La Loi sur le casier judiciaire
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
19 mars 2019
Propose que le projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence. Cette mesure législative renforcera la sécurité publique en éliminant les obstacles inutiles à l’intégration communautaire réussie des personnes ayant été tenues responsables de leurs actes, ayant purgé la totalité de leur peine et tentant de reprendre une vie normale.
Comme nous le savons, le système des casiers judiciaires est extrêmement contre-productif. En effet, de longues périodes d’attente, un processus coûteux de vérification et le risque qu’un casier suspendu depuis longtemps resurgisse ne renforcent pas la sécurité publique.
Entre 2010 et 2012, le Canada a adopté une approche sévère à l’égard de la réhabilitation. Les frais sont passés de 50 $ à 631 $, et les périodes d’attente sont passées de trois et cinq ans à cinq et 10 ans, respectivement. Les réhabilitations sont devenues des suspensions du casier, et les procédures de vérification les plus intrusives et complexes pour une suspension du casier durent actuellement entre 162 et 490 jours, alors qu’une période d’attente comparable pour une réhabilitation serait de 20 à 121 jours.
Ces changements n’ont pas amélioré la sécurité des Canadiens. En fait, le pourcentage de personnes qui répondent aux exigences rigoureuses en matière de bonne conduite après avoir obtenu un pardon ou une suspension du casier n’a pas changé : il s’établit toujours à un peu plus de 95 p. 100. Toutefois, ces changements ont entraîné une diminution de plus de 40 p. 100 du nombre annuel de demandes.
Les personnes reconnues coupables d’infractions criminelles sont plus susceptibles de ne pas récidiver si elles ont un endroit où vivre et si elles peuvent subvenir à leurs besoins et occuper leur temps à des activités utiles. En aggravant les conséquences liées à l’existence d’un casier judiciaire, l’État nuit à la capacité des personnes visées de tourner la page, de s’intégrer dans la société et de contribuer à celle-ci.
On dit parfois que, en scellant leur casier judiciaire, on aide les gens à trouver un emploi et un logement et à profiter des possibilités d’éducation et de bénévolat qui s’offrent à eux. Ce n’est toutefois pas une bonne façon de voir les choses. Lorsqu’un casier est scellé, l’État est censé arrêter de punir activement la personne visée et de nuire à ses efforts de réadaptation, de réparation et de réinsertion sociale.
À l’heure actuelle, quatre provinces et un territoire — le Yukon, la Colombie-Britannique, le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve — offrent une certaine forme de protection contre la discrimination fondée sur le fait que l’intéressé n’a pas obtenu un pardon ou une suspension de son casier. D’autres provinces et territoires ainsi que la Loi canadienne sur les droits de la personne protègent contre la discrimination fondée sur l’existence d’un casier judiciaire uniquement dans les cas où l’intéressé a obtenu un pardon ou une suspension de son casier.
Comme tout le monde n’a pas accès au processus actuel, des personnes qui ont déjà subi leur peine continuent d’être punies à l’infini. Elles peuvent se voir refuser l’accès à un logement, à un emploi, à des études et même à des activités bénévoles. Cette punition a aussi des retombées sur leur famille, en particulier sur leurs enfants, ainsi que sur leur collectivité. L’ancien ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a d’ailleurs déclaré que les modifications apportées en 2010 et en 2012, qui limitaient l’accès à la suspension du casier judiciaire, étaient vraiment stupides, justement parce qu’elles nuisaient à la sécurité publique.
Le projet de loi S-258 propose d’apporter trois modifications importantes à la Loi sur le casier judiciaire. Premièrement, il ferait en sorte que le casier judiciaire expire au lieu d’être suspendu, sauf dans les situations où il est nécessaire de procéder à une vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables. Les personnes qui ont déjà subi leur peine et s’efforcent de retrouver une vie normale ne devraient pas avoir, à tout jamais, une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Le régime de suspension de 2012 crée pourtant ce genre d’incertitude.
