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Projet de loi sur la Semaine d’appréciation de la fonction de juré

Deuxième lecture--Ajournement du débat

30 novembre 2022


Propose que le projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que marraine du projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré.

Chaque année, des milliers de Canadiens et de Canadiennes sont appelés à exercer la fonction de juré. La population canadienne, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral reconnaissent que la fonction de juré constitue un élément essentiel de notre système de justice et de notre démocratie. Cette reconnaissance ne se fait pas toutefois sur une base annuelle et n’est pas reflétée dans le soutien accordé à cette cause par les gouvernements. Par ailleurs, ce qui est encore plus méconnu, ce sont les défis relatifs au soutien en santé mentale offert aux individus qui exercent ce devoir civique.

Étant donné mon expérience comme jurée, j’ai eu l’occasion de vous faire part des défis dont il est question à quelques reprises dans cette Chambre. À l’échelle du Canada, d’une province ou d’un territoire à l’autre, cette méconnaissance nuit à l’avancement de la cause des jurés, une fonction de notre système judiciaire qui mérite justement d’être valorisée et célébrée. Mon intention, avec le projet de loi S-252, est donc de créer un rendez-vous annuel à l’échelle nationale consacré à la promotion et à la sensibilisation de tous à l’égard des enjeux touchant les jurés et les anciens jurés.

Afin de rendre honneur à ces citoyens et de leur témoigner ma gratitude, j’ai déposé lors de la dernière session une motion visant à demander au gouvernement de désigner la deuxième semaine du mois de mai de chaque année comme la Semaine d’appréciation du jury au Canada. Cette motion a été adoptée par le Sénat le 12 mai dernier.

J’aimerais remercier particulièrement mes collègues les sénateurs Boisvenu et Dalphond, qui donnent un appui soutenu à la cause du bien-être des jurés depuis déjà plusieurs années. J’accorde également une mention spéciale au sénateur Kutcher, qui se préoccupe lui aussi du bien-être des jurés et qui est intervenu au Sénat à ce sujet.

Au nom du gouvernement et du ministre de la Justice, le sénateur Gold a également pris la parole en appui à la motion. Lors de son discours, il a souligné l’inestimable rôle des personnes appelées à faire partie d’un jury et la modestie de l’adoption d’une simple motion pour leur témoigner notre reconnaissance.

Permettez-moi de citer un court passage de son discours :

Même si la majorité des Canadiens comprend l’importance de la fonction de juré et considère qu’elle fait partie de sa responsabilité civique dans une démocratie libre et juste, elle ne saisit souvent pas pleinement comment cette fonction peut perturber sa vie et celle de sa famille.

Je suis reconnaissante du soutien de mes collègues et de l’appui du gouvernement relativement à la désignation d’une Semaine canadienne d’appréciation de la fonction de juré.

Chers collègues, vous conviendrez que les enjeux qui touchent la fonction de juré méritent notre attention et celle des Canadiennes et des Canadiens, et ce, au moins une fois par année. Je pense notamment à la reconnaissance de la contribution des jurés et anciens jurés au système de justice et à la démocratie, à la santé mentale et au bien-être des jurés et anciens jurés, à l’accès à la justice et aux enjeux de représentation et de diversité au sein des jurys.

Nous avons le privilège, comme sénateurs, de pouvoir proposer des projets de loi afin que soit proclamée une journée ou une semaine nationale. Je souhaite profiter de cette occasion pour que soit instituée, au moyen d’une loi, la Semaine canadienne d’appréciation de la fonction de juré. Cette désignation officielle permettra d’assurer une représentation fidèle de l’ampleur et de l’importance de la contribution de ces citoyens au système de justice canadien. Le préambule du projet de loi S-252 est un bon point de départ pour mieux comprendre l’importance de cette reconnaissance officielle.

Le préambule indique notamment ce qui suit :

[...] que la désignation d’une semaine vouée à l’appréciation de la fonction de juré permettra de souligner le travail des jurés et de conscientiser les citoyens, les organismes, l’ensemble de l’appareil judiciaire ainsi que les gouvernements provinciaux et fédéral aux enjeux relatifs à l’exercice de ce devoir civique,

Pour les jurés, les séquelles psychologiques peuvent parfois ressurgir bien après un procès. Comme d’autres anciens jurés, j’ai souffert du syndrome de stress post-traumatique. Bien que le procès pour meurtre au premier degré pour lequel j’ai été jurée a eu lieu il y a 30 ans, je vis chaque jour avec les répercussions de cette épreuve. Il serait peut-être bon qu’une fois par année, pour une semaine, on puisse reconnaître cette réalité, qui touche des milliers de Canadiennes et de Canadiens ainsi que leur famille.

La reconnaissance annuelle des fonctions de juré contribuerait à favoriser et à promouvoir des conversations continues et opportunes entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires et divers intervenants au sujet de l’importance d’améliorer le soutien aux jurés partout au Canada. Ce serait aussi l’occasion de nous rappeler les difficultés auxquelles se heurtent quotidiennement des jurés et d’anciens jurés sur le plan de la santé mentale.

