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Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu

Troisième lecture--Débat

16 mai 2019


Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu.

Au cours des 25 dernières années, dans ma profession de médecin et de spécialiste des soins intensifs, je me suis efforcée d’améliorer la santé des Canadiens, de comprendre et de prévenir la maladie, et, bien franchement, chers collègues, de sauver des vies. Je suis donc inquiète de constater que, lorsque nous avons l’occasion d’améliorer véritablement la loi pour sauver des vies, nous semblons perdre de vue l’essentiel.

Les données sont éloquentes et les preuves sont claires : les armes à feu ont des conséquences néfastes graves dans la vie des membres de notre société. Lorsque le rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a été présenté au Sénat, le projet de loi modifié ne m’a pas semblé tenir compte adéquatement de cette réalité.

J’ai depuis consacré beaucoup de temps à tenter de comprendre ce qu’a entendu le comité de la part des témoins, particulièrement en ce qui concerne la vérification des antécédents, et j’ai voulu savoir pourquoi il avait retiré du projet de loi une disposition qui pourrait sauver des vies. Puisqu’il est facile de voir que les modifications proposées dans le projet de loi C-71 pourraient avoir une incidence directe sur le secteur de la santé, j’estime qu’il est important que le Sénat prenne connaissance des réflexions de ceux qui travaillent infatigablement dans ce domaine et des expériences qu’ils ont vécues.

Le milieu médical a fait valoir devant le comité un argument convaincant. Tous les jours, au travail, les chirurgiens en traumatologie, les médecins aux soins intensifs, les infirmières, les médecins spécialisés en soins de longue durée et en réadaptation, les psychiatres, les psychologues et les préposés au soutien en santé mentale ont à traiter des blessures graves causées par une arme à feu. Ils font affaire avec des personnes menaçant de se suicider, des victimes de violence de la part d’un partenaire intime ou d’un parent et des victimes d’une agression ou d’un accident. Et pourtant, chers sénateurs, c’est comme si leurs voix n’étaient pas entendues. Aujourd’hui, j’estime devoir faire entendre leurs voix.

Linda Salis, de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers, qui représente des centaines de milliers de personnes, a dit au comité qu’en 2016, pour la troisième année consécutive, on a enregistré une augmentation du nombre et du taux d’homicides par balle au Canada. Ainsi, on a rapporté 223 homicides par balle, soit 44 de plus que l’année précédente. En fait, les armes à feu représentent la méthode la plus courante pour commettre un homicide.

La Dre Natasha Saunders, de la Société canadienne de pédiatrie, représente des milliers de pédiatres. Elle a indiqué au comité qu’en Ontario, durant la période de cinq ans qu’a duré une étude sur les blessures non intentionnelles et les blessures par agression, 1 777 enfants et adolescents ont été blessés ou tués au moyen d’une arme à feu, ce qui correspond à une moyenne de 355 enfants par année, soit environ un par jour.

Le Dr Alan Drummond, de l’Association canadienne des médecins d’urgence, qui représente également des milliers de médecins, a dit au comité que le Canada affiche l’un des plus forts taux de suicide par arme à feu dans le monde développé, soit environ 500 par année. Il a informé le comité que, selon des données scientifiques très rigoureuses, la présence d’armes à feu dans les foyers est associée à un fort risque de suicide. En outre, chaque baisse de 10 p. 100 observée au chapitre de la possession d’arme à feu s’accompagnait d’une baisse de 4,2 p. 100 du nombre de suicides par arme à feu. En général, le taux de suicide a diminué de 2,5 p. 100.

Le Dr Drummond conclut qu’on peut raisonnablement s’attendre à une réduction du nombre de suicides dès qu’on met en place une loi visant à restreindre l’accès aux armes à feu, en particulier pour les personnes à risque.

Enfin, la Dre Ahmed, du groupe Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu, a dit au comité que, quelques jours seulement avant son témoignage, elle a dû annoncer à une mère la mort de sa fille de 25 ans, abattue par son conjoint de fait. Elle a parlé au comité du rapport sur les féminicides au Canada, qui présente une analyse des données concernant 148 femmes qui ont été assassinées au Canada l’année dernière. Voici les trois conclusions principales de cette étude : les femmes sont le plus souvent tuées par un partenaire intime; les femmes autochtones sont grandement surreprésentées parmi les victimes; les femmes sont le plus souvent tuées avec une arme à feu.

Chers collègues, avant de poursuivre, je dois signaler que certains des médecins témoignent sachant qu’ils courent un danger et risquent de subir des attaques personnelles. La Dre Ahmed a fait l’objet d’une campagne ciblée orchestrée par la Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu. Pour tenter de l’effrayer et de la réduire au silence, le groupe a demandé à ses membres de déposer de fausses plaintes contre elle auprès de son organisme de réglementation, l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Un porte-parole de l’ordre a confirmé que l’organisme a reçu 70 fausses plaintes après que la Dre Ahmed a témoigné devant le comité.

