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Droits de la personne

Motion tendant à autoriser le comité à examiner les questions concernant les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral dans le système correctionnel et à recevoir les documents reçus et les témoignages entendus pendant la première session de la quarante-deuxième législature--Ajournement du débat

28 octobre 2020


Conformément au préavis donné le 2 octobre 2020, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les questions concernant les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral dans le système correctionnel, en tenant compte des lois et des normes nationales et internationales, ainsi que la situation des groupes marginalisés ou désavantagés dans les établissements carcéraux fédéraux, y compris les peuples noirs et autochtones, les personnes racialisées, les femmes et les personnes ayant des problèmes de santé mentale, dès que le comité sera formé, le cas échéant;

Que les documents reçus, les témoignages entendus et les travaux accomplis par le comité à ce sujet au cours de la première session de la quarante-deuxième législature soient renvoyés au comité;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 30 juin 2021.

— Honorables sénateurs, il y a près de quatre ans, lorsque le sénateur Munson nous a demandé de nous pencher sur l’étude des violations des droits de la personne des détenus dans les pénitenciers fédéraux, il a présenté les choses très clairement. Il a dit : « Il y a un problème à résoudre [...] »

Avec les trop nombreux événements tragiques et inacceptables qui se sont produits l’été dernier, le mouvement Black Lives Matter et les dirigeants autochtones ont appelé le Canada à réparer les torts causés par des siècles de colonialisme et de racisme systémique. Par ailleurs, la grande majorité de la population carcérale et plus de la moitié de femmes détenues dans les pénitenciers fédéraux sont des personnes racisées.

Pire encore, pendant cette pandémie, des prisonniers ont subi pendant des mois des conditions qui violent les protections constitutionnelles à l’égard des peines cruelles et inusitées qui, selon le droit international, équivalent à de la torture.

La Charte du Canada garantit le respect des droits de la personne pour tous. Pourtant, comme l’a révélé le plus récent rapport de l’enquêteur correctionnel et du président du groupe consultatif chargé de surveiller les unités d’intervention structurée, lesquelles devaient servir à remplacer l’isolement cellulaire et préventif, les prisons continuent d’agir comme si ces garanties ne s’appliquaient plus une fois dans la prison et ne pouvaient jamais s’appliquer à l’intérieur de ses murs, alors que les dispositions législatives à cet égard sont claires.

Les Canadiens ont le droit de savoir quelles mesures le gouvernement et les organismes d’État prennent en leur nom avec les deniers publics. Ils ont également le droit de savoir quand les mêmes organismes enfreignent la loi et violent les droits de la personne. Dans l’intérêt public, notamment pour la sécurité publique, il nous incombe de faire enquête, de dénoncer les violations de la loi et des droits de la personne et d’y remédier.

Les détenus dont les droits de la personne sont violés dans les pénitenciers fédéraux sont confrontés à un énorme défi pour faire entendre leur voix. En tant que sénateurs, nous sommes parmi les rares intervenants qui ont un droit d’accès en vertu de la loi. Les droits sont assortis de responsabilités. Dans ce contexte, une trentaine d’entre nous ainsi que les membres du Comité des droits de la personne ont pris cette responsabilité très au sérieux et ont travaillé avec diligence pour examiner les conditions de confinement et le respect des droits de la personne des détenus sous responsabilité fédérale.

Après avoir consulté bon nombre de ceux qui ont participé à cette étude lors de la dernière législature, j’exhorte aujourd’hui les sénateurs à faire en sorte que nous terminions notre travail.

Pendant plus de deux ans, le comité a entendu plus de 100 témoins, visité 30 pénitenciers d’un bout à l’autre du Canada et rencontré des détenus, des membres du personnel et de l’administration, pour finalement publier un rapport intérimaire.

Le rapport en question contient des témoignages profondément troublants présentés par des détenus et des membres du personnel correctionnel ainsi que par des représentants d’organismes de surveillance et de la société civile faisant état de violations ponctuelles et systémiques des droits de la personne. Le plus préoccupant, c’est que ces problèmes étaient récurrents dans toutes les prisons du pays.

Voici ce qu’on peut lire dans le rapport :

[...] le comité a appris que l’accès aux soins de santé est inadéquat, que l’accès à une libération graduelle et structurée est insuffisant, que les programmes correctionnels sont déficients, que les conditions d’isolement sont mauvaises, que l’accès aux mesures correctives est limité et que la qualité et la quantité de la nourriture sont réellement inférieures aux normes.

Nombreux sont les témoins ayant fait valoir que les politiques du SCC créent souvent de la discrimination envers certaines personnes en raison d’être autochtone, de leur race, de leur sexe, de leur handicap, de leur état de santé mentale, de leur ethnicité, de leur religion, de leur âge, de leur langue, de leur orientation sexuelle et de leur identité sexuelle.

C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les bispirituels, les lesbiennes, les gais, les bisexuels ainsi que les personnes transgenres, en questionnement et queers.

À la suite de la publication du rapport intérimaire, le comité a cherché à en savoir davantage sur « les groupes marginalisés et vulnérables, les normes internationales, l’isolement » et d’autres formes de ségrégation, « l’accès à la justice ainsi que la réadaptation et la réinsertion ».

Lorsque le Parlement a mis fin à ses travaux en vue des élections fédérales de 2019, il ne restait plus au comité qu’à rédiger son rapport final. Malheureusement, comme nous n’avons pas obtenu la permission de compléter cette tâche pendant l’été, le travail du comité n’est pas terminé.

Même si les efforts requis pour terminer ce rapport final sont minimes, les répercussions de cet inachèvement sont importantes : des années de ressources investies et d’efforts entrepris au nom des Canadiens, d’innombrables heures de témoignages et d’expériences personnelles, autant de la part de membres du personnel que de détenus, qui soit travaillent dans le but de parvenir à un système qui fait respecter la primauté du droit et les droits de la personne, soit espèrent que cela se réalise.