Deuxièmement, le projet de loi éliminerait le processus de demande actuel, un processus coûteux et bureaucratique. On reviendrait à des périodes d’attente semblables à celles qui existaient auparavant; après deux ans dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et après cinq ans pour une infraction punissable par mise en accusation, les condamnations viendraient à expiration, pourvu qu’il n’y ait pas de nouvelle condamnation ni de nouvelles accusations. Les casiers judiciaires seraient retirés de la base de données de la GRC sans que la personne concernée ait à présenter de demande ou que la Commission des libérations conditionnelles du Canada ait à se prononcer.
Troisièmement, grâce à la réduction de coûts découlant de la simplification du processus et de l’élimination de la bureaucratie inutile, il serait possible d’éliminer les frais exigés pour la présentation d’une demande.
Le projet de loi fait fond sur une série de récents travaux gouvernementaux et législatifs. Les répercussions discriminatoires du système actuel, surtout pour les pauvres, ont été reconnues dans des consultations publiques, des travaux de comités parlementaires, des décisions de la Commission des libérations conditionnelles et des déclarations ministérielles.
En janvier 2016, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a annoncé qu’il avait l’intention d’envisager des réformes en profondeur de la Loi sur le casier judiciaire et, surtout, des frais de demande de 631 $, qu’il juge punitifs.
Trois ans plus tard, une consultation publique menée par Sécurité publique Canada et une autre menée par la Commission des libérations conditionnelles du Canada ont montré que la grande majorité des gens estiment que les frais et le processus de demande coûteux actuels sont inacceptables. Le projet de loi C-66 visait à atténuer les lacunes du système de suspension de casier et à garantir l’efficacité du système pour les Canadiens dont la condamnation découle de la discrimination contre les membres de la communauté LGBTQ2S. Le Comité de la sécurité publique et nationale de l’autre endroit a publié un rapport qui reconnaît « que le casier judiciaire d’une personne a une incidence négative sur sa capacité de se trouver un emploi ou un logement, de suivre une formation, de voyager, et d’adopter des enfants ou d’en obtenir la garde ». Le comité exhorte lui aussi le gouvernement à passer en revue le processus de suspension de casier.
Plus récemment, deux projets de loi actuellement à l’étude à l’autre endroit ont proposé des mesures pour radier des condamnations ou pour mettre en place un processus accéléré et gratuit de suspension du casier judiciaire relativement aux condamnations pour possession simple de cannabis. C’est un bon début, mais, étant donné que de vastes consultations ont déjà été menées et que presque tout le monde s’entend pour dire que le système actuel est indéfendable, il est temps d’apporter des modifications législatives plus substantielles. Selon le projet de loi dont nous sommes saisis, on pourra immédiatement faire déclarer le casier expiré pour les condamnations liées à la possession simple de cannabis et à d’autres infractions décriminalisées. Cependant, les problèmes d’admissibilité à la suspension du casier ne se limitent pas aux condamnations liées au cannabis, et notre intervention législative ne devrait pas non plus s’y limiter.
L’attention qu’on a accordée ces dernières années au processus de suspension du casier témoigne de l’ampleur du problème. Par exemple, tout comme les limites imposées au processus de suspension du casier, les vérifications du casier judiciaire ont augmenté. La décision d’étiqueter les gens, de les cibler et de les traiter de façon discriminatoire à cause d’une condamnation antérieure est généralement présentée comme un faux compromis entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel, c’est-à-dire entre la sécurité publique et la réinsertion sociale.
Ces objectifs ne sont pas incompatibles. En fait, nous savons qu’ils vont de pair. Cependant, avec l’imposition de ce faux compromis, ce qui se voulait un moyen de tenir les dossiers policiers à jour, au début du XXe siècle, est devenu peu à peu une mesure de vérification à laquelle les policiers recourent au nom de l’intérêt de la collectivité, à la demande de certaines personnes, et qui est exigée par les employeurs, les organismes bénévoles, les établissements d’enseignement et même les locateurs.
