Aller au contenu

Projet de loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite

Deuxième lecture--Ajournement du débat

10 février 2022


Honorables sénateurs, il importe de noter que, proportionnellement, le gouvernement investit de moins en moins dans le secteur postsecondaire. Ce recul explique en grande partie la situation financière précaire du secteur.

Les établissements sont de plus en plus vulnérables aux fluctuations de l’économie canadienne, et il leur revient de trouver des sources de financement fiables et durables.

Puis, la pandémie a aggravé une situation financière déjà précaire. Selon les données recueillies par Statistique Canada et analysées par la Bibliothèque du Parlement, les mesures sanitaires liées à la pandémie ont entraîné une baisse marquée des revenus pour de nombreuses universités, notamment en ce qui concerne les services complémentaires, comme l’hébergement des étudiants, les services alimentaires et le stationnement.

Certaines universités ont anticipé les déficits causés par la pandémie et ont annoncé des plans pour réduire les coûts d’exploitation. C’est notamment le cas de l’Université d’Ottawa, de l’Université du Manitoba, de l’Université Laurentienne, de l’Université de l’Alberta et de l’Université McGill.

En Ontario, les frais de scolarité remplacent le financement gouvernemental comme source principale de revenus des collèges. En général, les universités qui dépendent beaucoup des étudiants étrangers pour boucler leur budget ont souffert le plus, comme celles en Colombie-Britannique et en Ontario.

À l’opposé, les universités à Terre-Neuve et dans les territoires sont entièrement financées par des fonds publics, ce qui les a protégées d’une partie des répercussions de la pandémie. Les universités du Québec sont aussi financées en grande partie par l’État.

Bien sûr, les grands établissements qui ont des structures de financement robustes et qui sont enracinés dans des communautés en mesure de les soutenir s’en sont mieux sortis malgré la pandémie. En général, ces établissements accueillent des étudiants de la majorité anglophone.

Je parlerai maintenant du financement des établissements servant les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Les choses se corsent davantage lorsqu’il est question d’établissements offrant de la programmation en français en situation minoritaire.

Les 22 collèges et universités de la francophonie canadienne éprouvent des difficultés financières importantes. Selon les données de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, l’ACUFC :

Des défis structurels font en sorte que l’éducation postsecondaire en français dans les CFSM ne bénéficie pas de conditions équivalentes à celles offertes à la majorité anglophone.

Les communautés s’attendent à voir une progression vers l’égalité réelle en matière d’éducation.

Lynn Brouillette, présidente-directrice générale de l’ACUFC, nous demande à penser à des solutions qui pourraient assurer la pérennité du secteur. Elle dit, et je cite :

Les mesures ponctuelles ne suffisent plus pour assurer la force et le dynamisme de ce secteur, qui contribue considérablement à la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire. Le temps est venu de rassembler celles et ceux qui sont interpellés par le secteur de l’éducation postsecondaire en français pour imaginer des solutions durables.

La présidente et chercheuse principale de la firme Sociopol, Mariève Forest, qui a étudié le secteur de l’enseignement postsecondaire en français, affirme ce qui suit, et je cite : « [...] le financement est le plus grand enjeu pour la pérennité de la formation postsecondaire en français minoritaire ».

La volatilité des revenus menace la pérennité du secteur et a des impacts directs sur la vitalité des communautés. La chercheuse notait que, en 2018-2019, on estime que près de 30 000 francophones ont réalisé des études postsecondaires en anglais, notamment en raison d’un manque d’accès. À l’Université Laurentienne, on a recensé une baisse de 52 % des étudiants qui veulent faire leurs études en français — 52 %, à l’Université Laurentienne, c’est beaucoup —, et ça, c’est pour le campus du Nord de l’Ontario.

