus spécifiquement de ceux qui occupaient notre capitale et représentaient une menace pour notre commerce international et pour notre économie, soit des camionneurs, dont la grande majorité s’opposait aux actes qui ont été commis.
Honorables sénateurs, alors que nous étudions la motion concernant la Loi sur les mesures d’urgence dont le Sénat est actuellement saisi, il est clair que le gouvernement fédéral, qui a invoqué la loi, et le Parlement du Canada, qui vote sur la confirmation ou la révocation de la proclamation, ont été contraints d’agir ainsi par l’inaction du conseil municipal d’Ottawa.
J’ai eu le plaisir de vivre à Ottawa pendant plusieurs années dans les années 1990. Nous possédions une maison ici, payions nos impôts ici et envoyions nos enfants à l’école ici. Je peux vous dire qu’Ottawa est une ville charmante. C’est pourquoi ce qu’on a laissé s’y produire ces dernières semaines est tellement décevant.
J’espère que les citoyens d’Ottawa porteront une attention particulière aux candidats qu’ils éliront à leur conseil municipal cet automne. J’espère qu’ils éliront des conseillers municipaux qui sauront se renseigner sur la Loi sur les services policiers et qui seront en mesure de progresser dans leur travail et les responsabilités qui s’y rattachent. J’espère qu’ils éliront des candidats qui se soucient davantage du travail requis pour s’acquitter de leurs fonctions que de leur popularité personnelle ou de leur profil médiatique. Notre capitale nationale a besoin d’un conseil municipal nettement meilleur et beaucoup plus compétent. Nous ne voulons pas qu’un autre conseil municipal dysfonctionnel à Ottawa mette à nouveau notre pays dans cette situation.
Voici la question que nous devons nous poser, chers collègues : y avait-il un vide législatif tel qu’il a fallu invoquer la Loi sur les mesures d’urgence ou serait-ce que les lois existantes ont été mal appliquées? L’absence d’intervention auprès des manifestants d’Ottawa a poussé d’autres gens à les imiter. C’est ainsi que les manifestations et les barrages aux divers postes frontaliers du pays ont vu le jour.
Après avoir lu la loi, je me suis posé plusieurs questions. Avant toute chose, était-il nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence ou cela va-t-il trop loin? La réponse à cette grande question et le cœur du débat se trouvent dans l’article de la loi qui dit que, pour qu’il y ait une crise nationale, il faut « un concours de circonstances [...] auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».
Malheureusement, il se peut fort bien qu’on ne puisse pas répondre à cette question, du moins pour le moment, simplement parce qu’on ne sait pas ce qu’on ne sait pas. Les services de sécurité et du renseignement ont-ils réussi à découvrir qui se cache derrière ces manifestations extrêmement bien organisées? Se peut-il que des gouvernements étrangers aient fourni du soutien ou de l’argent afin de semer le désordre et la division dans notre pays?
À l’époque où je travaillais au Cabinet du premier ministre, je me suis penché abondamment sur les enjeux de sécurité nationale après les attaques de septembre 2001, aux États-Unis. Nous pouvons présumer que le gouvernement fédéral a évalué les menaces et qu’il a agi de façon conséquente en déclarant l’état d’urgence. Nous pourrons soit confirmer cette hypothèse, soit déterminer que le gouvernement a commis une erreur lorsque nous reviendrons sur l’application de la Loi sur les mesures d’urgence dans les prochains mois. Il faut convenir que la saisie d’armes au passage frontalier de Coutts, en Alberta, conjuguée aux accusations de profération de menaces, de possession d’armes dans un dessein dangereux et de complot en vue de commettre un meurtre sont, il va sans dire, extrêmement graves.
Chers collègues, rappelons-nous que les individus qui ont manifesté pendant trois semaines ne représentent qu’une faible proportion de la population au Canada. La majorité silencieuse de Canadiens sont ceux qui sont pleinement vaccinés, soit plus de 85 % des Canadiens admissibles. La majorité silencieuse de Canadiens a suivi les directives de la santé publique. Ces Canadiens n’ont pas ménagé les efforts pour protéger leurs concitoyens, c’est-à-dire les personnes âgées, les enfants de moins de cinq ans, les personnes atteintes d’une maladie auto-immune et celles qui ne peuvent recevoir le vaccin pour une raison ou une autre. Cependant, une petite portion de nos concitoyens ne cessaient de répéter : « Et moi, alors? ». C’est une mentalité du je, me, moi, et au diable les autres.
L’assouplissement des restrictions sanitaires peut se poursuivre parce que les Canadiens, massivement, continuent de bien agir. Nous devons une fière chandelle aux travailleurs de la santé et aux autorités de la santé publique qui nous ont guidés pendant la pandémie.
Comme je l’ai souligné, parce que la loi n’a pas été appliquée efficacement et rapidement, il était nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour empêcher une minorité bien organisée et bien financée d’annuler tous les efforts que la majorité de Canadiens ont faits pour nous aider à passer à travers ces deux années de pandémie douloureuses et éprouvantes.
Je vais voter en faveur de la motion. Je vous remercie, honorables sénateurs.
Bonsoir, tansi.
En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du traité no 1, le territoire traditionnel des Anishinabe, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés, et de la patrie de la nation métisse.
Je voudrais citer l’édition du quotidien La Presse du 19 février dernier :
Ils avaient parfaitement le droit de manifester, mais pas celui de bloquer le cœur de la capitale et de menacer ses institutions démocratiques. [...]
Dans l’espoir de perturber l’opération policière, des « patriotes » ont surchargé les lignes 911 par des appels non urgents, mettant en danger la vie des citoyens d’Ottawa.
Certains ont poussé l’audace jusqu’à placer des enfants entre les lignes policières et celles des manifestants. Ils ont utilisé leurs propres enfants comme boucliers humains.
Les manifestations du soi-disant convoi pour la liberté auraient été inspirées par un règlement de janvier 2022 exigeant que les camionneurs et les travailleurs essentiels fournissent une preuve de vaccination pour traverser la frontière. La vérité, c’est que ces manifestations ne sont pas tellement une réaction à cette mesure obligatoire, mais plutôt le reflet de la frustration générale envers les restrictions sanitaires des dernières années.
Malheureusement, il est devenu de plus en plus évident que des voix et des groupes politisés et plus radicaux se sont approprié ces manifestations au détriment de la majorité des participants. Tout débat légitime a été noyé dans un populisme semant la discorde et la polémique.
Il est révélateur de noter que, avec 90 % des camionneurs qui sont vaccinés contre la COVID-19, selon l’Alliance canadienne du camionnage, la majorité de l’industrie ne prend pas part au convoi. L’Alliance canadienne du camionnage et l’Association de camionnage de l’Ontario n’ont pas hésité à dénoncer les actions du convoi et à appuyer l’intervention du gouvernement. De plus, même si le gouvernement décidait de lever sur-le-champ les exigences fédérales en matière de vaccination pour les camionneurs, la mesure américaine s’appliquant aux camionneurs étrangers, annoncée en octobre dernier, les empêcherait tout de même de traverser la frontière. Les exigences relatives à la vaccination pour les travailleurs essentiels qui veulent traverser la frontière ont évidemment une valeur de symbole au lieu d’être un élément crucial de ces manifestations. Quelque chose d’autre se passe.
Je pense que nous comprenons tous les nombreux Canadiens qui vivent une grande frustration et beaucoup d’incertitude à cause de la pandémie. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’ils sont encore plus nombreux à pleurer la perte de plus de 35 000 proches et amis.
Tout au long de la pandémie, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral ont imposé et levé des restrictions, mais les justifications n’ont pas toujours été communiquées efficacement. La COVID-19 a eu des répercussions bien plus graves sur nos vies que nous aurions pu imaginer. Toutefois, il importe de rester rationnel et juste. Ces mêmes restrictions — parfois maladroites, gênantes, voire intrusives — ont permis à notre pays de limiter le nombre de décès liés à la COVID, dans une proportion telle que notre taux représente un tiers de celui des États-Unis. La frustration est bien réelle, mais la science l’est aussi, et les politiques sanitaires mises en place pour le bien de tous ont été relativement efficaces.
Comme de nombreux collègues l’ont dit avant moi, les Canadiens ont le privilège et le droit de protester et de manifester. Nous le voyons souvent. Certaines manifestations sont de taille modeste, d’autres sont imposantes et organisées. La plupart d’entre nous ont participé à des manifestations à l’occasion. C’est mon cas, et mes enfants ont grandi en déambulant dans des cortèges dans leur poussette, mais ces manifestations étaient pacifiques. Ces manifestations n’empêchaient pas les citoyens de vivre leur vie, d’avoir accès aux soins de santé ou à des services essentiels.
La jurisprudence protège même le droit à la liberté de réunion pacifique à l’alinéa 2c). Cette jurisprudence n’autorise pas les émeutes ou les rassemblements qui perturbent sérieusement la paix. En outre, la loi précise que la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression ne comprennent pas le droit d’entraver ou de bloquer physiquement des activités légales.
Nous sommes conscients qu’il faut arriver à un équilibre nécessaire entre les droits et les libertés dans le respect de la primauté du droit en démocratie et nous l’acceptons. C’est l’essence de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, l’imposition de limites raisonnables mises en place par des processus démocratiques.
Les manifestations, les convois et les occupations ont été organisés partout au pays au sujet d’un problème, le coronavirus, supposément. Il y a présentement une pandémie qui a tué plus de 5,9 millions de personnes. Dans le contexte du Canada, 45 000 Canadiens ont perdu la vie pendant la Seconde Guerre mondiale et plus de 35 000 Canadiens sont décédés pendant la pandémie jusqu’à maintenant et d’autres décès s’ajoutent chaque jour.
Il s’agit d’une question de santé publique et de bien commun. Il s’agit d’une question qui concerne la paix, l’ordre et la bonne gouvernance, comme c’est décrit dans la Constitution.
Oui, des limites ont été imposées aux Canadiens, que ce soit l’utilisation obligatoire d’un masque, les limites relatives aux rassemblements ou les limites concernant la circulation ou même encore la fermeture des commerces et des écoles, mais c’était dans le but d’empêcher la propagation du virus, pas d’éradiquer ce dernier, parce que nous savons que c’est impossible. Ces mesures ont été mises en place pour le bien commun. Elles ont été mises en place pour que les travailleurs de la santé puissent faire leur travail et s’occuper ceux qui ont besoin de soins.
Nous avons vu des preuves irréfutables qu’une combinaison d’interventions médicales et techniques, et des changements de comportement conscients individuels tout aussi impératifs, sont nécessaires pour contrer efficacement la pandémie ou toute autre pandémie. L’imposition de restrictions et de règlements sanitaires liés à la COVID vise à réduire au minimum la maladie et la mort chez le plus grand nombre de Canadiens, et c’est exactement ce que les vaccinations ont fait.
Mais aucun d’entre nous n’a le droit de se comporter comme s’il n’était pas important pour quelqu’un d’autre de protéger sa santé. Il faut établir un équilibre entre, d’une part, des droits et des privilèges et, d’autre part, des mesures responsables et proportionnées pour répondre à la crise. À mon avis, la proclamation du 14 février répondait aux critères nécessaires aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence.
Lorsque l’Alberta a abandonné pratiquement toutes les restrictions sanitaires le 1er juillet 2021, les cas se sont rapidement multipliés. Les Albertains mouraient de la COVID-19 à un rythme plus de trois fois supérieur à la moyenne canadienne. La province était en crise parce que le gouvernement provincial n’a pas maintenu les restrictions sanitaires qui auraient pu assurer la sécurité de ses citoyens. C’est cette question qui est au cœur du débat et qui nous donne du fil à retordre.
Une grande partie du pouvoir auquel se sont opposés bon nombre de manifestants n’a en fait pas grand-chose à voir avec le gouvernement fédéral, étant donné la Constitution et la répartition des pouvoirs entre les provinces et le fédéral.
La situation dont nous débattons actuellement est très semblable. Il s’agit d’établir si le recours à la Loi sur les mesures d’urgence est déraisonnable et limite indûment les droits et libertés garantis par la Charte. Dans ce cas-ci, j’estime qu’on a respecté les critères de proportionnalité et de raisonnabilité qui ont été très clairement établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Oakes.
Pour ce qui est du recours à la Loi sur les mesures d’urgence, je suis convaincue par les arguments selon lesquels ces manifestations sont allées au-delà de l’assemblée pacifique, et les manifestations publiques ont malheureusement été récupérées par des éléments radicaux qui ont utilisé et qui continuent d’utiliser ces manifestations pour faire de l’ingérence et pour alimenter et propager un mouvement de sédition à des fins beaucoup plus sinistres.
Selon ce que nous avons entendu dans les dernières semaines, il y a eu des barrages à la frontière, des gestes délibérés pour nuire aux infrastructures, des armes saisies, des accusations de conspiration pour commettre un meurtre à Coutts, en Alberta, l’occupation et le siège à Ottawa, la participation documentée de membres anciens et actuels de la police militaire sur le plan organisationnel, ainsi que des personnes reconnues pour avoir entretenu des liens étroits avec des groupes extrémistes qui ont déclaré publiquement qu’ils souhaitent une guerre raciale et que, sans ce genre d’insurrection, nous serons bientôt tous obligés de parler l’hébreu.
Les évaluations du renseignement préparées par le Centre intégré d’évaluation du terrorisme du Canada sont pertinentes à cette discussion. Elles avaient indiqué à la fin de janvier qu’il était probable que des extrémistes soient impliqués dans la manifestation et que l’ampleur de celle-ci incite des loups solitaires à mener une attaque terroriste.
Je vous rappelle que, conformément à la division 83.01(1)b)(i)(B) du Code criminel, le terrorisme est un acte commis :
en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir […]
Nous pouvons penser un instant, par exemple, à la fermeture complète du Centre Rideau, au centre-ville d’Ottawa.