Le recours plus fréquent à la vérification du casier judiciaire place en outre un fardeau disproportionné sur ceux qui sont déjà injustement stigmatisés. Ainsi, selon une étude réalisée aux États-Unis, la probabilité qu’une personne soit convoquée en entrevue diminue de 50 p. 100 dans le cas des candidats de race blanche qui ont dû révéler l’existence d’un casier judiciaire à un employeur éventuel. Or, chez les candidats de race noire, cette diminution est d’environ 65 p. 100, soit une incidence de 40 p. 100 supérieure.
Au Canada, le premier ministre a récemment reconnu ceci en ce qui a trait aux condamnations liées au cannabis :
Nous le savons parce que les jeunes, les minorités et les communautés racialisées sont représentés de façon disproportionnée. Ces derniers se retrouvent avec une condamnation au criminel pour possession simple et [les casiers] représentent un obstacle important de plus au succès sur le marché du travail.
Malheureusement, cette surreprésentation ne se limite pas aux condamnations pour possession de cannabis. Alors qu’ils comptent pour 2 p. 100 seulement de la population canadienne, les Noirs représentent 9 p. 100 des détenus des établissements fédéraux. Vingt-huit pour cent des détenus des établissements fédéraux et 40 p. 100 des femmes qui sont détenues dans les pénitenciers sont des Autochtones. On ne peut nier que les communautés racialisées souffrent de façon disproportionnée de la nature punitive du système de casier judiciaire actuel.
Honorables sénateurs, ce corpus de travaux gouvernementaux et législatifs montre clairement qu’il ne suffit plus de reconnaître simplement que nous avons un problème. Nous savons que les casiers judiciaires entravent considérablement les efforts de recherche d’emploi et de logement et d’inscription à des établissements scolaires après avoir purgé une peine. Nous savons qu’ils créent des obstacles à une réinsertion sociale réussie et qu’ils peuvent miner la sécurité publique plutôt que de l’améliorer. Nous savons que le processus de suspension des casiers judiciaires est très coûteux et complexe. Il est temps de modifier la loi.
Comme première mesure importante, le projet de loi S-258 prévoit la suppression de tous les dossiers qui ne sont pas nécessaires pour les vérifications dans les secteurs vulnérables. Avant les suspensions de casier, nous avions les pardons. Le mot « pardon » donnait naturellement l’impression qu’à moins que l’État ne condamne quelqu’un pour le reste de sa vie, il lui pardonnait ses actes. Dans certains cas, le pardon pour des actes répréhensibles passés peut être demandé ou accordé par les victimes ou la collectivité, mais il ne s’agit pas toujours d’une caractérisation appropriée du processus post-condamnation.
L’expiration des casiers judiciaires reflète le principe selon lequel lorsque nous, comme société, décidons de tenir quelqu’un responsable de ses actes répréhensibles, il y a une limite à la punition que nous pouvons infliger sans commettre une injustice. Elle reflète également les données empiriques démontrant qu’après plusieurs années sans avoir commis un acte criminel, les personnes ayant déjà été condamnées ne sont effectivement pas plus susceptibles que le reste de la population d’être condamnées pour une autre infraction. Un régime d’expiration des casiers n’est pas un régime de pardon. Il reflète simplement le principe selon lequel la punition doit prendre fin à un moment donné.
Autre élément du projet de loi S-258 : l’élimination des frais de demande de 631 $. La plupart des personnes font une demande d’expiration de casier judiciaire en vue d’obtenir un emploi. En plus des frais de demande, il faut aussi payer des centaines de dollars en frais connexes, pour les empreintes digitales et d’autres frais de recherche.
Beaucoup de criminels comptent parmi les gens les plus pauvres et les plus marginalisés de la société. Surtout après avoir purgé une peine de prison, beaucoup sont obligés de recourir à l’aide sociale, parce que leur casier judiciaire constitue un obstacle à l’obtention d’un emploi stable et légitime, à des études, à un logement et même à un travail bénévole. La plupart des gens qui vivent de l’aide sociale, du salaire minimum ou d’un autre revenu limité n’ont pas les moyens de payer des frais de demande de 631 $.
