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Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Deuxième lecture--Suite du débat

19 mars 2019


Honorables sénateurs, dans cette enceinte qui se trouve sur les terres ancestrales des Algonquins anishinabes, qui n’ont été ni cédées ni abandonnées par ce peuple, je prends la parole pour ajouter ma voix à celles des sénateurs de plus en plus nombreux qui expriment leur appui au projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le projet de loi est d’une importance fondamentale. Je remercie les nombreuses personnes qui ont communiqué avec nous ainsi que celles qui ont pris la parole au sujet de la mesure législative. J’appuie sans réserve le renvoi du projet de loi au comité. Cela dit, j’encourage d’autres sénateurs à participer au débat, possiblement après l’étude du comité, à l’étape de la troisième lecture.

Honorables sénateurs, l’Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé à l’unanimité cette déclaration à 10 reprises. De plus, le projet de loi est appuyé par de plus en plus de personnes, de différents horizons, au Canada. Il est bien accueilli par les groupes autochtones et la société civile, ainsi que par les membres du grand public.

Le débat au Sénat sur le projet de loi C-262 a permis de mettre en lumière certains aspects problématiques pour certains de mes collègues. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause inquiète particulièrement certains honorables sénateurs. À mon avis, il faut à plus forte raison renvoyer le projet de loi au comité sans délai. Nous pourrons ainsi entendre l’avis des juristes sur ces préoccupations.

Honorables sénateurs, nous savons que le gouvernement canadien a exprimé son appui à la Déclaration des Nations Unies, mais il n’existe toujours pas de cadre législatif pour qu’elle soit mise en œuvre et qu’un examen soit fait rapidement. Le projet de loi C-262 prévoit les deux.

La mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies est d’une importance capitale puisqu’elle reconnaît le droit inhérent des peuples autochtones à leur culture, leur identité, leurs croyances spirituelles, leur langue, leurs communautés ainsi que la santé et l’éducation. Elle constitue aussi un pas important vers la réconciliation avec les peuples autochtones pour un pays qui a trop souvent cherché à nier ces droits.

Cette déclaration revêt une importance particulière pour les femmes autochtones. Outre l’article 2, qui réaffirme le droit des peuples autochtones d’être à l’abri de toute forme de discrimination, l’article 44 garantit spécifiquement l’égalité des droits aux femmes et aux hommes autochtones, et l’article 22.2 prévoit que les États, conjointement avec les peuples autochtones, veillent à ce que « les femmes et enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination ».

Lors de notre étude du projet de loi S-3 et de la motion du sénateur Dyck le mois dernier, nous avons discuté de la façon dont les politiques racistes et coloniales ont favorisé l’assimilation des peuples autochtones, plus particulièrement en marginalisant et en dénigrant les femmes et les enfants autochtones. Tout au long de l’histoire du Canada, ces politiques ont englobé les pensionnats indiens, les pratiques en vigueur de protection de l’enfance qui consistent à retirer les enfants autochtones de leur famille, les stérilisations forcées et la discrimination fondée sur le sexe contre les femmes et leurs descendants dans la Loi sur les Indiens.

On nous a dit que les femmes qui perdaient leur « statut d’Indiennes » après s’être mariées à un non-Indien perdaient également leur place au sein de leur famille et de leur communauté — un élément essentiel de leur identité —, ce qui contribuait au dénigrement des générations suivantes. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations Unies et la Commission interaméricaine des droits de l’homme ont tous les deux indiqué récemment que la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens était une des causes fondamentales du niveau élevé d’actes de violence commis contre les femmes autochtones au Canada, y compris la crise des femmes et filles autochtones disparues ou assassinées.

Cette même marginalisation a trop souvent transformé en criminelles des femmes qui devaient vivre dans la pauvreté ou en ayant été victimes de violence ou d’abus.

Honorables collègues, ensemble, nous avons proposé des amendements au projet de loi S-3 afin d’éliminer une fois pour toutes cette forme de discrimination fondée sur le sexe de la Loi sur les Indiens. Nous attendons toujours que le gouvernement applique ces dispositions.

Le 14 janvier, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a déterminé que l’incapacité du Canada à appliquer ces dispositions va à l’encontre des obligations internationales du pays en matière de droits de la personne et représente une discrimination envers les femmes autochtones et leur descendance. Honorables sénateurs, en réponse à cette décision, le mois dernier, nous avons appuyé à l’unanimité la motion de la sénatrice Dyck visant à exhorter de nouveau le gouvernement à faire appliquer toutes les dispositions du projet de loi S-3.

Comme le sénateur Harder l’a souligné dans son discours sur ce projet de loi, les efforts du Sénat pour éliminer la discrimination fondée sur le sexe de la Loi sur les Indiens, dans le cadre du projet de loi S-3, sont étroitement liés aux objectifs énoncés dans la déclaration des Nations Unies. L’article 44 de cette déclaration dit expressément que les droits doivent être garantis de la même façon à tous les Autochtones, hommes et femmes. Pour adhérer à la Déclaration des Nations Unies, il faut appliquer toutes les dispositions du projet de loi S-3.

Le projet de loi C-262 représente non seulement une façon de concrétiser notre objectif de faire appliquer toutes les dispositions du projet de loi S-3, mais aussi de faire fond sur une foule de travaux de nature plus générale que cette Chambre a menés afin de promouvoir l’égalité et la justice pour les peuples autochtones. Honorables sénateurs, unissons de nouveau nos efforts pour veiller à ce que le projet de loi C-262 remplisse l’engagement à appliquer la Déclaration des Nations Unies.

Merci.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

Honorables sénateurs, je souhaite également prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-262, qui vise à confirmer l’harmonisation des lois fédérales avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et j’en profite pour remercier le parrain du projet de loi, le sénateur Sinclair.