On sait que les manifestations ont toujours tendance à attirer des personnes et des groupes extrémistes. Cependant, le niveau apparent de coordination et d’intégration, signalé par le Centre intégré d’évaluation du terrorisme du Canada et observé par d’autres organismes de maintien de l’ordre et de sécurité, montre clairement que cette occupation s’était grandement éloignée de la mission initiale de bon nombre de ses participants. Des extrémistes ont infiltré le mouvement, se le sont approprié et l’ont détourné du but initial poursuivi par la majorité des manifestants. Ils ont transformé irrémédiablement un rassemblement pacifique en quelque chose de délibérément dangereux.
Pendant le temps qu’il me reste, je veux mettre l’accent sur certaines mesures de surveillance et de contrôle prévues dans la loi, en particulier à l’article 59, qui prévoit qu’une motion signée par seulement 20 députés et 10 sénateurs pourrait mener à l’abrogation rapide d’une déclaration de situation de crise, ainsi qu’à l’article 62, qui oblige la tenue d’un examen parlementaire.
Dans mes remarques sur l’article 62, je soulignerai quelques faits que je trouve troublants et qui, je l’espère, feront l’objet d’une étude par le comité d’examen parlementaire.
Premièrement, la présence et, apparemment, le leadership organisationnel de membres actifs ou d’anciens membres des Forces armées canadiennes et de la police. Deuxièmement, la présence, le positionnement et la sécurité des enfants dans la manifestation et leur incidence sur les décisions et les actions des policiers. Troisièmement, l’attitude « deux poids, deux mesures » des policiers dans leur intervention face à ce groupe en comparaison avec leur utilisation bien différente de la force et avec le nombre de leurs arrestations lors de manifestations d’Autochtones ou pour la cause climatique ou, comme cela a été mentionné, au sommet du G20 à Toronto. Enfin, la légitimité, l’efficacité et la précision du recours à des saisies financières par opposition à l’usage de la violence ou de mesures coercitives agressives par la police.
Honorables sénateurs, beaucoup se sont exprimés sur l’aspect incroyablement pacifique du démantèlement de ce siège, et je pense que nous devons nous intéresser particulièrement à cette utilisation de pressions financières et à la probabilité qu’elles aient contribué à ce que le processus observé au cours des derniers jours se soit déroulé de façon relativement pacifique.
Malgré de graves préoccupations quant à l’extension de la durée des pouvoirs extraordinaires, je constate que la Loi sur les mesures d’urgence ne suspend pas les libertés civiles ni les droits garantis par la Charte. Elle énonce que le premier ministre et le Cabinet ne peuvent pas agir sans supervision parlementaire. Honorables sénateurs, c’est pour cette raison que nous sommes ici. La loi exige que son invocation soit soumise à l’approbation du Parlement dans les sept jours après la déclaration par le Cabinet.
En terminant, j’ajouterais simplement que j’appuierai la déclaration faite aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence et que je collaborerai avec tous ceux qui, peu importe leurs allégeances, veulent rassembler les 20 députés et les 10 sénateurs pour entamer le processus d’abrogation de ces pouvoirs extraordinaires. Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. C’est vraiment malheureux, honorables sénateurs, que nous en soyons venus au point où le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence et qu’il se serve des pouvoirs conférés par cette dernière contre les citoyens canadiens, avant même que cette invocation soit entérinée par le Parlement. Des gaz lacrymogènes et des matraques ont été employés par des policiers en rang contre des manifestants qui chantaient la liberté. Des fenêtres de camions ont été fracassées, des comptes bancaires ont été gelés, on a promis aux manifestants qui ont choisi de quitter librement les lieux qu’on les pourchasserait. Même si, présentement, aucun pont n’est bloqué et que la manifestation d’Ottawa a été dispersée, le premier ministre ne peut pas nous dire quand cessera le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et aux pouvoirs immenses qu’elle confère à son gouvernement. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il compte rendre certains de ces pouvoirs extraordinaires permanents.
L’incroyable division au sein de la population canadienne en ce moment est en grande partie attribuable au premier ministre Trudeau. Son gouvernement et lui sèment la division parmi les Canadiens, créant des catégories de gens vaccinés et non vaccinés, puis les retournent les uns contre les autres en tenant des propos incendiaires. Depuis les élections, le premier ministre Trudeau se sert de cette urgence de santé publique pour susciter des dissensions politiques, sans égard aux Canadiens qui sont pris au milieu et deviennent des dommages collatéraux.
Il les traite d’extrémistes, de racistes et de misogynes. Le premier ministre Trudeau prêche la tolérance, mais dit que les personnes qui choisissent de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 « pren[nent] de la place » et s’interroge à savoir : « Est-ce qu’on tolère ces gens-là? ». Puis, lorsque ces Canadiens, dont bon nombre ont perdu beaucoup, voire tout en raison des exigences liées à la vaccination contre la COVID-19, se présentent devant le Parlement pour se faire entendre, que fait le premier ministre? Au lieu de les écouter ou de montrer de l’empathie pour la frustration qu’ils ressentent, il s’entête et les qualifie de « minorité de gens qui ont des opinions déplorables ». Ainsi, les deux camps se sont cantonnés dans leur position et nous nous sommes retrouvés avec une manifestation qui a duré trois semaines devant le Parlement et un gouvernement qui va trop loin et qui invoque inutilement la Loi sur les mesures d’urgence.
N’oublions pas que c’est le premier ministre Trudeau qui a conseillé au premier ministre de l’Inde, M. Modi, d’engager des négociations lorsque 50 000 agriculteurs bloquaient les routes de New Delhi en 2020, une manifestation qui a duré un an. Le premier ministre Trudeau s’est vanté du fait que le Canada serait toujours là pour défendre le droit de manifester pacifiquement. Pourtant, il a refusé dès le début d’engager des négociations avec les cols bleus qui manifestaient ici même, sur la rue Wellington.
Honorables sénateurs, tout au long de cette pandémie, nous avons eu la chance de continuer à recevoir nos chèques de paie, de conserver l’accès à nos régimes de soins de santé et à d’autres avantages sociaux, et de pouvoir travailler à distance dans le confort de notre foyer, au besoin. Nombreux sont ceux qui vivent au centre-ville de cette ville de fonctionnaires qui ont eu la même chance. Mais d’autres Canadiens ont vécu une tout autre situation au cours de cette pandémie. Nombreux sont ceux qui ont perdu leur emploi, leur entreprise et leur gagne-pain, certains en raison des circonstances, d’autres en raison des mesures obligatoires liées à la COVID-19. Les pertes financières, l’isolement social et le dénigrement entretenu par le gouvernement ont entraîné une grogne croissante qui a débouché sur l’organisation du convoi de camionneurs et les barrages que nous avons vus dans tout le pays.
En Saskatchewan et en Alberta, d’où proviennent bon nombre de ces camionneurs, les gens éprouvaient déjà de très graves problèmes économiques avant la pandémie en raison des politiques anti-énergie du gouvernement Trudeau. La taxe sur le carbone, qui ne cesse de gonfler, est un fardeau supplémentaire. Pendant ce temps, l’industrie pétrolière et gazière a été vilipendée au Canada. La semaine dernière, en Colombie-Britannique, nous avons vu des manifestants attaquer violemment le camp de travail du gazoduc Coastal GasLink avec des haches et terroriser les travailleurs et le gouvernement n’a certes pas discuté de la possibilité d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence en réponse.
Bien que ce mouvement soit né de la résistance aux exigences relatives à la vaccination, il s’est rapidement élargi pour devenir une question de liberté plus générale. Plus le gouvernement et le premier ministre à Ottawa dénonçaient les manifestants et semaient la discorde en les diabolisant et en refusant de les écouter, plus le mouvement prenait de l’ampleur.
Avant d’aller plus loin, soyons clairs. Je sympathise avec les résidants du centre-ville d’Ottawa qui ont été le plus durement touchés par la manifestation ici. Leur vie et leur gagne-pain ont été perturbés. Il est compréhensible qu’ils veuillent mettre fin à ces perturbations. Cette intrusion dans leur vie est survenue à la fin de la pandémie, c’est-à-dire après ce qui est possiblement les deux années les plus stressantes et traumatisantes que beaucoup d’entre nous ont vécues. Et ils doivent ensuite faire face à cette situation? Après avoir entendu des klaxons à toute heure du jour et de la nuit et avoir été assujetti à la campagne d’obstruction, quel sénateur ne dirait pas qu’assez, c’est assez?
Mon bureau donne directement sur la rue Wellington, et j’étais aux premières loges pour observer le convoi ces dernières semaines. Je peux vous assurer que ce que j’ai vu, ce sont des manifestants pacifiques, organisés et non menaçants. Je ne tolère jamais le harcèlement, l’intimidation ou la destruction et je peux dire en toute honnêteté que je n’ai vu aucun manifestant adopter de tels comportements. J’étais à Ottawa pendant les trois semaines qu’a duré la manifestation et je peux affirmer que, au cours des deux dernières années, je ne me suis jamais sentie plus en sécurité en rentrant de mon bureau le soir. Les manifestants que j’ai rencontrés m’ont beaucoup fait penser aux gens que je connais en Saskatchewan : des Canadiens sympathiques, travaillants et patriotes. Toutefois, selon les discussions au sujet des manifestants dans les médias et au sein de la gauche caviar privilégiée sur la Colline du Parlement, j’ai senti qu’on avait presque peur des travailleurs qui avaient envahi la ville. Le maire d’Ottawa les a qualifiés de rustres et d’idiots. D’autres sur Internet les ont qualifiés de nazis et de terroristes. Tout le monde avait une opinion à leur sujet, mais, chose certaine, personne ne leur parlait.
On a beaucoup parlé du fait que, pendant la première semaine de protestations, j’avais été photographiée à la manifestation avec mes collègues députés du caucus de la Saskatchewan. Il n’y a aucun manifestant sur la photo et, en arrière-plan, on voit un camion vide arborant des drapeaux de la Saskatchewan. Rien de très offensant, à mon avis. Pourtant, les médias d’Ottawa ont jugé que cela portait à controverse. Nous avons été parler à quelques camionneurs de la Saskatchewan qui s’étaient rassemblés sur la rue Kent. Ils provenaient de municipalités telles que Stoughton, Southey, Carievale, Carnduff et Birch Hills. Ces camionneurs sont nos concitoyens, et, en tant que parlementaires, notre travail consiste à écouter leurs préoccupations et à discuter avec eux. Ils ont conduit de ces municipalités — Birch Hills est à près de 3 000 kilomètres, ou 32 heures de route — jusqu’à Ottawa simplement pour discuter. C’est ce que le premier ministre Trudeau conseille aux autres chefs d’État, mais qu’il refuse obstinément de faire lui-même lorsqu’il est confronté à la même situation dans la capitale nationale du Canada. Comme dans bien d’autres cas, le premier ministre refuse de faire lui-même ce qu’il conseille aux autres de faire sur un ton moralisateur.
Invoquer la Loi sur les mesures d’urgence est assurément un geste draconien pour un gouvernement. Elle ne devrait être utilisée qu’en dernier recours, quand aucune autre loi ne peut régler efficacement une situation qui menace la sécurité nationale. J’estime que le convoi à Ottawa est loin de satisfaire à ce critère. Par le passé, cette loi — ou plus exactement celle qui l’a précédée, la Loi sur les mesures de guerre — a été invoquée dans le contexte de la Première Guerre mondiale, de la Deuxième Guerre mondiale et de la crise du FLQ, alors que des titulaires de charge publique étaient enlevés et assassinés et que les activités terroristes se multipliaient. Ce sont les seuls contextes dans lesquels une mesure législative semblable a été utilisée par le passé. Quelle est la crise nationale, dans ce cas-ci? Les soirées de danse et les klaxons tapageurs? D’autant plus que les klaxons avaient cessé de retentir depuis longtemps quand la loi a été invoquée, résultat d’une injonction que les camionneurs ont respectée.
Honorables sénateurs, gardez tout cela en mémoire pour le jour où le gouvernement actuel aura disparu depuis belle lurette et qu’il aura été remplacé par un autre dont les orientations pourraient vous déplaire. Le précédent qu’a créé le gouvernement Trudeau en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence s’appuie sur ceci : des châteaux gonflables, des klaxons tapageurs, des fêtes bruyantes et des véhicules stationnés illégalement dans un rayon de quatre pâtés de maisons au centre-ville d’Ottawa. C’est absolument dérangeant, mais est-ce vraiment une urgence nationale?
Le gouvernement fédéral n’a rien fait pour mettre un terme aux manifestations à Ottawa pendant trois semaines, alors que les manifestants étaient à seulement quelques pieds des portes de l’édifice de l’Ouest. Si la situation représentait une menace si grave pour la sécurité nationale — au point où il fallait invoquer la Loi sur les mesures d’urgence —, on se serait attendu à ce que le gouvernement fédéral agisse — de quelque manière que ce soit — pour résorber la crise. Il n’a rien fait. Le premier ministre Trudeau a tout simplement refusé de rencontrer les manifestants, puis il a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence comme premier — et non dernier — recours.
Quand la vice-première ministre Freeland s’est exprimée sur la question, elle a dit que le gouvernement avait utilisé tous les outils à sa disposition avant d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Quels outils? Les insultes? Se cacher pendant des jours? Plus d’insultes? Quels outils? Les mêmes outils utilisés en 2020 pour démanteler les barrages ferroviaires qui duraient depuis 19 jours, et pour lesquels le gouvernement n’a toujours pas invoqué la Loi sur les mesures d’urgence?
Quand le premier ministre a annoncé qu’il invoquait la Loi sur les mesures d’urgence, il a dit aux Canadiens que les mesures seraient circonscrites géographiquement et qu’elles s’appliqueraient seulement dans les zones désignées. Pourtant, on constate que le gouvernement fédéral est allé beaucoup trop loin dans la déclaration de l’état d’urgence, qui indique que l’état d’urgence s’appliquera « dans l’ensemble du Canada ».