Les données de la Commission des libérations conditionnelles du Canada montrent clairement que ces frais représentent un obstacle. Lorsque les frais sont passés de 50 $ à 150 $, puis à 631 $ de 2010 à 2012, le nombre de demandes a diminué de 40 p. 100.
En 2012, le gouvernement a fait passer la hausse des frais comme une simple mesure de recouvrement de coûts. Des représentants de la Commission des libérations conditionnelles du Canada ont indiqué lors d’un récent témoignage que le programme de suspension des casiers judiciaires est le seul programme de Sécurité publique Canada qui adhère à une politique de recouvrement intégral des coûts. Par ailleurs, les représentants du ministère de la Sécurité publique reconnaissent que chaque dollar investi dans l’expiration des casiers judiciaires génère 2 $ de recettes pour le gouvernement lorsque la personne est en mesure de trouver un emploi et de payer de l’impôt sur le revenu.
En réalité, les frais de demande constituent une sanction supplémentaire, et c’est de cette façon que les Canadiens les perçoivent. Quand le gouvernement précédent a été forcé de consulter les Canadiens avant d’augmenter ces frais, moins de 1 p. 100 des personnes consultées croyaient qu’une telle hausse était acceptable.
Lors d’une autre consultation en 2016, menée cette fois-ci par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, quatre Canadiens sur cinq ont affirmé que ces frais représentent un obstacle de taille pour les personnes cherchant à faire suspendre leur casier, et plus que trois sur cinq ont décrit les frais et le processus de demande long et stressant comme des sanctions supplémentaires. En tout, 96 p. 100 des Canadiens craignaient à juste titre que les frais exorbitants créent un cercle vicieux, à savoir que les gens n’aient pas d’emplois et ne soient pas en mesure d’assumer ces frais, puis qu’ils ne puissent pas trouver d’emploi parce que la suspension de leur casier judiciaire coûte trop cher.
En rendant le processus plus lourd et envahissant, les modifications apportées à la Loi sur le casier judiciaire en 2010 et en 2012 ont plus que triplé les coûts administratifs associés à chaque suspension du casier, mais n’ont rien fait pour améliorer les taux de réussite — déjà élevés — de la réinsertion sociale des personnes ayant obtenu la réhabilitation. Elles n’ont fait qu’empêcher un plus grand nombre de personnes de présenter des demandes. Le projet de loi à l’étude remplace ce processus coûteux par un système simplifié qui est plus efficient et efficace. Il permettra ainsi d’éliminer les tracasseries administratives et les frais, non pas en subventionnant cette dépense, mais en l’éliminant.
La troisième mesure clé du projet de loi élimine l’obligation de présenter une demande et permet aux casiers d’expirer à la fin d’une période déterminée si le demandeur n’a pas eu de condamnation subséquente et ne fait l’objet d’aucune accusation. Actuellement, toutes les condamnations au Canada entraînent un casier judiciaire à vie. Les tribunaux ont reconnu que les casiers judiciaires constituent une punition et qu’en l’absence d’une procédure d’expiration accessible, ils constituent trop souvent une punition inutile et insensée dont les conséquences sont ressenties à vie.
On présume souvent à tort qu’il est nécessaire que le casier judiciaire dure toute la vie. Cependant, il y a seulement quelques décennies, l’ensemble des partis du Canada ont convenu qu’il fallait, à un moment donné, mettre fin à la punition sans que la personne concernée ait à payer trop cher.
En 1970, l’honorable Robert McCleave, porte-parole conservateur pour les dossiers relevant du solliciteur général, a offert l’appui unanime de son parti à la procédure de pardon gratuite et relativement comparissante instaurée à l’origine à la suite de l’adoption de la Loi sur le casier judiciaire. Il a dit :
[Il est] important que des gens ne soient pas punis financièrement à cause d’une infraction pour laquelle ils ont purgé leur peine ou ont payé leur dette à la société. Ils ne devraient pas avoir mauvaise réputation le reste de leur vie.