Les établissements servant les francophones en contexte minoritaire sont plus fragiles, car ils sont de plus petite taille. Ces établissements se sont généralement développés plus tard, principalement depuis les années 2000, avec l’arrivée du Plan d’action pour les langues officielles du gouvernement fédéral. La volatilité des revenus dans un tel climat peut être fatale pour ces établissements, et particulièrement sur le plan de la programmation en français.

Chiara Concini, une étudiante de deuxième année au baccalauréat ès arts au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, expliquait ce qui suit, dans une entrevue accordée à Radio-Canada :

Maintenant, ce n’est pas possible de terminer mon baccalauréat entièrement en français. [...] L’année prochaine, je vais devoir prendre des cours en anglais, parce qu’ils sont obligatoires, mais ne sont pas offerts à Saint-Jean.

Cette lacune dans le continuum en éducation dans la langue de la minorité est tragique. Pour les francophones qui ont étudié en français toute leur vie, il est troublant de devoir étudier en anglais en raison d’un accès insuffisant.

L’approche du gouvernement, qui est de plus en plus passive, impose aux établissements d’enseignement postsecondaire une vision strictement axée sur le profit, sans tenir compte des autres fonctions de l’enseignement postsecondaire qui profitent aux communautés. Par exemple, les établissements s’efforcent d’attirer un plus grand nombre d’étudiants étrangers de premier cycle tout en négligeant d’investir dans la recherche et les programmes moins rentables, notamment les programmes de langue française qui ont généralement moins d’inscriptions.

Cette privatisation croissante de l’enseignement postsecondaire est expliquée dans l’étude de 2021 sur l’état de l’enseignement postsecondaire au Canada de Higher Education Strategy Associates que j’ai citée précédemment. Voici ce que dit l’étude sur la tendance générale à la privatisation :

Le Canada s’éloigne de plus en plus du modèle ouest-européen, c’est-à-dire d’un système largement financé par l’État, pour se rapprocher du modèle d’autres pays anglophones où l’enseignement postsecondaire est peut-être majoritairement public, mais où il est « aidé par l’État » plutôt que « financé par l’État ».

Cette tendance vers l’accroissement d’une dépendance aux sources de financement privées et aux frais de scolarité désavantage de manière disproportionnée les établissements de la minorité francophone, qui servent nécessairement une plus petite clientèle.

Charles Castonguay nous a rappelé l’importance de la démographie pour le fait français au Canada. Il disait ce qui suit dans son article intitulé « L’intérêt particulier de la démographie pour le fait français au Canada », et je cite :

Le nombre conditionne […] à peu près tous les aspects de la vie en français au Canada, allant de la qualité de la langue parlée à la disponibilité des services en français, au taux d’anglicisation et jusqu’à la façon de se concevoir et d’agir des francophones en tant que telles.

Je sors de mon texte, mais je vais vous raconter mon histoire. J’ai étudié en français toute ma vie, et j’ai fait des pieds et des mains pour étudier à l’université. J’habitais dans des régions où l’on n’avait pas toujours accès à des universités francophones. J’ai suivi des cours par correspondance, j’ai étudié à l’Université Laurentienne, je me suis déplacée pour me rendre à Sudbury pour aller étudier en français.

Durant mes cours en français, lorsqu’on me donnait des livres en anglais, je me plaignais tout le temps en disant : « Je suis un cours en français et on me donne du matériel en anglais. Pourquoi ce matériel n’est-il pas disponible en français? »

J’ai travaillé toute ma vie dans un milieu francophone. C’est très rare. Je suis une anomalie dans le système de l’Ontario. J’ai travaillé partout en Ontario, et toujours en français. J’ai essayé d’inculquer ces valeurs à ma famille afin qu’elle respecte et qu’elle comprenne l’importance de la francophonie et du français, et aussi pour soutenir nos institutions francophones, que ce soit dans le cadre des études, pour l’achat de livres ou autres. C’est tellement important pour la préservation d’une langue. Dans mon cas, c’était pour la préservation du français. Je vous le dis, je suis une anomalie en Ontario, car j’ai travaillé pendant 38 ans exclusivement en français; je ne sais pas s’il y en a d’autres en Ontario qui ont fait la même chose.