Honorables sénateurs, les recherches citées par la Dre Ahmed et les autres témoins étaient déchirantes, révélatrices et fondées sur les meilleures données médicales et scientifiques disponibles. Il a été établi scientifiquement à maintes reprises que des lois plus strictes sur les armes à feu, un examen plus rigoureux des titulaires de permis, des restrictions plus sévères sur l’accessibilité et la disponibilité des armes à feu sauvent des vies et préviennent des blessures. Ils réduisent les taux d’homicide et les taux de suicide et préviennent les blessures par balle.

J’ai donc été déçue de voir que le comité a fait rapport sans tenir compte du témoignage. J’ai donc pris la parole aujourd’hui pour vous rappeler, à vous les sénateurs, ces faits importants.

Lorsque la Fédération des pêcheurs et des chasseurs de l’Ontario a comparu devant le comité, elle a déclaré que la question la plus importante que nous devons nous poser est la suivante : un rendement sur l’investissement sera-t-il requis pour mettre en œuvre les changements proposés dans le projet de loi C-71?

Un rendement sur l’investissement? Je doute que ce soit la question la plus importante à poser, mais elle nous permet d’examiner les coûts que les crimes violents commis avec une arme à feu engendrent pour notre système de soins de santé.

En 2012, dans le rapport intitulé Les répercussions économiques des crimes liés aux armes à feu au Canada, 2008, le ministère de la Justice nous apprend que les frais d’hospitalisation des victimes de blessures causées par des armes à feu s’élevaient, en moyenne, à environ 46 000 $ pour une femme et à environ 20 000 $ pour un homme. Ces chiffres ne prennent pas en considération les pertes de productivité, par exemple la perte de salaire, les absences scolaires, la perte de revenus futurs ou les dépenses engagées pour l’obtention de services juridiques et de services de consultation. Surtout, ils ne tiennent pas compte des coûts intangibles de ces blessures, comme la douleur physique ou émotionnelle ressentie par les victimes, la souffrance des familles, des êtres chers et des autres membres de la communauté et, plus important encore, les pertes de vie.

Quand on me demande s’il vaut la peine de mettre en œuvre les changements proposés compte tenu du rendement sur l’investissement, ma réponse est un oui catégorique.

Cette mesure législative bénéficie de l’appui d’organismes représentant des travailleurs de la santé, des policiers et des associations de femmes. Elle bénéficie aussi de l’appui des victimes de violence liée aux armes à feu et, surtout, de la population canadienne. De plus, elle repose sur des recherches scientifiques et des données médicales. C’est pourquoi j’ai voté contre le rapport du comité sur le projet de loi C-71, et c’est pourquoi je voterai en faveur du projet de loi à l’étape de la troisième lecture.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

Aujourd’hui, je prends la parole au sujet du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu.

Honorables sénateurs, aujourd’hui, examinons des faits incontestables sur la violence liée aux armes à feu et sur la présence d’armes à feu dans les collectivités et les familles, et non des opinions, pour réfuter certains des propos tenus au comité et sur les médias sociaux par le lobby des armes à feu et les sénateurs adeptes des armes à feu, ou « gun senators ». Au Canada, depuis le massacre d’étudiantes en génie — assassinées parce que c’était des femmes étudiant en génie — perpétré à Montréal le 6 décembre 1989, la sécurité des femmes et des enfants est un argument important pour le contrôle des armes à feu.

En février 1995, Allan Rock, le procureur général de l’époque, avait déclaré ceci à l’autre endroit :

L’enregistrement nous aidera à enrayer le fléau de la violence conjugale. Selon les statistiques, tous les six jours, une femme est assassinée au moyen d’une arme à feu au Canada, la plupart du temps chez elle, par quelqu’un qu’elle connaît et qui est légalement propriétaire d’une carabine ou d’un fusil. En pareil cas, il ne s’agit pas d’un criminel avec une arme de contrebande qui cherche à voler le magasin du coin, mais bien d’une connaissance, d’un conjoint ou d’un ami, qui l’attaque chez elle.

Fait : le registre des armes d’épaule a été aboli en 2012. La diminution progressive du nombre de crimes violents commis avec une arme à feu découlant des mesures de contrôle imposées en 1995 a pris fin en 2013.

Fait : entre 2013 et 2017, le nombre d’homicides commis avec une arme d’épaule a doublé.

Fait : Depuis 2013, le nombre de crimes violents commis avec une arme à feu a augmenté de 42 p. 100.

Fait : le taux d’homicides commis avec une arme à feu est à son plus haut en 25 ans.

Si le taux de féminicides est généralement en baisse au Canada, il n’en demeure pas moins que des femmes sont tuées dans notre pays, victimes d’actes de violence conjugale. C’est une réalité honteuse et tragique.

Fait : sur les 81 meurtres commis par un partenaire intime au Canada en 2016, presque 80 p. 100 étaient des féminicides et plus de 50 p. 100 de ces femmes ont été tuées avec une arme à feu.