En 2017, des consultations publiques ont montré que les Canadiens ne se sont pas dissociés du consensus qui valorise l’esprit humanitaire, l’équité et le gros bon sens. Plus de quatre Canadiens sur cinq appuient une certaine forme d’expiration du casier judiciaire, c’est-à-dire l’expiration automatique d’un casier, sans qu’on doive présenter une demande. Trois Canadiens sur quatre pensaient que la période d’attente actuelle de cinq ans pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité était trop longue. Presque autant de personnes pensaient la même chose au sujet de la période d’attente de 10 ans pour les infractions punissables par mise en accusation, disant qu’elle devrait durer entre une et cinq années.
En décembre dernier, le Comité de la sécurité publique de la Chambre des communes s’est penché sur la suspension des casiers judiciaires et a conclu que le gouvernement doit « examiner les droits [...] pour la suspension du casier […] examine[r] la complexité du processus de suspension du casier […] songe[r] à mettre en place d’autres mesures pour appuyer les demandeurs tout au long du processus et ainsi le rendre accessible […] envisage[r] de se doter d’un mécanisme permettant de rendre automatique la suspension du casier ».
Ce désir d’envisager l’expiration des casiers uniquement en fonction du temps écoulé est entièrement justifié par des données empiriques. Les facteurs les plus susceptibles de favoriser une réintégration sociale réussie n’exigent tout simplement pas la soumission d’une demande et l’examen par la Commission des libérations conditionnelles du Canada. En fait, ils sont minés par les restrictions à l’expiration du casier.
La recherche sur la renonciation montre que, après quelques années sans avoir commis de crimes, les condamnés ne risquent pas davantage d’être condamnés de nouveau que les personnes qui n’ont jamais commis de crime. Au cours des 15 dernières années, plus de 95 p. 100 des personnes qui ont obtenu un pardon ou une suspension de leur casier n’ont pas commis d’autres crimes. Ce n’est pas seulement une reconnaissance évidente de la valeur d’un départ à neuf pour favoriser une intégration communautaire sûre et réussie et une contribution de la personne dans sa collectivité, c’est aussi un reflet de la recherche qui indique que le taux de réussite des pardons et des suspensions de casier ne repose pas sur des critères d’examen sévères, des frais exorbitants et de longues périodes d’attente. C’est plutôt ce à quoi on peut s’attendre après de nombreuses années suivant la condamnation et l’expiration de la peine. Lorsqu’une personne ne représente pas plus un risque pour la société que ses concitoyens et lorsqu’elle a déjà purgé la peine que le tribunal lui a imposée pour la responsabiliser, rien ne justifie qu’elle continue de porter le fardeau d’un casier judiciaire et qu’on l’empêche de demander qu’on la libère de ce fardeau.
Les criminologues conviennent que le fait de sceller un casier judiciaire réduit le risque de condamnations futures, notamment en améliorant l’accès aux possibilités d’emploi. Les données empiriques indiquent fortement que trouver un emploi peut réduire de manière considérable le risque de criminalisation future. Dans le cadre d’une étude américaine, auquel participait un échantillon aléatoire de 401 personnes qui avaient été libérées de prison, celles qui avaient réussi à trouver un emploi étaient pratiquement deux fois moins susceptibles d’être arrêtées de nouveau. Un suivi sur cinq ans auprès de plus de 6 000 personnes a révélé que l’emploi était le facteur le plus déterminant quant à l’intégration réussie dans la collectivité, quelle que soit l’infraction ayant mené à la criminalisation et à l’incarcération. La même étude a également confirmé que la probabilité de récidive diminue beaucoup au fil des ans. Cela ne devrait étonner personne compte tenu de l’importance de l’emploi pour permettre aux gens de se trouver une place dans la société, notamment en donnant du sens à leur vie, en validant leurs contributions et en leur permettant de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.