Les universités et collèges en milieu minoritaire francophone font un travail supplémentaire pour favoriser la pérennité de la francophonie. Apprendre en français signifie qu’il faut s’assurer que l’environnement universitaire ou collégial favorise la sécurité linguistique et que, au-delà des cours, il est possible d’avoir une expérience étudiante en français.

Toutefois, cette réalité propre au contexte minoritaire et le rattrapage historique qu’il y a à faire ne sont pas pris en compte dans le financement. Pour recevoir des fonds complémentaires, les établissements doivent négocier avec leur gouvernement provincial respectif. Je vous laisse imaginer comment cela se déroule avec des gouvernements hostiles ou qui ne comprennent pas les défis des populations francophones en contexte minoritaire. Si vous saviez combien de présidents d’universités et de collèges sont obligés de faire du lobbying auprès des décideurs afin de recevoir un peu d’argent pour être en mesure d’être rentables; c’est inconcevable.

Le recrutement des étudiants francophones est aussi plus complexe. Les populations francophones sont en général dispersées et éloignées. Pour ce qui est du recrutement à l’international, l’administration centrale anglophone des établissements qui offrent une programmation en français ne valorise pas ou ne comprend pas toujours l’importance du recrutement dans les pays francophones. Il s’agit là d’un défi d’envergure pour les établissements de l’Ouest canadien. Le gouvernement fédéral a également un rôle à jouer à cet égard en matière d’immigration francophone et de recrutement.

Les communautés francophones sont les mieux placées pour connaître leurs besoins et leurs défis en matière d’éducation postsecondaire. Le cas de l’Université Laurentienne nous a bien montré que, sans le « par » et le « pour », les francophones risquent d’être laissés pour compte lorsque des compressions budgétaires s’imposent. La restructuration de l’Université Laurentienne a fait des dommages à plusieurs égards, mais ce sont les francophones qui ont le plus souffert.

Penchons-nous maintenant sur l’angle mort du financement postsecondaire.

Les chercheurs qui étudient la question du financement postsecondaire et les parties prenantes dénoncent depuis longtemps et avec raison un manque de transparence et l’absence d’une reddition de comptes liée aux transferts fédéraux et au financement des provinces en vertu d’ententes visant à favoriser l’épanouissement des communautés francophones en milieu minoritaire.

Il faut bien comprendre que la situation financière du secteur que j’ai présentée ne constitue qu’un résumé. Elle est incomplète, non seulement pour empêcher que mon discours soit trop long, mais aussi parce que les données concernant les universités et les parties intéressées sont limitées. Le grand nombre de variables inconnues complique la recherche de solutions. On perd la trace du financement lorsqu’il passe du gouvernement fédéral aux provinces, et les choses deviennent encore plus confuses quand les fonds sont distribués aux divers établissements.

Dans le cas des établissements bilingues au sein de communautés minoritaires, il n’existe aucun moyen de savoir, par exemple, si les fonds fédéraux sont bel et bien utilisés pour financer l’enseignement postsecondaire dans la langue de la minorité. En outre, les transferts entre la direction générale et les divers programmes ou campus constituent une autre variable inconnue.

Le financement réservé à l’enseignement postsecondaire dans la francophonie doit être documenté. Le manque de transparence et de responsabilité des transferts fédéraux laisse de nombreuses questions en suspens. Voilà pourquoi les communautés hésitent à s’enthousiasmer à propos des chèques en blanc envoyés aux provinces et voilà pourquoi les communautés ont eu des réactions mitigées lorsque le gouvernement fédéral a annoncé en août dernier un financement de 121,3 millions de dollars sur trois ans pour soutenir l’enseignement postsecondaire en langue minoritaire. Les communautés demandent de pouvoir faire le suivi des fonds et de pouvoir exiger des comptes aux divers ordres de gouvernement quant au soutien qu’ils prétendent fournir.