La mise en œuvre de la déclaration envoie un message important sur les plans international et national. Sur le plan international, ce message est important, car il montre au monde entier que le Canada est sérieux en ce qui a trait à ses obligations vis-à-vis des droits des peuples autochtones. En effet, plusieurs fois à l’ONU, le premier ministre et la ministre Bennett ont promis au monde entier que le Canada s’engageait complètement à l’égard de la Déclaration. De plus, l’Assemblée générale de l’ONU a réaffirmé son appui à cette déclaration à 10 reprises.

À l’échelle nationale, la mise en œuvre de la déclaration constitue une mesure essentielle à la réconciliation. Les appels à l’action 43 et 44 de la Commission de vérité et réconciliation indiquent que l’adoption et la mise en œuvre complètes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sont nécessaires dans le cadre de la réconciliation.

La mise en œuvre de la déclaration renforcera les droits des Autochtones dans le cadre de la réconciliation et elle garantira que ces derniers seront respectés et non seulement reconnus. En effet, trop souvent, les paroles de reconnaissance des droits n’en garantissent pas le respect.

En plus de montrer l’engagement du Parlement à l’égard de la réconciliation, ce projet de loi fournit aussi aux Canadiens, particulièrement aux Canadiens autochtones, un nouveau mécanisme pour demander des comptes aux gouvernements. Comme nous l’avons constaté dans les récentes conclusions du Comité des droits de l’homme de l’ONU, défavorables au Canada, relativement à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, des mécanismes internationaux de défense des droits de la personne ont été utilisés avec succès pour demander des comptes au gouvernement du Canada pour les promesses qu’il avait faites, mais qu’il n’avait pas encore tenues.

Les droits de la personne font partie intégrante de l’État de droit moderne. Le Canada est depuis longtemps un fer de lance mondial des droits de la personne. Toutefois, il a une tradition encore plus longue de violence, de racisme et de sexisme contre les Autochtones du pays, qui s’inscrit dans ce que j’appelle l’État de droit colonial. La mise en œuvre de la déclaration nous offre la chance de concilier enfin ces deux réalités.

Bien entendu, concilier ces deux réalités ne se fera pas sans difficulté. Toutefois, comme l’a mentionné l’Association des femmes autochtones du Canada :

Le fait que ces processus soient parfois pénibles, accusatoires et coûteux n’est pas une excuse pour faire fi des impératifs de la justice et des droits de la personne.

Nous devons être prêts à adopter une approche nouvelle, inclusive et fondée sur l’égalité à l’égard de la relation entre le Parlement et les peuples autochtones. Cela signifie qu’il faut mettre un terme au paternalisme qui façonne notre relation avec les peuples autochtones et collaborer avec ceux-ci en tant que partenaires.

Ce faisant, il faut reconnaître que les lois canadiennes — y compris les traités, les accords tripartites et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — ont été élaborées dans le contexte du colonialisme. Or, dans la décision qu’elle a rendue en 2014 dans l’affaire Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

La Charte constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, et la protection des droits ancestraux constitue la partie II. Les parties I et II sont apparentées et limitent toutes deux l’exercice des pouvoirs gouvernementaux, qu’ils soient fédéraux ou provinciaux. Les droits garantis à la partie II, tout comme les droits garantis par la Charte à la partie I, sont opposables au gouvernement — ils ont pour effet d’interdire certains types de réglementation que les gouvernements pourraient autrement imposer.

Depuis 1982, la Charte nous offre une nouvelle compréhension de ce que veut dire pour les Canadiens la pleine jouissance de leurs droits. Ce n’est toutefois pas le cas pour les Autochtones, dont les droits garantis par la Charte n’ont pas toujours été harmonisés avec leurs droits garantis par la Constitution. La sénatrice Pate a expliqué en détail ce que cette situation implique pour les femmes autochtones au pays.

Grâce à la mise en œuvre de la déclaration, les Autochtones jouiront finalement des droits qui leur sont garantis par la Charte à titre de Canadiens et de leurs droits constitutionnels à titre d’Autochtones.

J’aimerais répondre à la préoccupation liée au droit de veto que constitue le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Récemment, en décembre 2018, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution sur les droits des peuples autochtones qui reconnaît l’importance du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui est énoncé dans la déclaration de l’ONU. Cependant, à ce jour, aucun organe des Nations Unies créé par traité n’a discuté d’un droit de veto dans le contexte du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Honorables sénateurs, la mise en œuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones est une question de justice longtemps refusée. C’est la juste mesure à prendre pour les milliers d’enfants autochtones en famille d’accueil. C’est la juste mesure à prendre pour les jeunes autochtones aux prises avec des problèmes de santé mentale. C’est la juste mesure à prendre pour les sept jeunes de Thunder Bay que nous avons perdus, comme l’a indiqué le sénateur Sinclair dans le rapport sur la situation actuelle dans la région. C’est la juste mesure à prendre pour les milliers de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées au Canada.

Surtout, le projet de loi porte sur les droits de la personne et la justice. Comme l’a dit à la Chambre le député Romeo Saganash, le principal rédacteur et parrain du projet de loi :

Je tiens à rappeler à mes collègues que le projet de loi C-262 ne crée pas de nouvelles lois ou de nouveaux droits. Il s’agit de droits fondamentaux qui existent déjà. Ils sont inhérents. Ils existent parce que les peuples autochtones existent.

À titre d’avocate, de parlementaire et d’alliée des Autochtones, je reconnais qu’il nous reste beaucoup de travail à faire pour rectifier la situation et rendre justice aux Canadiens autochtones. Toutefois, nous ne devons jamais oublier le fait que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne demande pas que nous fassions l’impossible. Elle nous demande simplement d’enfin faire ce qui s’impose, de faire ce qui est juste, en traitant les Autochtones du Canada avec le respect, avec l’honneur et avec la dignité qu’ils méritent, ce que les colons, y compris mes ancêtres, ont refusé de faire pendant des décennies.