Ce projet de loi rétablit l’admissibilité tout en conservant le mécanisme de vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, qui permet de déceler les casiers judiciaires expirés lorsqu’une personne postule pour un emploi en vue de travailler avec des enfants ou d’autres personnes vulnérables. Il convient de noter, toutefois, qu’en raison du faible taux de signalement de la violence faite aux femmes et aux enfants, les spécialistes ne croient pas que la vérification des antécédents soit un moyen efficace de protéger les enfants.
Dans la plupart des systèmes juridiques comparables à celui du Canada, le poids associé à un casier judiciaire peut disparaître lorsqu’une personne ne commet aucun crime pendant un certain nombre d’années. Le Canada prévoit déjà des mécanismes d’expiration de casiers sans demande dans les cas d’absolution inconditionnelle et sous conditions et pour les dossiers d’adolescents. Cela dit, il traîne loin derrière en ce qui concerne les dossiers d’adultes.
Parmi les pays de common law qui sont les plus souvent comparés au Canada, seuls les États-Unis n’offrent pas une quelconque forme de mise sous scellé des dossiers sans demande. Le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande le permettent. L’expiration des casiers après un certain nombre d’années est également la norme en Europe. Cette façon de procéder s’est révélée sécuritaire et efficace.
Les États-Unis, le pays qui a le plus recours à l’emprisonnement dans le monde, ne sont pas un exemple à suivre pour le Canada en ce qui concerne les politiques de justice pénale. Pensons à l’expérience récente du Canada par rapport au projet de loi C-66, qui porte sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques contre les collectivités LGBTQ2S. Nous avons mieux compris que les processus fondés sur les demandes sont trop souvent insuffisants pour gérer les casiers. Depuis octobre 2018, malgré le fait que le processus de demande sans frais du projet de loi C-66 soit infiniment plus accessible que le processus de suspension de casier standard, seulement sept personnes s’en sont prévalues. On a estimé qu’il y avait 9 000 dossiers du genre; seulement deux ont été radiés. Pourquoi ces dossiers ne sont-ils pas tout simplement supprimés? Pourquoi ajouter aux affronts et aux injustices du passé la nécessité, même pour les personnes condamnées à tort, de présenter une demande de radiation de leur dossier? Le projet de loi à l’étude permettrait également de rectifier la situation des personnes dont le casier judiciaire aurait dû être éliminé par l’adoption du projet de loi C-66 et de leur fournir un recours.
Dans le cas des casiers judiciaires concernant la simple possession de cannabis, il offrirait une meilleure solution que ne le fait actuellement le projet de loi C-93. En effet, les casiers judiciaires qui concernent des infractions décriminalisées pourraient expirer au lieu d’être suspendus, et ce, sans qu’aucune demande ne soit nécessaire et sans que la Commission des libérations conditionnelles ait à composer avec le coût et la complexité associés à la gestion de quatre — j’ai bien dit quatre — processus de demande d’examen : les demandes de réhabilitation associées à l’époque précédant la suspension; les demandes de suspension du casier; les demandes de radiation de condamnations en vertu du projet de loi C-66; et maintenant, avec le projet de loi C-93, les demandes de suspension de casier pour la possession simple de cannabis.
Le fardeau que nous faisons longuement porter aux personnes qui ont déjà purgé leur peine n’est pas une dimension incontournable des condamnations : il s’agit plutôt d’un choix de politique, que rejettent d’ailleurs de plus en plus d’administrations. Le Canada choisit actuellement d’imposer le fardeau d’un casier judiciaire à des personnes qui n’ont pas commis de crime depuis des années et qui ne sont pas plus susceptibles que d’autres d’être reconnues coupables d’un crime.
Cette décision est non seulement une perte de temps et d’argent, mais elle est aussi fondamentalement injuste. La majorité des personnes incarcérées dans les établissements fédéraux sont des parents. Lorsque leur casier judiciaire les empêche de subvenir aux besoins de leur famille, entre autres, les enfants en paient le prix de manière disproportionnée. Pour ne citer qu’un exemple, une femme du nom d’Alia a été condamnée à cinq ans de prison alors qu’elle n’avait que 19 ans. Elle a été emprisonnée pour des délits liés à la drogue, qu’elle a commis parce qu’elle était pauvre et devait subvenir aux besoins de son jeune fils.