La transparence et la reddition de comptes font partie des solutions qui peuvent aider de manière considérable la viabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire, et le gouvernement fédéral est très au courant de cet enjeu. Il y a moyen pour le gouvernement de respecter la compétence des provinces, tout en s’assurant que ses investissements en faveur de la francophonie se rendent à bon port, conformément à ses obligations constitutionnelles.

Maintenant, permettez-moi de vous parler du projet de loi S-215, lequel vise à atteindre deux objectifs bien précis.

Premièrement, il vise à responsabiliser le gouvernement fédéral dans la recherche de solutions en l’obligeant à consulter les acteurs clés, soit les communautés et les institutions postsecondaires, et, notamment, les gouvernements provinciaux.

Deuxièmement, il vise à empêcher ces établissements de recourir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, ou à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin d’éviter des situations comme celle qui s’est produite avec l’Université Laurentienne.

Le projet de loi propose de créer l’obligation pour le ministre désigné d’élaborer des initiatives fédérales visant à réduire le risque qu’un établissement fasse faillite ou devienne insolvable, à protéger les étudiants, les professeurs et les employés lorsqu’un établissement fait faillite ou devient insolvable, et à appuyer les communautés qui seraient touchées, le cas échéant. Le ministre doit chercher des solutions en consultant les établissements, les gouvernements provinciaux, les administrations municipales, les groupes et associations d’étudiants et de professeurs, les employés et les parties prenantes à la défense de leurs droits. La proposition doit être élaborée dès que possible ou, au plus tard, au cours de l’année qui suit la date d’entrée en vigueur. Elle doit être déposée à la fois à la Chambre des communes et au Sénat et doit être rendue publique.

Le gouvernement fédéral peut faire le minimum, ou il pourrait aussi surpasser nos attentes. Les gouvernements provinciaux et les institutions doivent aussi être prêts à collaborer avec le gouvernement fédéral dans la recherche de solutions. Les acteurs doivent tous prendre leurs responsabilités et agir de concert, dans l’intérêt supérieur du secteur et de leurs communautés.

Deuxièmement, le projet de loi empêche le recours à des outils juridiques inadéquats comme la LACC et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

En situation d’insolvabilité, l’Université Laurentienne a dû se placer sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies le 1er février pour entamer un processus de restructuration. Il est consternant qu’une institution publique d’enseignement puisse avoir recours à cette loi. Il s’agit d’un dangereux précédent.

Toutefois, la situation de l’Université Laurentienne n’est pas unique. Cette affaire est un signal d’alarme, car le sous-financement menace le dynamisme économique, social et culturel de nos collectivités, ainsi que les droits constitutionnels des minorités de langue officielle.

Pour régler ce problème, le projet de loi modifie l’article 5 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ainsi que l’article 6 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pour que les établissements d’enseignement postsecondaire soient exclus des définitions « personne morale » et « compagnie » dans ces deux lois respectives. Les modifications apportées à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies entrent en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret du gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre désigné par le gouverneur en conseil aux fins de l’article 2 du projet de loi. Les établissements d’enseignement postsecondaire ne pourront donc plus avoir recours à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en cas d’insolvabilité ou de faillite.

Ces instruments juridiques ne sont pas adaptés pour ce secteur; surtout si l’on tient compte du fait que leur mise en œuvre nuit au dynamisme économique, social et culturel — comme ce fut le cas pour l’Université Laurentienne — en particulier dans un contexte minoritaire.

Le projet de loi laisse une grande marge de manœuvre au gouvernement, mais il le force à agir pour qu’il règle les problèmes urgents. Ce projet de loi contient aussi un cadre pour faciliter le travail du gouvernement, et définit les éléments importants à prendre en compte.