Merci, meegwetch.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-262, une mesure législative visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Bien que ce projet de loi soit nécessaire dans notre climat et notre réalité actuels, la question à laquelle nous devons réfléchir est la suivante : puisque les Nations Unies ont proclamé la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, qu’est-il advenu d’un sous-ensemble complet de la population du Canada — et du monde — pour que nous ayons besoin d’une deuxième déclaration du genre?

Chers collègues, selon la Commission canadienne des droits de la personne, les droits de la personne sont protégés par les lois fédérales, provinciales et territoriales. Les pays reconnaissent des droits de la personne pour assurer une reddition de comptes individuelle et gouvernementale si ces droits ne sont pas respectés. Les lois canadiennes à cet égard découlent de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, laquelle fournit une liste de 30 articles décrivant chacun des droits universels de la personne au Canada. Les droits de la personne ne s’acquièrent pas; ils sont innés. Ils sont les mêmes pour tous — nul ne peut nous les conférer —, mais les droits de la personne peuvent être niés, et cela s’est produit au Canada. Comment composer avec mon passé, où, comme d’autres Autochtones, j’ai été trompée, déshumanisée et entravée par la loi? Comment puis-je récupérer les droits fondamentaux qui m’ont été enlevés dans mon propre pays?

Honorables sénateurs, la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 fait partie de la Constitution du Canada et protège le droit de tous les Canadiens d’être traités également devant la loi. Pourtant, il aura fallu attendre deux ans et soulever la question auprès d’instances étrangères, dont les Nations Unies et le Parlement britannique, pour que le gouvernement canadien accepte enfin d’inclure les droits des autochtones dans la Constitution. Cette inclusion dans la Constitution empêche le gouvernement de léser les droits des Autochtones, puisque les droits de la personne entrent en ligne de compte.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle reconnaît les droits des Autochtones, mais elle ne les crée pas. Ainsi, les droits des Autochtones existaient avant l’article 35, mais comme ces droits ne sont pas définis, la seule façon de les faire valoir est d’intenter des poursuites judiciaires. Or, les poursuites mènent rarement à la réconciliation.

Entre-temps, on a consacré beaucoup d’efforts et de ressources à l’assimilation des Premières Nations. L’Acte pour encourager la civilisation graduelle de 1857 visait l’élimination du système des tribus. L’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle de 1869 accordait un contrôle sur les Indiens inscrits et a introduit les restrictions relatives au statut fondées sur le sexe. Ces deux lois ont été combinées en une seule, soit la Loi sur les Indiens de 1867. Le livre blanc de 1969 fut une autre tentative d’assimilation et de génocide. Je le répète, il aura fallu deux ans et un auditoire international pour qu’on accepte d’inclure les droits des Autochtones dans la Constitution.

Honorables sénateurs, les violations des droits de la personne n’ont pas cessé après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, même si des progrès ont été réalisés à l’échelle internationale. Des libertés ont été acquises, des violations ont été empêchées, et l’indépendance et l’autonomie se sont répandues. Beaucoup de gens ont maintenant un accès équitable à l’éducation, aux débouchés économiques, à des ressources adéquates et aux soins de la santé. Ils ont obtenu justice pour réparer des torts. Ils ont obtenu la protection nationale et internationale de leurs droits grâce à la structure robuste du système juridique international des droits de la personne. Or, au Canada, les peuples autochtones luttent toujours pour se libérer de l’oppression, créer des débouchés économiques sur leurs territoires et accéder à l’autodétermination.

Le Canada est un cas unique. C’est le seul pays au monde à avoir une loi sur les Indiens. La Loi sur les Indiens a été instaurée en 1876 dans le but de régenter tous les aspects de la vie des Autochtones : le statut d’Indien, le territoire, les ressources, les testaments, l’éducation, l’administration des bandes, le système des réserves, qui sont en fait des prisons à aire ouverte, et un système de droit de passage lancé en 1885 qui a duré 60 ans et qui constituait une forme de ségrégation que les représentants du gouvernement savaient contraire aux traités. La Loi sur les Indiens interdisait aux Autochtones d’exprimer leur identité au moyen de la culture et de la gouvernance. Elle interdisait aussi la tenue de cérémonies spirituelles. Par cette loi, le gouvernement faisait des Indiens des pupilles de l’État, ce qui fait que les Indiens de tous âges étaient considérés comme des enfants. Les 11 traités numérotés ont été négociés de 1871 à 1921. Concrètement, la Loi sur les Indiens a été conçue de manière à contredire la majorité des traités avant même qu’ils n’aient été négociés. Comment une démocratie libérale peut-elle légiférer pour suspendre les droits de la personne et le droit au consentement d’un groupe entier de la population?

Chers collègues, lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée en 1977, l’article 67 empêchait les membres des Premières Nations de déposer une plainte officielle quant au caractère contraire aux droits de la personne de la Loi sur les Indiens. Certains ont par la suite parlé d’un manque d’égard flagrant pour les droits de la personne. La législation canadienne en matière de droits de la personne ne s’appliquait tout simplement pas à la Loi sur les Indiens, ce qui implique nécessairement une indifférence du gouvernement canadien face à une violation grave des droits de la personne.

En mai 2008, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité le projet de loi C-21 afin d’abroger cet article de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Honorables sénateurs, on parle souvent de la primauté du droit au Canada, mais celle-ci n’a jamais été mise en application de manière équitable envers les Autochtones. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs entre la loi et la politique, car la majorité des problèmes que nous, les Autochtones, continuons d’éprouver sont causés par des questions d’ordre politique. Selon l’ONU, la primauté du droit concorde avec les normes en matière de droits de la personne. Le Canada a-t-il simplement mis la primauté du droit de côté en ce qui concerne les Autochtones?