Plusieurs premiers ministres provinciaux voient d’un mauvais œil que le fédéral ait invoqué la Loi sur les mesures d’urgence pour dénouer l’impasse. Scott Moe, le premier ministre de la Saskatchewan, où j’habite, est du nombre.
De nombreux juristes et organismes s’entendent pour dire que la situation actuelle ne remplit pas les critères requis pour que la Loi sur les mesures d’urgence soit appliquée. Parmi eux se trouvent le professeur Dwight Newman, Advocates for the Rule of Law, Amnistie internationale, l’Association canadienne des libertés civiles, l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, et même Paul Champ, l’avocat qui a réussi à obtenir une injonction contre les coups de klaxon pendant la manifestation d’Ottawa. Tous s’entendent pour dire que la situation ne justifiait pas le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.
La semaine dernière, l’Association canadienne des libertés civiles annonçait qu’elle contestera la décision du gouvernement devant les tribunaux. La directrice exécutive de l’association, Noa Mendelsohn Aviv, estime que l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence crée une situation sans précédent et contrevient directement à la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a dénoncé « l’énorme pouvoir que le gouvernement espère se donner pour contourner le processus démocratique typique ». Elle a qualifié la manifestation d’Ottawa de « rassemblement pacifique » — ce qu’elle a été, quoi qu’on en dise — et ajouté que les manifestations sont un « outil démocratique essentiel ».
L’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique estime de son côté que la Loi sur les mesures d’urgence ne devait pas constituer une solution provisoire à l’inaction des forces de police municipales et des autorités provinciales. Pour qu’il n’y ait aucune équivoque, elle a ajouté qu’à son avis, les gouvernements ont tous les pouvoirs juridiques nécessaires et n’ont pas besoin de la Loi sur les mesures d’urgence.
Même Paul Champ, l’avocat d’Ottawa qui s’est adressé aux tribunaux pour faire cesser les coups de klaxon incessants des camionneurs, convient que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence dans cette situation constitue un excès de pouvoir de la part du gouvernement.
[...] même si je suis parfaitement conscient du traumatisme vécu par les résidants d’Ottawa, je suis tout à fait d’accord que la Loi sur les mesures d’urgence est un outil dangereux qui n’était pas nécessaire.
De nombreux juristes ont dit craindre qu’en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence en réponse à la manifestation d’Ottawa, le gouvernement Trudeau ne normalise l’utilisation de cette loi extraordinaire.
L’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique prévient que le recours à la loi dans ce cas crée un dangereux précédent si nos élus deviennent à l’aise avec l’utilisation de pouvoirs excessifs pour cibler la dissidence au Canada. Il devient plus facile d’utiliser à nouveau la loi pour étouffer d’autres mouvements comme Black Lives Matter ou les défenseurs des terres et des eaux autochtones.
Le groupe de réflexion Advocates for the Rule of Law, ou ARL, convient que cette situation crée un dangereux précédent :
[...] la normalisation de la déclaration de l’état d’urgence, surtout avant qu’aient été tentées d’autres mesures moins intrusives, mais tout de même énergiques, menace de rendre spécieux les droits et libertés garantis à tous les Canadiens; elle risque d’éroder graduellement le rôle du Parlement en faveur du pouvoir exécutif; et elle témoigne de manière accablante d’un manque de capacité de l’État.
Cependant, selon certains, la normalisation des mesures d’urgence pourrait faire partie des intentions du gouvernement Trudeau. La vice-première ministre Freeland a récemment parlé de rendre certaines mesures de la loi accessibles de façon permanente. Nous devrions tous nous en inquiéter, honorables sénateurs.
Malgré le désordre et les problèmes de circulation causés au centre-ville d’Ottawa, peut-on sérieusement croire que ces manifestations menaçaient la sécurité nationale du Canada? Certains diront que ce mouvement est responsable du barrage au pont Ambassador, qui a perturbé l’un de nos principaux corridors commerciaux avec les États-Unis. Cependant, ce barrage ainsi que le barrage en Alberta ont été levés de façon pacifique et non violente, et surtout, sans que l’on ait eu à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.
Pendant ce temps, les deux Chambres du Parlement ont pu se réunir pendant des semaines, à quelques pas des manifestants. Le premier ministre Trudeau et les principaux ministres de son Cabinet ont assisté à plusieurs périodes des questions et ont participé en personne à plusieurs séances de la Chambre des communes dans l’édifice de l’Ouest. S’il y avait vraiment eu lieu de déclarer l’état d’urgence, on n’aurait certainement pas autorisé tout cela.
Honorables sénateurs, pensons à toutes les crises qui ont eu lieu au Canada depuis 1988 sans qu’on invoque pour autant la Loi sur les mesures d’urgence. On ne l’a pas fait pendant la crise d’Oka, ni pour les attaques du 11 septembre, où 25 Canadiens ont été tués, ni même après la fusillade d’octobre 2014 sur la Colline du Parlement, et je m’en souviens bien, parce que je suis restée enfermée avec mes collègues dans une salle de caucus pendant 10 heures. Aucune de ces situations n’a exigé le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.
Je crains que, en invoquant cette loi, nous nous engagions sur une pente glissante qui nous éloignerait de ce qui fait la renommée du Canada : son attachement indéfectible aux principes que sont la liberté et la justice. Ce sont ces principes qui poussent des gens de partout dans le monde à vouloir immigrer au Canada. C’est la raison pour laquelle tant de nos ancêtres sont venus ici, pour échapper à la tyrannie. C’est pourquoi mes grands-parents ont quitté l’Ukraine pour s’installer ici il y a 100 ans. Notre pays, notre système parlementaire — le système de Westminster — a été fondé sur le rejet de la tyrannie. Les Pères de la Confédération canadienne craignaient non seulement la tyrannie de la monarchie, mais aussi celle de la majorité. Au Sénat, nous jouons un rôle primordial dans ce système en défendant les minorités et en leur donnant une voix.
Je suis bien consciente, comme vous devriez tous l’être, que cet immeuble, aujourd’hui l’édifice du Sénat du Canada, l’endroit où je prononce mon discours aujourd’hui, est le lieu même où la Charte des droits et libertés a été négociée. Honorables sénateurs, pensez à cette page d’histoire, quand vous déterminerez s’il faut permettre au gouvernement fédéral de piétiner cette Charte.
Des gens des deux côtés de l’échiquier politique ont fait valoir qu’en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence dans la présente situation, le gouvernement Trudeau va beaucoup trop loin. Je me rappelle alors les paroles de William F. Buckley Jr., qui a dit : « La meilleure défense contre un gouvernement usurpatoire, ce sont des citoyens sûrs d’eux. »
Honorables sénateurs, nous devons nous affirmer et rejeter cette ingérence autoritaire et sans précédent du gouvernement fédéral. Je vous invite à voter, comme moi, contre la motion sur la Loi sur les mesures d’urgence. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole en faveur de la motion dont nous sommes saisis aujourd’hui. À mon avis, notre pays est confronté à un état d’urgence qui nécessite malheureusement l’utilisation de mesures extraordinaires et temporaires.
Ce qu’Ottawa — et tout le Canada — a enduré au cours du dernier mois n’a pas d’égal dans l’histoire de notre pays. La combinaison du barrage des postes frontaliers, de l’occupation illégale d’une ville — notre capitale —, du harcèlement et des menaces de violence à l’égard des résidants et des journalistes, ainsi que des dommages causés aux entreprises et à notre sécurité économique — sans parler de l’objectif explicite de certains visant à renverser notre gouvernement dûment élu — est tout à fait anormale.
Les manifestations et même les émeutes ne sont pas anormales au Canada. Au contraire. Les crises de la conscription ont entraîné des émeutes lors des deux guerres mondiales. Il y a aussi eu la grève générale de Winnipeg en 1919, la marche sur Ottawa en 1935 et l’émeute de Regina qui s’en est suivie. Même Montréal a connu des émeutes en 1885 en lien avec, vous l’aurez deviné, la vaccination contre la variole à l’époque.
Bien entendu, il y a eu la crise d’Octobre en 1970 et la crise d’Oka 20 ans plus tard. Plus récemment, des manifestations et des barrages liés à des pipelines ou à d’autres projets ont parfois été le théâtre de violences. Certaines émeutes sont associées à des événements internationaux de grande envergure que le Canada a accueillis. Ma carrière précédente m’a d’ailleurs permis d’en aborder certaines, à commencer par celle du Sommet des Amériques, tenu à Québec en avril 2001.
Le droit de manifester est un élément fondamental de toute démocratie fonctionnelle, y compris la démocratie canadienne. C’est un droit que nous chérissons et que nous devons protéger. Mais voici le problème : ce qui s’est passé à Ottawa n’était pas une simple manifestation, mais bien une occupation qui n’était assurément pas pacifique. Je me rends compte que c’est sur ce point que les opinions divergent nettement. Il faut toutefois admettre que l’absence d’actes de violence physique n’est pas synonyme de paix.
Durant la fin de semaine, pendant les opérations policières au centre-ville d’Ottawa, nous avons entendu et nous avons lu des termes dotés d’une forte connotation, tels que « ligne de front », « territoire occupé » et « gagner et perdre du terrain ». C’est un vocabulaire employé dans les dépêches provenant des zones de guerre. Ce n’est pas ainsi que l’on décrit les manœuvres permettant de disperser des manifestants pacifiques et légitimes. J’en viens maintenant à la Loi sur les mesures de guerre, qui a été appliquée en octobre 1970. À l’époque, tout comme aujourd’hui, les parlementaires ont décrié les pouvoirs en apparence exagérés du gouvernement. Comme c’est le cas aujourd’hui, le gouvernement devait prendre une décision sans conteste très difficile.
Toutefois, aujourd’hui, contrairement aux circonstances de 1970, le gouvernement fédéral ne dispose pas de pouvoirs illimités pour restaurer l’ordre. Les militaires canadiens n’ont pas été déployés dans les rues, ce qui avait choqué tous les Canadiens, surtout les résidants du Québec, il y a plus de 51 ans. Comme nous le savons, la Loi sur les mesures de guerre a été abrogée. Le gouvernement de Brian Mulroney l’a remplacée, en 1988, par la Loi sur les mesures d’urgence.
Je souhaite expliquer pourquoi j’appuie cette motion selon trois axes de réflexions : l’applicabilité de la loi, mon interprétation personnelle de ce qu’est la liberté, et mon opinion en tant que résidant d’Ottawa.
Premièrement, je conviens que les critères pour invoquer la loi ont été respectés. Si nous ne vivons pas une situation d’urgence, alors je ne sais pas à quoi peut ressembler une telle situation.
Les barrages aux ponts internationaux ont provoqué d’énormes dommages, probablement à long terme, non seulement en dollars pour notre économie, mais aussi pour notre réputation de pays sécuritaire, de partenaire commercial fiable et de destination de choix pour les investisseurs.
Des emplois sont en jeu. Le seul point commun qui ressort des barrages de Windsor, en Ontario; de Coutts, en Alberta; d’Emerson, au Manitoba; et de South Surrey, en Colombie-Britannique, c’est l’opposition aux exigences vaccinales apparemment pour les camionneurs. Les contestataires représentent un infime pourcentage de la population qui pense que les exigences vaccinales entravent leur liberté.
Il en va de même pour Ottawa. Les barrages et l’occupation d’Ottawa montrent qu’il existe un problème à l’échelle nationale, qui ne se confine pas à une région ou à une ville.
Toutefois, l’origine des barrages et de l’occupation d’Ottawa ne vient pas seulement des exigences vaccinales, si jamais cela a été une raison.
À l’origine de ce mouvement, on trouve des groupes qui éprouvent un profond mécontentement allant de l’insatisfaction à l’égard des gouvernements en général — en particulier sur le plan fédéral — au refus d’accepter les résultats des dernières élections fédérales, en passant par une frustration générale au bout de deux ans de pandémie et de mesures sanitaires ayant eu des répercussions sur leur vie, sans oublier, bien franchement, l’envie de faire un peu de tapage.
La mésinformation, et même la désinformation, en particulier sur les médias sociaux, a jeté de l’huile sur le feu et a été propagée en partie par des acteurs malveillants. Sans compter le sociofinancement, en bonne partie par des intérêts étrangers, un phénomène qui ne s’était jamais vu au Canada, du moins pas dans cette envergure.
De plus, certains manifestants étaient prêts à recourir à la violence. C’était particulièrement évident à Coutts, où la GRC a découvert un complot inquiétant pour tuer des policiers, ainsi qu’une cache d’armes.
Comme je l’ai dit, manifester est une activité normale dans ce pays. Cela fait partie intégrante d’une saine démocratie. Ce qui n’est pas normal, c’est le blocage d’infrastructures essentielles et la prise en otage d’une ville et de ses résidants durant plusieurs semaines.
À la suite de leur analyse, le Service de police d’Ottawa et la Police provinciale de l’Ontario ont conclu que leurs ressources ainsi que leurs mandats municipal et provincial ne leur permettraient pas de mettre un terme à l’occupation de manière sûre et efficace.
Selon nos forces de l’ordre, la situation immédiate à Ottawa a en grande partie été résolue grâce au recours à la loi, car celle-ci permet une plus grande coopération entre les forces policières de l’ensemble du pays et fait gagner du temps en levant l’obligation d’assermenter les agents et d’établir d’autres protocoles.
Ce qui me donne à réfléchir, c’est la possibilité que de tels barrages, occupations et manifestations se reproduisent à tout moment. Ce n’est pas parce que les rues du centre-ville d’Ottawa sont maintenant exemptes de manifestants et de camions que le danger est passé.
Même si je l’appuie dans le cas présent, le recours à la Loi sur les mesures d’urgence est une solution temporaire, et non permanente. Il ne faut pas l’oublier, chers collègues.
Cette loi a été rédigée dans le respect minutieux de la Charte canadienne des droits et libertés et se veut une solution de dernier recours pour répondre à différents types de situations d’urgence.