Chers collègues, la cause des jurés et de leur bien-être a progressé de manière très modeste au cours des dernières années. Je crois que cette progression modeste est en partie due à l’absence d’un rappel annuel de l’importance du devoir de juré.

En 2014, Mark Farrant était juré dans un procès pour meurtre au premier degré. Il a contribué à sensibiliser le public à la nécessité de renforcer le soutien aux jurés au Canada. En s’appuyant sur sa propre expérience, il a cerné les lacunes dans le soutien apporté aux jurés. Il a découvert que son expérience n’était que la pointe de l’iceberg. Mark a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique après le procès et, comme beaucoup d’autres anciens jurés, il a eu du mal à trouver du soutien.

En 2016, son plaidoyer a contribué à inciter le gouvernement de l’Ontario à lancer un programme de counseling gratuit destiné aux anciens jurés. En 2017, Mark a mis en lumière ces questions sur la scène nationale. Il a porté les « 12 lettres de colère » à l’attention des parlementaires et des représentants du gouvernement. Dans ces lettres, 12 anciens jurés ont raconté leur souffrance et leur lutte pour trouver du soutien.

Ce n’est qu’en 2017 que, pour la première fois, un comité parlementaire s’est penché sur la question. Lors de sa réunion du 8 juin 2017, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a adopté une motion afin d’entreprendre une étude sur le counseling et les autres services de santé mentale offerts aux jurés. L’étude a mené au dépôt du rapport intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada, en mai 2018. La quatrième recommandation de ce rapport est à la genèse du projet de loi C-417, qui a été déposé pour la première fois le 29 octobre 2018.

Le Comité de la justice avait alors recommandé de créer une exception à la règle du secret du délibéré — la secrecy rule en anglais. Je me dois de féliciter le sénateur Boisvenu pour l’adoption du projet de loi S-206, l’ancien projet de loi C-417, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), qui met en œuvre cette recommandation. Le projet de loi a d’ailleurs reçu la sanction royale tout récemment, le 18 octobre 2022.

Malgré les nombreux obstacles, allant d’une prorogation à des élections, le sénateur Boisvenu a mené à terme et avec brio ce dossier législatif. L’adoption de ce projet de loi marque un moment charnière dans la quête d’un appui adéquat au bien-être psychologique des jurés canadiens.

Chers collègues, comment pouvons-nous poursuivre ce progrès? Je crois fermement que pour apporter du changement, nous devons nous rappeler ce qui est en jeu. C’est précisément ce que la Semaine d’appréciation de la fonction de juré aidera à accomplir. Voilà l’approche adoptée ailleurs. La semaine proposée, soit la deuxième semaine de mai, coïncide avec la reconnaissance d’une telle semaine par l’Association du barreau américain et par d’autres États, notamment la Californie et la Louisiane. Les tribunaux américains de même que les assemblées législatives du Texas et de l’Oregon et le Sénat de la Pennsylvanie ont également désigné une semaine en mai pour rendre hommage à la fonction de juré.

En 1998, l’Assemblée législative de la Californie a désigné une semaine en l’honneur des jurés. J’estime important d’examiner la résolution adoptée par cette assemblée législative à l’époque. Elle se lit comme suit :

Il est résolu par l’Assemblée législative de l’État de la Californie, avec l’approbation du Sénat, que la semaine du 10 au 16 mai 1998 inclusivement, et par la suite, que, chaque année, la deuxième semaine entière de mai soit proclamée Semaine d’appréciation du jury et célébrée partout dans l’État, pour rendre hommage aux milliers de citoyens qui appuient le système de jury, faisant ainsi une réalité du précieux droit à procès devant jury;

Chers collègues, cela se passait en 1998. En 2022 — ou en 2023 puisque nous y sommes presque —, je crois que le Canada est prêt à faire de même.

Au Canada, cette semaine est maintenant reconnue par diverses parties prenantes ainsi que le gouvernement fédéral. Elle a été reconnue pour la première fois en 2022 par la Commission canadienne des jurés, qui a pris les devants afin de placer la fonction de juré à l’avant-plan, à l’échelle nationale, du 9 au 13 mai.

Permettez-moi de souligner les contributions inestimables de cette commission, y compris de Mike Farrant, son fondateur et chef de la direction, de Tina Daenzer, directrice financière et cheffe de l’exploitation, ainsi que de tous les vaillants membres du conseil, qui accomplissent de grandes choses avec très peu de moyens. Leurs efforts de sensibilisation constants sont vraiment admirables. La reconnaissance officielle de cette semaine aiderait la Commission canadienne des jurés à combler les lacunes dans les soutiens aux jurés partout au Canada, ainsi que ses efforts visant à mettre en œuvre certaines des recommandations contenues dans le rapport de 2018 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Votre Honneur, chers collègues, l’appui au projet de loi S-252 nous permettra de conscientiser annuellement les Canadiennes et les Canadiens, ainsi que les gouvernements, aux enjeux relatifs à la fonction de juré. Étant donné la simplicité de cette proposition, j’espère que nous pourrons adopter le projet de loi dans les meilleurs délais, afin de le renvoyer à l’autre endroit. Je vous remercie de votre attention.

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