Dans The Mobilization of Shame, le père Robert Drinan, un jésuite, a écrit à la page 4 que l’article 55 :

[...] indique que les Nations Unies souhaitent créer « les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales » [...] Celles-ci sont fondées, selon la Charte, « sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. »

Il ajoute :

Il s’agit essentiellement d’un engagement de la part des pays riches à créer un système économique qui apporterait des « conditions de stabilité et de bien-être » à tous les pays.

Les Premières Nations du Canada aspirent depuis longtemps à la stabilité économique, mais les choses ont très peu progressé, malgré l’article 35. Les Premières Nations ont été frustrées de leurs droits économiques à cause de chicanes de compétences et de lois qui, à mes yeux, ont plus à voir avec les principes du capitalisme qu’avec ceux de la saine gouvernance. On a longtemps eu l’impression qu’au Canada, même si le droit international garantit les droits juridiques et politiques de tous, comme la vie, la sécurité et la liberté, les droits économiques — dont font partie le droit à un salaire minimum vital et à un régime d’assurance-maladie — sont dans une catégorie à part.

Voici ce qu’on peut lire à la page 33 de l’ouvrage Oppression: A Social Determinant of Health, d’Elizabeth McGibbon :

Au début, quand il est passé dans l’usage, le concept de vulnérabilité fonctionnait très bien, parce qu’il nous permettait de nommer les personnes les plus durement opprimées, donc d’essayer de rendre les politiques publiques plus justes. Or, il ne s’est pas avéré aussi efficace qu’on l’avait d’abord cru pour améliorer les souffrances physiques, spirituelles et psychologiques découlant des injustices, parce qu’il renforce l’idée d’une force nébuleuse capable de détériorer la santé d’une personne. Il est au contraire temps de changer notre façon de penser et de nommer explicitement les causes des problèmes de santé, comme la colonisation, la recolonisation, le postcolonialisme, le néolibéralisme économique et la marchandisation des soins de santé, pour ne donner que quelques exemples.

En 1845, Friedrich Engels a décrit le phénomène du meurtre social — qui est toujours pertinent au pays aujourd’hui — comme suit :

Lorsqu’un individu cause à autrui un préjudice tel qu’il entraîne la mort, nous appelons cela un homicide; si l’auteur sait à l’avance que son geste entraînera la mort, nous appelons son acte un meurtre. Mais lorsque la société met des centaines de prolétaires dans une situation telle qu’ils sont nécessairement exposés à une mort prématurée et anormale, à une mort aussi violente que la mort par l’épée ou par balle; lorsqu’elle ôte à des milliers d’êtres les moyens d’existence indispensables, leur imposant d’autres conditions de vie, telles qu’il leur est impossible de subsister, lorsqu’elle les contraint par le bras puissant de la loi, à demeurer dans cette situation jusqu’à ce que mort s’ensuive...

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, sénatrice, mais je dois vous interrompre.

Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil à moins qu’il soit entendu que nous ne tiendrons pas compte de l’heure. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

Son Honneur le Président [ + ]

J’ai entendu un « non ». Honorables sénateurs, cela signifie que la séance est suspendue jusqu’à 20 heures.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous pouvez utiliser le reste de votre temps de parole sur le projet de loi C-262, sénatrice McCallum.

La sénatrice McCallum [ + ]

Merci, Votre Honneur.

[…] lorsqu’elle sait […] que ces milliers d’êtres seront victimes de ces conditions d’existence, et que cependant elle les laisse subsister, alors c’est bien un meurtre, tout pareil à celui commis par un individu, si ce n’est qu’il est ici plus dissimulé, plus perfide, un meurtre contre lequel personne ne peut se défendre, qui ne ressemble pas à un meurtre parce qu’on ne voit pas le meurtrier, parce que le meurtrier c’est tout le monde et personne, parce que la mort de la victime semble naturelle, et que c’est pécher moins par action que par omission. Mais ce n’en est pas moins un meurtre.

Honorables sénateurs, Johan Galtung définit la violence comme « […] toute forme de contrainte pesant sur le potentiel d’un individu du fait des structures politiques et économiques ».

La violence structurelle se manifeste dans un accès inégalitaire aux ressources, au pouvoir politique, à l’éducation, à la santé ou à la justice. La violence structurelle survient lorsque la dévastation que cause l’extraction des ressources n’est pas reconnue ou traitée en laissant les substances toxiques diminuer la qualité de vie ou causer la mort d’Autochtones qui vivent à proximité, ainsi que la dévastation des terres, de l’eau, de l’air et des animaux.

Le préambule de la Déclaration des droits de l’homme affirme :

Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.

C’est là le paradoxe : comment les peuples autochtones peuvent-ils être protégés par une primauté du droit qui les opprime?

Honorables sénateurs, je vous demande d’appuyer le projet de loi C-262 non seulement parce qu’il s’agit de la bonne chose à faire et que la morale le dicte, mais aussi parce que nous, les peuples autochtones, avons le droit de vivre une vie que les autres Canadiens et les nouveaux citoyens ont le luxe de tenir pour acquis. Le consentement et l’autodétermination sont des éléments communs qui lient la majorité des droits de la personne. Pourtant, ces droits fondamentaux nous ont longtemps été refusés. Le projet de loi C-262 sera le premier pas vers la protection égale des droits fondamentaux de tous les Canadiens. Il est temps pour le Canada de voir au-delà de la difficulté de ces circonstances et de continuer d’avancer sur la voie de la réconciliation. Merci.

L’honorable Renée Dupuis [ + ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-262, adopté par l’autre endroit le 30 mai 2018 et intitulé Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Je tiens à souligner le fait que ce projet de loi est l’initiative du député Romeo Saganash. Il est important par ailleurs de savoir que son action s’inscrit dans la foulée de plusieurs actions menées par les peuples autochtones pour faire reconnaître leurs droits dans le cours de l’histoire du Canada, et ce, tant au Canada qu’à l’extérieur, sur la scène internationale.

