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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à créer des voies d'accès à la citoyenneté ou à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires essentiels dans tous les secteurs et à déposer un rapport d’étape à cet égard--Ajournement du débat

1 juin 2021


Conformément au préavis donné le 10 décembre 2020, propose :

Que, à la lumière d’un récent sondage de Nanos démontrant un appui solide parmi les Canadiens en vue d’offrir un moyen pour les travailleurs étrangers temporaires de rester au Canada, le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à créer des voies d’accès à la citoyenneté ou à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires essentiels dans tous les secteurs;

Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à déposer un rapport d’étape à cet égard dans les 100 jours suivant l’adoption de cet ordre.

 — Honorables sénateurs, la pandémie de COVID-19 a montré l’importance des travailleurs étrangers temporaires qui entrent au Canada en tant que travailleurs peu qualifiés. J’hésite à utiliser les termes « peu qualifiés » parce que nous savons maintenant ce que nous aurions dû savoir auparavant, à savoir que le travail effectué par ces employés peu qualifiés n’est pas de faible valeur, bien au contraire. Nous comprenons maintenant que ces travailleurs contribuent, de manière essentielle et permanente, à notre bonne santé et à notre sécurité alimentaire.

C’est un sentiment que partagent beaucoup de Canadiens. Selon un récent sondage Nanos Research commandé par le sénateur Rob Black et par moi-même, plus de huit Canadiens sur dix sont en faveur ou quelque peu en faveur de la mise en place de moyens permettant aux travailleurs migrants temporaires de demeurer au Canada. En outre, les répondants comprenaient bien l’importance de ces travailleurs pour le secteur agricole et pour notre sécurité alimentaire. Les résultats de ce sondage font écho à ceux d’un sondage de plus grande envergure mené par Environics qui a révélé que les Canadiens comprennent bien mieux de nos jours le travail essentiel qu’accomplissent les migrants.

Le phénomène des travailleurs étrangers temporaires n’est pas nouveau. Le programme des travailleurs agricoles saisonniers a été mis en place dans les années 1960, mais ce n’est que dans les années 1990 que le caractère temporaire de ces emplois est devenu monnaie courante. Depuis, le nombre de personnes qui travaillent temporairement au Canada a connu une croissance exponentielle. Pour chaque résident permanent admis au Canada en 2019, près de trois résidents temporaires ont été reçus pour le travail ou pour les études.

Les Canadiens ne réalisent peut-être pas à quel point notre système repose maintenant sur les travailleurs temporaires, certains ayant accès à la résidence permanente et d’autres, non. Pour les travailleurs étrangers temporaires hautement qualifiés, la voie est toute tracée, mais pour ceux de certaines catégories de la Classification nationale des professions, la CNP, cette voie est simplement inaccessible. Pour les aidants personnels, les travailleurs agricoles, les travailleurs de métier, les conditionneurs de viande et les chauffeurs de camion munis d’un visa de travail temporaire, le chemin est beaucoup plus difficile.

Je devrais utiliser le passé, car le ministre de l’Immigration a fait une annonce récente et réjouissante permettant aux travailleurs étrangers temporaires exerçant des professions essentielles de demander la résidence permanente pendant une courte période allant de mai à novembre. Ce faisant, le Canada a créé une occasion unique et limitée pour les camionneurs, les aides familiaux, les travailleurs de la santé et les travailleurs agricoles de présenter une demande, selon des critères précis. Le ministre a donné un répit, mais seulement de façon temporaire, même si les emplois sont permanents. Au mieux, il s’agit donc d’une solution à court terme pour une possibilité à plus long terme, mais je salue l’initiative, car elle pourrait bien inciter le gouvernement à prendre le taureau par les cornes.

Qui sont les travailleurs étrangers temporaires? Ce sont les personnes qui font le travail que les Canadiens ne veulent pas faire, du moins pas à long terme. Au début de la pandémie, on a beaucoup parlé de la disponibilité d’étudiants sans emploi pour cueillir des baies et des fraises et faire le travail des travailleurs migrants. Nous savons maintenant que ce n’était qu’un vœu pieux. En 2017, on comptait près de 550 000 travailleurs étrangers temporaires au Canada. Bien qu’ils soient employés dans une variété d’industries, la plus grande part est employée dans la production agricole. Cette année-là, les travailleurs étrangers temporaires représentaient plus de 40 % de tous les travailleurs agricoles en Ontario et plus de 30 % de tous les travailleurs agricoles au Québec, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse.

Les personnes qui travaillent dans des résidences individuelles, probablement en tant qu’aides à domicile et aides familiaux, sont un autre type de travailleurs migrants. Je suis très émue par les commentaires de la sénatrice Boniface sur la recherche d’aides familiaux personnels et la difficulté de cette tâche, car je sais à quel point ils sont essentiels. Sans un flot constant d’aides familiaux dans mon domicile, je ne pourrais pas m’occuper de ma mère. J’ai choisi de la garder à la maison, où elle est plus en sécurité et en meilleure santé, à un coût bien moindre pour le système, mais cela fonctionne seulement parce que j’ai des femmes merveilleuses qui m’aident à prendre soin d’elle.