Malgré tout cela, le lobby des armes à feu et les sénateurs adeptes des armes à feu, les « gun senators », ne veulent pas de ce projet de loi, ne veulent pas qu’on enregistre les armes à feu au Canada. Comme le sénateur Plett en avait averti les médias avec fierté, ils ont vidé le projet de loi de sa substance à l’étape de l’étude en comité. Même si elles sont utilisées pour la chasse ou le tir sportif, les armes à feu n’en sont pas moins inquiétantes et mortelles pour les êtres humains et leur présence dans nos collectivités ne devrait pas être cachée. Comme l’a dit le détective Rob Di Danieli de Toronto...

L’honorable Yonah Martin [ + ]

J’invoque le Règlement.

Son Honneur le Président [ + ]

Je ne peux entendre qu’un sénateur à la fois.

Sénatrice McPhedran, la sénatrice Martin invoque le Règlement.

La sénatrice Martin [ + ]

Sénatrice, vous avez parlé des propriétaires d’armes à feu et des sénateurs adeptes des armes à feu, ou « gun owners » et « gun senators ». Je ne suis pas sûre qu’il convienne d’utiliser cette expression. J’aimerais obtenir des éclaircissements. J’estime que vous utilisez cette expression de manière quelque peu provocatrice. Voilà en quoi consiste mon rappel au Règlement.

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice Martin, il ne s’agit pas vraiment d’un rappel au Règlement. Cependant, comme vous avez soulevé cette question, la sénatrice McPhedran pourrait peut-être prendre un instant pour expliquer cette expression.

La sénatrice McPhedran [ + ]

Merci. Est-ce que cela fait partie de mon temps de parole?

Son Honneur le Président [ + ]

Non.

La sénatrice McPhedran [ + ]

Selon ma définition et ma compréhension de l’expression, les sénateurs adeptes des armes à feu sont les sénateurs qui rejettent le projet de loi et qui ne souhaitent pas qu’on retourne à une certaine forme d’enregistrement des armes à feu et à une meilleure compréhension par le public de ce que signifie le fait d’être propriétaire d’une arme à feu au Canada. Je pourrais parler des sénateurs pro-armes à feu. Est-ce que cela serait plus acceptable?

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice McPhedran, je pense que la sénatrice Martin estime que l’expression « sénateurs adeptes des armes à feu » constitue une description quelque peu maladroite. Il serait peut-être plus approprié de parler des « sénateurs qui s’opposent au projet de loi sur les armes à feu ». Je pense que cela réglerait le problème. Qu’en pensez-vous, sénatrice Martin?

La sénatrice McPhedran [ + ]

Merci de la précision, Votre Honneur.

Comme l’a dit le détective Rob Di Danieli, de Toronto :

Le gouvernement sait parfaitement que j’ai deux enfants et deux voitures, mais je pourrais acheter dix fusils de chasse sans qu’il en ait la moindre idée.

Comme pour toute violence, nous savons que les femmes sont plus vulnérables à la violence armée. L’accès à une arme à feu est le facteur productif le plus significatif lors de l’assassinat d’une femme par un partenaire intime. Les faits sont indéniables : les cas de violence liée aux armes à feu dans un environnement domestique concernent principalement des carabines et des fusils de chasse détenus légalement. Les conséquences de la violence liée aux armes à feu à l’endroit des femmes sont considérables, et l’histoire du registre des armes à feu au Canada est enracinée dans l’activisme né du massacre de Montréal en 1989.

Chers collègues, le regretté Jack Layton et moi avons organisé la première vigie à Toronto, le lendemain de la tuerie de Montréal, en décembre 1989. J’ai aussi participé, à titre de témoin expert, à l’une des trois enquêtes qui ont eu lieu peu de temps après sur la mort de femmes et d’enfants tués par un homme de leur famille au moyen d’armes à feu légales. Dans chacun des cas, l’ajout d’un registre au régime de contrôle des armes à feu figurait parmi les principales recommandations, car à eux seuls, les permis ne permettaient pas d’empêcher que des femmes, des enfants et des proches soient tués par une arme à feu légale.

Les enquêtes menées à la suite du meurtre d’une personne par son partenaire intime arrivent presque invariablement à la conclusion que les policiers jugent très utile de savoir, avant de se rendre sur les lieux d’un appel pour violence familiale, si des armes à feu risquent de s’y trouver. Des policiers sont aussi venus dire au comité que ce projet de loi permettrait concrètement de lutter contre la violence familiale au pays.

Je vous rappelle qu’en 2017, 506 femmes ont été victimes de violence au moyen d’une arme à feu de la part de leur partenaire intime. Je peux vous garantir que bon nombre d’entre elles ont été tuées avec des armes à feu légales.

Hier, le sénateur Kutcher nous a aidés à mieux comprendre le poids que peut avoir la seule présence d’une arme dans une maison. En plus de constituer un risque accru de suicide, les armes à feu peuvent aussi servir à faire des menaces, au point de causer des traumatismes, notamment chez les enfants, qui sont particulièrement affectés quand un adulte, qui a leur vie entre ses mains, se sert d’un fusil pour les forcer à obéir, leur mère ou eux.