Je rappelle seulement deux exemples de notre passé récent, pour illustrer le contexte dans lequel s’inscrit l’étude de ce projet de loi et pour rappeler que la question des droits des peuples autochtones a été traitée dans le cadre de l’évolution des discussions qui ont mené à la reconnaissance des droits des peuples sur le plan international.

Premier exemple : Jules Sioui, un Huron-Wendat de Wendake, une réserve indienne voisine de la ville de Québec, qui a créé au XXe siècle le Comité de protection des droits des Indiens. Ce comité visait notamment à faire reconnaître leur droit à s’autogouverner. Ce comité peut être considéré comme l’ancêtre de l’actuelle Assemblée des Premières Nations du Canada. Jules Sioui a aussi lancé une invitation aux chefs des Premières Nations du Canada à une réunion à Ottawa, le 19 octobre 1943, où ils ont rencontré des fonctionnaires fédéraux pour discuter de leurs droits. En 1945, il fonde le Gouvernement de la Nation indienne de l’Amérique du Nord (North American Indian Nation Government) en compagnie de 33 délégués de toutes les régions du Canada. Parmi eux, William Commanda, un chef algonquin de la Première Nation de Kitigàn Zibi Anishinabeg, premier Chef suprême élu.

Deuxième exemple : les Premières Nations innues et atikamekw du Québec. En novembre 1980, le tribunal Russell a tenu à Rotterdam, aux Pays-Bas, sa quatrième session portant sur les violations des droits territoriaux des Indiens des Amériques. Pendant cette session, les membres du tribunal ont entendu 14 causes, dont deux soumises par des Premières Nations du Canada. La première fut celle qui a été soumise par le Grand Council Treaty No. 9 of Ontario, et la deuxième est celle que j’avais soumise au nom du Conseil Attikamek-Montagnais du Québec.

Le tribunal a d’abord entendu les témoignages de deux aînés, l’ancien chef innu Mathieu André, de la Première Nation de Matimekush-Schefferville, dans le nord-est du Québec, et l’ancien chef atikamekw Jacquot Chachai, de la Première Nation d’Opitciwan, dans le nord-ouest du Québec. Puis, il a entendu le témoignage du président du Conseil Attikamek-Montagnais, qui représentait alors trois Premières Nations atikamekw et six Premières Nations innues-montagnaises.

Le tribunal a conclu que l’extinction unilatérale et sans compensation des droits de ces Premières Nations dans le territoire de la Baie-James du Québec, par une loi fédérale en 1977, constituait une violation des droits territoriaux de ces Premières Nations et ne respectait pas les obligations internationales du Canada.

Les conclusions du tribunal Russell situent clairement les violations des droits territoriaux des Indiens des Amériques dans le cadre du droit international, lequel n’avait pas, à cette époque, réglé la question du statut des peuples autochtones dans l’ensemble des instruments du droit international. C’est ce que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est venue préciser.

Cette déclaration est le résultat de négociations internationales intenses, à partir des travaux entrepris en 1982 par un groupe de travail de l’ONU créé par la Sous-commission de la prévention de la discrimination et de la protection des minorités et présidé par la juriste Erica Daes. Ce groupe de travail avait pour mandat de trouver des moyens de faire reconnaître les droits des Autochtones dans le monde. C’est dans le contexte de ces travaux que les peuples autochtones ont obtenu une participation formelle à la réflexion internationale portant sur leurs droits. Les chefs innus-montagnais et atikamekw ont eu l’occasion d’exposer leur position au sujet de la reconnaissance de leurs droits à la présidente lors d’une de ses visites au Canada en 1985.

Durant toutes ces années, le Canada a été très engagé dans les discussions, les débats serrés et les négociations intenses qui ont mené à l’adoption de la déclaration en 2007.

Par exemple, des débats soutenus ont été menés à partir de la discussion originale sur les droits des populations autochtones jusqu’au texte final de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les États, dont le Canada, étaient fort conscients des conséquences juridiques radicalement différentes entre ces deux concepts. Le gouvernement du Canada a voté avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande contre l’adoption de la déclaration, le 13 septembre 2007, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Trois ans plus tard, le 12 novembre 2010, le gouvernement fédéral a choisi de publier un énoncé appuyant la déclaration, avec une mention expresse selon laquelle il considérait que cette déclaration n’était pas « juridiquement contraignante ». Cette réserve sera finalement retirée par le gouvernement fédéral en 2016. La ministre des Affaires autochtones et du Nord a en effet annoncé, le 10 mai 2016, devant l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones que le gouvernement fédéral appuyait désormais la déclaration sans réserve, de même que « l’engagement du Canada d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration, dans le respect de la Constitution canadienne ».

Le gouvernement fédéral précisera en 2017, 10 principes devant désormais régir son engagement « à mener à bien la réconciliation avec les peuples autochtones au moyen d’une relation renouvelée de nation à nation, de gouvernement à gouvernement [...] axée sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat en tant que fondement d’un changement transformateur. »

Il est important de se rappeler que l’évolution de ces négociations internationales découle directement des luttes séculaires des peuples autochtones pour le respect de leurs droits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Canada.

Ces négociations internationales se sont déroulées en parallèle aux négociations constitutionnelles qui avaient cours au Canada pendant les années 1980, négociations entourant le rapatriement de la Constitution canadienne qui ont mené à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Or, cette nouvelle loi renferme, entre autres, des dispositions sur la reconnaissance du statut de peuples autochtones des Indiens, des Inuits et des Métis, comme le prévoit l’article 35. Leur participation formelle aux discussions les concernant a aussi été inscrite dans la Constitution à cette occasion.