Bien que les travailleurs migrants fournissent une main-d’œuvre essentielle, ils sont assujettis à un système défaillant qui met beaucoup d’entre eux à la merci de leurs employeurs et ils sont encore plus en danger si leur permis de travail est lié à un employeur individuel plutôt qu’à un secteur. Certains travailleurs sont victimes de harcèlement, ne se font pas payer leurs heures supplémentaires, reçoivent un salaire insuffisant ou ont des conditions de travail dangereuses. Dans les cas où les travailleurs vivent dans des logements fournis par l’employeur, des préoccupations ont été soulevées concernant l’insalubrité des logements, le surpeuplement et le contrôle exercé par l’employeur sur la vie et les choix personnels des travailleurs. Je tiens à préciser que ce n’est pas tous les employeurs qui infligent de mauvais traitements aux travailleurs migrants. Beaucoup traitent bien leurs employés. C’est le système qui est défaillant, car il donne aux employeurs beaucoup trop de pouvoir et responsabilités, sans cadre ni soutien appropriés. La présence de pommes pourries dans ce panier est inévitable.

Transformer l’impermanence en stabilité offre de nombreux avantages pour les travailleurs, les employeurs et le Canada. Offrir aux travailleurs migrants la possibilité de présenter une demande de résidence permanente permettrait d’éliminer une bonne partie de la vulnérabilité liée au statut temporaire, et les employeurs tireraient parti d’une main-d’œuvre composée surtout de résidents permanents. Certaines des tâches, comme la production animale, la transformation alimentaire et la serriculture, s’effectuent toute l’année. Cette mesure aiderait aussi les employeurs à maintenir une main-d’œuvre stable sans devoir dépenser chaque année pour le recrutement, le transport, la formation, le logement et les problèmes juridiques et médicaux. De plus, le changement profiterait aux travailleurs en leur permettant de migrer avec leur famille au Canada. Cela permettrait de rompre l’isolement et de revitaliser les collectivités rurales avec non pas une famille, mais des groupes de familles de la même communauté.

Prenons un exemple de l’histoire de l’Italie et de la Nouvelle-Zélande. Nous aimons tous l’Italie pour son fromage, comme la merveilleuse mozzarella et le parmesan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que les enfants des agriculteurs en Lombardie ne veulent plus traire, nourrir et garder les vaches servant à produire le fromage. Ils sont tous partis pour Rome, Milan, Venise ou ailleurs en quête de meilleures occasions. L’Italie a donc dû se tourner vers des groupes de migrants ayant des racines dans les communautés agricoles. Ô surprise, où a-t-elle trouvé des personnes qui aiment les vaches? Elle les a trouvées dans la région où je suis né : le Pendjab. La Lombardie accueille maintenant beaucoup de familles immigrantes du Pendjab, qui sont devenues des citoyens du pays, qui s’y sont établies et qui continuent à produire la merveilleuse mozzarella et le parmesan. La même histoire se répète en Nouvelle-Zélande, et même au Canada, où, il y a plus de 100 ans, des Sikhs ont immigré en Colombie-Britannique pour travailler dans les cannebergières. De nos jours, ces familles possèdent bon nombre de ces exploitations agricoles.

De nombreuses options s’offrent au gouvernement pour accorder la résidence permanente en dehors des programmes pilotes à durée limitée et des programmes ponctuels tels que celui que le ministre a annoncé. Honorables sénateurs, les programmes pilotes n’existent que pour prouver le concept. Si la preuve est là, il faut les intégrer aux programmes principaux. S’il le juge opportun, le gouvernement devrait accorder l’établissement aux travailleurs migrants dès leur arrivée, comme il le fait pour les résidents permanents. Il pourrait adapter le système pour Entrée express, qui est déjà en place, en fonction d’un ensemble différent de compétences. Il pourrait autoriser les provinces à nommer plus de ces travailleurs essentiels dans le cadre du Programme des candidats des provinces, et il pourrait, en fait, encourager les municipalités et leurs chambres de commerce ainsi que les communautés agricoles à nommer des immigrants dans le cadre du Programme des candidats des municipalités. J’exhorte le gouvernement à transformer les projets pilotes en de nouveaux volets.

Honorables sénateurs, alors que nous réfléchissons à notre histoire à la suite du discours merveilleusement émouvant du sénateur Ravalia, n’oublions pas que ce n’est pas uniquement la main-d’œuvre hautement qualifiée qui a bâti notre pays. C’est plutôt le contraire. Des agriculteurs d’Europe capables de se débrouiller par temps froid ont joué ce rôle. Ils sont arrivés au début du siècle dernier et ils ont travaillé fort. Leurs enfants aujourd’hui — tous ces Ukrainiens, ces Polonais, ces mennonites et ces Allemands qui réussissent — occupent des rôles de premier plan dans de nombreux secteurs de notre pays. Nous avions besoin de ces travailleurs à l’époque, et c’est encore le cas aujourd’hui. Reconnaissons que notre obsession pour les travailleurs hautement qualifiés en ce qui concerne les résidents permanents trahit une vision étroite et unidimensionnelle du marché du travail. Nous devons considérer le marché du travail dans son ensemble. C’est d’autant plus important que nous savons maintenant qu’il inclut des travailleurs essentiels. Le temps est peut-être aussi venu de changer de vocabulaire.

Comme je l’ai déjà fait remarquer, le vocabulaire façonne nos idées, influence notre imagination et définit les termes abstraits. Je trouve offensante la notion d’emplois hautement spécialisés et peu spécialisés. Tous les emplois ont de la valeur, et je recommanderais de profiter de cette crise pour adapter le vocabulaire à la nouvelle réalité.

Nous devrions plutôt parler d’emplois essentiels, qui comprendraient des professionnels de la santé, des camionneurs, des ingénieurs et des travailleurs agricoles. Ils incluraient à la fois des professionnels en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques et des travailleurs du secteur de l’hôtellerie. Cela nous permettrait de voir l’ensemble du marché du travail, plutôt qu’une seule partie, et d’enfin nous libérer de notre dépendance singulière envers les travailleurs qualifiés.

Le moment est venu d’agir, chers collègues. J’espère que vous m’appuierez. Merci.

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