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Le Sénat

Motion concernant un retrait possible de l'Alberta du Régime de pensions du Canada--Suite du débat

31 octobre 2024


L’honorable Pierrette Ringuette [ + ]

Honorables sénateurs, cet article est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Martin, et après mon intervention, je demande à ce que cet article demeure ajourné à son nom.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Est-ce que le consentement est accordé?

La sénatrice Ringuette [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’importante motion no 172 présentée par la sénatrice Simons. La motion demande à l’actuaire en chef du Bureau du surintendant des institutions financières et au directeur parlementaire du budget d’étudier les effets du retrait possible de l’Alberta du Régime de pensions du Canada, ou RPC. Ce ne sera pas une tâche facile pour le directeur parlementaire du budget parce que, à mon avis, il y a des contradictions entre l’article 95 et le paragraphe 113(2) du Régime de pensions du Canada.

J’estime aussi que cette loi élude ou omet de reconnaître la Charte des droits et libertés, ainsi que son incidence sur la façon dont la loi est interprétée.

C’est avant tout une question d’information. La motion réclame une étude. Un retrait éventuel de l’Alberta du Régime de pensions du Canada aura de vastes conséquences que nous devons comprendre. Je ne vois aucune objection à aller de l’avant avec cette motion.

Le gouvernement de l’Alberta a fait des affirmations qui sont, à juste titre, contestées. Je tiens tout d’abord à mentionner que les actifs du Régime de pensions du Canada sont administrés et investis par un fonds fiduciaire indépendant. Les actifs du fonds n’appartiennent ni au gouvernement fédéral ni aux provinces.

Ils appartiennent aux travailleurs, tout comme leur employeur, qui ont cotisé au régime pour que celui-ci offre un revenu de retraite de base, ainsi que des prestations de décès, des prestations de survivant et des prestations d’orphelin.

À mon humble avis, si on se retire du fonds au titre du paragraphe 113(2) de la loi, les retraits devraient être effectués par les travailleurs qui résident dans la province concernée, c’est-à-dire par les travailleurs qui souhaitent investir l’argent dans un autre système. Le processus serait donc dirigé par les travailleurs.

Aucune portion de ce fonds n’appartient à qui que ce soit d’autre ou à quelque entité gouvernementale que ce soit. Le non-respect de cette prémisse donnerait probablement lieu à une contestation constitutionnelle devant les tribunaux.

Lorsqu’on a négocié le Régime de pensions du Canada en 1965, la Charte des droits et libertés n’existait pas. Lorsque la Constitution a été rapatriée en 1982, 17 ans plus tard, on y a judicieusement inclus la Charte.

La liberté de circulation prévue à l’article 6 est importante pour les citoyens canadiens, car elle leur donne le droit de se déplacer librement au pays, d’y entrer ou d’en sortir. Nous devons aussi reconnaître que le principe établi en 1965 voulant qu’un travailleur réside dans la province où il travaille est considérablement dépassé.

Depuis des décennies, des Canadiens travaillent dans une province et résident dans une autre. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui qu’Internet permet aux gens de travailler pour une entreprise qui n’est pas dans leur province de résidence et qui n’est peut-être même pas établie au Canada.

J’aimerais mentionner ici que le Canada a conclu avec plus de 50 pays des accords concernant la cotisation des travailleurs au régime de pension. Cette situation renforce le fait que les actifs découlant de ces cotisations, même s’ils sont administrés par le Régime de pensions du Canada, sont directement liés aux travailleurs et à leurs futures prestations et non à la province ou au pays où les cotisations ont été faites.

Je tiens à souligner que l’étude du directeur parlementaire du budget doit également identifier les cotisations qui ont été versées au Régime de pensions du Canada pendant de nombreuses décennies par des travailleurs canadiens n’habitant pas en Alberta, mais plutôt dans d’autres provinces. Mentionnons notamment les milliers de travailleurs du Canada atlantique, sans qui le secteur des ressources de l’Alberta n’aurait peut-être pas été aussi productif.

Les cotisations versées au Régime de pensions du Canada par l’employeur et l’employé font partie des avantages sociaux d’un employé. Les actifs appartiennent à l’employé et à ses survivants et non à un gouvernement.

Prenons notre propre cas comme exemple. Les sénateurs habitent dans des provinces différentes, mais nous sommes payés par le Sénat du Canada, où nous travaillons. Les cotisations versées au Régime de pensions du Canada par le Sénat et nous-mêmes constituent un avantage absolu. En fait, depuis 2016, nos prestations de retraite sont directement liées au Régime de pensions du Canada et elles l’incluent. Alors, croyez-vous que les actifs collectifs des sénateurs ne venant pas de l’Ontario qui font partie du Régime de pensions du Canada appartiennent au gouvernement de l’Ontario? Je pense que non, car ces actifs ont été investis pour votre bénéfice personnel, et non pour le bénéfice futur du gouvernement de l’Ontario.

Le Régime de pension du Canada a été créé pour mettre en place un programme de retraite complet pour tous les travailleurs canadiens. Si on commence à démanteler ce programme, nous aurons des régimes différents dans tout le pays, avec des prestations, des cotisations et des règles différentes. Cela risque de créer un obstacle déraisonnable à la mobilité entre les provinces et d’avoir une incidence sur les prestations de retraite.