M’inspirant de M. Kutcher, j’aimerais vous rapporter une anecdote personnelle. Imaginez la scène : dans le salon confortable d’une ferme, deux petites filles, d’environ 7 et 8 ans, sont assises avec leur mère. Il y a aussi deux petits garçons, d’environ 9 et 10 ans — leurs cousins préférés — ainsi que leur mère. Les petites filles sont avec leur mère et leur père. Toute la famille est rassemblée pour discuter d’un voyage que les mères entendent faire avec les enfants.

Le père des petites filles ne veut pas laisser sa famille s’éloigner de la ferme. Les mères et les enfants lui expliquent pourquoi ils veulent faire ce voyage spécial. C’est essentiellement parce que les cousins vivent loin et que ce serait une occasion particulière de passer du temps ensemble.

Ce qu’on ne dit pas ouvertement, c’est que ces petites filles et leur mère vivent avec une brute et que le voyage avec les cousins serait l’occasion rêvée pour elles de passer un peu de bon temps avec eux, en toute sécurité.

Comme dans beaucoup de familles, la discussion est animée, et les enfants s’écrient : « Mais papa… S’il vous plaît, mon oncle. » Le père quitte la pièce avant qu’on se soit mis d’accord.

C’est là que ma mémoire des détails est ébranlée par un traumatisme.

Ce dont je me souviens, c’est qu’il est revenu avec son arme à feu légale, qu’il s’est assis et qu’il nous a annoncé que le voyage n’aurait pas lieu. Je peux vous dire qu’il n’a pas fallu plus que la présence de cette arme pour tous nous réduire au silence. Pendant tout le temps où nous avons été assis à la table et tenus en otage sous la menace explicite de cet homme, j’ai pensé à ces enquêtes et j’ai pensé aux témoignages, consciente que chaque personne dans la pièce était dangereusement près d’être le sujet d’une autre enquête.

La protection des Autochtones contre la violence armée revêt une importance particulière. Selon l’avocate et professeure Pam Palmater, de la Première Nation Eel River Bar, de nombreux membres des Premières Nations en milieu rural craignent d’être encore la cible d’attaques racistes, violentes ou même mortelles. N’oublions pas aussi que beaucoup d’actes violents sont à caractère sexuel, comme en témoignent les milliers de femmes et de filles autochtones assassinées ou disparues, dont certaines ont été victimes de violence armée.

Je suis d’accord avec Mme Palmater, qui a fait la remarque suivante :

Le débat sur le contrôle des armes à feu semble être axé sur les droits imaginaires des propriétaires d’armes à feu plutôt que sur les droits des Canadiens et des Premières Nations d’être à l’abri de la violence raciale et sexuelle commise avec une arme à feu.

Entre 2016 et 2017, le taux national d’homicides a augmenté de 7 p. 100. Cette hausse est en grande partie attribuable à une augmentation du nombre d’homicides commis avec une arme à feu en Colombie-Britannique et au Québec. En Colombie-Britannique, cette augmentation a touché tant les régions rurales que les régions urbaines. Elle s’explique en partie par une hausse du nombre d’homicides liés aux gangs et aux armes à feu.

Toutefois, au Québec, cette augmentation est en grande partie attribuable au nombre accru d’homicides commis dans les régions rurales et à une augmentation du nombre d’homicides commis avec une arme à feu dans la région métropolitaine de recensement du Québec. L’augmentation du nombre d’homicides commis avec une arme à feu a été attribuée à la fusillade massive survenue au Centre culturel islamique de Québec en janvier 2017. Cela montre que, si la violence des gangs est une préoccupation croissante, elle n’est pas la seule source de l’augmentation du nombre d’homicides commis avec une arme à feu. L’autre source est la...

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice McPhedran, je regrette de devoir vous interrompre. Comme il est maintenant 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil à moins que nous nous entendions pour ne pas tenir compte de l’heure.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice McPhedran, vous pouvez poursuivre.

La sénatrice McPhedran [ + ]

L’autre source de l’augmentation du nombre d’homicides commis avec une arme à feu est représentée par des membres de groupes suprémacistes blancs qui participent à des attaques terroristes.

De toute évidence, tous les propriétaires d’armes à feu ne sont pas des tenants de la suprématie blanche, mais c’est fou comme ces gens aiment leurs armes à feu détenues légalement. Aujourd’hui, au Canada, tout propriétaire d’armes à feu détenant un permis, y compris les tenants de la suprématie blanche, peut obtenir autant d’armes à feu sans restriction qu’il le désire sans faire l’objet du moindre contrôle ou de la moindre surveillance. En fait, le tireur dans l’attaque terroriste de la mosquée de Québec était un propriétaire légitime d’armes à feu qui détenait un permis, qui avait reçu une formation et qui possédait l’adhésion à un club de tir requise pour posséder les armes qu’il a utilisées pour assassiner six personnes qui priaient paisiblement dans leur lieu de culte.

Je vais parler franchement : les intimidateurs aiment les armes à feu. Au Canada, il est très facile pour les intimidateurs de se procurer des armes à feu. Tout à l’heure, au Sénat, nous avons eu une discussion sérieuse sur la courtoisie sur les médias sociaux et le trollage, et il ne fait aucun doute qu’elle ne fait que commencer parce que, chers collègues, dans cette enceinte et sur les médias sociaux, il y a du trollage et de l’intimidation. Notre comportement en ligne offre un aperçu de qui l’on est et de ce que nous encourageons.

