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Le Sénat

Motion tendant à demander au gouvernement de sensibiliser la population à l’ampleur de l’esclavage des temps modernes et à la traite de personnes et de désigner le 22e jour de février de chaque année la Journée nationale de sensibilisation à la traite de personnes--Suite du débat

19 mars 2019


L’honorable Gwen Boniface [ + ]

Honorables sénateurs, je sais qu’il est tard. J’aimerais prendre la parole très brièvement à propos de cette motion et remercier tout particulièrement le sénateur Christmas d’avoir soulevé la question. C’est un sujet qui me touche de près, en raison de ma carrière antérieure et, surtout, des événements qui se sont produits dans ma région le mois dernier. Je pense que nous devons tous prendre conscience du fait que ce problème se produit chez nous. Nous nous en sommes aperçu le 11 février dernier, quand 43 victimes de la traite des personnes à des fins de travail forcé ont été libérées dans la région de Barrie.

Selon un journal, le sous-commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, Rick Barnum, a dit :

Ici, ce sont des êtres humains qui sont la marchandise achetée et vendue. La traite des personnes comprend le recrutement, le transport et l’hébergement de personnes à des fins d’exploitation, de façon générale pour le commerce du sexe ou, comme dans ce cas-ci, pour le travail forcé. L’élément central de cette infraction est l’exploitation.

Les victimes provenaient de groupes extrêmement vulnérables, notamment des travailleurs migrants et des nouveaux arrivants. Après avoir payé différents frais, ces personnes travaillaient dans ma région pour 50 $ par mois. Une des victimes aurait dit aux enquêteurs :

Quand je me suis mis au lit hier soir, j’étais un esclave. Quand je me suis réveillé ce matin, j’étais un homme libre.

Honorables sénateurs, le Canada peut faire mieux. Ceci est un point de départ. Je vous invite tous à appuyer cette motion.

Honorables sénateurs, je prends aussi la parole pour appuyer la motion du sénateur Christmas, qui demande au gouvernement de sensibiliser la population à l’ampleur de l’esclavage des temps modernes, de prendre des mesures pour combattre la traite de personnes et de désigner le 22e jour de février la Journée nationale de sensibilisation à la traite de personnes.

Je tiens aussi à remercier le sénateur Christmas et tous les membres du Groupe parlementaire multipartite pour combattre l’esclavage moderne et la traite des personnes de leur travail pour lutter contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle, non seulement une seule journée, mais toute l’année.

Sensibiliser la population à la traite des personnes nous oblige à reconnaître celles qui sont surreprésentées parmi les victimes et les survivants ainsi que les raisons qui expliquent cette surreprésentation.

Comme les sénatrices McPhedran et Miville-Dechêne l’ont souligné hier, la traite des personnes au Canada touche de façon disproportionnée les femmes et les filles autochtones. La traite des personnes est trop souvent considérée comme une activité commerciale lucrative et à faible risque parce que les trafiquants ciblent et exploitent les personnes les plus marginalisées par le sexisme, le racisme, la pauvreté, l’isolement et les agressions passées.

Mme Pam Palmater, titulaire de la chaire de gouvernance autochtone à l’Université Ryerson, souligne le lien entre les taux élevés de prise en charge des enfants autochtones par l’État et leur exploitation sexuelle, et conclut que les enfants autochtones en foyer d’accueil sont « les plus vulnérables aux parents d’accueil violents, aux prédateurs sexuels, aux trafiquants manipulateurs et à une société qui ignore depuis longtemps la violence sexuelle commise contre les femmes et les filles autochtones. »

Selon certaines sources, y compris les témoignages recueillis dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ainsi que le rapport du Comité de la justice de la Chambre des communes sur la traite des personnes, ont révélé que la traite des personnes fait partie d’une plus vaste crise de marginalisation et d’exploitation des femmes et des filles autochtones, une crise profondément enracinée dans notre passé raciste et colonialiste. Pour cette raison en particulier, alors que nous unissons nos efforts pour exhorter le gouvernement à prendre des mesures de lutte contre la traite des personnes au Canada, il est absolument essentiel de ne pas nous concentrer seulement sur les interventions du système de justice pénale.

De façon générale, le système de justice pénale a été incapable de tenir les hauts dirigeants des réseaux de traite des personnes responsables de leurs actes. Selon le Canadian Centre to End Human Trafficking, les réseaux de traite des personnes sont souvent constitués de sociétés à numéro anonymes. Par conséquent, les opérations policières contre les entreprises illicites se limitent trop souvent à se rendre sur les lieux pour arrêter les personnes présentes, mais elles ciblent rarement, voire jamais, les propriétaires. De telles opérations mènent généralement à l’arrestation des victimes de l’exploitation ou de responsables de niveau inférieur, dont certains sont des femmes ayant déjà été elles-mêmes exploitées. Des mesures comme celles que le sénateur Wetston a proposées dans le cadre de son interpellation no 47 sur la transparence de la propriété effective sont essentielles pour repérer ceux qui profitent de la traite des personnes.

Cependant, plus fondamentalement, la traite et l’exploitation, comme toute autre forme de violence faite aux femmes et aux enfants, sont un problème d’inégalité. Pour vraiment mettre fin à la traite des personnes, il faut éliminer la discrimination et les inégalités systémiques qui facilitent essentiellement ce type de victimisation, surtout chez les personnes issues d’une minorité raciale, les pauvres, les personnes handicapées, les toxicomanes, les victimes d’abus, les gens qui ont grandi sous la tutelle de l’État et, comme la sénatrice Boniface vient de l’indiquer, les immigrants qui essaient de s’établir au Canada.

En 1993, le Comité d’action sur le statut de la femme, qui était alors le plus gros organisme féministe du pays — plus de 700 groupes y étaient affiliés —, a rédigé le document 99 recommandations au gouvernement fédéral — Pour en finir avec la violence faite aux femmes à partir du grand principe que voici :

Les initiatives fédérales doivent tenir compte du fait que la vulnérabilité des femmes et des enfants, en particulier les femmes [autochtones], les femmes de couleur, les femmes prises au piège de la pauvreté et les femmes handicapées, est le facteur déterminant dans la prévention de ce type de crime. Les fonds doivent donc servir directement à améliorer ces conditions.

Les stratégies qui visent sérieusement à mettre fin à la violence contre les femmes et les enfants ont toujours accordé la priorité à un accès équitable aux institutions ainsi qu’aux ressources et aux outils juridiques dont nous devrions tous pouvoir disposer pour défendre nos droits. En mettant en œuvre des mesures comme le revenu de subsistance garanti, la gratuité scolaire, l’accès véritablement universel aux soins de santé, y compris de santé mentale et dentaire, et un régime d’assurance-médicaments, nous pourrions contrer la pauvreté et la marginalisation qui rendent les femmes et les jeunes filles particulièrement vulnérables à l’exploitation sexuelle. Comme le soulignent les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, nous devons aussi nous attaquer aux séquelles particulièrement pernicieuses que la violence coloniale a pu avoir sur les femmes et les jeunes filles autochtones.

Honorables sénateurs, le temps est venu de faire front commun contre les inégalités, de défendre les droits fondamentaux des femmes, des jeunes filles et de toutes les personnes dont on fait la traite. Le temps est venu d’employer tous les moyens à notre disposition pour prévenir la traite des personnes et l’exploitation sexuelle.

Je vous remercie. Meegwetch.

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