La transférabilité, qui est liée à nos droits en matière de mobilité, est une autre question clé.

Dans un récent rapport, Bob Baldwin de l’Institut C.D. Howe fait valoir que « l’un des avantages du Régime de pensions du Canada est qu’il facilite la mobilité de la main-d’œuvre » et il ajoute qu’un des principaux enjeux d’un régime de pensions albertain sera de devoir négocier des accords de transférabilité avec d’autres provinces et avec le gouvernement fédéral.

Selon Patrick Marier, professeur de sciences politiques à l’Université Concordia, « [...] si on se retrouve avec un ensemble différent de règles et de prestations, la transférabilité devient un véritable problème. »

Cela soulève trois problèmes de taille. Premièrement, il faudra mener des négociations longues et complexes pour mettre au point des accords de transférabilité. Deuxièmement, le régime de retraite de l’Alberta devra probablement être très semblable au Régime de pensions du Canada pour faciliter ces accords.

Le troisième problème — et le plus important à prendre en considération — est la contestation probable, fondée sur le droit à la liberté de circulation garanti par la Charte, de l’interprétation du Régime de pensions du Canada, lors de laquelle les arguments serviront probablement à déterminer qui est le propriétaire légitime des actifs. Il s’agira d’un problème considérable pour les entreprises de l’Alberta.

Comme l’a écrit Frank McKenna dans le Financial Post :

De même, la transférabilité d’un régime de pension albertain vers le Régime de pensions du Canada n’est pas garantie et pourrait empêcher l’Alberta d’attirer des travailleurs extérieurs pour ses grands projets de ressources nécessitant une main–d’œuvre importante.

La Chambre de commerce de Calgary a également commenté les répercussions de cette mesure sur les travailleurs retraités :

Les questions relatives à la transférabilité du Régime de pensions du Canada au régime de pensions de l’Alberta iraient à l’encontre de nos efforts pour attirer les talents, et, bien que ces questions puissent être résolues en temps voulu, la question de la pénurie de main-d’œuvre est urgente, et nous ne pouvons pas nous permettre de compromettre notre capacité à attirer des talents en Alberta.

Le Congrès du travail du Canada a fait remarquer ce qui suit à juste titre : « Le Régime de pensions du Canada est entièrement transférable, il suit les travailleurs où qu’ils travaillent, quelle que soit la fréquence à laquelle ils changent d’emploi. »

Honorables sénateurs, s’il s’agit d’un objectif politique de l’Alberta, cela pourrait devenir un cauchemar pour les travailleurs et les employeurs, ce qui perturbera considérablement et entravera de façon involontaire le droit des Canadiens à se déplacer d’une province à l’autre, en particulier pour ceux qui ont travaillé en Alberta, qui ont payé des cotisations et qui, à leur retraite, sont en droit de recevoir les prestations qui leur sont dues.

Il faut recueillir davantage de renseignements financiers et juridiques à ce sujet avant de devoir gérer une situation potentiellement chaotique pour le Canada.

Merci.

La sénatrice Ringuette accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Ringuette [ + ]

Bien sûr.

Comme d’habitude, vous avez fait vos devoirs. J’avais commencé à travailler sur ce dossier, parce que j’avais certaines préoccupations par rapport à la simplification des données qui nous avaient été présentées ici.

Vous avez fait ressortir l’information relative à la mobilité de la main-d’œuvre, une main-d’œuvre qui n’était pas nécessairement permanente, ce qui pouvait susciter d’éventuels enjeux pour des gens qui pourraient travailler temporairement ou habiter de façon permanente en Alberta.

Je voudrais que vous me répondiez par un oui ou un non : dans ce qui nous a été présenté à ce jour, y a-t-il une importante omission de données qui pourrait mener au problème que vous avez identifié dans votre allocution?

La sénatrice Ringuette [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénatrice Moncion. D’abord, c’est difficile en ce moment de parler de données, parce que nous n’avons pas les montants exacts. Par contre, la prémisse qui est avancée, soit que les contributions ont été faites pour un travailleur en Alberta, peu importe son lieu de résidence, est problématique.

Je vous donne comme exemple ma situation personnelle. Je n’ai pas travaillé en Alberta, mais j’ai travaillé au Québec pendant des années. Je travaille actuellement en Ontario, et ce, depuis des années. Je suis résidante du Nouveau-Brunswick et je vais prendre ma retraite au Nouveau-Brunswick. Au moment de prendre ma retraite, même si j’ai travaillé au Québec, je vais faire ma demande au Régime de pensions du Canada, et non à la Régie des rentes du Québec. Au moment de présenter ma demande, la contribution que j’ai faite au Québec va retourner au Régime de pensions du Canada pour mes années de contribution à la Régie des rentes du Québec.

Or, rien de cela n’a été discuté à ce jour. On présume et on fait valoir — et même encore dans cette Chambre, la semaine dernière — que le gouvernement de l’Alberta a droit à des milliards en capital qui, techniquement, ne lui appartiennent pas. Ce capital appartient aux travailleurs pour leur retraite. J’espère avoir répondu à votre question, sénatrice Moncion.

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