Je n’entrerai pas dans les détails déjà abordés par d’autres, sauf pour dire que la loi prévoit des contrepoids solides. Ils sont là pour garantir que le gouvernement rend des comptes au Parlement et à la population et l’empêcher de maintenir la déclaration de situation de crise indéfiniment ou à ses propres fins.
J’ajouterais qu’il serait fort difficile pour un gouvernement minoritaire de tomber dans l’autoritarisme, malgré ce que de nombreux critiques aient pu dire.
Chers collègues, comme vous tous, j’ai lu et entendu ce que les manifestants à Ottawa avaient à dire. Ils ont dit qu’ils voulaient retrouver leur liberté et qu’ils défendaient le droit à l’autonomie corporelle. La liste de leurs récriminations était longue et ils employaient des slogans provenant des États-Unis comme « Don’t tread on me », ne me marchez pas sur les pieds, ou « Live free or die », vivre libre ou mourir. D’autres slogans ne conviendraient pas vraiment au langage parlementaire.
Il y avait même des drapeaux d’autres lieux et d’autres époques. Il est troublant d’avoir à dire que les drapeaux nazis ou confédérés n’ont pas leur place au Canada. À mon avis, il n’est pas acceptable non plus de faire flotter le drapeau canadien à l’envers au cénotaphe, comme je l’ai vu de la fenêtre de mon bureau.
Les manifestants ont fait valoir leurs opinions. Ils se sont plaints très bruyamment et ont été entendus. Il était impossible de ne pas les entendre. Ces gens, malgré leurs affirmations selon lesquelles ils ont unifié le pays comme jamais auparavant, ne sont pas la majorité qu’ils prétendent être.
Plus de 80 % des Canadiens se sont conformés aux mesures obligatoires liées à la COVID-19, se sont fait vacciner, ont appris à utiliser les codes QR, en sachant qu’ils le faisaient pour leur santé et leur sécurité ainsi que pour le bien de leurs concitoyens.
Certes, dans ce grand pays, nous avons appris tout au long de notre histoire que notre contrat social signifie de parfois faire des sacrifices pour préserver notre société et nous protéger les uns les autres. C’est pourquoi nous avons des lois et des mesures de santé publique et que nous payons des impôts. Le contrat social auquel nous souscrivons tous à titre de citoyens et de résidants canadiens n’est pas invalidé par le mécontentement de certains.
C’est aussi la raison pour laquelle nous avons la Charte des droits et libertés, un document important dont davantage de Canadiens devraient prendre connaissance. Je tiens à souligner ici que c’est la Charte que nous respectons au Canada, et non la Constitution des États-Unis.
Chers collègues, le Canada a l’un des taux de vaccination les plus élevés au monde et l’un des plus faibles taux de décès liés à la COVID-19. Pourquoi? C’est parce que les Canadiens, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les administrations municipales ont tous travaillé ensemble. Oui, il y a eu quelques problèmes de coordination, surtout lors des premiers jours sombres, mais ils ont été largement surmontés. Par ailleurs, les personnes qui ne voulaient pas et ne veulent toujours pas se faire vacciner ont fait leur choix.
Au Canada, notre mission depuis 1867 consiste à assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement, et nous y sommes parvenus en grande partie. C’est l’une des choses pour lesquelles le Canada est connu sur la scène internationale.
Dans ma carrière précédente, au service de gouvernements conservateurs et libéraux, une partie de mon travail consistait à promouvoir et à défendre les libertés et les droits de la personne dans diverses parties du monde. J’ai de nombreuses anecdotes. Je vais vous en raconter une.
Quand j’étais un jeune diplomate posté en Amérique centrale, je me souviens être arrivé tard un soir à l’aéroport, au Salvador, alors que le pays était en pleine guerre civile. Je suis monté à bord d’un taxi circulant le long de la route déserte pour me rendre à San Salvador, la capitale, et j’ai rapidement été intercepté par un peloton militaire qui voulait que je leur montre mes lettres de créance.
Ils étaient étonnés que je n’aie pas de gardes du corps — après tout, je suis Canadien —, mais le commandant a ensuite dit que tout le monde aime les Canadiens parce qu’ils défendent la liberté. « En passant », m’a-t-il dit, « ma sœur habite à Toronto. »
On m’avait averti d’être prudent parce que la présence d’un détachement du Front Farabundo Marti de libération nationale, ou FMLN, avait été signalée quelques kilomètres plus loin sur cette route. Évidemment, des guérilleros ont fini par nous intercepter, moi et mon chauffeur de taxi devenu nerveux, un peu plus tard. J’ai encore montré mes papiers, cette fois à ces défenseurs de la liberté autoproclamés. On m’a demandé de me faire photographier avec eux, et le leader a dit qu’il enverrait la photo à sa sœur, qui vivait à Vancouver en liberté. Il a ensuite dit que nous devions être très prudents parce qu’il y avait une colonne de l’armée dans les parages. Le chauffeur et moi avons juste échangé un regard.
Chers collègues, des gens de partout dans le monde sont venus au Canada pour y vivre librement, y compris mes propres parents et certains sénateurs. Ils continueront de le faire malgré les efforts concertés d’un groupe qui cherche à ternir et à dénigrer le mot « liberté », à collecter des fonds en son nom et à se faire du capital politique.
Chers collègues, j’habite à Ottawa et, depuis quelques semaines, je me rends au travail à pied tous les jours. C’était le moyen le plus facile pour moi de me rendre à mon bureau dans l’édifice Chambers. Entre le moment où j’ouvrais ma porte d’entrée et celui où j’arrivais à mon bureau, quelque 40 minutes plus tard, j’entendais les klaxons retentir, habituellement en de longs coups. Je passais devant des commerces fermés, devant le Centre Rideau, le sixième plus grand centre commercial au Canada, je crois, qui était également fermé, et à travers les émanations provenant des camions stationnés illégalement au centre-ville et dans la Cité parlementaire et dont le moteur tournait au ralenti.
J’ai parlé à des manifestants. J’ai parlé à leurs enfants. Ce n’est pas le seul exemple du genre, mais j’ai vu de loin des manifestants faire une parodie raciste et profondément offensante d’une cérémonie autochtone.
D’autres sénateurs et moi avons reçu d’innombrables courriels et appels téléphoniques de Canadiens ainsi que de certains États-Uniens nous demandant de voter contre la motion et, dans de nombreux cas, de renverser le gouvernement.
J’ai également reçu de nombreux messages d’habitants d’Ottawa, qui tentent simplement de vivre en paix. Ils avaient eu peur et ils étaient, et sont toujours, en colère. Je le suis aussi pour moi et pour eux.
Des résidants ont été harcelés pour avoir porté un masque. Ils ont fait l’objet de commentaires racistes et misogynes. On a beau dire qu’il ne s’agissait que de quelques pommes pourries, ces commentaires n’en sont pas moins inacceptables.
Les aînés et les personnes handicapées qui dépendent des livraisons de repas, comme la popote roulante, ont été touchés par des rues bloquées. Des gens craignaient, à juste titre, que leurs résidences soient attaquées. Des manifestants ont uriné et déféqué en public et même sur le sol sacré du Monument commémoratif de guerre du Canada.
On avait l’impression, encore une fois à juste titre, que les règles ne s’appliquaient pas aux occupants et, pire, ils le croyaient aussi. Il y a eu une perte de confiance du public, ce qui n’est pas une mince affaire pour les autorités municipales, y compris le Service de police d’Ottawa, aussi assiégées soient-elles. L’occupation a entraîné une dégradation de la santé mentale et physique et une profonde inquiétude quant à son impact sur les enfants, voire les animaux domestiques.
Tout cela m’amène à me faire beaucoup de souci pour les membres de notre dévoué personnel du Sénat — ceux de nos bureaux et de l’Administration du Sénat — qui, comme d’autres sénateurs l’ont indiqué, vivent au centre-ville. Demandez-leur, chers collègues. Vérifiez qu’ils se portent bien.
Chers collègues, peu importe le nombre d’enquêtes menées par l’un ou l’autre ordre de gouvernement, cet événement a marqué la vie des Ottaviens à jamais. En fait, cet événement a une incidence sur tous les Canadiens, même ceux qui vivent très loin d’ici.
Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et les répercussions à long terme de cette décision sur notre conscience collective sont clairs. Nous savons que d’un bout à l’autre du pays, il y a des gens qui croient que les Ottaviens estiment que tout leur est dû, des gens qui n’auraient pas voulu que le convoi quitte la ville et qui étaient heureux de démontrer clairement leur soutien aux manifestants et à leurs objectifs. Ils devront réfléchir aux commentaires émis et aux gestes posés.
Ce ne sont pas seulement les partisans des manifestants d’Ottawa et des barrages un peu partout au pays qui devront réfléchir. Chaque Canadien doit en faire autant. Notre réaction actuelle aura des conséquences dans l’immédiat et dans le futur. Le débat actuel ne concerne pas uniquement le recours à la Loi sur les mesures d’urgence dans ce cas précis. Il vise à déterminer ce que nous voulons que notre grand pays représente. Merci.
Sénateur Boehm, je ne sais pas si vous pourrez répondre à cette question, mais votre rôle lors du Sommet des Amériques ainsi que votre connaissance des sommets du G20 et du G7 ont été cités en exemple au chapitre de la coordination des ressources policières. Combien de mois de préparation cela a-t-il pris? Combien de temps a été consacré à l’affectation des forces policières?
La planification avait pris toute une année.
Honorables sénateurs, en prenant la parole, je reconnais que j’ai le privilège et la responsabilité de vivre et de travailler sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
Chers collègues, tout indique que la situation urgente des dernières semaines aurait pu être évitée. L’occupation des rues d’Ottawa n’a pas commencé par une urgence. Ce l’est devenu parce que tous les ordres de gouvernement n’ont rien fait et ont été intransigeants. Cette urgence découle, entre autres, du racisme systémique, de la misogynie et des préjugés des autorités gouvernementales, y compris les forces policières, en plus des émotions longtemps refoulées de toutes ces personnes qui demandent depuis trop longtemps à être entendues et incluses parce qu’elles sont laissées à elles-mêmes. Nombre de ces personnes ont subi l’exploitation, la criminalisation et l’institutionnalisation à cause de ces mêmes autorités gouvernementales.
Bien que nous soyons nombreux dans cette enceinte à avoir été arrêtés et questionnés dans la rue, les camionneurs ont pu se rendre dans la capitale nationale pour l’assiéger. Pourtant, les autorités publiques avaient su à l’avance que des extrémistes violents s’étaient joints au convoi. Il ne fait aucun doute que le cœur et l’esprit d’un certain nombre des organisateurs et des bailleurs de fonds étaient envahis par la haine, en ayant des objectifs motivés par des idéologies discriminatoires reposant sur la suprématie des Blancs, le populisme, le racisme et la xénophobie.
Il ne fait aussi aucun doute que de nombreux Canadiens ordinaires, dont les besoins et les revendications ont été intentionnellement ignorés par les divers gouvernements au fil des années, se sont sentis interpellés dans l’appel à la liberté. Ils veulent que cesse la prise de décisions autocratiques, injustes et irresponsables.
Je trouve absolument crève-cœur que des communautés et des familles soient séparées par des conflits, et que des gens que je connais et que j’aime fassent partie de ceux qui, au Canada et ailleurs, croient avoir trouvé un objectif commun après avoir été exclus et abandonnés par le système de santé et les systèmes économiques et sociaux pendant des décennies.
Ces mesures d’urgence permettront peut-être de mettre fin aux barricades et aux occupations, mais elles ne corrigeront pas les inégalités, l’exclusion et les divisions que ces actions ont renforcées et exacerbées. Si nous espérons vraiment prévenir une insurrection et mettre un terme à ces idées, nous devons absolument voir à ce que les personnes les plus défavorisées et les plus marginalisées ne soient plus abandonnées à leur sort. L’égalité, la dignité, l’équité et la justice pour tous doivent devenir nos priorités.
Plusieurs années avant que la Colline du Parlement ne devienne mon lieu de travail, j’ai pris part, comme organisatrice et comme participante, à d’innombrables rassemblements et manifestations près de l’édifice du Centre et au-delà. Ces événements visaient à déranger les gens et à faire connaître des préoccupations à propos d’inégalités et de revendications. Nous luttions, par exemple, contre la pauvreté, contre la guerre, pour une approche pro-choix, contre le racisme, contre la violence faite aux femmes, pour soutenir la cause des femmes autochtones disparues et assassinées, contre l’hétérosexisme, contre le fascisme, contre le capitalisme, pour l’environnement, pour les femmes, pour les Autochtones et pour le mouvement Black Lives Matter, pour ne nommer que ceux-là.
Les manifestations ont pour objectif de déranger et de faire changer les choses. Elles visent à favoriser l’action. À la différence de l’occupation dont nous discutons, avant que le gouvernement ait recours à cette loi massue qu’est la Loi sur les mesures d’urgence, toute la rigueur de la loi avait souvent été promptement utilisée pour neutraliser, réprimer et étouffer des manifestations légales et pacifiques. Il n’était décidément pas habituel de voir des policiers et des conservateurs se joindre aux événements, participer à des photos de groupe, nous encourager ou venir fêter avec nous.
À l’arrivée du convoi à Ottawa, la police assurait déjà une présence sur les routes. En conduisant pour me rendre à mon bureau le 28 janvier, et même après, j’ai été interceptée, interrogée et priée de ne pas continuer, pour ensuite voir qu’on faisait signe aux camions qui se rendaient sur la Colline du Parlement de passer.
Nous savons maintenant que le Centre intégré d’évaluation du terrorisme du Canada a averti le gouvernement fédéral quelques jours avant le siège que des groupes extrémistes violents étaient profondément impliqués et que les manifestations, étant donné leur ampleur, seraient « un élément déclencheur et une occasion pour des loups solitaires potentiels de mener une attaque terroriste ». Pourquoi les autorités n’ont-elles pas pris cette menace au sérieux?