Parmi les solutions que le gouvernement pourrait envisager, l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne propose de créer un nouveau programme de soutien permanent pour les établissements d’enseignement postsecondaire destinés aux francophones minoritaires. Ce programme permettrait au gouvernement fédéral d’intervenir dans les catégories de besoins liés aux domaines relevant du fédéral.

Le gouvernement pourrait créer un régime distinct à partir de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin de régir la restructuration des établissements d’enseignement postsecondaires qui se retrouvent en difficulté. Le processus de restructuration devrait tenir compte des particularités des établissements concernés, notamment du rôle qu’ils jouent pour desservir des minorités linguistiques et de leur importance pour assurer la vitalité de ces dernières. Le processus devrait favoriser les plans qui tiennent compte du rôle unique joué par les établissements d’enseignement postsecondaires et il devrait prévoir l’apport de la collectivité et des parties intéressées dans la prise de décisions. Autrement dit, les intérêts d’un établissement qui offre de l’enseignement en français ne peuvent être défendus par une firme d’avocats de Toronto qui ne comprennent pas les droits linguistiques en jeu.

Le Campus Saint-Jean est le seul établissement en Alberta qui forme de futurs enseignants en français, un rôle essentiel pour l’application de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon les avocats du Campus Saint-Jean, le droit à une éducation primaire et secondaire de qualité égale à celle de la majorité ne veut plus rien dire si, dans la réalité, l’infrastructure d’enseignement postsecondaire existante ne permet pas de former les enseignants et les autres travailleurs nécessaires à l’application concrète de l’article 23.

L’article 23 de la Charte garantit une échelle variable de droits à l’instruction dans la langue de la minorité. La juge Andromache Karakatsanis, dans son jugement relatif à l’école Rose-des-Vents de Vancouver, indiquait ce qui suit en 2015 :

Ce qui est primordial, c’est que l’expérience éducative des enfants de titulaires des droits garantis par l’art. 23 à la limite supérieure de l’échelle variable soit de qualité réellement semblable à l’expérience éducative des élèves de la majorité linguistique.

Sans enseignants formés au sein d’établissements d’enseignement postsecondaire de langue française, comment pouvons-nous garantir l’exercice de ces droits? Nous devons éviter à tout prix que le Campus Saint-Jean subisse le même sort que l’Université Laurentienne. Les droits constitutionnels des francophones sont menacés.

Pour conclure, le projet de loi que je vous propose vise à responsabiliser le gouvernement fédéral dans la recherche de solutions et la prise de décisions afin de venir en aide à un secteur en difficulté. Pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, les établissements d’enseignement postsecondaire qui leur appartiennent sont fondamentaux pour leur pérennité et leur survie.

Chers collègues, il est urgent d’agir si l’on veut préserver nos acquis en matière d’éducation postsecondaire et favoriser l’épanouissement de la francophonie au Canada. La survie de l’héritage linguistique et culturel de nos communautés en dépend. En matière de francophonie, trop souvent, nous prêchons aux convertis. Toutefois, la francophonie canadienne est l’affaire de tous et l’avenir de l’enseignement postsecondaire également. Le commissaire aux langues officielles, dans un rapport intitulé Apprendre du passé, façonner l’avenir : 50 ans de langues officielles au Canada, disait ce qui suit :

Je constate qu’il y a une fragilité dans notre unité. Le manque de vigilance a entraîné une certaine complaisance, et l’érosion des droits linguistiques en est l’une des conséquences. À mon avis, moins nous en parlerons, plus nous irons vers l’effritement, et je crois que le Canada doit travailler à sa propre édification. Les gestes récents de certains gouvernements sont alarmants. Cependant la pire menace qui plane sur le régime linguistique canadien est l’indifférence.

La dualité linguistique n’est pas l’affaire des francophones seulement ou des anglophones en situation minoritaire. C’est une richesse qui appartient à tous les Canadiens.