Beaucoup de gens attendent le rapport final. Justement, cette semaine, les travaux du comité ont été présentés dans un reportage du Globe and Mail sur le racisme systémique lié au système de classement selon le niveau de sécurité employé par le Service correctionnel du Canada.

Le rapport provisoire a également servi à nos débats, plus particulièrement sur le projet de loi C‑83. Il a été utilisé dans des exposés sur les droits de la personne donnés par des membres du comité au Canada et devant des organismes internationaux, dont l’Union interparlementaire et d’innombrables forums. Nous ne devons pas abandonner ces travaux importants, mais les mener à bien.

Ce qui est prévu dans cette motion n’exige pas énormément de temps et de ressources. À mon humble avis, il s’agirait simplement de mettre à jour l’ensemble des données recueillies par le comité pendant la dernière législature, plus particulièrement pour tenir compte de la mise en œuvre du projet de loi C‑83 et des effets de la COVID‑19 dans les pénitenciers fédéraux.

Cela permettrait en outre au Sénat de participer à des discussions d’importance nationale sur la façon de remédier au racisme systémique que, comme l’a souligné la sénatrice Bernard, les prisons créent et enracinent.

Comme l’absence de transparence et de reddition de comptes qui règne dans le système correctionnel attire de plus en plus l’attention, le comité pourrait fournir une information précieuse aux Canadiens avec seulement deux audiences de plus.

Nous devons nous intéresser de près aux constatations et aux expériences d’un groupe consultatif nommé par le ministre de la Sécurité publique pour surveiller, pendant un an, la mise en œuvre des unités d’intervention structurée prévues par le projet de loi C‑83.

Cette semaine, le groupe d’experts a rendu publique une analyse des données recueillies par le Service correctionnel Canada sur l’isolement des détenus, et a signalé, chers collègues, que nul autre que le Service correctionnel Canada l’a empêché de remplir son mandat.

Chers collègues, soyons clairs sur ce que tout cela signifie. Pendant la période hors du commun que nous traversons actuellement à cause de la pandémie, et dans le contexte d’une nouvelle mesure législative d’une importance internationale, les prisons fédérales isolent les détenus sans qu’aucune surveillance ne soit pratiquement exercée.

Les données recueillies par les conseillers ministériels à la fin de la semaine dernière révèlent une réalité choquante : seuls 5 % des détenus placés dans des unités d’intervention structurée bénéficient d’un contact humain significatif, ou ont droit au temps hors cellule que le projet de loi C‑83 avait promis afin d’empêcher les effets profondément préjudiciables de l’isolement cellulaire, de même que le caractère inconstitutionnel de cette pratique. C’était en effet une réalité bien avant la COVID‑19, mais lorsque la pandémie a frappé, cette situation a empiré.

Plutôt que de suivre l’orientation du ministre ou les conseils d’un nombre incalculable de professionnels de la santé, le Service correctionnel du Canada a choisi par défaut la méthode la plus oppressive. Il a mis non seulement un terme à la totalité des programmes, services et mesures de soutien, il a aussi détenu illégalement des personnes qui avaient obtenu une libération conditionnelle. En outre, les mesures de confinement ont fait en sorte que presque tous les détenus dans les pénitenciers fédéraux ont été placés dans des situations assimilables à l’isolement cellulaire. Tout cela alors que le projet de loi C‑83 était censé interdire de telles pratiques.

La pratique répandue et en apparence non encadrée de l’isolement démontre le non-respect des lois et des normes en matière de droits de la personne. Nous devrions donc examiner la proposition de M. Doob qui vise à mettre en place un mécanisme de surveillance externe permanent au sein de l’agence. C’est d’ailleurs ce que le Sénat avait proposé dans le cadre d’amendements au projet de loi C‑83 : un système de surveillance judiciaire des décisions prises par le Service correctionnel du Canada lorsque celles-ci ont une incidence sur les droits des prisonniers. Cet amendement fait partie d’une série d’amendements que le gouvernement avait rejetée. Avec le recul, nous pouvons constater qu’il s’agissait d’une erreur.

Il n’est donc pas étonnant que le Service correctionnel du Canada se montrait réticent à rendre les données publiques. Il n’est guère étonnant que les universitaires comme Mme Emma Cunliffe continuent d’exhorter les juges à examiner de manière rigoureuse l’information communiquée par les autorités correctionnelles.

Le rapport provisoire du Comité sénatorial permanent des droits de la personne était un premier pas formidable et regorge de témoignages d’une importance cruciale. Chers collègues, déterminons le travail et terminons cette étude vitale. Meegwetch. Merci.

L’honorable Pierrette Ringuette (Son Honneur la Présidente suppléante) [ + ]

Sénatrice Pate, accepteriez-vous de répondre à une question?

Certainement.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Sénatrice Pate, je vous remercie beaucoup de tout le travail que vous et le comité avez accompli sur cette question. Il serait très utile pour nous de savoir combien d’années le comité a passées sur ce sujet et combien de temps que vous demandez pour terminer le rapport. D’après ce que j’ai entendu, vous demandiez un délai très court pour produire ce rapport très important. Est-ce exact?

Merci beaucoup, sénatrice Jaffer. Oui, en effet. En décembre, cela fera quatre ans que le sénateur Munson a proposé que l’étude soit menée, et le comité a travaillé sur cette étude pendant plus de deux ans. D’autres études ont également été réalisées.

À mon humble avis, j’estime qu’une ou deux séances seraient nécessaires pour mettre à jour les témoignages et ensuite le rapport pourrait être achevé.

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