Permettez-moi de vous donner quelques renseignements au sujet de certains des membres du lobby des armes à feu et laissez-moi vous rappeler les avertissements de Mme Palmater au sujet de la violence de nature raciale et sexuelle commise au moyen d’une arme à feu.

Je voudrais aussi vous rappeler que les actes de violence sont souvent précédés de paroles agressives et menaçantes. Le Sporting Clubs of Niagara a témoigné devant le comité. Il a un site web qui représente un groupe de propriétaires d’armes à feu se disant « inquiets ». Au sujet du projet de loi, le Sporting Clubs of Niagara a publié la déclaration suivante, que je cite telle quelle :

Il y a une pétition contre le projet de loi C-71, qui compte 75 000 signatures. Il y a aussi une mosquée musulmane qui a recueilli seulement 75 signatures pour interdire les armes d’assaut (les carabines civiles) et c’est cette pétition de musulmans de seulement 75 signatures qui attire l’attention du gouvernement, tandis que notre pétition contre le projet de loi C-71, signée par 75 000 contribuables, est ignorée, comme si elle n’avait jamais existé.

Cette déclaration établit délibérément une distinction, qui est inexistante, entre les musulmans canadiens et les contribuables. Elle minimise également la tragédie qui a eu lieu au Centre culturel islamique de Québec. Ce type de discours ne fait que justifier les attitudes et les croyances xénophobes qui alimentent la haine et le sectarisme.

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé de vous interrompre encore une fois, sénatrice, mais votre temps de parole est écoulé, y compris en tenant compte des minutes supplémentaires attribuées en raison de l’interruption. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice McPhedran [ + ]

Je vous en serais très reconnaissante.

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice Martin [ + ]

Non.

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, sénatrice McPhedran, mais j’ai entendu un non.

La sénatrice McPhedran [ + ]

Je ne suis pas surprise. Merci.

Son Honneur le Président [ + ]

Le sénateur Sinclair a la parole.

L’honorable Murray Sinclair [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens également au sujet de ce projet de loi, en particulier en ce qui concerne son incidence sur les peuples autochtones et leurs droits.

Tout d’abord, lorsqu’on étudie l’histoire du contrôle des armes à feu au Canada, il est intéressant d’apprendre que la première loi sur le contrôle des armes à feu au pays a été adoptée en 1886. À l’époque, la loi interdisait la possession d’armes à feu dans l’Ouest canadien à quiconque n’avait pas de permis délivré par le lieutenant-gouverneur de la province.

Évidemment, la mesure a déclenché un tollé au sein de la population de colons, ceux-ci faisant valoir qu’ils avaient besoin des armes à feu pour survivre. Les colons craignaient les soulèvements indiens. Le gouvernement a alors décidé qu’il n’accorderait de permis qu’aux colons. Ainsi, les Autochtones n’avaient plus le droit de posséder des armes à feu. Les premières lois sur le contrôle des armes à feu au Canada visaient les Autochtones.

Les armes à feu ont pourtant fait partie de la vie des Autochtones à partir du XVe ou du XVIe siècle, lorsqu’elles ont été introduites par les Européens — qui faisaient du commerce avec les Autochtones. Elles ont changé leur façon de chasser pour se nourrir et pour avoir des animaux destinés aux cérémonies traditionnelles et au commerce. Elles ont eu de graves répercussions sur la sécurité et le taux de criminalité au sein des collectivités autochtones.

Les peuples autochtones sont surreprésentés dans les statistiques sur le suicide, la violence, la criminalité et les homicides, souvent en lien avec les armes à feu. La colonisation et les lois discriminatoires conçues pour empêcher les peuples autochtones de transmettre leurs valeurs et leur identité culturelles aux générations suivantes, en plus des lois qui ont causé des dommages socioéconomiques, émotionnels et psychologiques aux communautés, constituent l’héritage de la législation canadienne.

On le constate d’ailleurs par les taux élevés d’incarcération, de prise en charge des enfants, de problèmes mentaux et de troubles de santé avec lesquels sont aux prises les peuples autochtones, sans parler du taux élevé de suicide. Au Canada, le taux de suicide et de tendance suicidaire est nettement supérieur chez les Autochtones par rapport au reste de la population. Ce problème a été mis en lumière dans un rapport spécial historique publié par la Commission royale sur les peuples autochtones en 1995, dans lequel on indiquait que le taux de suicide chez les peuples autochtones avait dramatiquement augmenté dans la décennie précédant la publication du rapport.

Au moment de la rédaction du rapport, la commission avait estimé que le taux de suicide national chez les Autochtones était trois fois supérieur à celui de la population générale ou des Canadiens non autochtones et que le taux de suicide chez les jeunes Autochtones était six fois plus élevé que chez les jeunes non autochtones.