Les sans-abri qui tentent de survivre dans des campements, les peuples autochtones qui protègent leurs terres et leurs eaux, les manifestants du mouvement Black Lives Matter, les femmes, les écologistes, les travailleurs en grève et d’innombrables autres personnes ont trop souvent été confrontés à l’usage de la force par l’État, voire à la brutalité et à la violence, lorsqu’ils ont exercé leur droit de se réunir pacifiquement. Je n’arrive pas à imaginer aucun de ces groupes conduire plusieurs véhicules, et encore moins des camions-remorques de 18 roues, sur la Colline du Parlement, avec l’autorisation des forces de l’ordre.
En revanche, ceux qui ont occupé Ottawa ont bénéficié d’une incroyable latitude pour déplacer des liquides inflammables et des véhicules lourds dans des zones fortement peuplées et pour harceler, intimider et menacer les gens, y compris des travailleurs de première ligne, des travailleurs de la santé et du commerce de détail, des fournisseurs de services, des résidants et des sans-abri.
La police soutient qu’elle a reçu peu de plaintes officielles. C’est normal, puisqu’elle avait déjà avisé les Ottaviens de ne pas appeler à l’aide parce qu’elle ne pouvait rien faire et leur avoir conseillé de demeurer chez eux, de retirer leur masque si des occupants les prenaient à partie ou d’envisager de quitter temporairement le centre-ville. Les contre-manifestants qui se sont dressés devant les camions ont dit que des policiers étaient venus les voir pour les convaincre de laisser passer le convoi sans faire de vagues. Ils leur auraient même demandé : « Si vous ne bougez pas, comment pensez-vous que cela va finir? »
Voilà qui prouve que les corps de police, les services correctionnels, l’armée et, dans une certaine mesure, le gouvernement sont imprégnés de racisme, de misogynie et de préjugés. Certains ont le privilège d’être protégés, alors que les autres sont au mieux abandonnés à leur propre sort, au pire impunément brutalisés. Dans un contexte où la moindre décision de l’État est décortiquée afin de déterminer si elle a bien tenu compte des éléments propres à la classe, à la race et au sexe de tout un chacun, on peut non seulement comprendre les gens d’hésiter avant de signaler les débordements dont ils sont témoins, mais on peut même s’attendre à ce qu’ils réagissent ainsi.
Honorables sénateurs, oseriez-vous tenir tête aux policiers, alors que certains d’entre eux prennent des égoportraits avec les manifestants ou appuient ceux-là mêmes que vous craignez? Comment savoir lesquels vont se comporter en professionnels et lesquels, en malfrats? L’impression qu’ont d’aucuns que les forces de police ont défendu, voire encouragé l’occupation est hélas renforcée par la présence d’anciens policiers, militaires ou responsables de la sécurité nationale parmi les organisateurs, les donateurs et les participants de l’occupation.
Pendant ce temps, des personnes vivant dans la rue, des personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, des femmes, des Autochtones, des Afro-Canadiens et d’autres personnes de couleur, des personnes en situation de handicap et des membres de la communauté 2SLGBTQ ont subi les conséquences de l’occupation de façon disproportionnée tout en constatant que peu de choses avaient été faites pour s’attaquer aux problèmes fondamentaux qui sont la cause des injustices dont elles sont victimes.
En même temps, les personnes aux prises avec des insécurités financières, sociales et médicales ont aussi été attirées de façon disproportionnée par les manifestations contre le gouvernement. Beaucoup se sont jointes à l’occupation parce qu’elles se méfient du gouvernement ou par rapport au vaccin ou aux restrictions liées à la COVID et à la vaccination.
Comme nos systèmes de santé ont subi des décennies d’éviscération, les gouvernements se sont tournés vers des restrictions pour aplanir la courbe de la demande en soins de santé urgents. Le manque d’intérêt du gouvernement pour les programmes sociaux, économiques et sanitaires a créé de vastes inégalités. Les Canadiens sous le seuil de la pauvreté courent deux fois plus de risques de mourir des suites de la COVID-19 que les Canadiens bien nantis. Les politiques liées à la pandémie ont abandonné les gens les plus marginalisés.
En se concentrant sur les exigences sanitaires, on a éclipsé les dimensions collectives de la santé et renforcé la responsabilité individualiste en matière de santé publique au lieu de se concentrer sur les obligations collectives et sur l’importance, pour le gouvernement et les entreprises, de promouvoir des espaces de vie et de travail sains ainsi que d’offrir des congés de maladie payés ou un accès équitable à des fournitures médicales et à une aide d’urgence.
Trop de Canadiens souffrent de privations économiques et ne sont pas sûrs qu’ils auront les moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, y compris en matière de nourriture et de logement. L’année dernière, pendant la pandémie de COVID-19, une banque alimentaire sur quatre a vu son nombre de visiteurs doubler dans l’ensemble du pays.
Les politiques actuelles ont pour effet de laisser à eux-mêmes les personnes qui sont dans les situations les plus précaires, ce qui amène bon nombre d’entre elles à être attirées par les messages populistes.
Ce sentiment de privation et d’abandon ont été aggravés par le refus du gouvernement de dialoguer, ou même de reconnaître et d’essayer de comprendre les sentiments et les préoccupations concrètes exprimées par bien des gens ordinaires de partout au pays qui peinent à joindre les deux bouts.
Le gouvernement savait que les manifestants venaient à Ottawa, mais il n’y a eu aucune tentative de les intercepter ou de répondre aux problèmes qui ont été soulevés. Bien que nous ayons certainement été témoins de gestes extrémistes, racistes, antisémites et misogynes sur la Colline, devons-nous vraiment traiter tous ceux qui s’opposent aux exigences liées à la vaccination de racistes et de misogynes au lieu d’essayer de bien comprendre et de dissiper les craintes, l’angoisse et la frustration qui sous-tendent ces manifestations?
CBC a récemment rapporté l’histoire d’un homme de la Saskatchewan, agriculteur et père de deux enfants, qui a participé à un barrage à proximité de l’assemblée législative de sa province. À titre de pompier volontaire, il a été premier répondant lors de l’accident d’autocar qui a coûté la vie à des membres de l’équipe de hockey des Broncos de Humboldt, ce qui a eu des répercussions sur sa santé mentale. Lorsque la Commission des accidents du travail a refusé de lui accorder des prestations de soutien au revenu, il a affirmé qu’il avait cessé de faire confiance aux autres pour prendre des décisions qui le touchent. Pendant la pandémie, il a décidé que ces deux enfants et lui n’allaient pas se faire vacciner.
Il s’est joint aux manifestations à la recherche d’un sentiment d’appartenance après avoir été témoin de la peine vécue par son enfant de 12 ans lorsque les membres de leur famille n’ont pas pu entrer dans un chalet de ski pour manger parce qu’ils n’étaient pas vaccinés. L’homme a raconté qu’il avait eu l’impression qu’ils avaient été traités comme s’ils étaient « malpropres ». Il a reconnu que certains manifestants étaient des « extrémistes », mais il a ajouté qu’un grand nombre d’entre eux étaient des « travailleurs ordinaires ». Il a entendu parler d’occupants à Ottawa qui harcelaient un refuge pour sans-abri et qui brandissaient des drapeaux confédérés et des croix gammées, mais il ne fait pas confiance aux médias et croit que ces histoires ont été inventées.
Comme l’ont souligné le groupe de sénateurs afro-canadiens, le Caucus des parlementaires noirs et nos collègues autochtones, en dépit des références fréquentes aux camionneurs et aux obligations vaccinales, les organisateurs de l’occupation ne sont pas liés à l’industrie du camionnage. Ils sont plutôt liés à des organisations adhérant à l’extrémisme, aux valeurs antidémocratiques, à la violence et à la suprématie blanche. Ils espèrent bénéficier d’attention, ils recrutent des gens à leur cause et ils tentent de normaliser des symboles et des messages haineux.
Les mesures d’urgence dont nous débattons n’élimineront pas le sentiment de privation de leurs droits, de méfiance et de colère des gens. En fait, elles risquent d’éroder davantage la confiance à l’égard du gouvernement en stigmatisant et en isolant encore plus les marginaux.
Une réponse véritable à cette occupation implique de prendre des mesures contre le discours haineux qu’elle a enhardi, qui peut empêcher les femmes, les personnes racialisées et bien d’autres d’exercer leurs droits et de participer dans leurs communautés. À court terme, le gouvernement pourrait, par exemple, présenter à nouveau un projet de loi de la législature précédente visant à réédicter l’ancien article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette mesure permettrait aux défendeurs de porter plainte à propos de la propagande haineuse ciblant des communautés spécifiques, qui est susceptible de causer beaucoup de tort.
En outre, comme des défenseurs des droits de la personne comme Monia Mazigh nous le rappellent :
Les mesures législatives antiterroristes sont non seulement inconstitutionnelles, mais elles s’avèrent aussi inutiles pour protéger la sécurité publique. Le temps est venu de les abroger et de tenir un débat public sur la signification de la liberté. Au lieu des lois qui limitent nos libertés civiles, nous devrions réfléchir à l’importance du respect des droits de la personne pour assurer notre sécurité.
Finalement, nous devons, de façon urgente, nous assurer que les politiques sociales, sanitaires et économiques s’attaquent aux inégalités qui minent les systèmes et abandonnent les personnes en situation de crise et de vulnérabilité, qui ont un besoin vital de soutien.
La COVID-19 nous rappelle que chacun de nous ne sera bien que lorsque tous le seront. La protection de notre santé et de notre bien-être pendant la pandémie, et après, est une mission collective et inclusive, et non pas individuelle. Nous ne pouvons pas nous prémunir des effets de la COVID si les personnes qui nous entourent ne disposent pas des moyens financiers et du soutien pour assurer leur sécurité et leur bien-être. De la même manière, nous ne pouvons pas espérer lutter contre le désenchantement et la division sans établir de plan pour le soutien du revenu, la santé et l’égalité sociale pour que plus personne ne soit laissé pour compte.
Un manifestant de la Saskatchewan, malgré sa méfiance à l’égard des médias, a dit quelques mots à la chaîne CBC/Radio-Canada. Il a affirmé qu’il fallait plus de communication et de compréhension et qu’il souhaitait que tous soient amis lorsque la pandémie sera terminée.
Voilà l’objectif de la plupart des Canadiens. Nous devons nous unir pour lutter contre les inégalités et bâtir un avenir inclusif. Nous devons bâtir un Canada inclusif. Merci, chers collègues. Meegwetch. Thank you.
Honorables sénateurs, je veux d’abord remercier mes collègues de leurs observations sérieuses et réfléchies dans le cadre de ce débat, même lorsque nous sommes en désaccord.
Je vais parler en faveur de la déclaration, et je veux aborder trois volets de la question. Le premier est personnel, le deuxième est décisionnel, et le troisième est institutionnel.
Parlons d’abord du volet personnel. À l’automne 1970, j’en étais à ma dernière année d’études commerciales à Saskatoon. Un samedi soir, à la fin du mois d’octobre, je me suis rendu à une fête dans une résidence privée. À mon arrivée, j’ai vu un groupe de six ou huit jeunes hommes, tous des camarades de classe, qui avaient une discussion enflammée avec une autre personne. Mes camarades de classe défendaient l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre au Québec. Ils disaient qu’il fallait maîtriser l’anarchie et si cela menait à la violation de quelques droits, c’était un petit prix à payer.
La personne avec qui ils discutaient était un étudiant en droit. Il a patiemment fait valoir que les personnes étaient plus que la somme de leurs composantes économiques. Ce sont des êtres sensibles avec des droits et des obligations, qui sont à la base même de notre identité humaine.
Je suis resté sur le côté en écoutant le débat. Pour être honnête, je n’avais jusqu’alors jamais vraiment réfléchi à ces problèmes et aux valeurs humaines. Ce fut pour moi un événement qui a changé le cours de ma vie. Cette révélation a été la principale raison qui m’a poussée à étudier le droit et à y faire carrière. Les droits, les lois, et la primauté du droit étaient devenus primordiaux à mes yeux.
De façon remarquable, ce moment et l’influence de cet étudiant en droit, Henry Kloppenburg, qui est maintenant un avocat brillant, courageux, mû par des principes et quelque peu excentrique à Saskatoon, m’a lancé sur la voie qui m’a mené jusqu’ici, aujourd’hui, où je dois probablement prendre une des plus importantes décisions de ma vie professionnelle.
Je passerai maintenant à ce que j’appelle le volet décisionnel. Je ne parlerai pas des enjeux touchant la Charte des droits, même si je suis d’accord sur ce sujet avec d’autres personnes, comme la sénatrice McPhedran. Pour ce qui est de la décision à prendre, je suis d’avis qu’il faut mettre de côté l’argument selon lequel si on était intervenu plus tôt et de façon plus efficace, il n’y aurait pas besoin de résoudre ce problème, car ainsi, nous nous donnons le droit de ne pas approuver la déclaration de l’état d’urgence. Je conviens que certaines actions de la part de certains intervenants auraient pu être évitées pour atténuer la crise, mais là n’est pas la question aujourd’hui. La question que nous devons nous poser est la suivante : dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui, cette déclaration semble-t-elle raisonnable?
Voici une autre façon de voir les choses. Nombreux sont ceux qui ont écrit que, si de meilleures décisions avaient été prises en 1919, en 1935 ou au début de 1939, la Seconde Guerre mondiale aurait pu être évitée. Eh bien, elles n’ont malheureusement pas été prises. Or, pouvez-vous imaginer si, en 1939, nous avions usé de ce pouvoir extraordinaire et affirmé que, comme quelqu’un n’avait pas fait ce qu’il fallait pour éviter la guerre, nous ne participerions pas à l’effort de guerre? Poser la question, c’est y répondre.