Chers collègues sénatrices et sénateurs, la crainte exprimée d’un veto sur le développement des terres et des ressources naturelles au Canada ne doit pas masquer, premièrement, la violation des droits des peuples autochtones sur leurs territoires traditionnels, et, deuxièmement, l’interdiction imposée aux Premières Nations dans la Loi sur les Indiens, entre 1927 et 1951, d’entreprendre des procédures judiciaires contre l’État pour faire respecter leurs droits ou pour obtenir compensation quand ces droits n’avaient pas été respectés, ce qui constituait une infraction conformément à cette loi. Troisièmement, on ne doit pas masquer les nombreuses revendications toujours en suspens. Quatrièmement, il faut tenir compte des obligations constitutionnelles de l’État canadien à l’endroit des peuples autochtones. Cinquièmement, il faut prendre en considération les obligations internationales que le Canada a appuyées et, enfin, l’engagement du gouvernement quant à la mise en œuvre de la déclaration.

Le projet de loi C-262 doit donc être analysé à la lumière du contexte historique dont il est issu. Ce projet de loi vient préciser ce qui est resté en suspens lors de la série de conférences constitutionnelles tenues pendant les années 1980 et 1990, qui devaient servir à déterminer la portée des droits collectifs particuliers reconnus et confirmés dans la Constitution de 1982. L’absence de consensus politique sur cette question a eu pour effet immédiat de faire reposer sur les tribunaux l’arbitrage du contenu et de la portée de ces droits. Cet effet n’a pas encore été corrigé.

On se trouve donc dans une situation où le Canada semble en contradiction entre les normes juridiques qu’il a contribué à définir sur le plan international et son incapacité à définir plus précisément des normes juridiques internes après 1982. Même si le texte de la déclaration ne constitue pas un ensemble de règles de droit immédiatement applicables en droit canadien, il faut comprendre que la déclaration sert déjà de source d’interprétation du droit canadien pour les tribunaux.

Le projet de loi C-262 va plus loin en ce qu’il vient préciser de nouvelles règles. Premièrement, les lois et les actions gouvernementales devront s’articuler à l’avenir en harmonie avec le contenu de la déclaration. Deuxièmement, l’intention du législateur sera précisée quant au cadre d’interprétation auquel les tribunaux canadiens devront se référer quand ils auront à interpréter les droits des peuples autochtones. Autrement dit, le soin et la responsabilité de définir la portée des droits des peuples autochtones ne seront plus laissés complètement aux juges des cours canadiennes.

Chers collègues, j’invite les membres du comité qui devra analyser ce projet de loi à porter une attention particulière à trois éléments. L’article 3 du projet de loi ne fait pas mention du fait que le Canada a participé à l’élaboration de cette déclaration et l’a appuyée. Il y aurait lieu de se demander si cette mention devrait être ajoutée. Deuxièmement, il faut faire des nuances entre les obligations créées par l’article 3 et celles qui sont créées par l’article 4, en termes de finalité et de moyens pour y arriver. Enfin, il faut apporter le changement nécessaire à la désignation du ministre responsable de présenter un rapport annuel au Parlement qui est prévu par l’article 6, surtout depuis que le ministère a été séparé en deux ministères différents.

Sénatrices et sénateurs, il nous revient, comme législateurs, de résoudre cette apparente contradiction entre le droit interne du Canada et le droit qu’il a contribué à faire adopter sur le plan international.

En terminant, je reprends les propos de Rebecca Belmore, une artiste de la Première Nation anishinaabe de Lac Seul, propos qui sont reproduits dans le catalogue d’une de ses récentes expositions :

Je traduis librement : depuis longtemps, j’accomplis mon travail d’artiste parmi mon peuple, rappelant le passé, témoin du présent et me tenant debout face au monumental.

Chers collègues, cela représente, à mon avis, le travail auquel nous sommes conviés avec ce projet de loi, nous, membres du Sénat du Canada. Merci.

L’honorable Patricia Bovey [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aussi la parole au sujet du projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je tiens à reconnaître la contribution de tous les sénateurs qui ont pris la parole au sujet de ce projet de loi et à exprimer ma reconnaissance au député Romeo Saganash pour le dévouement à la cause des droits des peuples autochtones au Canada dont il a fait preuve dans le cadre de ce projet de loi. Je félicite mes collègues autochtones du Sénat pour leurs discours convaincants. Même si je ne suis pas autochtone, je suis tout aussi convaincue qu’eux de la nécessité d’adopter ce projet de loi. Nous avons la responsabilité de corriger les torts, de garantir à tout le monde des droits égaux et de faire en sorte que tous puissent profiter de chances égales.

C’est la septième version de cette mesure législative, la première ayant été présentée à l’autre endroit en 2008. Le projet de loi C-262 a été présenté pour la première fois le 21 avril 2016 et il a été renvoyé au Sénat le 31 mai 2018.

Ce projet de loi est unique, parce que le document sur lequel il est fondé, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, est le fruit de deux décennies d’efforts des peuples autochtones de partout sur la planète. Il s’agit du premier instrument international à avoir été élaboré conjointement par les titulaires des droits et par les États.

Nous réalisons des progrès. Cinq cents ans après le premier contact avec les peuples autochtones, nous les considérons enfin comme nos égaux. Dans ce contexte, nous devons nous rappeler que le Canada est membre des Nations Unies et que, au fil des décennies, il a de nombreuses fois joué un rôle de leader dans cette organisation. Il est temps que nous fassions aussi ce qui s’impose et que nous adhérions aux principes enchâssés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, principes qui sont affirmés dans le projet de loi C-262.

Comme je le disais, le projet de loi confirmerait que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue un instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne et trouve application au Canada. Il demanderait aussi au gouvernement du Canada, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec cette déclaration.

Comme on l’a déjà dit, il demande aussi au Canada d’élaborer, en consultation avec les peuples autochtones, un plan d’action national afin d’atteindre les objectifs énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit qu’un rapport annuel sur l’avancement de la mise en œuvre serait remis aux deux Chambres du Parlement. Cette exigence m’apparaît absolument cruciale.

Pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire, en fait? Il est nécessaire parce que le gouvernement du Canada a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il est aussi nécessaire parce que le gouvernement a accepté les 94 appels à l’action recommandés par la Commission de vérité et réconciliation et a promis d’y donner suite.

L’appel à l’action no 43 se lit comme suit :

Nous demandons au gouvernement fédéral, aux provinces et aux territoires de même qu’aux administrations municipales d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation.

Quant à l’appel à l’action no 44, il dit ceci :

Nous demandons au gouvernement du Canada d’élaborer un plan d’action et des stratégies de portée nationale de même que d’autres mesures concrètes pour atteindre les objectifs de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Je me réjouis de ce projet de loi d’initiative parlementaire, mais je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi le gouvernement, qui dit approuver les 94 appels à l’action, n’a pas présenté son propre projet de loi pour adopter et mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation. À mon avis, en faisant preuve d’un tel leadership, le gouvernement pourrait dissiper tous les doutes qui peuvent exister quant à son engagement envers la réconciliation avec les peuples autochtones.

Le projet de loi C-262 symbolise la répudiation de l’histoire coloniale du Canada et une tentative de réconciliation avec toutes les personnes touchées. J’ai été émue en lisant les observations du parrain du projet de loi, qui a parlé des 10 années qu’il a passées incarcéré dans un pensionnat. M. Saganash a déclaré ce qui suit :

Le projet de loi C-262 nous permettrait aussi de commencer à redresser les torts et les injustices du passé qui ont été infligés aux Autochtones. C’est le principal objectif du projet de loi C-262, c’est-à-dire de reconnaître, d’un côté, qu’il s’agit de droits de la personne, et de l’autre, de commencer à redresser les injustices du passé qui ont été infligées aux Premières Nations du Canada.

Les injustices sont nombreuses, mais celles découlant de politiques gouvernementales sont particulièrement révoltantes. Le système des pensionnats et la rafle des années 1960 étaient des politiques particulièrement préjudiciables aux Autochtones. Comme le sénateur Sinclair l’a dit en citant le rapport de la Commission de vérité et réconciliation :

Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique autochtone du Canada étaient les suivants : éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada.

Dans ma province, le Manitoba, bien des circonstances nous rappellent les effets persistants et atroces de ces politiques. L’une d’elles était la publication du rapport de septembre 2018 du comité d’examen des lois, intitulé Améliorer les résultats pour nos enfants et nos jeunes, lequel examinait la situation du système de protection de l’enfance au Manitoba, quoique :

[...] le comité ne s’est pasconcentré sur les enfants et les familles de régions, d’ethnies ou de cultures prises isolément.

Les résultats exposés en disaient long, et le portrait est loin d’être reluisant.

Pas plus tard que la semaine dernière, un autre rapport sur le meurtre de Tina Fontaine, 15 ans, intitulé A Place Where it Feels Like Home: The Story of Tina Fontaine, a fait ressortir une fois de plus la crise causée par les énormes lacunes du système. La perte de vie brutale d’enfants, de filles et de femmes, les conditions de vie, l’inattention et les événements et situations qui tombent dans les vastes failles du tissu de la société sont absolument inacceptables. À tout le moins, le projet de loi C-262 fournira, en partie, le fondement voulu pour renverser la situation et favoriser des droits de la personne justes et égaux.

Le rapport de 2018 dit :

La majorité des témoignages et des renseignements que nous avons recueillis portent sur des enfants, des jeunes et des familles autochtones. Cela reflète une situation alarmante : au Manitoba, près de 90 p. 100 des enfants pris en charge sont autochtones. Les causes d’une telle situation sont profondément enracinées dans un héritage de pratiques et de politiques coloniales, y compris celles qui ont conduit à la mise en place du système des pensionnats indiens et à la rafle des années soixante. De telles pratiques ont arraché des enfants à leurs parents, à leur famille, à leur communauté, à leur culture et à leur langue et ont été étroitement associées aux taux élevés de toxicomanie, de violence et de pauvreté enregistrés au sein des communautés autochtones, perpétuant le cycle de retrait d’enfants de leur milieu familial.

Pouvez-vous imaginer? Si les rôles étaient inversés et que c’était les non-Autochtones qui cherchaient désespérément à obtenir des droits égaux et la justice humaine, ce qui est précisément ce que le projet de loi C-262 demande pour les Autochtones, comment les citoyens non autochtones parmi nous se sentiraient-ils? Nous devons concevoir l’humanité selon tous les points de vue et toutes les réalités.

Le rapport fait écho tant à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qu’à la Commission de vérité et réconciliation du Canada :

La prestation des services à l’enfant et à la famille au Manitoba devrait être guidée par les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation, les principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les normes établies dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.

Une bonne partie des discussions entourant ce projet de loi tournent autour du concept de consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

Sénateurs, comme vous le savez, j’ai eu le privilège de travailler avec des artistes autochtones pendant les décennies sur lesquelles s’échelonne ma carrière et j’ai toujours trouvé qu’ils ont une longueur d’avance dans l’expression des maux et des réalités de la société, et ce, viscéralement quand il s’agit des expériences des peuples autochtones passées et présentes.

L’artiste et femme de lettres gitxsane Doreen Jensen a écrit :

Le Canada est une image qui ne s’est pas encore matérialisée, puisque que le pays n’a pas encore reconnu ses premières nations. Toutes ses bases sont instables. Si le Canada veut émerger en tant que nation dotée d’une identité culturelle et d’un but, nous devons accepter l’art des premiers peuples.