Hélas, les recherches montrent que ces chiffres n’ont pas changé et que, dans certaines régions du pays, ils ont même augmenté considérablement au cours des trois dernières décennies.

C’est chez les Autochtones que les taux de suicide par arme à feu sont les plus élevés; toutefois, le pourcentage de suicides commis avec une arme à feu par rapport aux suicides commis par d’autres méthodes, chez les peuples autochtones, est moindre. Il semble que les gens choisissent d’autres méthodes pour mettre fin à leurs jours. L’expérience montre que seules deux interventions sont efficaces pour réduire le taux de décès par suicide : un traitement faisant appel aux anciens et aux méthodes de guérison traditionnelles et la restriction des moyens de se suicider.

Les armes à feu sont responsables de 21 à 31 p. 100 des homicides commis par un partenaire intime. Par ailleurs, des carabines et des fusils, des armes à feu qu’on trouve souvent dans l’Ouest canadien et, surtout, dans les communautés autochtones, sont utilisés dans 62 p. 100 de tous les homicides entre conjoints sur les territoires des Premières Nations.

On ne peut contester le fait que la présence d’un fusil à la maison pose un risque d’homicide entre conjoints. Le risque de décès d’une victime de violence conjugale est beaucoup plus élevé lorsqu’une arme à feu est accessible, surtout lorsqu’il y a consommation d’alcool ou de drogues.

Dans les communautés autochtones, la présence d’une arme à feu à la maison multiplie par cinq le risque de décès pour une femme, et c’est un facteur de risque tellement important que l’accès d’un partenaire à des armes à feu figure parmi les facteurs importants pris en compte lors de l’évaluation du risque que la violence d’un partenaire se solde par la mort.

Les armes à feu ne sont pas seulement utilisées pour commettre des homicides et des actes de violence contre un partenaire intime. Les propriétaires d’armes à feu inscrits à un programme d’intervention pour agresseurs du Massachusetts ont indiqué s’être servis de leurs armes pour intimider leur partenaire en menaçant de tirer sur lui, sur un animal de compagnie ou sur un être qui lui est cher; ou en nettoyant, en tenant ou en chargeant une arme pendant une dispute; ou même en faisant feu au cours d’une dispute.

Dans les années 1980, le contrôle des armes à feu s’est retrouvé au cœur des efforts des communautés autochtones. Dans une communauté du Nord du Manitoba, la Première Nation Pukatawagan, maintenant appelée la bande Mathias Colomb, était connue sous le nom de Dodge City du Nord. Cette collectivité avait le plus fort taux d’homicides par habitant commis au moyen d’une carabine en Amérique du Nord. Il y a eu 30 cas d’homicides en deux ans, dont la moitié ont été considérés comme des meurtres.

D’autres collectivités comme Shamattawa et Gods Lake Narrows affichent un taux élevé de violence et d’homicides liés aux armes à feu. Lorsque j’ai présidé l’Enquête publique sur l’administration de la justice et les peuples autochtones au Manitoba, nous nous sommes penchés sur la situation critique et les difficultés de ces deux collectivités et des autres, ainsi que sur leur façon de composer avec la violence et la criminalité liées aux armes à feu. Les infractions étaient nombreuses. Le désespoir était palpable dans ces collectivités, en particulier chez les jeunes. Bien des jeunes violaient les lois simplement pour écoper d’une peine d’emprisonnement et ainsi échapper aux dangers, à l’isolement, à l’ennui et au sentiment de désespoir qui pesaient sur eux dans leur collectivité.

Sous la direction du chef de l’époque, la collectivité de Pukatawagan voulait mettre en œuvre des solutions communautaires pour remédier à cette crise. On s’est penché sur des pratiques traditionnelles et on a consulté les aînées de la collectivité, puis un comité de justice a été mis sur pied, au moyen de résolutions du conseil de bande. On a mis en place des lois pour exiger que les armes à feu soient rangées dans le bureau du conseil de bande lorsqu’on ne les utilise pas. Le coût d’implantation de ce genre de mesure était négligeable. Après l’adoption de ces mesures, la violence et les homicides liés aux armes à feu ont chuté considérablement à Pukatawagan.

En voyant ce changement, les dirigeants d’autres collectivités nordiques ont demandé l’aide de Pukatawagan. Certaines collectivités ont adopté des mesures semblables. La GRC a engagé un chercheur indépendant pour déterminer pourquoi les efforts ne produisaient pas les effets escomptés partout dans la province. Selon le rapport, intitulé L’entreposage sécuritaire dans les collectivités autochtones : Examen exploratoire des programmes d’entreposage central des armes à feu au Manitoba, les initiatives communautaires d’entreposage central des armes à feu étaient plus efficaces lorsqu’il y avait un processus administratif officiel.

Si une personne avait besoin de son arme pour aller chasser, il lui suffisait de montrer sa carte d’identité et de signer le registre pour pouvoir la sortir; 91 p. 100 des propriétaires d’armes à feu utilisaient le registre d’entreposage de la bande et le considéraient comme bénéfique pour la communauté, puisqu’il favorisait une réduction du nombre d’infractions liées aux armes à feu, une réduction du nombre d’accidents et la création d’un milieu plus sécuritaire pour les enfants. Il y avait très peu de plaintes à propos des programmes. Ceux-ci étaient supervisés avec soin par les conseils d’aînés, qui imposaient leur volonté dans ce domaine à tous les propriétaires d’armes à feu de la communauté.