En ce qui concerne le respect des critères pour invoquer la loi, j’ai beaucoup lu ce qu’on écrit ceux qui disent que les critères n’ont pas été atteints et ceux qui disent qu’ils l’ont été, notamment les membres du Cabinet. J’ai des connaissances de base pour comprendre ces questions, mais j’ai demandé l’aide d’un constitutionnaliste reconnu, le professeur Wayne MacKay, pour m’éclairer. Il est professeur émérite à la faculté de droit Schulich à l’Université Dalhousie, à Halifax. Il a cerné 12 éléments inquiétants qui nous emmènent sur le terrain de la situation de crise nationale. Pratiquement tous ces éléments ont été mentionnés au cours du débat d’aujourd’hui.
À peu près tous ces éléments concernent des comportements illégaux. On aurait sans contredit pu remédier à une partie de ces comportements au moyen des pouvoirs existants. Toutefois, pour une bonne partie, particulièrement à Ottawa, cela n’aurait pas été possible, du moins pas sans entraîner des conséquences beaucoup plus graves que celles qui se sont produites. Il importe de le souligner.
Je vais surtout me concentrer sur la situation dans la capitale nationale. Je suis profondément troublé par cette situation. Ce n’est pas la première fois que nous voyons des manifestations à Ottawa. À mon avis, elles indiquent que notre démocratie se porte bien. Nous devons revenir à cet état des choses aussi rapidement que possible. Je n’ai absolument rien contre le fait que des gens viennent à Ottawa pour manifester à l’appui de mesures irréalistes ou légalement impossibles, telles que pour demander que la gouverneure générale et le Sénat démettent le premier ministre de ses fonctions. Toutefois, je n’ai jamais vu de manifestations telles que celle qui s’est déroulée au cours du dernier mois, où les manifestants ont transformé leur manifestation en une occupation du centre de notre capitale nationale et ont cherché à se servir de cette occupation illégale comme d’un levier pour faire valoir leurs diverses doléances et où des éléments sombres de ce mouvement ont cherché à renverser le gouvernement par des moyens illégaux et inconstitutionnels.
Où exactement s’est produite cette occupation illégale? À quelques mètres du cœur même de notre démocratie nationale et à quelques mètres du Cabinet du premier ministre de notre pays.
Ce qui est tout aussi convaincant pour moi dans cet argument, c’est ce qui s’est passé lorsque les décrets d’urgence ont été appliqués. Premièrement, il y a la désignation du secteur entourant le Parlement comme une zone essentiellement interdite. Compte tenu de l’évolution de la situation au début de la semaine dernière, il aurait été impossible de prendre le contrôle de cette partie d’Ottawa de manière efficace et avec le moins de conflits possible sans les pouvoirs spéciaux conférés par le règlement.
Deuxièmement, la pression exercée sur les biens matériels des manifestants a contraint bon nombre d’entre eux à se retirer de la zone interdite, avec ou sans leurs camions et autres biens.
Troisièmement, le recours au pouvoir spécial a permis de bloquer l’accès d’un certain nombre de manifestants à des fonds qui auraient autrement prolongé l’occupation.
Enfin, je ne néglige pas l’avantage d’accélérer les interventions policières, en particulier dans l’élaboration rapide de stratégies exceptionnellement efficaces, professionnelles et respectueuses des droits des citoyens les plus difficiles, comme l’ont fait remarquer le sénateur Plett et d’autres sénateurs.
J’ai travaillé dans le domaine de la surveillance de la police pendant près d’une décennie. Je n’ai jamais vu un travail policier aussi discipliné et efficace de toute ma vie. J’ajouterais que ce ne sont pas les reproches qui manquent dans cette crise et que la confiance du public est à juste titre ébranlée, mais le beau côté des choses est que la confiance et la fierté du public à l’égard nos frères et sœurs des forces de l’ordre ont été considérablement renforcées dans le pays.
Je signale que les policiers et les chefs de police, dont nous avons fait l’éloge à juste titre au Sénat, ont pratiquement tous déclaré que les pouvoirs conférés par la déclaration étaient nécessaires pour résoudre la crise. À cet égard, il semble injuste, d’une part, de les louer et de les féliciter de leurs efforts et, d’autre part, de faire peu de cas de leur sincérité et de leur professionnalisme quand ils disent qu’ils avaient besoin de ces mesures.
Voici ce que je trouve le plus convaincant. Ces pouvoirs ont permis aux forces de l’ordre de reprendre le contrôle de la situation et de résoudre la crise de la manière la plus sûre et la plus honorable possible se servant des outils dont ils avaient dit avoir besoin et qu’ils ont ensuite utilisés pour faire leur travail d’une manière qui nous a tous rendus fiers.
Ensemble, ces éléments me convainquent qu’il était justifié de déclarer l’état d’urgence.
Passons maintenant à la question institutionnelle. Essentiellement, comment devrions-nous envisager notre pouvoir si nous voulons l’exercer honorablement? Je tiens à soulever cinq points.
Premièrement, il y a la Loi sur les mesures d’urgence comme telle. Contrairement à la Loi sur les mesures de guerre, cette loi est le fruit d’une réflexion moderne extrêmement prudente. Elle n’est pas parfaite, comme certains l’ont fait remarquer, mais elle est infiniment supérieure à la loi qui l’a précédée. J’ai observé le travail du gouvernement Mulroney en 1988, et il faut adresser des félicitations spéciales au ministre de la Justice de l’époque, Ramon Hnatyshyn, un fils de la Saskatchewan respectable, juste et profondément admiré, voire vénéré. Le gouvernement a mis en place des garanties remarquables qui n’existaient pas auparavant. Je ne les énumérerai pas de nouveau, car je pense que vous les connaissez bien. Il s’agit de mesures de reddition de comptes formidables et fortes, bien qu’imparfaites.
Deuxièmement, lorsque nous réfléchissons à l’utilisation de ce pouvoir, je crois qu’il faut se poser la question suivante : la décision du Cabinet était-elle raisonnable, sans nécessairement être la bonne ni même la meilleure? Toutefois, faisait-elle partie d’un éventail de décisions raisonnables selon les circonstances?
Troisièmement, j’appuie cette mesure parce que le critère des motifs raisonnables me semble convaincant. Nous examinons en quelque sorte une décision administrative prise par le Cabinet du pays. Une fois cela fait, à condition que la situation satisfasse les critères de base, les circonstances exigent habituellement un haut degré de respect à l’égard de l’organe décisionnel. On dit souvent que le décideur possède une expérience particulière. En l’occurrence, je n’irais pas jusqu’à dire que le Cabinet, que n’importe quel Cabinet a une expérience particulière, mais il a généralement accès à davantage de renseignements que nous. À ce point-ci, j’aurais tendance à joindre mes propos à ceux d’autres sénateurs qui sont intervenus plus tôt. La sénatrice Lankin a soulevé elle aussi la question plus tôt.
Nous n’avons pas accès à une partie de l’information, et je ne crois pas que ce serait indiqué dans le contexte. À mon avis, cela équivaut à peu près à cette expérience particulière qui mérite le respect.
Je n’ai rien à dire au sujet de ce Cabinet en particulier. Cela regarde l’institution qu’est le Cabinet. Certes, j’aurais pris des décisions différentes à l’occasion, mais l’ensemble du Cabinet, n’importe quel Cabinet en fait, a droit à cette déférence, ce qui signifie que nous devrions appuyer une décision qui fait partie des décisions raisonnables, à mon avis.
Le quatrième point concerne cette enceinte. En vertu du paragraphe 58(7) de la Loi sur les mesures d’urgence, le Sénat a un droit de regard égal à celui de la Chambre des communes pour réviser le libellé des mesures d’urgences, ce que nous faisons présentement. C’est un très grand pouvoir. Plus grand est le pouvoir, plus grande est la responsabilité d’exercer ce pouvoir dans le respect de certains principes convenus. À cet effet, j’aimerais vous faire part de quelques observations.
Premièrement, les fonctions que nous exécutons relèvent de pouvoirs démocratiques. Deuxièmement, une grande majorité des habitants de ce pays démocratique appuient la déclaration d’état d’urgence. Ce n’est pas toujours un élément qui tranche la question. Nous avons des obligations qui sont de nature à ne pas toujours suivre la volonté de la majorité, mais c’est un élément digne de mention sous l’angle de la démocratie. Troisièmement, la majorité des élus à l’autre endroit ont voté en faveur de la déclaration. Nous ne sommes pas tenus d’en faire autant, mais cela amène une certaine déférence à l’égard des valeurs démocratiques qui nous sont si chères.
Si nous décidons d’abroger la déclaration d’état d’urgence, il ne devrait y avoir aucun doute dans notre esprit. Nous devons être absolument convaincus que la déclaration d’état d’urgence était inappropriée, et que cette décision n’était pas dans les options raisonnables à la disposition du gouvernement. Toute décision qui ne correspondrait pas à ces normes constituerait un échec pour la Chambre de second examen objectif, et cela équivaudrait à usurper le processus décisionnel démocratique.
Cela m’amène à mon cinquième point, qui est en quelque sorte corrélatif. Qu’on sympathise ou non avec les occupants-manifestants, je crois qu’on peut tous s’entendre pour dire qu’une grande partie de leurs actions étaient illégales et que certaines personnes avaient pour but de déloger le gouvernement en place en utilisant des moyens non démocratiques.
Plusieurs intervenants ont souligné, au Sénat, à l’autre endroit et ailleurs, que le vote sur cette motion correspond à un vote de confiance. Je garde à l’esprit les observations du sénateur Dalphond, mais je crois qu’on peut dire que nous avons une décision extrêmement sérieuse à prendre. Je ne crois pas que le Sénat ait l’habitude de tenir des votes de confiance, mais, si nous votons pour que la déclaration soit abrogée, cette décision aura un effet semblable et enverra un message semblable. Nous nous retrouverions peut-être, en tant que Chambre non élue, à créer des conditions qui mèneraient à la chute du gouvernement actuel. C’est donc dire que nous pourrions nous retrouver à donner, aux personnes les plus séditieuses qui ont occupé la capitale de notre pays, le résultat qu’elles souhaitaient le plus ardemment.
Si vous envisagez d’abroger la déclaration d’état d’urgence, je vous prie instamment de réfléchir sérieusement à toutes ces retombées possibles.
J’irais même plus loin. Cela suscitera des questions dans bien des milieux, peut-être plus que jamais, au sujet de la légitimité de notre institution. Si nous empruntons cette voie, il est certain que les gens commenceront à nous demander non seulement qui nous sommes, mais aussi pour qui nous nous prenons. Merci.
Honorables sénateurs, la semaine dernière, la GRC a arrêté 13 participants au barrage qui a contribué à paralyser le poste frontalier de Coutts, le principal point d’entrée des États-Unis dans ma province, l’Alberta. Ces barrages ont été dévastateurs pour les citoyens ordinaires, qui sont demeurés coincés pendant des jours, incapables de se rendre à l’hôpital ou à l’épicerie; pour les communautés locales d’agriculteurs et d’éleveurs qui dépendent chaque jour de ce poste frontalier; pour les vrais camionneurs professionnels, dont beaucoup sont des Canadiens sikhs, retenus en otage à la frontière par ceux qui prétendent parler en leur nom. Ces barrages ont coûté à l’économie albertaine un montant estimé à 864 millions de dollars.
La situation était si grave que, le 5 février, le gouvernement albertain a envoyé une demande d’assistance urgente au gouvernement fédéral, indiquant que la police avait épuisé toutes les options et qu’une assistance fédérale urgente était nécessaire pour « atténuer les risques d’un conflit potentiel ».
Ces risques étaient bien réels. La GRC a trouvé trois véhicules récréatifs remplis d’armes : des pistolets, une machette, treize fusils — et pas juste des fusils de chasse, des fusils semi-automatiques de type militaire —, plusieurs ensembles de vêtements pare-balles, une grande quantité de munitions, y compris des chargeurs à haute capacité, et, à travers tout cela, l’insigne de Diagolon, un groupe soi-disant « accélérationniste » qui a pour objectif d’accélérer les conflits raciaux dans le but ultime de créer un État ethnique blanc.
Des 13 personnes arrêtées la semaine dernière, 4 sont accusées de conspiration en vue de commettre un meurtre.
Les politiciens et les experts se sont montrés choqués et surpris. Je n’étais pas surprise. Je ne suis pas née de la dernière pluie. J’ai fait mes premières armes en tant que journaliste couvrant les suprémacistes blancs dans les années 1980, l’époque où Terry Long et les Aryan Nations brûlaient des croix à Provost et où le Ku Klux Klan a essayé de faire exploser une bombe au centre communautaire juif de Calgary.
Beaucoup plus récemment, j’ai écrit sur le décès de Daniel Woodall, un brave agent de l’escouade des crimes haineux de la police d’Edmonton qui a été assassiné par un semeur de haine antisémite lié au mouvement des citoyens souverains.
Les arrestations de la semaine dernière ne devraient pas avoir surpris qui que ce soit, du moins parmi les gens qui suivaient la situation. On assiste à une montée des groupes haineux d’extrême droite au Canada depuis 2016, d’abord fortement alimentée par des discours de droite importés des États-Unis, puis davantage par les théories du complot délirantes et paranoïaques de QAnon. Au Canada, ces groupes ont été alimentés par la xénophobie en général et par l’islamophobie en particulier.
Autrefois, les petits groupes de mécontents en colère pouvaient se défouler avec quelques amis dans un bar. Aujourd’hui, les gens marginalisés et en colère se radicalisent sur les plateformes de médias sociaux en ligne comme Twitter, Facebook, YouTube, 4chan et Telegram, où les gens peuvent se rencontrer et former des communautés en ligne, où ils sont exposés à un mélange dangereux de désinformation, de bravades et de paranoïa, où ils peuvent échafauder des discours complotistes dans lesquels leurs obsessions et leurs idées fixes s’entremêlent.
Diverses plateformes médiatiques comme FOX News, InfoWars, Breitbart, Rebel News et RT permettent aux gens de vivre dans un monde parallèle où on côtoie non seulement des faits parallèles, mais aussi des réalités parallèles. Dans ce monde de l’ombre, les loups solitaires trouvent leur meute.