Chers collègues, comme sénateurs, nous avons le devoir de ne pas rester indifférents aux besoins des minorités. Je présente donc le projet de loi S-215 pour répondre aux cris du cœur des communautés francophones en situation minoritaire. Je partage avec elles le fardeau que portent nos communautés depuis trop longtemps. Je vous remercie de votre attention.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice Moncion, nous avons deux sénatrices qui veulent vous poser des questions. Accepteriez-vous d’y répondre?

Oui.

L’honorable Paula Simons [ + ]

Merci beaucoup, sénatrice Moncion. Je suis heureuse que vous ayez parlé du Campus Saint-Jean. C’est une institution qui me tient à cœur.

Je voudrais cependant savoir ce que ferait le projet de loi pour aider un établissement comme le Campus Saint-Jean, qui est intégré à une université. En ce qui concerne le financement fédéral du Campus Saint-Jean, le niveau de financement a été gelé en 2002-2003. Depuis, la population francophone d’Edmonton et de l’Alberta a explosé. Je crois que, lorsque le financement a été gelé, il y avait entre 3 500 et 4 000 étudiants dans les écoles francophones de l’Alberta. Aujourd’hui, ce nombre est plus près de 10 000.

J’ai donc de la difficulté à comprendre exactement comment le projet de loi aidera des établissements comme le Campus Saint-Jean, qui est intégré à une université anglophone. Cette université ne fera jamais faillite. Elle ne fermera jamais ses portes. Y a-t-il quelque chose dans cette mesure législative, un détail, que j’aurais manqué et qui obligerait le gouvernement fédéral à augmenter le financement des universités francophones hors Québec?

Dans le cas du Campus Saint-Jean, si on regarde le nombre d’inscriptions, il y en a à peu près 750, mais il reçoit du financement pour 450 inscriptions seulement. Le campus ne reçoit aucun financement pour les 300 autres inscriptions. Il est déjà sous-financé par le gouvernement provincial.

L’autre chose que vous avez demandée, c’est comment la Loi sur la faillite et l’insolvabilité peut aider. C’est le but de ce projet de loi : on veut que les gouvernements provinciaux se responsabilisent en ce qui a trait à leur responsabilité en éducation, que ce soit pour les francophones ou les anglophones.

La situation au Campus Saint-Jean est particulière, puisqu’il y a le campus principal, qui est anglophone et qui accorde des fonds pour le fonctionnement du groupe francophone, mais lorsqu’il y a des compressions au campus principal, elles sont plus importantes que pour le campus francophone.

Graduellement, ce que l’Université de l’Alberta peut faire, c’est diminuer les ressources qui sont disponibles pour le Campus Saint-Jean pour que celui-ci ne puisse plus fonctionner. Dans les commentaires que nous avons reçus du doyen Mocquais, nous avons appris qu’ils n’avaient pas d’argent à investir dans les infrastructures, donc les laboratoires qu’ils ont sont vieillissants. Les étudiants veulent des laboratoires modernes. Quand ils se retrouveront sur le marché du travail, ils travailleront dans des établissements plus modernes. Le campus n’a même pas d’argent pour améliorer ses espaces de laboratoire et sa bibliothèque. Il a des problèmes d’infrastructure. On essaie d’écraser le plus possible le Campus Saint-Jean en gardant les fonds pour le campus principal.

Comment le gouvernement fédéral peut-il intervenir? L’une des solutions que l’on propose, c’est que, pour les institutions francophones, les fonds provenant du gouvernement fédéral aillent directement aux institutions et ne passent plus par le gouvernement de la province.

Comment la Loi sur la faillite pourra-t-elle aider le Campus Saint-Jean? Je ne suis pas certaine qu’elle puisse nécessairement le faire, puisque le Campus Saint-Jean est tributaire de l’Université de l’Alberta, mais, en n’étant plus assujetties à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, les universités ne pourraient plus utiliser ce mécanisme pour se sauver de leurs créanciers. Ce que l’on souhaite, c’est que les gouvernements provinciaux se responsabilisent. On veut également assurer un financement adéquat pour que les universités fonctionnent de façon optimale, qu’elles puissent offrir tous les services requis et que les universités francophones puissent recevoir le financement qui leur est dû.