La réussite d’un tel programme repose principalement sur quatre éléments : à quel point la communauté a la volonté d’y participer, à quel point il est connu des gens, à quel point il leur inspire confiance et à quel point il est facile à utiliser. Cet exemple démontre que les peuples autochtones doivent participer à la recherche de solutions communautaires destinées à réduire la violence commise avec des armes à feu.

Je tiens à remercier et à féliciter le sénateur Pratte de son travail de mobilisation. Il a veillé à ce que ce projet de loi identifie les besoins, questions, préoccupations et droits uniques des Premières Nations et à ce qu’il tienne compte de ceux-ci. Malgré la surveillance exercée par le gouvernement pour assurer la participation des Premières Nations au processus de consultation pendant l’élaboration de ce projet de loi, des témoins ont indiqué à l’étape du comité que le processus de consultation n’a été, selon eux, ni approfondi ni adéquat. Néanmoins, le sénateur Pratte a collaboré avec des groupes d’intervenants autochtones, a tenu des séances d’informations destinées aux Autochtones et s’est adressé aux sénateurs autochtones afin de comprendre les répercussions imprévues du projet de loi sur les Premières Nations et de trouver des solutions.

Tous les Canadiens, autochtones ou non autochtones, doivent respecter les critères établis pour le maniement et l’utilisation sécuritaires des armes à feu, et doivent faire preuve d’une connaissance des lois sur les armes à feu.

Même si la Loi sur les armes à feu et ses règlements s’appliquent à tous, certains articles de la loi et des règlements sur la délivrance des licences, comme le Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada, ont été adaptés pour que l’application des lois sur les armes à feu respecte le mode de vie traditionnel et les droits ancestraux et issus des traités reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Huit traités historiques ont été signés dans l’Ouest canadien. Ils prévoient, par exemple, la fourniture continuelle et annuelle d’une certaine quantité de munitions aux membres des territoires visés par ces traités. Dans le contexte moderne, les munitions prévues dans les traités sont souvent distribuées sous forme d’argent et d’avantages issus des traités, et les bénéficiaires des traités sont tenus d’avoir un permis d’arme à feu valide pour acheter des munitions d’un détaillant.

Cela dit, je suis convaincu que la disposition de non-dérogation à laquelle on se fie dans ce projet de loi est suffisante et qu’elle n’aura pas d’incidence sur les droits ancestraux et issus de traités. Elle est conforme à la disposition de non-dérogation qui figure dans le projet de loi C-68, parrainé par le sénateur Christmas, et nous sommes tous deux d’accord pour dire qu’elle n’aura pas d’incidence sur les droits ancestraux et issus de traités. Pour ce qui est de son incidence globale sur les collectivités autochtones, le projet de loi permettra aux collectivités autochtones de continuer d’exercer leur autorité de manière sûre en tenant compte de la conformité avec les objectifs nationaux globaux de la loi.

Par conséquent, je n’hésite aucunement à appuyer ce projet de loi et j’encourage mes collègues à faire de même.

L’honorable David Tkachuk [ + ]

Honorables sénateurs, je ne possède pas d’arme à feu. J’appuie les propriétaires d’armes à feu de ma province et du Canada. Je suis fier de dire que je n’appuie pas le projet de loi.

Notre pays occupe le sixième rang au chapitre de la sécurité dans le monde. Le taux d’homicide y est très bas. La plupart des meurtres sont commis à coup de couteau ou par d’autres moyens que les armes à feu. Les suicides ne sont pas seulement commis par des armes à feu, mais aussi par pendaison, par empoisonnement et par d’autres méthodes. Les femmes n’utilisent pas une arme à feu pour se suicider. Elles ont recours à un poison ou se pendent, malheureusement. Ce sont là des questions de santé mentale qui n’ont rien à voir avec les armes à feu.

Je suis certain que tous les sénateurs sont conscients que le projet de loi a été étudié de manière exhaustive par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, qui, après avoir entendu au préalable un large éventail de témoins, a proposé certains amendements pour répondre à certaines préoccupations soulevées par ces témoins.

Certains amendements ont été adoptés, d’autres, non, mais chacun d’entre eux a été discuté de manière approfondie. Les nombreux témoignages ont contribué aux vigoureux débats qu’ont tenus les sénateurs.

Dans ces circonstances, c’est presque du jamais vu que l’on rejette sommairement ces témoignages, le rapport du comité sénatorial ainsi que les amendements apportés par ce dernier. Comme par hasard, la proposition du sénateur Pratte de rejeter tous les amendements apportés par le comité correspond à la position du gouvernement, soit que sa mesure législative doit être acceptée telle quelle, que les lacunes ciblées par les témoins au comité aient été corrigées ou non.