Elle a maintenant 30 ans et son fils cadet, né après sa sortie de prison, la supplie de faire du bénévolat à son école. En décembre, c’était pour construire des maisons en pain d’épices. Elle ne peut même pas faire de bénévolat pour soutenir les équipes scolaires de son fils. Elle ne peut pas faire de bénévolat pour l’aider avec ses besoins spéciaux. Même si elle va régulièrement dans les écoles pour parler de son passé et ainsi empêcher des jeunes de commettre des crimes, son casier judiciaire l’empêche de faire du bénévolat dans la classe de son fils. Elle vit avec son fils dans un appartement qui n’a pas d’eau en été. Les annonces pour d’autres logements exigent une vérification de son casier judiciaire.
C’est insensé du point de vue économique de punir les gens en les empêchant indéfiniment de participer à l’économie, d’autant plus qu’il est prouvé que les gens qui ont des casiers judiciaires sont d’excellents employés lorsqu’on leur donne la possibilité de travailler. Dans bon nombre de cas, ils choisissent de démarrer leur propre entreprise, sachant qu’un casier judiciaire représente un obstacle au moment de postuler un emploi. Ils créent finalement des emplois dont on a grandement besoin dans leur collectivité.
C’était le cas d’un homme à Calgary qui avait transformé sa vie après avoir plaidé coupable à une accusation ayant trait aux armes, il y a 10 ans. Depuis, il a ouvert un café dans un quartier branché de Calgary qui a beaucoup de succès, mais il craint d’avoir à fermer ses portes parce que tous ses concurrents obtiennent des licences pour débit de boisson, ce qu’il ne peut pas faire en raison de son casier.
Parmi les personnes touchées par le projet de loi sur le casier judiciaire, il y a des mères qui travaillent pour subvenir aux besoins de leurs enfants et des propriétaires de petites entreprises qui luttent en dépit des circonstances pour améliorer leur sort. Ils continuent d’être punis et doivent payer les frais d’une politique de justice pénale qui tient tellement à « sévir contre le crime » qu’elle fait fi des données empiriques sur ce qui est réellement bon pour les collectivités.
Non seulement c’est improductif de stigmatiser les gens pour la vie, mais cela va à l’encontre des grandes valeurs canadiennes. La Cour suprême du Canada a dit en termes sans équivoque que :
Le droit à l’emploi et à la réinsertion dans le marché du travail des personnes condamnées sont des valeurs importantes dans notre société [...]. Les individus qui ont acquitté leur dette envers la société ont droit de la réintégrer et d’y vivre sans courir le risque d’être dévalorisés et injustement stigmatisés.
Nous avons tous, à un moment donné, fait quelque chose que nous savions inacceptable et que nous regrettons, mais aucun d’entre nous n’a été à jamais défini par les mauvaises choses que nous avons faites. Ceux d’entre nous qui n’ont pas de casiers judiciaires vivent sans avoir à supporter le fardeau et la stigmatisation liés au fait qu’ils doivent être mentionnés dans les entretiens d’embauche ainsi que dans les demandes d’inscription scolaire et de logement et au fait que c’est l’une des premières choses qu’apprennent nos voisins, nos employeurs, nos collègues et nos amis potentiels à notre sujet.
Il est fondamentalement injuste de continuer à punir et à stigmatiser sans aucune raison les personnes qui ont depuis longtemps répondu de leurs actes et qui ont purgé leur peine. La sécurité publique est renforcée lorsqu’on permet à ces gens de trouver un emploi et un logement stables, et de faire du bénévolat ou de contribuer autrement à la société en tant que membres estimés.
Honorables collègues, travaillons ensemble pour apporter les changements au système des casiers judiciaires au Canada qui sont attendus depuis longtemps et fondés sur les faits. J’espère que vous appuierez le projet de loi. Merci.