Dans les cinq ou six dernières années, des journalistes courageux comme Mack Lamoureux, Justin Ling, Caroline Orr et Evan Balgord ont fait des reportages sur des groupes extrémistes comme les Proud Boys, les Sons of Odin, les Three Percenters, les Freemen on the Land, les Yellow Vesters et Diagolon.
Des chiens de garde comme le Canadian Anti-Hate Network et l’Institute for Strategic Dialogue suivent leurs activités. Ce n’est toutefois pas tout le monde qui leur a porté attention. Les faits des trois dernières semaines portent à croire que les services canadiens de police et de renseignement ont peut-être aussi sous-estimé les risques de terrorisme intérieur et la probabilité d’une ingérence étrangère.
Bien avant l’arrivée de la COVID-19 au Canada, des tenants de l’extrême droite exploitaient à fond les frustrations et les peurs des gens. En 2019, le convoi de gilets jaunes United We Roll, dont bon nombre des organisateurs ont aussi mis sur pied le convoi des dernières semaines, a investi les rues d’Ottawa en associant des slogans en faveur des pipelines à un affreux mélange de propos antisémites et antimusulmans et de propagande visant les Canadiens autochtones. Ce n’était pas une manifestation de bonne foi en soutien au secteur essentiel du pétrole et du gaz de l’Alberta. C’était un cirque ambulant prônant la haine. Le mouvement United We Roll n’a été qu’une répétition en vue de ce que nous avons observé à Ottawa et partout au pays ces dernières semaines.
Cet événement n’a pas été infiltré par des racistes et ils ne se le sont pas approprié non plus. Ils l’ont organisé. Les châteaux gonflables, les barbecues et les spas ne visaient qu’à nous distraire, à nous tromper et à nous leurrer. Ce n’était pas une fête de rue ni un festival. Ce n’était pas non plus la fête du Canada. Des gens brandissaient des drapeaux confédérés, ainsi que des symboles d’esclavage et d’oppression raciste tout en débitant des slogans sur la liberté. Des gens réclamaient la liberté d’expression, alors qu’ils agressaient à répétition des journalistes dans la rue. Des antisémites avaient l’audace grotesque de profaner notre drapeau canadien avec des croix gammées et d’apposer des étoiles jaunes à leur poitrine, puis d’associer l’inconvénient du port du masque aux horreurs de l’Holocauste. Des homophobes et des transphobes brandissaient des écriteaux malveillants et vandalisaient de la façon la plus grotesque les résidences qui osaient arborer le drapeau de la fierté. Des voyous et des ivrognes volaient de la nourriture aux sans-abri, harcelaient et agressaient des femmes de même que des personnes de couleur dans la rue.
C’était un véritable carnaval de la haine, appuyé, toléré et même encouragé par certains politiciens canadiens, par des poltrons, par des personnes qui ne sont pas dupes, mais qui ont choisi d’exploiter ce moment volatil et dangereux à des fins stratégiques, et d’exploiter ces personnes malades et délirantes au bénéfice de gains politiques dérisoires, et, presque aussi décevant, la naïveté et l’aveuglement volontaire de ceux qui banalisaient cette vilaine campagne d’intimidation comme s’il s’agissait d’une sorte d’expression authentique de l’angoisse des Canadiens de la classe ouvrière.
Une partie des manifestants à Coutts, à Windsor et à Ottawa étaient des gens ordinaires et des Canadiens honnêtes. Bon nombre d’entre eux, doit-on le souligner, ont été séduits et dupés par des individus qui voulaient exploiter leurs frustrations et leurs craintes. Combien de Canadiens ont un membre de leur famille ou un ami qui a été dévasté par les dernières années, quelqu’un qui s’est retrouvé dans un univers parallèle ou qui a été aspiré par le vortex de la désinformation et de la paranoïa fantaisiste? Peut-être connaissez-vous, vous aussi, ce sentiment de malaise de voir une personne que vous aimez commencer du jour au lendemain à publier des théories du complot en ligne, des accusations farfelues, parfois hallucinées, complètement déconnectées de la réalité. Ces personnes avancent, par exemple, que le vaccin contre la COVID cause le SIDA et que le premier ministre a été remplacé par un sosie. Ce n’est pas un phénomène de l’extrême droite, mais bien une mouvance qui touche tout le spectre socio-économique et politique.
En cette époque effrayante et déstabilisante, je comprends qu’il est tentant de croire en un énorme complot voulant qu’une mystérieuse cabale contrôle le monde, plutôt que d’accepter la réalité horrifiante de la COVID, ce virus qui continue de tuer des centaines de Canadiens chaque mois et qui prend la forme de nouveaux variants échappant à nos prédictions.
Au début, par contre, nous nous sommes serré les coudes. Nous avons aidé nos voisins. Il y avait un sens de la communauté, une solidarité et une détermination. Nous jetions des fleurs aux travailleurs de la santé au lieu de les agresser et de les menacer. Nous avons applaudi les enseignants au lieu d’envoyer des foules en colère dans les écoles.
Cependant, je crois que l’apparition du variant Omicron est venue tout bouleverser. Nous avions cru que si nous nous faisions vacciner, nous pourrions retrouver notre vie d’avant. Or, le coronavirus avait d’autres plans. Il a évolué. Quand il a semblé que les vaccins ne fonctionnaient plus très bien, il est devenu beaucoup plus difficile de persuader tout le monde de se faire vacciner.
Il n’est donc pas surprenant que des milliers de Canadiens se soient laissé attirer par des groupes extrémistes et des filous qui ont exploité leurs craintes et leur épuisement mental, et qui leur ont vendu un rêve d’une simplicité trompeuse en leur faisant croire que s’ils pouvaient juste se débarrasser du premier ministre, tous leurs problèmes disparaîtraient. En effet, il faut dire que les organisateurs de ce coup d’État au ralenti n’étaient pas tous motivés par l’idéologie. Certains étaient motivés par la cupidité pure et simple. Cette occupation a aussi été une escroquerie organisée, une immense arnaque, un moyen de soutirer de l’argent à des gens déjà désespérés, de leur donner l’impression qu’ils sont investis d’une sorte de mission divine, tout en leur vidant les poches.
Quand le moment viendra, nous devons examiner le rôle joué par l’ingérence étrangère et le financement par des acteurs et des gouvernements étrangers qui n’étaient que trop heureux de jeter de l’huile sur le feu, et qui jubilaient à l’idée que la démocratie canadienne soit déstabilisée. Nous devons surtout nous pencher sur la façon dont des agitateurs internationaux et des arnaqueurs dans des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, le Vietnam et le Bangladesh ont créé toute une ribambelle de fausses pages Facebook pour donner l’illusion que cette croisade toxique bénéficie d’un vaste appui.
La question demeure néanmoins : avions-nous besoin de la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à ce cirque déplorable? Le jeu en valait-il la chandelle?
Les organisateurs du convoi n’ont jamais dissimulé leurs intentions. Ils s’en sont au contraire vantés sur les réseaux sociaux, diffusant fièrement en direct leur révolution de pacotille et leur manifeste séditieux.
Je m’explique encore très mal comment la capitale a pu être autant prise de court, surtout après les manifestations des Gilets jaunes en 2019 et l’attentat contre le Parlement en 2014.
Quelqu’un a-t-il évalué la menace, proposé une stratégie d’intervention? Comment et pourquoi les Ottaviens ont-ils été laissés aussi longtemps à leur propre sort? Nous devrions nous estimer chanceux qu’en fin de compte, ces rebelles en herbe aient été aussi désorganisés et embrouillés. Que leurs manigances n’aient abouti à rien nous en dit plus long sur leur ineptie que sur notre capacité à nous défendre et à défendre nos valeurs. Nous ne serons peut-être pas aussi chanceux la prochaine fois.
C’est facile de balayer les groupes haineux de la droite alternative du revers de la main en considérant qu’ils ne sont que des révolutionnaires à la petite semaine et des intimidateurs qui parlent plus qu’ils agissent. Ce n’est donc pas vers Ottawa que notre regard devrait se tourner, mais vers Coutts. Nous sommes passés à un cheveu d’un massacre là-bas. Nous devons cesser de nous dire que ce genre de chose est impossible au Canada, parce que c’est presque arrivé. Oui, la GRC a pu arrêter les responsables avant la mise en vigueur de la Loi sur les mesures d’urgence, mais le barrage lui-même a tenu tant que le spectre de la loi ne s’est pas mis à planer.
S’il est vrai que la Loi sur les mesures d’urgence a eu l’effet escompté à court terme, le précédent ainsi créé me préoccupe terriblement. Je crains qu’un futur gouvernement soit tenté d’utiliser ces pouvoirs comme arme contre tantôt des environnementalistes, tantôt des militants autochtones, tantôt des grévistes. Sur le plan philosophique, je crains l’érosion non seulement de nos libertés civiles, mais de notre contrat social. Car une fois que la fête de quartier cauchemardesque qui a paralysé Ottawa sera terminée et que les rues seront nettoyées, combien de Canadiens auront cessé de faire confiance aux policiers, au gouvernement, à la démocratie et — pire que tout — à leur prochain?
Les mensonges commencent déjà à se propager. Fox News, par exemple, a rapporté à plusieurs reprises qu’une manifestante avait été piétinée à mort par un cheval. Même si Fox News a démenti cette sinistre nouvelle, elle se répand comme la poudre sur la toile. Tellement de gens croient à tort que nous avons adopté une loi martiale, que nous avons privé la population de ses libertés civiles, que nous avons bloqué les comptes des personnes qui ont acheté des t-shirts, et que nous avons renversé la démocratie. J’ai maintenant peur des répercussions insidieuses sur notre politique si la motion est adoptée. Et même si le fait de l’adopter est un mal nécessaire, réfléchissons bien à tous les échecs en matière de politique publique et de leadership qui font que nous en sommes arrivés là.
Chers collègues, je veux vivre à nouveau dans un pays où les médecins, les infirmiers, les enseignants, les journalistes et les scientifiques sont considérés comme les héros qu’ils sont. Je veux vivre à nouveau dans un pays où ceux qui décident qui sont les héros populaires ne sont pas ceux qui jettent des pierres sur les ambulances ou qui vont dans des cours d’école dans l’Okanagan pour crier des insultes racistes à des enfants. Je veux vivre à nouveau dans un pays où nous nous unissons pour lutter contre cette terrible pandémie qui n’est pas terminée et qui continue de tuer des Canadiens — en particulier les plus vulnérables — à un rythme alarmant. À tel point que nous en sommes devenus presque insensibles face au nombre croissant de décès, alors qu’arrive un nouveau variant plus contagieux, le BA.2, qui — j’en ai bien peur — est encore plus dangereux.
Mes amis, allons-nous vraiment nous laisser manipuler par des semeurs de haine, des filous qui ébranlent la confiance, des trolls et des agents étrangers qui ne cherchent qu’à déchirer le Canada? Ou allons-nous plutôt, en tant que sénateurs, aider à guider le Canada pour l’éloigner du précipice? Nous devons faire mieux et nous devons être meilleurs. Nous devons être le Canada que nous souhaitons voir dans le monde. Merci. Hiy hiy.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de ce débat historique. Pour commencer mon discours, j’aimerais reconnaître que je m’adresse à vous depuis les territoires ancestraux non cédés des nations anishinaabe, mississauga et algonquine. Ces peuples sont les intendants d’origine des terres, et il est important de faire preuve de respect envers leur intendance en les reconnaissant toujours, tous les jours.
Nous sommes rassemblés ici aujourd’hui pour nous acquitter de l’une de nos responsabilités fondamentales en tant que sénateurs : tenir lieu de Chambre du second examen objectif et faire ressortir la voix de ceux qui ne sont pas entendus ou représentés dans les prises de décisions du gouvernement.
J’appuie la décision du gouvernement de prendre cette mesure sans précédent et de mettre en œuvre la Loi sur les mesures d’urgence. Nous nous retrouvons dans une situation sans précédent, et une intervention rapide s’imposait et doit se poursuivre pour rétablir l’ordre et mettre fin à la violence et aux blocages illégaux partout au Canada.
Si j’appuie cette décision, j’appuie également la grande hésitation que nous avons constatée avant l’invocation de ces pouvoirs. Dans ce contexte, je mets en garde le gouvernement et les gouvernements futurs quant au recours potentiel à cette loi dans les années à venir. L’invocation de tels pouvoirs devait être une mesure de dernier recours pour le gouvernement et elle doit le rester. La liberté de parole et la liberté de réunion sont des droits essentiels. Ils doivent être défendus et maintenus en tout temps au pays. Or, ce n’est pas ce que j’ai vu au cours des dernières semaines et ces actions doivent cesser complètement.
Honorables sénateurs, je m’en voudrais de ne pas profiter de l’occasion pour mettre en évidence un fait incontestable au Canada ou ailleurs dans le monde : les Autochtones, les Noirs, les autres personnes de couleur et les membres de la communauté 2SLGBTQ+ sont ciblés de façon disproportionnée par les lois. Ils risquent également d’avoir des interactions négatives avec les forces de l’ordre, souvent accompagnées de violence et, dans les situations les plus tragiques, causant leur décès. C’est la dure et triste réalité.
Lorsqu’il est question du maintien de l’ordre, il est essentiel de toujours aborder ces enjeux. Il faut une surveillance serrée pour s’assurer qu’une approche concrète et bien définie visant à empêcher les préjugés soit étudiée et employée dans le cadre du recours à ces pouvoirs.
Au fur et à mesure que nous avançons, nous nous devons de discuter en profondeur des droits de la personne et des manifestations pacifiques, du vol et de la destruction de terres ainsi que de l’empoisonnement de l’eau et de l’environnement. Nous nous devons de comparer la gestion de ces manifestations pacifiques menées par des Autochtones à celle des occupations et des barrages récents qui ont été source de violence, de destruction et de dommages pendant trois semaines.
La différence flagrante est à la fois horrible et choquante.