L’universitaire et ancienne directrice du Musée d’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique Ruth Phillips a écrit à propos de l’artiste autochtone Jackson Beardy, un des fondateurs du Groupe des sept, version autochtone, en 1972, que :

Depuis plus de quarante ans, les artistes visuels autochtones contribuent de façon capitale au processus plus vaste d’autonomisation. Comme les Autochtones l’affirment constamment, leur art ne peut être séparé de la politique, car l’autoreprésentation — et la représentation de l’histoire qui fait partie du processus — confère un grand pouvoir. L’art a toujours été au cœur de la politique tout comme la politique a toujours été au cœur de l’art autochtone, que le sujet soit historique ou contemporain, ironique ou lyrique, sacré ou banal.

L’artiste crie Jane Ash Poitras était exactement sur la même longueur d’onde, comme le montre une citation tirée du livre d’Anne Newlands intitulé Canadian Paintings, Prints and Drawings :

Seul le renouveau spirituel nous permettra de nous connaître, de trouver les ressources nécessaires à notre épanouissement, d’acquérir la sagesse d’éliminer les influences qui mènent à la tragédie et nous détruisent.

Le renouveau spirituel est issu de l’expérience humaine. Chers collègues, je vous mets au défi d’apprécier, de regarder pour vrai les œuvres des artistes autochtones de l’Est, de l’Ouest, du Nord, bref de partout au pays, car elles nous racontent la réalité des peuples autochtones et nous indiquent la marche à suivre pour devenir une société qui honore la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

J’ai déjà parlé aux sénateurs de l’installation The Lesson, que Joane Cardinal-Schubert a réalisée en 1989. On y voit des rangées de chaises d’écoliers. Sur la plupart d’entre elles, une pomme. Un bonnet d’âne sur une de celles du fond. Sur deux des murs, des tableaux recouverts de mots. Au haut de l’un d’eux, « The Lesson » — la leçon —, et de l’autre, « The Memory Wall » — le mur de la mémoire. Le texte se trouvant sous le titre « The Lesson » débute ainsi :

Au départ, les premiers peuples étaient partout. Quand les nouveaux arrivants sont venus, les premiers peuples ont partagé leurs connaissances et leurs biens avec eux, et les nouveaux venus ont pris tout ce qu’ils voulaient. Ils ont partagé leurs valeurs, leur religion, leur langue et leurs lois, puis ils se sont servis, servis, servis. Les premiers peuples ont été dépouillés.

Elle poursuit avec un texte sur des espaces clôturés. Le mur de la mémoire est rempli de listes d’injustices. Elle n’a pas créé de mur de célébrations. Comme je l’ai souligné, nous connaissons tous ces injustices : les pensionnats autochtones, la rafle des années 1960, les multiples générations qui cohabitent dans une maison sans isolation ou sans eau courante et le déplacement forcé de collectivités entières. La liste est longue.

Nous devons empêcher que d’autres éléments s’ajoutent à cette liste et corriger les situations qui perdurent. Le projet de loi C-262 pourrait contribuer à ces efforts de réparation de la société.

Jane Ash Poitras a par ailleurs créé une installation de techniques mixtes intitulée Potato Peeling 101 to Ethnobotany 101. Elle met aussi en scène une salle de classe avec des tableaux noirs sur deux murs. Dans le haut sont écrits les lettres de l’alphabet et les chiffres. Des photographies et des textes remplissent un tableau. On peut voir une couverture de La Baie d’Hudson dans le bas. Un drapeau de l’Union royale, l’Union Jack, orne le centre de la couverture à rayures. L’artiste Bob Boyer avait utilisé les mêmes couvertures et drapeaux pour raconter de façon émouvante l’histoire du Canada. Aujourd’hui décédé, il a pendant longtemps dirigé la Société des artistes canadiens d’origine autochtone.

Le pouvoir évocateur de ces œuvres est impossible à décrire en mots. Je suis convaincue que si quelques-unes d’entre elles se trouvaient sur la Colline, le projet de loi C-262 serait déjà adopté.

Je pense aussi à la performance de Rebecca Belmore intitulée The Named and The Unnamed, faisant allusion aux femmes assassinées ou disparues. J’y ai participé dans un stationnement du quartier de la Bourse de Winnipeg, une nuit d’automne, il y a plusieurs années, avant l’établissement de l’enquête. Tous les participants avaient une rose et un morceau de papier pour écrire le nom d’une femme disparue qu’ils connaissaient. Nous avons attaché le morceau de papier à la rose et mis la rose dans le filet qui pendait du mur du bâtiment près du stationnement. Les phares des voitures fournissaient l’éclairage; la musique venait d’un vieux lecteur CD portatif. L’effet de la performance de cette soirée-là me revient en mémoire chaque jour lorsque je lis les manchettes.

Je ne poursuivrai pas, mais vous comprenez où je veux en venir. En tant que sénateurs et parlementaires, nous devons transformer la réconciliation en « réconciliaction ». L’adoption du projet de loi C-262 est une étape vraiment importante. Je vous invite à vous joindre à moi pour permettre au Canada d’adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Comme pays, nous devons donner l’exemple et joindre le geste à la parole à l’égard des droits de la personne. Nous ne devons pas seulement prononcer des déclarations fortes en posant des gestes faibles. Il est difficile, complexe et parfois en apparence impossible de redonner son âme à un peuple, mais ce sera impossible si nous ne nous y mettons pas. Nous avons beaucoup de repères pour nous guider. Comme l’a dit Louis Riel en 1885 : « Mon peuple dormira pendant 100 ans, mais lorsqu’il se réveillera, ce seront les artistes qui lui rendront son âme. »

Nous devrions tous « lire » les œuvres réalisées par les artistes dans les puissantes langues internationales que sont l’art visuel, la musique et la danse, qui s’unissent dans nombre d’œuvres captivantes et émancipatrices qui sont comprises partout dans le monde et qui touchent à l’âme des artistes, des populations et des nations.

J’appuie le projet de loi C-262. J’espère qu’il sera bientôt renvoyé à un comité et que vous êtes du même avis. Merci.

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