Étant donné qu’il s’agit de la position du gouvernement, il incombe donc à l’opposition de veiller à ce que les amendements proposés au comité soient examinés en profondeur au Sénat.

L’un de ces amendements porte sur la question de savoir si la vérification des antécédents relative à une demande de permis d’armes à feu devrait se concentrer sur les cinq années précédant immédiatement une demande ou un renouvellement de permis ou si elle devrait toujours porter sur la vie entière d’une personne.

Selon la loi en vigueur, en cas de demande de permis d’armes à feu ou de renouvellement d’un permis existant, la vérification des antécédents de la personne doit se concentrer sur les cinq ans précédant la demande. Le gouvernement propose d’étendre cette vérification à la vie entière du demandeur.

Je n’ai pas entendu de justification vraiment solide de la part du gouvernement à ce sujet. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’y a tout simplement pas les ressources nécessaires pour effectuer systématiquement les vérifications des antécédents à vie. Par conséquent, inévitablement, ce type de vérification sera aléatoire. Il y a un risque que l’approche ne soit pas fondée sur les circonstances particulières des demandeurs. Il est fort probable que le processus soit fait à l’aveuglette.

C’est ce qui est proposé dans le projet de loi C-71. Dans ce contexte, il est utile de se pencher sur le fonctionnement de l’actuel système de vérification des antécédents pour les demandes de permis d’armes à feu. On découvre alors que la vérification des antécédents à vie est déjà permise dans le cadre actuel. Aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi sur les armes à feu :

Le permis ne peut être délivré lorsqu’il est souhaitable, pour sa sécurité ou celle d’autrui, que le demandeur n’ait pas en sa possession une arme à feu [...]

Pour savoir si tel est le cas, on vérifie déjà les antécédents de la personne en question — dossier criminel, santé mentale, toxicomanie, violence familiale — et pas seulement pour les cinq dernières années, mais pour toute sa vie.

Dans les faits, si les circonstances le justifient, les vérifications peuvent remonter aussi loin que nécessaire dans la vie des personnes concernées. Nous devons donc nous demander ce qu’il y a à gagner à ce que la loi exige que l’on procède systématiquement à la vérification des antécédents à vie. Les témoins venus parler du projet de loi ont insisté sur les conséquences que cette disposition pourrait avoir sur les personnes les plus vulnérables du Canada.

Je n’ai pas assisté aux séances du comité sénatorial, mais la vice-chef de la région Saskatchewan de l’Assemblée des Premières Nations, Heather Bear, a posé la question suivante au comité des Communes chargé d’étudier le projet de loi C-71 :

De toute évidence, nous devons garder les armes à feu hors de portée des criminels dangereux et des personnes atteintes de maladies mentales graves, mais pourquoi punir une personne qui a commis une erreur il y a des décennies?

La majorité des membres du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense se posaient la même question. Voilà pourquoi, après avoir aussi entendu les autres témoins, ils ont décidé d’amender le projet de loi de sorte que les vérifications des antécédents portent surtout sur les cinq années précédant la demande d’acquisition ou de renouvellement d’un permis de port d’arme.

En plus de se traduire par une utilisation plus efficace des ressources, cet amendement aurait empêché qu’une erreur de jeunesse revienne hanter la personne qui l’a commise des dizaines d’années plus tard.

Les sénateurs devraient savoir que cet amendement, qui consiste à axer la vérification en vue de la délivrance d’un permis sur les cinq années précédentes, laisse intactes toutes les autres dispositions relatives à la vérification approfondie des antécédents. En conséquence, une personne continuerait de faire l’objet des vérifications suivantes : a-t-elle été reconnue coupable d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre autrui? A-t-elle été reconnue coupable d’une infraction liée à une arme à feu, à une autre arme ou à des munitions en violation de la Loi sur les armes à feu ou de la partie III du Code criminel? Enfin, a-t-elle été reconnue coupable de harcèlement criminel, de trafic de drogue ou de possession d’une substance en vue d’en faire le trafic?

En plus de vérifier les antécédents criminels, on vérifie si la personne a été traitée, que ce soit dans un hôpital, un établissement psychiatrique, une clinique psychiatrique ou ailleurs, pour une maladie mentale qui a été associée à de la violence ou qui a mené à des menaces de violence ou à des tentatives de commettre des actes de violence contre elle-même ou autrui. On vérifie en outre si la personne a des antécédents de violence ou encore de menace ou de tentative de violence contre elle-même ou autrui.

Ce genre de vérification ciblée est justifiable et raisonnable. Au besoin, la vérification peut porter sur toute la vie. Une telle vérification peut se faire à l’aide des ressources allouées au Programme canadien des armes à feu.

Si nous décidons que les vérifications doivent porter sur toute la vie, je crains que les résultats soient, au mieux, aléatoires. Nous n’avons pas les ressources pour adopter une telle approche. Le système risque d’être inefficace avec des délais plus longs et inutiles.

Le public ne sera pas plus favorable au contrôle raisonnable des armes à feu, que la plupart d’entre nous préconisent, je crois. Je propose donc que l’on conserve la période de cinq ans pour la vérification des antécédents.

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