La sénatrice Simons [ + ]

Croyez-moi, je suis bien déterminée à essayer de sauver le Campus Saint-Jean, qui est, à mon avis, un atout considérable pour tout l’Ouest canadien et autant pour l’ensemble des Albertains que pour les Franco-Albertains.

J’ai simplement du mal à comprendre en quoi il revient au gouvernement fédéral de dire à la province comment financer l’université étant donné qu’il s’agit d’une compétence provinciale et que le gouvernement fédéral a plafonné son financement il y a 20 ans pour une université qui a pris de l’expansion. Je ne peux m’empêcher de penser que la solution la plus simple dans la situation actuelle est de demander au gouvernement fédéral de financer l’université de façon appropriée, comme il le faisait dans le passé.

Merci.

C’est un des éléments. On voudrait également que le gouvernement fédéral ne puisse plus utiliser le mécanisme par l’intermédiaire des provinces. Il y a certains endroits où, par exemple, dans le domaine de la santé, un secteur reçoit de l’argent du gouvernement fédéral. Il y a un précédent qui a été créé. C’est au moyen de ce précédent qu’on voudrait que le gouvernement fédéral puisse financer les initiatives francophones comme le Campus Saint-Jean de façon à ce que l’argent ne passe plus par le campus général.

C’était un des problèmes de l’Université Laurentienne où l’on retrouvait une fédération. Le campus principal avait le contrôle de l’argent et en remettait des miettes aux campus partenaires. On en trouvait trois autres, en plus de l’Université Laurentienne, notamment l’Université Huntington et l’Université de Sudbury. La fédération a été dissoute et, maintenant, quatre institutions sont aux prises avec des problèmes financiers. Cependant, l’Université Laurentienne continue de recevoir l’entièreté des fonds. Nous devons trouver des mécanismes afin que l’argent se dirige directement aux établissements d’éducation.

D’un autre côté, on exerce également des pressions sur le gouvernement fédéral pour que le financement des programmes consacrés aux langues officielles soit indexé annuellement de façon à ce que les institutions d’enseignement postsecondaire ne souffrent plus d’un manque chronique de financement.

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Je vous tire mon chapeau, sénatrice Moncion, pour cette initiative. Pour avoir travaillé dans une université pendant plus de 25 ans, je comprends la complexité et l’opacité du financement des universités, surtout dans le cas des établissements qui œuvrent dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Vous avez bien illustré le fait que l’éducation postsecondaire au sein de la francophonie canadienne est en crise. La débâcle de l’Université Laurentienne, un établissement bilingue, a mis en lumière la vulnérabilité des programmes de langue française partout au Canada.

Trouvez-vous que les défis structurels font en sorte que l’éducation postsecondaire en français dans les communautés francophones en situation minoritaire ne bénéficie pas des conditions équivalentes à la majorité anglophone?

Absolument. Cela dure depuis longtemps. L’éducation en milieu minoritaire francophone est sous-financée. Les équivalents n’existent pas, notamment au chapitre des infrastructures.

Plus tôt, j’ai abordé le sujet des laboratoires de recherche. Même les fonds accordés aux recherches spécifiques en français ne sont pas nombreux. C’est un milieu pauvre. Les institutions postsecondaires qui offrent l’enseignement en français ou qui sont dotées de campus en français se débrouillent avec peu depuis longtemps. Elles font des miracles, selon moi, puisqu’elles continuent d’offrir des cours de qualité. Elles ont peu de moyens pour prendre de l’expansion et obtenir la reconnaissance des grandes universités. Ce sont les parents pauvres de l’éducation.

Haut de page