La Loi sur les mesures d’urgence prévoit l’établissement du comité d’examen parlementaire, qui se penchera sur l’utilisation de ces pouvoirs après coup. À mon avis, il est non seulement essentiel que le comité examine les répercussions de l’invocation de cette loi sur les Autochtones, les Noirs, les autres personnes de couleur et les membres des communautés 2SLGBTQ+, mais il faut aussi qu’il étudie la surveillance qui a été exercée pendant cette période afin que de tels gestes ne se reproduisent plus. Je sais que le comité d’examen parlementaire aura une tâche monumentale, mais il est essentiel que ces points de vue ne soient pas mis de côté et ignorés, comme ils l’ont été très souvent. Le comité doit être diversifié et inclure des membres qui peuvent apporter les points de vue des Autochtones, des personnes de couleur et des membres des communautés 2SLGBTQ+ aux délibérations.
La Loi sur les mesures d’urgence a été adoptée en 1983. Plus de trois décennies se sont écoulées avant qu’elle ne soit invoquée. J’espère vraiment, et je ne doute pas que c’est le cas de tous les sénateurs, qu’elle ne sera plus jamais utilisée. Tirons parti de l’expérience que nous vivons pour unir nos forces afin de construire un Canada plus équitable et plus juste pour tous. Merci, marsee, meegwetch.
Honorables sénateurs, à l’âge de 15 ans, j’ai eu mon premier emploi d’été. C’était pour la Commission de la capitale nationale. On m’a embauché pour ramasser des ordures avec une pique à papier et un sac à ordures, et prendre soin des parterres de fleurs sur la Colline du Parlement et dans les environs. Chaque jour où je venais travailler, cet été-là, je me sentais privilégié de travailler sur la Colline du Parlement, car j’étais impressionné par la structure et ce qui se passait entre ces murs.
C’est également à l’été 1990 que nous avons été témoins d’une autre crise, celle d’Oka, où des hommes non autochtones — des investisseurs — voulaient construire un terrain de golf sur un lieu de sépulture traditionnel mohawk. Cette crise de 1990 a obligé le gouvernement conservateur de l’époque à faire intervenir l’armée à la demande du gouvernement provincial du Québec. J’ai assisté et participé à de nombreuses manifestations pacifiques et j’ai été témoin de nombreuses manifestations devant la Colline du Parlement, au fil des ans, qui ont été organisées par des gens de toutes les allégeances politiques. Cependant, ce dont nous avons été témoins ces dernières semaines est loin d’être une manifestation. Ce qui semblait être une manifestation s’est rapidement transformé en occupation, qui est rapidement devenue une occupation illégale.
Paralyser la ville d’Ottawa et brimer ses habitants est une situation sans précédent, au Canada, du moins. Des personnes se sont fait passer pour des Autochtones, dont plusieurs organisateurs. Je ne sais pas avec certitude si ces personnes sont Autochtones ou non, mais ce que je sais, c’est que de nombreux peuples et organismes autochtones au pays ont dénoncé cette appropriation culturelle de la part de certains de ces individus.
Nous avons vu des journalistes se faire harceler et, dans certains cas, être incapables de faire leur travail. Nous avons vu des gens scander « fausses nouvelles » à l’endroit de journalistes, des gens qui font partie intégrante de notre démocratie. Nous avons vu des journalistes se faire cracher dessus. Des médias états-uniens, qui font des déclarations absolument fausses sur ce qui se passe réellement au Canada, ont connu un regain d’intérêt. Les fausses informations sont omniprésentes parce qu’elles touchent tout le monde.
D’autres personnes très en vue dans le monde ont associé le premier ministre du Canada à Hitler. Comment des hommes adultes peuvent-ils être aussi puérils? Voilà où nous en sommes, et c’est très effrayant. Sommes-nous en train d’avancer ou de reculer de quelques pas? Le temps nous le dira.
Nous avons aussi été témoins de jeux partisans entre les divers ordres de gouvernement et parmi les chefs de tous les partis politiques du pays. Nous avons été témoins de tiraillements à propos des compétences respectives des administrations fédérale, provinciales et municipales et des forces de l’ordre. En tant que personne autochtone, j’ai remarqué — comme la plupart des Canadiens, j’en suis certain — la grande différence entre la façon dont les manifestations légales et pacifiques des Autochtones sont traitées et ce qu’on a pu voir à Ottawa et ailleurs au pays pendant le dernier mois. Quel message en ressort? Comment pensez-vous que 1,5 million de personnes autochtones se sentent, dans ce pays, après avoir vu comment les choses se passaient cette fois-ci, et après avoir vu des agents de la GRC serrer la main de manifestants non autochtones et leur donner l’accolade?
Je n’ai jamais vu une personne autochtone être traitée de cette façon au Canada, et c’est honteux.
Il y avait des gens au comportement raciste, des gens qui crachaient sur les journalistes, des anarchistes, des camionneurs et des gens qui participaient simplement pour vivre un moment historique. Je n’aurais jamais imaginé voir un jour des nationalistes blancs et des suprémacistes blancs dans les rues du Canada. Je croyais que ces problèmes n’existaient qu’aux États-Unis.
Les États-Unis ont leur lot de problèmes et semblent vouloir qu’ils se répandent au Canada. Je ne sais pas si c’est votre cas, chers collègues, mais personnellement, je n’avais jamais vu autant de véhicules, de correspondance, de courriels et de messages téléphoniques liés aux États-Unis. En fait, j’ai vu davantage de correspondance liée aux États-Unis en une seule semaine que pendant 13 ans au Sénat, et cela m’inquiète.
Enfin, nous avons vu des politiciens soutenir l’occupation. « Soutenons les camionneurs », voilà ce qui a été dit. Nous savons tous qu’il ne s’agissait pas seulement des camionneurs, des exigences relatives à la vaccination et du mécontentement envers le gouvernement actuel. Il se tramait autre chose : il s’agissait d’une tentative de renverser le gouvernement. Qu’un parti ou un autre soit au pouvoir ne devrait pas avoir d’importance. Lorsque l’on tente de renverser le gouvernement, nous devrions nous unir et mettre la démocratie en action. Aucun député libéral, conservateur, néo‑démocrate, vert ou indépendant ne devrait jamais souhaiter que cela se produise dans son pays, peu importe qui est au pouvoir, car les Canadiens choisissent leurs dirigeants au moyen d’élections. Nous venons d’en avoir une il y a quatre mois. Les Canadiens se sont prononcés.
Malheureusement, la Loi sur les mesures d’urgence a été invoquée pour la première fois. La Chambre des communes et le Sénat du Canada sont invités à voter pour déterminer si le recours à cette loi était justifié. À ce stade-ci, il est difficile de savoir avec certitude si c’était nécessaire. Le fait est que personne ne sait exactement ce qui s’est passé parce que nous n’avons pas les faits devant nous. Y a-t-il eu une ingérence étrangère, financière ou autre? Quels étaient les objectifs de l’occupation? Des partis politiques étaient-ils impliqués? La police d’Ottawa aurait-elle été compromise? Après tout, le chef de police d’Ottawa a dû démissionner à la suite de l’occupation illégale d’Ottawa. Nous ne sommes pas au courant des questions de compétences qui ont pu empêcher une intervention plus rapide.
Malgré toutes ces questions sans réponse, une chose est sûre. Sous le régime de la loi, nous obtiendrons des réponses à beaucoup des questions que se posent les Canadiens sur la motivation derrière cette occupation et sur les raisons pour lesquelles elle s’est éternisée. Jusque-là, nous devrions peut-être arrêter de jouer aux experts en envisageant toutes sortes d’hypothèses sur les raisons et les circonstances de l’occupation.
J’ai foi en mon pays et je suis convaincu que nous obtiendrons toutes les réponses. C’est toujours ce qui se produit en fin de compte. Ce seront les Canadiens qui apprendront les faits et qui décideront si cette invocation de la loi était nécessaire pour notre sécurité commune ou si c’était un abus de pouvoir partisan.
Tant que nous ne connaîtrons pas tous les faits, je vous invite à faire le bilan de ce qui s’est passé et à respecter un autre aspect de notre démocratie, c’est-à-dire l’application régulière de la loi. Plutôt que d’accroître les divisions, prenons un peu de recul et laissons la justice faire son travail. Si le recours à la Loi sur les mesures d’urgence est approuvé, il faudra qu’une enquête soit menée pour obtenir tous les faits et qu’un rapport soit présenté aux Canadiens d’ici environ un an.
Honorables collègues, c’est pour cela que j’appuierai le recours à la loi, mais j’aurais préféré qu’on ne se rende pas jusque-là. La Chambre a adopté la motion sur le recours à la loi par un vote de 185 contre 151. Nous ne sommes pas ici pour approuver aveuglément quoi que ce soit, mais je vais appuyer cette mesure parce que, si nous l’adoptons, nous pourrons mettre en place les mécanismes de contrôles nécessaires pour aller au fond des choses et savoir ce qui s’est passé. En ce qui me concerne, je crois que la justice, le respect des procédures établies et la patience permettront de faire la lumière sur les faits de manière non partisane.
La partisanerie est ce qu’elle est, mais en ce moment, continuer de s’adonner à des jeux partisans n’est utile à personne. En tant que Canadiens, nous devrions unir nos efforts pour soutenir et défendre notre démocratie. Malgré les échecs et l’inaction du gouvernement fédéral, et surtout, malgré le traitement réservé aux peuples autochtones au fil de l’histoire, le Canada demeure le meilleur pays du monde.
Il est évident que le respect fait défaut dans le contexte politique actuel. Les médias sociaux ont peut-être une part de responsabilité, mais la politique devient plus polarisante, et la diffamation y est plus fréquente. En tant que parlementaires, nous devons dès maintenant mettre la partisanerie de côté pour lutter contre la haine sous toutes ses formes. Les Canadiens ont tout à fait le droit de s’attendre à ce que nous unissions nos efforts pour nous pencher sur les faits et non sur des rumeurs. Ce n’est pas le temps de se livrer à des attaques mesquines ou de régler des comptes politiques. Il est temps que le Sénat s’élève au-dessus de la petite politique pour se concentrer uniquement sur les besoins des Canadiens, sans égard aux allégeances politiques.
Honorables sénateurs, je veux rappeler aux Canadiens qui nous sommes, ainsi que nos valeurs et nos convictions communes. Nous sommes un peuple paisible, fort et généreux. Nous affrontons ensemble nos problèmes, de bonne foi et avec bonne volonté.
La vie est courte, chers collègues, et on ne vit qu’une fois. Il vaudrait peut-être mieux utiliser notre temps pour s’accorder au lieu de créer de la division.
Ceux qui ont alimenté, soutenu, utilisé cet événement comme un outil politique, ou qui y ont participé, se retrouveront du mauvais côté de l’histoire. Les choix que nous faisons dans la vie comportent des conséquences, et la liberté a toujours un prix.
Il est alarmant, quoique pas étonnant, que certaines personnes soutiennent des occupations illégales, mais qu’elles condamnent sans hésiter des manifestations légales, paisibles et légitimes qui ont lieu au Canada. Je voudrais donc prendre le temps de remercier tous ceux qui ont permis qu’Ottawa redevienne monotone et qui ont redonné leur ville aux Ottaviens. Ottawa est aussi ma ville et celle de la nation algonquine.
En terminant, je vous offre ceci, chers collègues : la démocratie est la plus féroce combattante de la liberté. Nous avons tous du travail à faire. Alors, mettons-nous au travail et apportons notre contribution. À toutes mes relations, meegwetch.
Sénateur Arnot, il nous reste trois minutes si vous voulez commencer votre discours, ou vous pouvez continuer demain matin.
Honorables sénateurs, je m’adresse à vous aujourd’hui depuis Saskatoon, au cœur du territoire visé par le Traité no 6 et de la patrie ancestrale des Métis. J’appuie la motion. Aujourd’hui, je vais parler de primauté du droit, de la solidité des institutions démocratiques du Canada et du rôle de l’éducation pour maintenir et protéger notre démocratie.
Depuis plus de deux ans, les Canadiens sont aux prises avec une crise de santé publique sans précédent, du moins d’aussi loin qu’on se souvienne. Des vies ont été perdues et des familles, des emplois et des futurs ont été transformés à tout jamais, souvent au prix de grands sacrifices personnels, d’importantes conséquences psychologiques et de graves épreuves financières. Le coût de la COVID-19 pour les particuliers et le pays est ahurissant. Une analyse et une enquête s’imposeront.
La majorité des Canadiens font leur part. Ils observent les mesures de santé publique et comprennent qu’ils ont la responsabilité de protéger les autres. Il est important d’équilibrer ce débat. Je tiens à souligner que, si je ne m’abuse, environ 90 % des camionneurs canadiens se plient aux exigences relatives à la santé publique et comprennent leur responsabilité de protéger les autres. Ils font partie de la majorité des Canadiens.
Le transport par camion constitue, en effet, une composante majeure de l’économie canadienne. Au Canada, environ 225 000 camionneurs génèrent 40 milliards de revenus. Ils fournissent aux Canadiens des services d’une valeur inestimable. Le camionnage fonctionne de façon optimale lorsque la circulation des marchandises est prévisible et constante. Or, la COVID-19 a changé la donne depuis les deux dernières années. L’industrie a été éprouvée par des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, la maladie et l’épuisement professionnel.
Je le mentionne pour m’assurer que le rôle critique que jouent les camionneurs et l’ensemble de l’industrie du camionnage pour l’économie du pays soit reconnu.
Au cours des trois dernières semaines, par contre, le Canada a connu une autre menace extraordinaire posant un défi encore plus grand à la primauté du droit. Ce principe qui nous lie tous soutient nos droits et nos libertés. Il fait en sorte que les lois s’appliquent à tous de façon identique et qu’elles soient administrées de manière indépendante. Nul n’est au-dessus des lois. Les Canadiens ont le droit de manifester, c’est vrai...
Sénateur Arnot, je suis vraiment désolée de devoir vous interrompre.